Textes : 2 Corinthiens 2, v. 5 à 17 Ps 139 Ésaïe 49, v. 1 à 16 Actes 13, v. 22 à 26 Luc 1, v. 57 à 80Pasteur Christophe DesplanqueTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Luc 1, v. 57 à 66 et v. 80Remarques introductives sur le contexte du passageLe récit de la naissance et de la circoncision de Jean le Baptiste prend place dans l’ensemble des chapitres 1,5 à 2,52 de l’Évangile de Luc, appelé souvent « évangile de l’enfance ». Ensemble qu’il est indispensable de relire pour bien comprendre notre passage. Il pourrait s’intituler : « trois hommes (Joseph, Zacharie, Syméon), trois femmes (Marie, Élisabeth, Anne), trois cantiques pour une espérance ». Il s’agit d’une construction soignée, riche en références aux récits et personnages de l’Ancien Testament, qui dispose en parallèle les faits entourant les naissances de Jésus et de Jean, de leur annonce (1,5-56) à leur accomplissement (1,57-2,52). Six mois séparent les deux naissances (Lc 1,36), ce que rappelle la symbolique, dans notre calendrier, du choix des solstices d’été et d’hiver (Noël) pour les fêter. Lc 1,57-66 est parallèle au récit de la naissance et de la circoncision de Jésus, Lc 2,1-21. Le v. 80 est une courte notice, conclusive, sur la croissance de Jean. Elle correspond pour sa part à 2,40, consacrée à celle de Jésus. Remarques d’ensemble sur le texte Lc 1,57-66, à la différence du récit du premier Noël, se focalise sur : La question du nom à donner à l’enfant, au moment de sa circoncision (une note de la TOB sur le v. 59 précise que c’est l’usage du judaïsme tardif, par opposition aux temps bibliques où le nom était donné lors de la naissance). C’est la mère qui donnera à Jean son nom, en s’opposant sur deux plans à l’usage traditionnel (Les vv. 59-62 montrent que l’entourage s’attendait à un nom déjà porté dans la famille, et voulait en conférer le choix au père). On peut noter l’importance du rôle des femmes dans l’Évangile de l’enfance. Cet accent se retrouve tout au long de l’Évangile selon Luc (voir 8,2-3 par ex., ou 10,38-42…). La guérison du mutisme -et de la surdité, v.62- dont Zacharie, le père, a été frappé. Ce handicap de Zacharie trouve son explication lors de l’annonce qui lui est faite de la naissance à venir, tout aussi « improbable » que celle de Jésus, puisqu’à la virginité de Marie correspond la stérilité et l’âge d’Élisabeth. A la différence de Marie, voire d’Abraham (sa situation est la même ; il est âgé et sa femme est stérile), Zacharie a douté de la promesse faite par Gabriel (1,18-20). Il demande un signe pour confirmer la Parole, alors que Marie ne demande qu’une explication : « comment cela se fera-t-il ? » Lc 1,34. Le silence qui est imposé à Zacharie peut être tout à la fois un signe confirmant la promesse et une sanction de sa réticence à y croire. Notes au fil du texte.v. 57 : littéralement, « Pour Élisabeth, le temps d’accoucher fut accompli ». L’expression ne désigne pas seulement le terme normal de la grossesse, mais la réalisation de la promesse de Dieu. v. 58 : L’enfant naît bien entouré de voisins et parents. Quel contraste avec la naissance de Jésus, loin de chez lui, dans un lieu misérable et insolite, et entouré d’étrangers (les bergers). v. 59 : L’usage était normalement de donner au nouveau-né le nom de son grand-père. Mais le choix du même nom que celui du père répond peut-être au vœu que l’enfant pallie l’infirmité de Zacharie : le mutisme, comme tout handicap physique, peut remettre en cause son ministère sacerdotal. vv. 60-62. Élisabeth, seule mais obéissant à l’indication divine (1,13), résiste à la pression familiale et sociale qui fait peu de cas de son avis (62). Elle veut que l’enfant porte le nom de Jean, ce qui signifie « Le Seigneur fait grâce ». Ce nom fait sens à double-titre : Non seulement Dieu l’a délivrée de sa stérilité, mais avec Jean, c’est un nouvel Élie que Dieu donne à Israël, pour préparer le peuple à accueillir le salut qui viendra en Jésus-Christ. v. 63 : Un signe est donné aux voisins et parents : sans avoir pu entendre sa femme, Zacharie indique