Textes : Juges 18, v. 1 à 31 Psaume 23Ézéchiel 34, v. 11 à 17 1 Corinthiens 15, v. 20 à 28 Matthieu 25, v. 31 à 46Pasteur Elisabeth BrinkmanTélécharger tout le document
Introduction : Traditionnellement le dernier dimanche de l’année liturgique est appelé Christ Roi. Dimanche prochain commence l’Avent. Cette proximité éclaire le sens de la royauté du Christ : avant d’être le Juge, il est celui qui est venu sous les traits du « plus petit »1. Ainsi nous sommes invités à lever les yeux vers l’avenir. Le texte dans son contexte Notre péricope occupe une place bien déterminée dans l’évangile de Mt : elle clôt la dernière section qui décrit le passage du Royaume de Dieu caché et prêché au Royaume de Dieu manifesté « à la fin des temps »2. Cette section occupe les chap. 24 et 25, et est introduite par la question des disciples sur la date de ces évènements. Le Christ matthéen ne donnera jamais de réponse à cette question, mais fera un appel pressant à la vigilance et à la fidélité, en terminant son discours avec une série de paraboles. Ainsi Mt dit fortement à sa communauté que l’Eglise est la communauté des appelés et non des élus. Elle est exhortée à vivre le temps qui lui est impartie dans l’obéissance à l’enseignement reçu. Son destin ultime en dépend.3 Le discours sur le jugement dernier est propre à Mt. En se servant du langage apocalyptique qui a cours dans le judaïsme tardif, le Christ rappelle aux disciples qu’il n’y a pas de relation authentique avec lui en dehors du vécu quotidien du monde dans lequel nous vivons. C’est résolument vers le monde et ses souffrances que le disciple est envoyé, et certainement pas vers un espace à part, loin du quotidien ! Le disciple doit donc s’engager dans la société, et ainsi les œuvres sont une conséquence logique de la foi. Quelques éléments d’exégèse Vs.31 : le Fils de l’Homme : c’est le juge eschatologique, céleste et universel, celui qui à la fin des temps jugera entre les bons et les méchants. Cette mystérieuse figure vient du judaïsme tardif, on le trouve dans le livre de Daniel (7.13) et celui d’Hénoch (40), ainsi que dans le 4e Esdras. Mt utilise plusieurs fois ce thème du Christ juge. Vs. 32 : ce jugement est universel : il touche tous les hommes sans exception et pas seulement le peuple élu, contrairement à Ez. 34, qui est à la base du texte de Mt, mais qui parle surtout d’Israel. Vs. 34-36 : les 6 détresses énumérées sont tout à fait courantes (faim, dénuement..) et font penser au Sermon sur la Montagne et aux Béatitudes. En fait le thème vient du judaïsme, qui connaît 7 gestes de compassion répertoriés, les mêmes que ceux énumérés par Jésus, plus l’inhumation des défunts. On peut comprendre qu’il s’agit ici de tous ceux qui sont dans le besoin, et pas seulement des chrétiens. Il s’agit bien de l’univers tout entier et de ses habitants ! Nul besoin d’être initié ou de fréquenter le maître pour savoir qu’il faut aider celui qui souffre. Le point décisif consiste dans le lien qui est établi entre ces gestes de miséricorde et la personne du Christ. Vs. 37-40 : les justiciables sont surpris : jamais ils ne se sont imaginés qu’en faisant preuve de miséricorde ils aimaient ou haïssaient le Seigneur ! Jamais ils n’ont associé la détresse d’autrui à leur confession de foi. Cet étonnement est important à souligner, car il indique ce que Mt veut expliquer ; c’est le comportement éthique vers le frère, et lui seul, qui est le lieu de la vérification de la foi. Cela peut se rapprocher du commandement d’amour chez Jn. Vs. 41-46 : Soulignons le « je » de Jésus : il y a un lien de solidarité explicite entre le Christ et les « petits ». Le Crist n’est véritablement confessé que là où ses disciples sont engagés dans la fidélité de l’amour. L’avertissement est drastique ! Mt, en utilisant le vocabulaire apocalyptique de l’AT, nous rappelle l’importance de nos œuvres. Peut-on parler, avec P. Bonnard, d’une « double justification » 4? Mt n’oppose pas la justification par la grâce, si chère aux protestants, à la justification par les œuvres. Mt écrit quelques 30 ou 40 ans après Paul, et son souci n’est plus l’entrée « gratuite » des païens dans l’Eglise, mais celui de l’équipement moral des disciples déjà entrés dans la communauté. A une attitude possible de retrait du monde, considéré comme mauvais, ce qui comme nous le savons était un des courants du christianisme primitif, il oppose l’engagement concret dans notre monde dans cette perspective eschatologique du retour du Christ : « veillez, car nul ne sait l’heure ». Bibliographie
- P. Bonnard, l’Evangile selon Saint Matthieu, Genève, Labor et Fides, commentaire du NT, tome I, 1992 (3’ éd)
