Textes : Marc 6, v. 14 à 29 Deutéronome 18, v. 15 à 20 Psaume 95 1 Corinthiens 7, v. 32 à 35 Marc 1, v. 21 à 28Pasteur Jacques ChauvinTélécharger le document au complet

Notes bibliques

1. Contexte Le Deutéronome apparaît comme la remémoration ultime de la Loi divine, « La Torah », par Moïse, dont la mission s’achève par sa mort au chapitre 34, précédée par la désignation de Josué comme son successeur et ses dernières recommandations. Ainsi le Deutéronome se donne comme la Seconde Loi (en grec « deuteros » : second et « nomos » : loi) : il est désigné en hébreu par le terme « devarim », c’est-à-dire « paroles ». La critique historique du livre du Deutéronome aboutit à de nombreuses difficultés concernant l’époque à laquelle faire remonter la composition et les différents remaniements des textes qui le constituent, ainsi que leur synthèse, leur imbrication réciproque et la datation de la mise en forme définitive. Deux traditions opposées apparaissent à ce propos : l’une, celle des « rabbis » les plus scrupuleux soutenus en cela par les partisans de la lecture « littéraliste » de l’Écriture, fait remonter au temps de Moïse (au 13e siècle av. J.C.) le texte du Deutéronome et assure qu’il s’agit des paroles même de Moïse restituées de manière authentique (dans ce cas, la description de sa propre mort par Moïse au chapitre 34, ainsi que du deuil qui s’ensuivit pose des problèmes insolubles) ; l’autre tradition, sans doute plus vraisemblable, daterait le Deutéronome d’une période récente et le lierait à la Réforme du Roi Josias (découverte d’un rouleau de la Loi dans le Temple, telle que la relate 2 Rois 22, v. 8 à 20) : le livre du Deutéronome serait-il le manuscrit évoqué ici ou en serait-il une forme s’approchant de la version définitive ? Il serait alors, mais ce n’est qu’une supposition, l’œuvre de Lévites venus du Nord se réfugier à Jérusalem après la prise de Samarie (en 722 av J.C.) et demeurés fidèles à la Loi de Moïse, ce serait alors un travail de compilation (ce que la structure du Deutéronome tend fortement à prouver) et un éclairage nouveau mis par les Lévites sur la Loi Mosaïque. Il faut souligner ici l’importance que leur accorde le Deutéronome au début du chapitre 18, c’est à dire juste avant notre péricope, et le lien concerté qui est ainsi fait entre l’institution lévitique et la venue du Grand Prophète (qui sera un nouveau Moïse) est là pour souligner intentionnellement l’articulation entre Sacerdoce et Prophétie au sein du Peuple d’Israël ; l’un et l’autre sont les deux piliers à la base de la vision constitutive du pouvoir chez les gens de la Bible, en quelque sorte sa colonne vertébrale. Au niveau politique (les relations de la Prophétie et du Sacerdoce pouvaient être conflictuelles, c’est sans doute pour cette raison que le Deutéronome essaie de préciser leur liaison indispensable) : invitation à réfléchir au sein de nos Églises à l’articulation des structures institutionnelles avec l’annonce de la Parole… L’exégèse a pris l’habitude de diviser le Deutéronome en 5 parties :

  1. La première est constituée par deux discours de Moïse (Dt 1-6 et 8-11) que sépare la description (Dt 7) placée en incise,
  2. La deuxième va du chapitre 12 au chapitre 16,
  3. La troisième comprend les chapitres 17 et 18,
  4. La quatrième, les chapitres 19 à 26,
  5. La cinquième : Conclusion du livre (chapitres 27 à 34) qui est

– une suite de bénédictions et de malédictions (chapitres 27 à 29), – la célébration de la refondation de l’Alliance (chapitre 30), – la désignation de Josué comme successeur de Moïse, l’ultime testament de Moïse (chapitres 31 à 33), – la description de la mort de Moïse et du deuil qui s’ensuit (chapitre 34). Notre péricope appartiendrait alors à la 3ème partie du Deutéronome. Mettons dès l’abord l’accent sur un des points qui caractérisent l’énoncé de la Loi de Moïse dans le Deutéronome : sa prise en compte de l’ouverture à l’Autre (« nos frères » comme le dit le verset 15 du chapitre 18, tout au début de notre péricope) ; cet accent mis sur la famille, la justice personnelle, l’accueil des petits et des pauvres fait le lien entre la Torah et la Prophétie et ouvre les perspectives qui seront celles de la Nouvelle Alliance aux yeux des contemporains de Jésus et de l’Évangile pour lesquels l’Écriture, c’est « Moïse et les prophètes » (cf. Mt 7/12 et Ac 13/15). 2. Moïse et la Prophétie Moïse est à la fois un législateur, un meneur d’hommes et un prophète. Josué n’est en fait désigné comme successeur de Moïse qu’en tant que meneur d’hommes et libérateur (seul le livre pseudo-épigraphique du Siracide compte Josué au nombre des prophètes au chapitre 46, v. 1). Au regard de Dieu, cela implique une relative imperfection, liée au fait que Moïse de par la volonté divine n’est pas autorisé à la suite de l’épisode de « Massa et Mériba » à pénétrer en Terre Promise ; c’est ce que relate le livre de l’Exode (Ex 17, v. 7) et à quoi fait allusion le Deutéronome au moment de la mort de celui-ci (Dt 33, v. 8). Le don de la Terre Promise et la victoire, l’exil et la défaite seront désormais liés à la fidélité du Peuple à la Loi de Dieu. L’héritage prophétique est avant tout un don spécifique de Dieu (« charisme ») qui choisit à travers les générations successives des individus (« Les prophètes ») chargés de transmettre sa Parole ; le prophète n’est donc pas libre, et c’est souvent malgré lui et au risque de sa vie qu’il transmet au Peuple réticent et parfois même rebelle la volonté du Créateur. Plus que tout autre, Moïse est l’image par excellence du Prophète, le premier des Prophètes, celui qui se tient dans la Présence de Dieu (« Shekinah ») et est averti de ses décisions. Le Prophète est un individu confronté, et confronté de deux manières :