le même nom qu’Élisabeth (Le choix de la mère fait signe, quant à lui, au lecteur : puisque nous savons que c’est à Zacharie seul que l’ange a révélé ce nom, et le texte ne nous dit pas que Zacharie en ait fait part à son épouse). En déclarant « Jean est son nom », Zacharie affirme qu’il n’y a pas à choisir de nom, l’enfant en a déjà un. « Tous furent étonnés » trouve un écho en Lc 2,20, où l’étonnement-émerveillement est provoqué par le témoignage des bergers au sujet de ce que les anges leur ont dit de Jésus. La guérison de Zacharie constitue un second signe qui cette fois ne provoque plus seulement l’émerveillement, mais la « crainte », le profond respect qu’inspire l’intervention de Dieu. Thèmes possibles de prédication : Du silence à la parole, de l’écrit à la louange. L’aphasie de Zacharie peut être vue comme un écho du silence incrédule, sa guérison comme le signe de l’acceptation du plan de Dieu. Si Dieu parle, c’est pour nous permettre de devenir à notre tour les sujets d’une parole de louange, qui témoigne de sa victoire. La tablette sur laquelle Zacharie, sourd et muet, est contraint d’écrire pour communiquer peut symboliser l’état d’une religion sclérosée, en attente de l’irruption de l’Esprit-Saint qui ouvre sa bouche (comme plus tard celle du baptiste, puis des disciples le jour de la Pentecôte) pour proclamer la louange du Dieu qui sauve. Un nom pour la vie. Le choix du nom (chez nous, c’est le prénom) établit l’identité du nouveau-né dans sa famille. C’est un acte essentiel dans la Bible, qui à la fois l’enracine dans une mémoire, dit sa place dans le présent, mais aussi –et surtout- dessine sa vocation, trace l’horizon de sa vie. Dieu souvent nomme ou renomme ceux qu’il vient appeler ou délivrer. Dans notre texte, l’enjeu est de taille : Quel héritage pour l’enfant ? Sera-t-il un nouveau Zacharie, membre d’une vieille lignée de prêtres ? Ou un nouvel Élie, prophète (v.76) annonciateur des temps messianiques ? Et qui va décider ? L’entourage, la société, soucieuse de convenances, de traditions, ou ses parents qui ont cru qu’avec la venue inespérée de cet enfant sonnait l’heure de la nouveauté de Dieu ? La prédication proposée ci-après choisit cette deuxième piste : qui décide ce que sera ma vie ? Elle fait écho à la question finale que les proches de la famille se posent sur Jean : « que sera donc cet enfant ? » (v. 66).

Prédication

Il y a une grande effervescence ce jour-là, dans la maison du prêtre Zacharie. Sa femme Élisabeth, qui était stérile, a mis au monde un joli petit garçon. Quel bonheur, la lignée sacerdotale de Zacharie ne va donc pas s’éteindre ! Un enfant de prêtre, son destin est tout tracé. Il va reprendre le flambeau, faire honneur à son père, et à son grand-père, et à tous ses ancêtres… Même à sa mère, qui est, elle aussi, une descendante d’Aaron. Quelle consolation pour Zacharie après ce qui lui est arrivé, se disent aussi tous ses voisins et les membres de sa famille, venus pour fêter l’événement. Lui qui est devenu muet et sourd. Voilà un grand malheur pour un prêtre. Ironie du sort, ce mal l’a frappé alors qu’il se trouvait dans le temple, peut-être au sommet de sa carrière. Il avait été désigné ce jour-là pour le rite le plus solennel, l’offrande de l’encens à l’intérieur du temple, au moment du sacrifice quotidien. En sortant, il aurait dû bénir les fidèles qui l’attendaient, mais non, rien n’est sorti. Il n’a pas pu prononcer les paroles rituelles, il n’a pas pu exercer son ministère de prêtre. Aussi dans l’esprit de chacun, il n’y a aucune hésitation : cet enfant s’appellera comme son père, Zacharie. Ils voulaient l’appeler ainsi, précise Luc. Cela nous surprend, puisque le choix du prénom, c’est dans nos contrées le privilège des seuls parents, et parfois cela prend du temps, futur papa et future maman hésitent. Il y a tellement de jolis prénoms…. Et puis un prénom, c’est pour la vie, son choix peut être lourd de conséquences. Et à chacun des prénoms qu’ils ont pré-sélectionnés, les parents associent une certaine image de l’enfant à naître, la