- Dir.. J. Zumstein, Matthieu le théologien, Cahiers de l’Evangile n° 58, Paris, Cerf, 1986
Proposition de prédication
Le thème du jugement dernier a toujours fasciné les croyants ; il n’y a qu’à regarder nos cathédrales pour s’en convaincre. Au-dessus du grand portail trône souvent un Christ en majesté, le sceptre de la royauté à la main, et sous ses pieds d’un côté ceux qui sont sauvés, et de l’autre ceux qui iront vers la damnation éternelle. C’est d’ailleurs souvent le côté de la damnation qui est le plus parlant : des diables infligent toutes sortes de souffrances aux malheureux qui ne sont pas arrivés à passer le jugement. Cette même fascination pour la fin des temps, et parfois le même langage apocalyptique se trouve dans certains livres ou films qui annoncent la fin du monde, là aussi avec forces détails ! Et puis, à regarder la presse et la télé, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur la marche du monde. Jour après jour l’Evangile est annoncé, des hommes et des femmes luttent contre la pauvreté et la faim, on tient des conférences de paix à tour de bras, et notre monde ne semble pas plus en paix et plus prospère qu’avant. Alors, oui…. le malheur, la souffrance font peur et fascinent, mais plus encore, l’idée de la rétribution, cette idée que chacun recevra son salaire selon son mérite, car cela nous console du fait que dans la « vraie vie », les justes ne sont pas toujours récompensés, ni les méchants punis… Je ne crois pas que Matthieu tient un discours aussi simpliste que ça ! Je ne crois pas non plus qu’il tient là un discours pour faire peur aux croyants : attention, si tu ne fais pas ceci ou cela, alors…. Dieu te punira ! La foi et la peur ne font pas bon ménage, même si parfois l’église a voulu s’imposer par le biais de la peur ! Si je lis le texte de Matthieu qui nous est proposé aujourd’hui, le dernier dimanche du calendrier liturgique, juste avant que ne commence la période de l’Avent, j’y lis de l’attente, une attente ardente, et j’y lis de l’étonnement. Une attente ardente du Royaume de Dieu, d’une ère où enfin les hommes puissent vivre en paix, avec chacun ce dont il a besoin pour vivre. Une ère ou, comme le dit Paul : « de même aussi tous seront rendus vivants dans le Christ, mais chacun en son rang : le Christ comme prémices, puis, à son avènement, ceux qui appartiennent au Christ » De l’attente donc mais aussi de l’étonnement. De l’étonnement par rapport au fait que ni ceux qui sont appelés « bons », ni ceux qui sont appelés « mauvais » ne semblent se rappeler ce qu’ils ont fait ou ne pas fait. Ils ne sont pas justifiés parce qu’ils ont cherché à faire le bien, ou condamnés parce qu’ont sciemment tourné la tête devant la misère du monde. C’est presque à leur insu que s’est joué leur a-venir. Matthieu écrit probablement vers l’an 80, c’est-à-dire pour la deuxième génération de chrétiens. Il n’est plus dans l’urgence de la conversion des païens, cela d’autres l’ont fait avant lui, notamment Paul. Ce qui importe maintenant, c’est d’expliquer pourquoi ce retour du Christ qu’on attendait pour demain, n’est toujours pas là et c’est de dire que la perspective a changé, que désormais, ce qui est important par-dessus tout, c’est la fidélité au message du Christ, c’est de vivre selon Sa volonté, c’est de préparer, dans la communauté croyante, un déjà-là, un avant-goût, de ce qui a été annoncé et vécu par le Christ. Alors Matthieu va puiser dans ce qu’il connaît et ce qui est connu de son auditoire : l’Ecriture. Il reprend le vieux thème d’Ezéchiel mais qu’on trouve aussi chez d’autres prophètes, Esaïe, ou Amos: « Quant à vous, mon troupeau, ainsi parle le Seigneur DIEU : Je juge entre bête et bête, entre béliers et boucs ». Matthieu ne dit rien de nouveau, il rappelle simplement un des fondamentaux de la religion juive : la charité a autant d’importance que le culte au Temple. La liste qu’énumère Matthieu prend racine dans la culture biblique qui, bien avant Jésus, proposait ces actions. Seule la visite en prison est une nouvelle pratique qui ne figurait pas parmi les listes de l’Ancien Testament. Probablement que l’ajout est en lien avec les persécutions des premiers chrétiens qui se font jeter en prison. Ces actes de charité, répétés comme un refrain, rejoignent le combat pour les droits humains en visant les détresses les plus élémentaires et les plus profondes : la faim, la marginalisation sociale de l’étranger, la captivité, la vulnérabilité de qui est sans vêtements. Ce souci du plus petit est un des motifs qui traversent l’ensemble de l’évangile de Matthieu. La foi ne peut que mener à des actes de compassion, sinon elle reste stérile (on peut comparer cela à la