  1. confronté d’abord à la Parole exigeante de Dieu qu’il est chargé envers et contre tout d’annoncer et dont il doit témoigner souvent par des signes symboliques qui donnent encore à son message davantage de force (il est ici inutile de mentionner les signes prophétiques accomplis par Moïse),
  2. confronté ensuite à l’idolâtrie (celle des magiciens, devins et autres faux prophètes que fustige le début du chapitre 18, celle des puissants et des rois vivant dans la luxure, l’opulence et le meurtre, méprisant le cri et les larmes des pauvres et des petits) ; la mission prophétique ayant aussi une fonction politique essentielle comme l’indique la biographie de Moïse et des autres Prophètes.

Différence de caractère, de style de vie, de signes symboliques, de forme de langage chez les Prophètes, mais concordance et harmonie dans la semblable proclamation du message divin qui peut se faire menace de châtiments, mais qui est aussi promesse de pardon et de rédemption ; la Prophétie est toujours médiatisée par la voix humaine, celle d’un agent qui s’exprime selon des formes historiquement et littérairement diversifiées. Si la Prophétie pose toujours le salut dans le cadre et à l’échelle du Peuple d’Israël et dans une époque précise (temps et espace), c’est parce que son expérience reste limitée dans le cadre et à l’échelle des données humaines, mais cela signifie aussi que dans les réalités présentes l’avenir est engagé. Une fois accomplie, la Prophétie devient le signe de l’avenir ultime et décisif (moment de la venue du Grand Prophète, du Nouveau Moïse, qui est le terme mis à nos réalités spatio-temporelles) au-delà de tous les objectifs visés dans le présent, c’est la fin de l’histoire et l’imminence de l’Avènement Messianique. 3. Le retour de la Prophétie et de l’ère messianique Dans ce contexte de relations divines avec les humains, le « silence de la Prophétie », tel qu’il et annoncé par Amos (Am 8, v. 11 & 12) et Michée(Mi 3, v.6) apparaît comme un désastre et une punition divine ; c’est également ainsi que le voient le Psaume 74 et le livre des Lamentations (Lam 2, v. 9).Comme un aboutissement et une conclusion de cette longue lignée prophétique initiée par Moïse intervient alors l’espérance du « Retour de la Prophétie » qui puise ses sources dans la venue du Grand Prophète, semblable en tous points à Moïse et annonciateur de temps nouveaux : telle est la manière dont ce surgissement peut être interprété à partir de notre péricope. Dieu a envoyé à son Peuple des messagers fidèles pour l’avertir des malheurs qui l’attendaient s’il persévérait dans le péché ; « ils n’ont pas écouté » dit le 2° livre des Chroniques (2 Ch 24, v. 19).La voix de la Prophétie s’étant tue pour ne se réveiller qu’à la fin des temps, au Jour de l’Éternel (« Yom Adonaï »), moment où Dieu manifestera son courroux contre ceux qui l’ont mis en colère (le silence de la Prophétie n’est que le temps de sa patience, le temps de la repentance et de la conversion des pécheurs) ; alors son Peuple connaîtra la revanche sur ses ennemis, la fin du monde (« Aharit ha-yamin ») étant l’affrontement cosmique entre les forces du Bien et les forces du mal (vision apocalyptique des temps derniers). Et la génération à venir sera celle qui vivra cet affrontement, auquel succédera un monde de justice.La période eschatologique (celle de la venue du Messie) est donc liée à la paix entre les humains et toutes les créatures du cosmos.On annonce le retour d’Élie à la fin des temps pour récompenser les justes fidèles à la Loi de la « vie à jamais » (« la vie à jamais » : idée nouvelle dans le Judaïsme).Nul n’ignorait parmi les auditeurs de Jésus toutes ces données, et l’allusion à cette croyance est évidente dans la présence de Moïse et d’Élie à ses côtés lors de la Transfiguration (Théophanie)où s’est aussi manifestée la volonté de conférer à cette présence un caractère immuable et définitif (« si tu veux, je dresserai trois tentes ici, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie »). Dans la Transfiguration, il y a plusieurs réminiscences, d’abord celle du Messie et de sa filiation divine au Psaume 2, v. 7, ensuite celle d’Es 42, v. 1 où le Serviteur de Dieu est son élu, enfin l’annonce du Messie comme un Nouveau Moïse dans notre péricope Dt 18, v. 15.Le retour d’Élie se fait jour dans les derniers mots du livre de Malachie (Ml 3, v. 23) (qui est lui-même l’ultime témoignage de la Prophétie), et les Évangiles (Jn 1, v. 27 et aussi Mt 16, v. 14 ; Lc 9, v.19 et Mc 8, v. 28) s’en souviennent.Dans l’autorité avec laquelle parle Jésus (Mc 1, v. 21 à 28), l’évangéliste Marc veut voir celle du Grand Prophète, du Nouveau Moïse, tel que l’annonce Dt 18, v. 15 à 20. C’est de Jésus-Christ qu’il est question ici, en Lui que l’Écriture si variée, si multiple trouve son unité : c’est en L’annonçant (jusque dans sa mort et sa résurrection) qu’elle proclame le mystère du Fils de Dieu.