façon dont ils le voient, dont ils s’imaginent sa future personnalité. Ce jour-là, quand Élisabeth a mis au monde son enfant, c’est à cet agréable exercice que se sont prêtés les voisins et les amis. Ils se sont dit : cet enfant sera comme son père, il suppléera à sa défaillance et en quelque sorte, il le remplacera. En plus, « Zacharie », c’est un beau nom ! il signifie « Dieu se souvient ». Toute l’histoire d’Israël est dans ce nom là, Dieu s’est souvenu de son peuple, c’est à dire que Dieu tiendra toujours les promesses de son alliance ; c’est d’ailleurs aussi ce que signifie le nom de sa mère : « Élisabeth » veut dire « Dieu a promis ». Mais voilà que survient l’imprévu. Même si on ne lui a pas demandé son avis, Élisabeth n’est pas d’accord et elle le dit. Elle prend la parole, sans qu’on la lui ait accordée, elle sort de son rôle de femme silencieuse et obéissante. Rien, aucune tradition, ni personne, même parmi ceux dont elle se sent si proche, ne lui enlèvera sa liberté d’obéir au plan de Dieu. Elle dit ce nom nouveau que l’ange Gabriel a révélé à Zacharie, comme pour tracer le chemin que prendra la vie de cet enfant, et qui n’est pas le chemin prévu : Jean, Yohanan, c’est à dire : « Dieu fait grâce ». Autre imprévu, quand on demande à Zacharie de ramener sa femme à la raison en lui donnant tort, non seulement il confirme le choix du nom, mais en plus, il écrit que ce nom, l’enfant le porte déjà. Tout est fait, Dieu a déjà choisi. Non, cet enfant ne sera pas un nouveau prêtre Zacharie, un double de moi-même. Non, cet enfant ne sera pas comme vous l’imaginez. Il ne sera ni comme moi, ni comme vous, il sera lui-même, tel que Dieu le veut. Mais alors, que sera-t-il ? Se demandent les amis, les voisins, les parents. Cette question traduit une grande curiosité, et une réelle attente. Tous ont été témoins de la guérison spectaculaire de Zacharie. Si un tel signe accompagne la venue de cet enfant, c’est que Dieu a de grands projets pour lui, sans nul doute. Mais la question trahit aussi une certaine dose de perplexité, d’inquiétude : s’il ne suit pas le chemin de son père, comme il est d’usage, mais que va donc devenir Jean ? Ça ne se fait pas, de rompre avec la tradition ancestrale. Quand on est membre d’une famille sacerdotale, on est prêtre, un point c’est tout. Il en a toujours été ainsi, et sans prêtre, il n’y a plus de religion… Nous-mêmes, ne sommes-nous pas tous enfants d’Abraham ? L’héritage de nos pères, c’est un acquis. C’est cela qui nous définit, notre filiation, c’est une part essentielle de notre identité. L’identité, c’est important ! Elle donne sens à toute notre vie, elle l’oriente, la balise. Plus l’identité est affirmée, croit-on, plus sûre sera la route ; suivre le chemin qui a été celui des ancêtres, c’est le meilleur moyen de ne pas se perdre. Voilà sans doute tout ce qu’il y avait dans ce réflexe, cet automatisme qui a poussé voisins et amis à donner à l’enfant le nom de son père, le nom tout trouvé de Zacharie. Comme ça lui ira bien ! Il part bien dans la vie. Mais Dieu a un autre projet pour l’enfant, il lui a déjà donné son identité propre. « Jean ». Dans ce nom que ses parents ont reçu pour leur fils, il y a un message : Dieu fait grâce, précisément parce qu’avec lui rien n’est acquis, tout est donné en cadeau, même l’identité. C’est ce que dira plus tard Jean, en apostrophant ceux qui viennent vers lui : « ne dites pas que vous avez Abraham pour Père, car même de ces pierres, Dieu peut faire des enfants d’Abraham ». Dieu fait grâce. Tout est donné, tout est à recevoir à nouveau. C’est le nom que portera cet enfant, c’est aussi le message qu’il transmettra, non pas comme prêtre mais comme prophète, quand il sera devenu le baptiseur. Celui qui plongera les foules venant à lui pour noyer leurs prétendus acquis dans l’eau du Jourdain, et les ouvrir par le chemin de la repentance à une foi vivante, celle qui s’attend toujours à la nouveauté de Dieu. Une nouveauté qui prendra les traits du cousin de Jean le baptiste, un certain Jésus, de Nazareth. Se repentir, c’est