critique acerbe de Jésus sur les pharisiens qui prient religieusement, et qui ainsi ont déjà leur récompense, puisqu’ils se font « bien voir ».) Mais alors, est-ce que Matthieu nous proposerait une morale, en nous disant que si nous ne sommes pas assez bons, jamais nous ne pourrons hériter du Royaume? Je ne le crois pas. Je ne crois pas que Matthieu veuille nous culpabiliser et nous dire que jamais nous n’en ferons assez. J’en veux pour preuve cette phrase : « quand est-ce que nous t’avons vu nu »… que posent à la fois les réprouvés ét les élus. Etonnamment, ni les justes, ni les méchants ne savent ce qu’ils ont fait ou omis de faire. Ce qui est fait, n’est donc pas fait consciemment, pour « gagner son paradis ». Ni par peur de la damnation éternelle. Non, la vraie motivation se situe ailleurs : dans la figure de ce Roi Berger dont parle déjà Ezéchiel. En le suivant, nous ne pouvons qu’aller là où il nous mène : l’endroit où l’homme aurait dû se trouver depuis la création : le Royaume dont Dieu est le roi. Matthieu a composé son récit avec beaucoup de soin et de détails, dans un parallèle presqu’entier. Il y a une seule différence majeure : aux brebis le Juge explique pourquoi il est leur roi : dans son royaume les hommes prennent soin les uns des autres, à travers le quotidien le plus banal. Les boucs n’ont pas de roi : ils ont refusé de l’accepter comme roi. En fait, plutôt que de passer par un jugement où ils sont condamnés pour leur faute, c’est par leur passivité et leur refus de prendre soin de leur prochain qu’ils se sont exclus eux-mêmes du Royaume. Cela change la perspective du récit ; nous revenons vers cet appel à la vigilance et à la fidélité qui est le thème des derniers chapitres de l’évangile, avant que ne commence le récit de la passion. Nous avons à faire des choix dans notre vie, nous dit l’évangéliste, alors choisissons ce à quoi nous avons été appelés depuis le début : des êtres solidaires envers la création et l’humanité toute entière. Dans le Royaume de Dieu, nous dit Matthieu, nous sommes « condamnés à la solidarité ». Cela me fait penser à cette jolie fable : Un homme monte au ciel, et se présente devant St Pierre. Celui-ci lui montre l’enfer : pas de feu, ni de flammes, mais une très grande table ronde, avec au milieu une grande marmite d’où monte une odeur exquise. Autour de la table des hommes et des femmes, avec attaché à leur main une cuillère d’un mètre de long. Ils peuvent prendre la nourriture dans la marmite, mais impossible ensuite de ramener la cuillère à leur bouche : elle est trop longue ! Alors ils pleurent de faim et de frustration, ils sont livides, maigres, épuisés. L’homme monté au ciel est épouvanté, du coup St Pierre lui montre le paradis où il trouve des hommes et femmes souriants et en bonne santé. Pourtant il y a la même table, la même marmite de nourriture exquise, et les hommes et femmes ont attachés à leur main la même cuillère trop longue pour l’amener à leur bouche… Pourtant, ils sont heureux et repus. Comment ils ont fait ? Au lieu d’essayer vainement de se nourrir chacun pour soi, ils portent la cuillère remplie à la bouche d’un autre……Voyez, dit St Pierre : ils ont appris à se nourrir les uns les autres tandis que les gloutons et les égoïstes ne pensent qu’à eux-mêmes … cela fait toute la différence… » Une dernière chose : Jésus dit : lorsque tu as fait ceci et cela, c’est à moi que tu l’as fait. Cela veut dire que le Roi n’est pas loin au-dessus de nous et insensible à de que nous vivons. Au contraire, le premier, il s’est rendu solidaire. Le Dieu de Jésus n’est pas un juge sévère et lointain qui compte les points et attribue un diplôme de mérite. Le Dieu de Jésus est un Dieu qui lui-même souffre de l’injustice et des souffrances que nous nous infligeons les uns aux autres. Ce que Matthieu veut nous dire c’est ceci : nous ne sommes pas seuls devant les épreuves de notre vie. Dieu les traverse avec nous. La bonne nouvelle, c’est que le royaume de solidarité commence ici avec nous. Dès maintenant, nos actes ont une saveur d’éternité. La vie éternelle est déjà commencée. Pas question d’attendre demain, la mort ou même la fin du monde pour rencontrer Dieu. Dès maintenant, mystérieusement, à travers des actes simples, mais importants, se tisse notre rencontre avec le Christ. 1 Nadine Py-Théodore, Paroles pour Tous, 23 nov 2014 2 Pierre Bonnard, l’Evangile selon Saint Matthieu, Genève, Labor et Fides « commentaires du NT, tome I, 1992, (3e éd), p.364 3 Matthieu le théologien, Cahiers de l’évangile, Paris, Cerf, 1986, p. 58 4 Op.cit, p. 367
Textes : Juges 18, v. 1 à 31 Psaume 23Ézéchiel 34, v. 11 à 17 1 Corinthiens 15, v. 20 à 28 Matthieu 25, v. 31 à 46Pasteur Elisabeth BrinkmanTélécharger tout le document