Prédication

Par ce dimanche d’hiver maussade, le livre du Deutéronome, et particulièrement cette fin du chapitre 18, est là pour dissiper nos multiples découragements. C’est après la chute de Samarie en 722 que les Lévites venus du Nord à Jérusalem cherchent à retrouver l’espérance en renouvelant l’Alliance conclue avec Dieu au Mont Sinaï : redéfinir les cadres sociaux et politiques qui régissent le Peuple, dénoncer les faux prophètes et les charlatans de toutes sortes au service de ceux qui, rois et puissants, ne pensent qu’à l’adultère, au profit et à la jouissance, qui pratiquent l’idolâtrie et l’injustice, qui n’ont que mépris et dédain pour leurs frères et sœurs, les petits et les pauvres. Un manuscrit est retrouvé dans le Temple sous le règne du roi Josias -combien d’antiques bibles abandonnées depuis des décennies au fond de nos tiroirs ?- et on lit, on relit le manuscrit attentivement pour s’y ressourcer, pour y retrouver l’espérance -quand allons-nous, nous aussi, rouvrir nos vieilles bibles cachées depuis si longtemps au fond de nos tiroirs, sur le rayon le plus élevé de nos armoires pour nous mettre à l’écoute de la Parole que Dieu nous adresse ? Réforme deutéronomique, nous disent les spécialistes de l’Écriture. Que de réformes, de projets de rénovation aussi au sein de nos églises pour retrouver les justes limites des institutions temporelles, pour donner la première place à la Prophétie, à l’Esprit Saint de Dieu dans nos vies et dans nos engagements. Rénovation de l’Alliance avec Dieu et espérance du Monde à venir, promesse de Dieu d’un Grand Prophète, d’un Nouveau Moïse qui va apparaître pour soulager la misère du Peuple, le consoler de ses épreuves et le guérir de ses maux, pour établir la justice, la vraie justice, la justice divine. Figure du prophète qui va venir par des temps aussi maussades que les nôtres, en une époque aussi difficile que la nôtre, dimanche d’hiver triste comme aujourd’hui : crise économique, tensions sociales, chômage, pertes des acquis et des valeurs, grèves brisées, révolutions trahies et rêves déçus… Figure du Grand Prophète qui offre un monde de justice et parle avec l’autorité de Moïse, avec une autorité encore plus grande que celle de Moïse… Un Prophète qui sera le modèle de toute la Prophétie, il fera entrer les humains dans le mystère du Fils de Dieu pour qu’ils soient pleinement disponibles au souffle de l’Esprit-Saint, il sera le modèle de tous ceux, de toutes celles qui se prétendent les porte-parole de Dieu… Comme nous l’enseigne l’Évangile de Marc aux versets 21 à 28 du chapitre premier dans sa relecture de Deutéronome 18 versets 15 à 20, Jésus est le Grand Prophète attendu et espéré, le Nouveau Moïse, le seul et vrai médiateur entre Dieu et les hommes, et cela dès le début et jusqu’à la fin des temps, le Messie annoncé par l’Écriture : lumière dans nos ténèbres, étoile de nos nuits sombres, joie dans nos moments de doute et de froidure. En Lui « La Parole de Dieu se fait chair et elle habite parmi nous ». L’Évangile de Marc nous montre ce que Jésus-Christ vient accomplir, réaliser parmi nous : à la synagogue de Capharnaüm, non seulement Il parle avec autorité, une autorité jamais autant éprouvée depuis Moïse, une autorité qui vient de Dieu et qui est celle de Dieu, une autorité qui frappe d’étonnement et de stupeur, qui remet sur la voie droite et fait renaître l’espérance. À la Parole, Il joint encore le geste qui sauve et chasse un démon : signe que le Royaume de Dieu est là. Amen.