justement changer, faire demi-tour, sortir du chemin tout tracé, c’est aussi laisser Dieu nous sortir du cercle de toutes ces fatalités qui nous font dire : « Ce que je suis, ce que je dis, ce que je fais, en bien ou en mal, cela est déjà écrit ; vous comprenez, je suis conditionné par mes origines, par mon milieu social, par mes gènes, par mes liens familiaux »… voire, pour certains, par la position des astres le jour de leur naissance, ou même par leur karma. Se repentir, changer de mentalité et de comportement, c’est comme répondre à cet appel qu’a entendu Lazare du tréfonds de son tombeau : « sors ! ». C’est s’ouvrir à une Parole qui me dit qu’avec le Seigneur aucune impasse n’est définitive, qu’il y a toujours une issue pour ma vie. Mais cette liberté-là, nous ne pouvons pas la conquérir tout seuls. C’est un des grands mensonges de notre temps, que de penser que l’individu peut se faire lui-même, que son identité véritable, et la dignité qui lui est attachée, seraient le produit de ses seuls efforts et capacités, de son seul travail, de sa seule intelligence. Non, l’essentiel de ce que nous sommes, ce qui façonne notre personnalité, nous ne l’avons pas choisi : que ce soit notre nom, notre sexe, notre physique, notre famille, notre langue maternelle, notre époque ou notre milieu d’origine. Et pourtant une liberté nous est offerte. Le secret de cette liberté, il est dans la vocation que Dieu nous adresse. Peu importe le canal que Dieu utilise pour nous rencontrer. En ce qui concerne Jean, l’appel de Dieu est passé par sa mère, Élisabeth, et a été confirmé par son père, Zacharie. La vocation de Jean à prendre une direction nouvelle est passée, c’est l’humour du Seigneur, par ceux qui devaient normalement lui indiquer la route ancienne. Cet appel de Dieu libérateur et fondateur, nous le retrouvons résumé dans ce verset biblique qui est fréquemment prononcé lors des baptêmes : « ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi ». « Je t’ai racheté » signifie : je t’ai libéré du poids des conditionnements, des héritages, des fatalités, de tout ce qui est écrit et qui s’abat inexorablement sur toi. Tout ce à quoi on pense ne pas pouvoir échapper, que ce soit en bien ou en mal d’ailleurs. « Je t’ai appelé par ton nom » signifie : c’est moi qui te dis vraiment qui tu es. Faut-il, pour que cette promesse s’accomplisse, pour recevoir ce nom, cette identité nouvelle, tirer un trait sur tout notre passé, et comme certaines sectes y incitent leurs nouveaux adeptes, couper tous les liens avec l’entourage, la famille, le milieu d’origine ? Peut-on oublier d’où l’on vient ? Et qui l’on a été ? Certainement pas, notre passé n’est pas effacé, anéanti, simplement, il peut devenir la mémoire qui nous enseigne, la somme des expériences qui nous ont formé, et non plus le boulet pesant que l’on traîne avec soi et qui nous empêche d’avancer. Parce que désormais, ce que nous sommes réellement ne se trouve pas dans ce que nous avons vécu ou reçu, ou subi, mais dans le regard du Seigneur sur nous, un regard qui accueille, qui élève, un regard d’amour que sa parole traduit : « tu es mon enfant ». Dieu fait grâce, il nous a tout donné, à commencer par une identité nouvelle, permanente, définitive, une identité que nous n’avons ni à acquérir, puisque c’est le Christ qui l’a acquise sur la croix pour nous ; ni à mériter ou à gagner, car c’est l’amour sans condition de Dieu pour ses enfants qui nous la vaut. Ni à disputer aux autres, car en Christ chacun de nous est connu de Dieu personnellement, et trouve devant lui sa juste place. Et ce, quel que soit le nom que les hommes nous ont donné. En effet, comme le dit l’autre Jean, l’auteur de l’Apocalypse, « au vainqueur je donnerai de la manne cachée, je lui donnerai une pierre blanche, et, gravée sur la pierre, un nom nouveau que personne ne connaît, sinon celui qui le reçoit ». AMEN. Proposition de Cantiques : ARC 515, Alléluia 35-20 : Dieu, qui nous appelles à vivreARC 537, Alléluia 36-04 : Dieu fait de nous ARC 554, NCTC 241 : O Jésus-Christ, Seigneur ressuscité