Introduction : Traditionnellement le dernier dimanche de l’année liturgique est appelé Christ Roi. Dimanche prochain commence l’Avent. Cette proximité éclaire le sens de la royauté du Christ : avant d’être le Juge, il est celui qui est venu sous les traits du « plus petit »1. Ainsi nous sommes invités à lever les yeux vers l’avenir. Le texte dans son contexte Notre péricope occupe une place bien déterminée dans l’évangile de Mt : elle clôt la dernière section qui décrit le passage du Royaume de Dieu caché et prêché au Royaume de Dieu manifesté « à la fin des temps »2. Cette section occupe les chap. 24 et 25, et est introduite par la question des disciples sur la date de ces évènements. Le Christ matthéen ne donnera jamais de réponse à cette question, mais fera un appel pressant à la vigilance et à la fidélité, en terminant son discours avec une série de paraboles. Ainsi Mt dit fortement à sa communauté que l’Eglise est la communauté des appelés et non des élus. Elle est exhortée à vivre le temps qui lui est impartie dans l’obéissance à l’enseignement reçu. Son destin ultime en dépend.3 Le discours sur le jugement dernier est propre à Mt. En se servant du langage apocalyptique qui a cours dans le judaïsme tardif, le Christ rappelle aux disciples qu’il n’y a pas de relation authentique avec lui en dehors du vécu quotidien du monde dans lequel nous vivons. C’est résolument vers le monde et ses souffrances que le disciple est envoyé, et certainement pas vers un espace à part, loin du quotidien ! Le disciple doit donc s’engager dans la société, et ainsi les œuvres sont une conséquence logique de la foi. Quelques éléments d’exégèse Vs.31 : le Fils de l’Homme : c’est le juge eschatologique, céleste et universel, celui qui à la fin des temps jugera entre les bons et les méchants. Cette mystérieuse figure vient du judaïsme tardif, on le trouve dans le livre de Daniel (7.13) et celui d’Hénoch (40), ainsi que dans le 4e Esdras. Mt utilise plusieurs fois ce thème du Christ juge. Vs. 32 : ce jugement est universel : il touche tous les hommes sans exception et pas seulement le peuple élu, contrairement à Ez. 34, qui est à la base du texte de Mt, mais qui parle surtout d’Israel. Vs. 34-36 : les 6 détresses énumérées sont tout à fait courantes (faim, dénuement..) et font penser au Sermon sur la Montagne et aux Béatitudes. En fait le thème vient du judaïsme, qui connaît 7 gestes de compassion répertoriés, les mêmes que ceux énumérés par Jésus, plus l’inhumation des défunts. On peut comprendre qu’il s’agit ici de tous ceux qui sont dans le besoin, et pas seulement des chrétiens. Il s’agit bien de l’univers tout entier et de ses habitants ! Nul besoin d’être initié ou de fréquenter le maître pour savoir qu’il faut aider celui qui souffre. Le point décisif consiste dans le lien qui est établi entre ces gestes de miséricorde et la personne du Christ. Vs. 37-40 : les justiciables sont surpris : jamais ils ne se sont imaginés qu’en faisant preuve de miséricorde ils aimaient ou haïssaient le Seigneur ! Jamais ils n’ont associé la détresse d’autrui à leur confession de foi. Cet étonnement est important à souligner, car il indique ce que Mt veut expliquer ; c’est le comportement éthique vers le frère, et lui seul, qui est le lieu de la vérification de la foi. Cela peut se rapprocher du commandement d’amour chez Jn. Vs. 41-46 : Soulignons le « je » de Jésus : il y a un lien de solidarité explicite entre le Christ et les « petits ». Le Crist n’est véritablement confessé que là où ses disciples sont engagés dans la fidélité de l’amour. L’avertissement est drastique ! Mt, en utilisant le vocabulaire apocalyptique de l’AT, nous rappelle l’importance de nos œuvres. Peut-on parler, avec P. Bonnard, d’une « double justification » 4? Mt n’oppose pas la justification par la grâce, si chère aux protestants, à la justification par les œuvres. Mt écrit quelques 30 ou 40 ans après Paul, et son souci n’est plus l’entrée « gratuite » des païens dans l’Eglise, mais celui de l’équipement moral des disciples déjà entrés dans la communauté. A une attitude possible de retrait du monde, considéré comme mauvais, ce qui comme nous le savons était un des courants du christianisme primitif, il oppose l’engagement concret dans notre monde dans cette perspective eschatologique du retour du Christ : « veillez, car nul ne sait l’heure ». Bibliographie
- P. Bonnard, l’Evangile selon Saint Matthieu, Genève, Labor et Fides, commentaire du NT, tome I, 1992 (3’ éd)
- Dir.. J. Zumstein, Matthieu le théologien, Cahiers de l’Evangile n° 58, Paris, Cerf, 1986
Le thème du jugement dernier a toujours fasciné les croyants ; il n’y a qu’à regarder nos cathédrales pour s’en convaincre. Au-dessus du grand portail trône souvent un Christ en majesté, le sceptre de la royauté à la main, et sous ses pieds d’un côté ceux qui sont sauvés, et de l’autre ceux qui iront vers la damnation éternelle. C’est d’ailleurs souvent le côté de la damnation qui est le plus parlant : des diables infligent toutes sortes de souffrances aux malheureux qui ne sont pas arrivés à passer le jugement. Cette même fascination pour la fin des temps, et parfois le même langage apocalyptique se trouve dans certains livres ou films qui annoncent la fin du monde, là aussi avec forces détails ! Et puis, à regarder la presse et la télé, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur la marche du monde. Jour après jour l’Evangile est annoncé, des hommes et des femmes luttent contre la pauvreté et la faim, on tient des conférences de paix à tour de bras, et notre monde ne semble pas plus en paix et plus prospère qu’avant. Alors, oui…. le malheur, la souffrance font peur et fascinent, mais plus encore, l’idée de la rétribution, cette idée que chacun recevra son salaire selon son mérite, car cela nous console du fait que dans la « vraie vie », les justes ne sont pas toujours récompensés, ni les méchants punis… Je ne crois pas que Matthieu tient un discours aussi simpliste que ça ! Je ne crois pas non plus qu’il tient là un discours pour faire peur aux croyants : attention, si tu ne fais pas ceci ou cela, alors…. Dieu te punira ! La foi et la peur ne font pas bon ménage, même si parfois l’église a voulu s’imposer par le biais de la peur ! Si je lis le texte de Matthieu qui nous est proposé aujourd’hui, le dernier dimanche du calendrier liturgique, juste avant que ne commence la période de l’Avent, j’y lis de l’attente, une attente ardente, et j’y lis de l’étonnement. Une attente ardente du Royaume de Dieu, d’une ère où enfin les hommes puissent vivre en paix, avec chacun ce dont il a besoin pour vivre. Une ère ou, comme le dit Paul : « de même aussi tous seront rendus vivants dans le Christ, mais chacun en son rang : le Christ comme prémices, puis, à son avènement, ceux qui appartiennent au Christ » De l’attente donc mais aussi de l’étonnement. De l’étonnement par rapport au fait que ni ceux qui sont appelés « bons », ni ceux qui sont appelés « mauvais » ne semblent se rappeler ce qu’ils ont fait ou ne pas fait. Ils ne sont pas justifiés parce qu’ils ont cherché à faire le bien, ou condamnés parce qu’ont sciemment tourné la tête devant la misère du monde. C’est presque à leur insu que s’est joué leur a-venir. Matthieu écrit probablement vers l’an 80, c’est-à-dire pour la deuxième génération de chrétiens. Il n’est plus dans l’urgence de la conversion des païens, cela d’autres l’ont fait avant lui, notamment Paul. Ce qui importe maintenant, c’est d’expliquer pourquoi ce retour du Christ qu’on attendait pour demain, n’est toujours pas là et c’est de dire que la perspective a changé, que désormais, ce qui est important par-dessus tout, c’est la fidélité au message du Christ, c’est de vivre selon Sa volonté, c’est de préparer, dans la communauté croyante, un déjà-là, un avant-goût, de ce qui a été annoncé et vécu par le Christ. Alors Matthieu va puiser dans ce qu’il connaît et ce qui est connu de son auditoire : l’Ecriture. Il reprend le vieux thème d’Ezéchiel mais qu’on trouve aussi chez d’autres prophètes, Esaïe, ou Amos: « Quant à vous, mon troupeau, ainsi parle le Seigneur DIEU : Je juge entre bête et bête, entre béliers et boucs ». Matthieu ne dit rien de nouveau, il rappelle simplement un des fondamentaux de la religion juive : la charité a autant d’importance que le culte au Temple. La liste qu’énumère Matthieu prend racine dans la culture biblique qui, bien avant Jésus, proposait ces actions. Seule la visite en prison est une nouvelle pratique qui ne figurait pas parmi les listes de l’Ancien Testament. Probablement que l’ajout est en lien avec les persécutions des premiers chrétiens qui se font jeter en prison. Ces actes de charité, répétés comme un refrain, rejoignent le combat pour les droits humains en visant les détresses les plus élémentaires et les plus profondes : la faim, la marginalisation sociale de l’étranger, la captivité, la vulnérabilité de qui est sans vêtements. Ce souci du plus petit est un des motifs qui traversent l’ensemble de l’évangile de Matthieu. La foi ne peut que mener à des actes de compassion, sinon elle reste stérile (on peut comparer cela à la critique acerbe de Jésus sur les pharisiens qui prient religieusement, et qui ainsi ont déjà leur récompense, puisqu’ils se font « bien voir ».) Mais alors, est-ce que Matthieu nous proposerait une morale, en nous disant que si nous ne sommes pas assez bons, jamais nous ne pourrons hériter du Royaume? Je ne le crois pas. Je ne crois pas que Matthieu veuille nous culpabiliser et nous dire que jamais nous n’en ferons assez. J’en veux pour preuve cette phrase : « quand est-ce que nous t’avons vu nu »… que posent à la fois les réprouvés ét les élus. Etonnamment, ni les justes, ni les méchants ne savent ce qu’ils ont fait ou omis de faire. Ce qui est fait, n’est donc pas fait consciemment, pour « gagner son paradis ». Ni par peur de la damnation éternelle. Non, la vraie motivation se situe ailleurs : dans la figure de ce Roi Berger dont parle déjà Ezéchiel. En le suivant, nous ne pouvons qu’aller là où il nous mène : l’endroit où l’homme aurait dû se trouver depuis la création : le Royaume dont Dieu est le roi. Matthieu a composé son récit avec beaucoup de soin et de détails, dans un parallèle presqu’entier. Il y a une seule différence majeure : aux brebis le Juge explique pourquoi il est leur roi : dans son royaume les hommes prennent soin les uns des autres, à travers le quotidien le plus banal. Les boucs n’ont pas de roi : ils ont refusé de l’accepter comme roi. En fait, plutôt que de passer par un jugement où ils sont condamnés pour leur faute, c’est par leur passivité et leur refus de prendre soin de leur prochain qu’ils se sont exclus eux-mêmes du Royaume. Cela change la perspective du récit ; nous revenons vers cet appel à la vigilance et à la fidélité qui est le thème des derniers chapitres de l’évangile, avant que ne commence le récit de la passion. Nous avons à faire des choix dans notre vie, nous dit l’évangéliste, alors choisissons ce à quoi nous avons été appelés depuis le début : des êtres solidaires envers la création et l’humanité toute entière. Dans le Royaume de Dieu, nous dit Matthieu, nous sommes « condamnés à la solidarité ». Cela me fait penser à cette jolie fable : Un homme monte au ciel, et se présente devant St Pierre. Celui-ci lui montre l’enfer : pas de feu, ni de flammes, mais une très grande table ronde, avec au milieu une grande marmite d’où monte une odeur exquise. Autour de la table des hommes et des femmes, avec attaché à leur main une cuillère d’un mètre de long. Ils peuvent prendre la nourriture dans la marmite, mais impossible ensuite de ramener la cuillère à leur bouche : elle est trop longue ! Alors ils pleurent de faim et de frustration, ils sont livides, maigres, épuisés. L’homme monté au ciel est épouvanté, du coup St Pierre lui montre le paradis où il trouve des hommes et femmes souriants et en bonne santé. Pourtant il y a la même table, la même marmite de nourriture exquise, et les hommes et femmes ont attachés à leur main la même cuillère trop longue pour l’amener à leur bouche… Pourtant, ils sont heureux et repus. Comment ils ont fait ? Au lieu d’essayer vainement de se nourrir chacun pour soi, ils portent la cuillère remplie à la bouche d’un autre……Voyez, dit St Pierre : ils ont appris à se nourrir les uns les autres tandis que les gloutons et les égoïstes ne pensent qu’à eux-mêmes … cela fait toute la différence… » Une dernière chose : Jésus dit : lorsque tu as fait ceci et cela, c’est à moi que tu l’as fait. Cela veut dire que le Roi n’est pas loin au-dessus de nous et insensible à de que nous vivons. Au contraire, le premier, il s’est rendu solidaire. Le Dieu de Jésus n’est pas un juge sévère et lointain qui compte les points et attribue un diplôme de mérite. Le Dieu de Jésus est un Dieu qui lui-même souffre de l’injustice et des souffrances que nous nous infligeons les uns aux autres. Ce que Matthieu veut nous dire c’est ceci : nous ne sommes pas seuls devant les épreuves de notre vie. Dieu les traverse avec nous. La bonne nouvelle, c’est que le royaume de solidarité commence ici avec nous. Dès maintenant, nos actes ont une saveur d’éternité. La vie éternelle est déjà commencée. Pas question d’attendre demain, la mort ou même la fin du monde pour rencontrer Dieu. Dès maintenant, mystérieusement, à travers des actes simples, mais importants, se tisse notre rencontre avec le Christ. 1 Nadine Py-Théodore, Paroles pour Tous, 23 nov 2014 2 Pierre Bonnard, l’Evangile selon Saint Matthieu, Genève, Labor et Fides « commentaires du NT, tome I, 1992, (3e éd), p.364 3 Matthieu le théologien, Cahiers de l’évangile, Paris, Cerf, 1986, p. 58 4 Op.cit, p. 367
Textes : Juges 18, v. 1 à 31 Psaume 23Ézéchiel 34, v. 11 à 17 1 Corinthiens 15, v. 20 à 28 Matthieu 25, v. 31 à 46Pasteur Elisabeth BrinkmanTélécharger tout le document
Textes : Juges 18, v. 1 à 31 Psaume 23Ézéchiel 34, v. 11 à 17 1 Corinthiens 15, v. 20 à 28 Matthieu 25, v. 31 à 46Pasteur Elisabeth BrinkmanTélécharger tout le document
Notes bibliquesIntroduction :Traditionnellement le dernier dimanche de l’année liturgique est appelé Christ Roi. Dimanche prochain commence l’Avent. Cette proximité éclaire le sens de la royauté du Christ : avant d’être le Juge, il est celui qui est venu sous les traits du « plus petit »1. Ainsi nous sommes invités à lever les yeux vers l’avenir. Le texte dans son contexteNotre péricope occupe une place bien déterminée dans l’évangile de Mt : elle clôt la dernière section qui décrit le passage du Royaume de Dieu caché et prêché au Royaume de Dieu manifesté « à la fin des temps »2. Cette section occupe les chap. 24 et 25, et est introduite par la question des disciples sur la date de ces évènements. Le Christ matthéen ne donnera jamais de réponse à cette question, mais fera un appel pressant à la vigilance et à la fidélité, en terminant son discours avec une série de paraboles. Ainsi Mt dit fortement à sa communauté que l’Eglise est la communauté des appelés et non des élus. Elle est exhortée à vivre le temps qui lui est impartie dans l’obéissance à l’enseignement reçu. Son destin ultime en dépend.3 Le discours sur le jugement dernier est propre à Mt. En se servant du langage apocalyptique qui a cours dans le judaïsme tardif, le Christ rappelle aux disciples qu’il n’y a pas de relation authentique avec lui en dehors du vécu quotidien du monde dans lequel nous vivons. C’est résolument vers le monde et ses souffrances que le disciple est envoyé, et certainement pas vers un espace à part, loin du quotidien ! Le disciple doit donc s’engager dans la société, et ainsi les œuvres sont une conséquence logique de la foi. Quelques éléments d’exégèseVs.31 : le Fils de l’Homme : c’est le juge eschatologique, céleste et universel, celui qui à la fin des temps jugera entre les bons et les méchants. Cette mystérieuse figure vient du judaïsme tardif, on le trouve dans le livre de Daniel (7.13) et celui d’Hénoch (40), ainsi que dans le 4e Esdras. Mt utilise plusieurs fois ce thème du Christ juge.Vs. 32 : ce jugement est universel : il touche tous les hommes sans exception et pas seulement le peuple élu, contrairement à Ez. 34, qui est à la base du texte de Mt, mais qui parle surtout d’Israel. Vs. 34-36 : les 6 détresses énumérées sont tout à fait courantes (faim, dénuement..) et font penser au Sermon sur la Montagne et aux Béatitudes. En fait le thème vient du judaïsme, qui connaît 7 gestes de compassion répertoriés, les mêmes que ceux énumérés par Jésus, plus l’inhumation des défunts. On peut comprendre qu’il s’agit ici de tous ceux qui sont dans le besoin, et pas seulement des chrétiens. Il s’agit bien de l’univers tout entier et de ses habitants ! Nul besoin d’être initié ou de fréquenter le maître pour savoir qu’il faut aider celui qui souffre. Le point décisif consiste dans le lien qui est établi entre ces gestes de miséricorde et la personne du Christ.Vs. 37-40 : les justiciables sont surpris : jamais ils ne se sont imaginés qu’en faisant preuve de miséricorde ils aimaient ou haïssaient le Seigneur ! Jamais ils n’ont associé la détresse d’autrui à leur confession de foi. Cet étonnement est important à souligner, car il indique ce que Mt veut expliquer ; c’est le comportement éthique vers le frère, et lui seul, qui est le lieu de la vérification de la foi. Cela peut se rapprocher du commandement d’amour chez Jn. Vs. 41-46 : Soulignons le « je » de Jésus : il y a un lien de solidarité explicite entre le Christ et les « petits ». Le Crist n’est véritablement confessé que là où ses disciples sont engagés dans la fidélité de l’amour. L’avertissement est drastique ! Mt, en utilisant le vocabulaire apocalyptique de l’AT, nous rappelle l’importance de nos œuvres. Peut-on parler, avec P. Bonnard, d’une « double justification » 4? Mt n’oppose pas la justification par la grâce, si chère aux protestants, à la justification par les œuvres. Mt écrit quelques 30 ou 40 ans après Paul, et son souci n’est plus l’entrée « gratuite » des païens dans l’Eglise, mais celui de l’équipement moral des disciples déjà entrés dans la communauté. A une attitude possible de retrait du monde, considéré comme mauvais, ce qui comme nous le savons était un des courants du christianisme primitif, il oppose l’engagement concret dans notre monde dans cette perspective eschatologique du retour du Christ : « veillez, car nul ne sait l’heure ». BibliographieP. Bonnard, l’Evangile selon Saint Matthieu, Genève, Labor et Fides, commentaire du NT, tome I, 1992 (3’ éd)Dir.. J. Zumstein, Matthieu le théologien, Cahiers de l’Evangile n° 58, Paris, Cerf, 1986Proposition de prédicationLe thème du jugement dernier a toujours fasciné les croyants ; il n’y a qu’à regarder nos cathédrales pour s’en convaincre. Au-dessus du grand portail trône souvent un Christ en majesté, le sceptre de la royauté à la main, et sous ses pieds d’un côté ceux qui sont sauvés, et de l’autre ceux qui iront vers la damnation éternelle. C’est d’ailleurs souvent le côté de la damnation qui est le plus parlant : des diables infligent toutes sortes de souffrances aux malheureux qui ne sont pas arrivés à passer le jugement. Cette même fascination pour la fin des temps, et parfois le même langage apocalyptique se trouve dans certains livres ou films qui annoncent la fin du monde, là aussi avec forces détails ! Et puis, à regarder la presse et la télé, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur la marche du monde. Jour après jour l’Evangile est annoncé, des hommes et des femmes luttent contre la pauvreté et la faim, on tient des conférences de paix à tour de bras, et notre monde ne semble pas plus en paix et plus prospère qu’avant. Alors, oui…. le malheur, la souffrance font peur et fascinent, mais plus encore, l’idée de la rétribution, cette idée que chacun recevra son salaire selon son mérite, car cela nous console du fait que dans la « vraie vie », les justes ne sont pas toujours récompensés, ni les méchants punis… Je ne crois pas que Matthieu tient un discours aussi simpliste que ça ! Je ne crois pas non plus qu’il tient là un discours pour faire peur aux croyants : attention, si tu ne fais pas ceci ou cela, alors…. Dieu te punira ! La foi et la peur ne font pas bon ménage, même si parfois l’église a voulu s’imposer par le biais de la peur !Si je lis le texte de Matthieu qui nous est proposé aujourd’hui, le dernier dimanche du calendrier liturgique, juste avant que ne commence la période de l’Avent, j’y lis de l’attente, une attente ardente, et j’y lis de l’étonnement. Une attente ardente du Royaume de Dieu, d’une ère où enfin les hommes puissent vivre en paix, avec chacun ce dont il a besoin pour vivre. Une ère ou, comme le dit Paul : « de même aussi tous seront rendus vivants dans le Christ, mais chacun en son rang : le Christ comme prémices, puis, à son avènement, ceux qui appartiennent au Christ »De l’attente donc mais aussi de l’étonnement. De l’étonnement par rapport au fait que ni ceux qui sont appelés « bons », ni ceux qui sont appelés « mauvais » ne semblent se rappeler ce qu’ils ont fait ou ne pas fait. Ils ne sont pas justifiés parce qu’ils ont cherché à faire le bien, ou condamnés parce qu’ont sciemment tourné la tête devant la misère du monde. C’est presque à leur insu que s’est joué leur a-venir.Matthieu écrit probablement vers l’an 80, c’est-à-dire pour la deuxième génération de chrétiens. Il n’est plus dans l’urgence de la conversion des païens, cela d’autres l’ont fait avant lui, notamment Paul. Ce qui importe maintenant, c’est d’expliquer pourquoi ce retour du Christ qu’on attendait pour demain, n’est toujours pas là et c’est de dire que la perspective a changé, que désormais, ce qui est important par-dessus tout, c’est la fidélité au message du Christ, c’est de vivre selon Sa volonté, c’est de préparer, dans la communauté croyante, un déjà-là, un avant-goût, de ce qui a été annoncé et vécu par le Christ. Alors Matthieu va puiser dans ce qu’il connaît et ce qui est connu de son auditoire : l’Ecriture. Il reprend le vieux thème d’Ezéchiel mais qu’on trouve aussi chez d’autres prophètes, Esaïe, ou Amos: « Quant à vous, mon troupeau, ainsi parle le Seigneur DIEU : Je juge entre bête et bête, entre béliers et boucs ». Matthieu ne dit rien de nouveau, il rappelle simplement un des fondamentaux de la religion juive : la charité a autant d’importance que le culte au Temple. La liste qu’énumère Matthieu prend racine dans la culture biblique qui, bien avant Jésus, proposait ces actions. Seule la visite en prison est une nouvelle pratique qui ne figurait pas parmi les listes de l’Ancien Testament. Probablement que l’ajout est en lien avec les persécutions des premiers chrétiens qui se font jeter en prison. Ces actes de charité, répétés comme un refrain, rejoignent le combat pour les droits humains en visant les détresses les plus élémentaires et les plus profondes : la faim, la marginalisation sociale de l’étranger, la captivité, la vulnérabilité de qui est sans vêtements.Ce souci du plus petit est un des motifs qui traversent l’ensemble de l’évangile de Matthieu. La foi ne peut que mener à des actes de compassion, sinon elle reste stérile (on peut comparer cela à la critique acerbe de Jésus sur les pharisiens qui prient religieusement, et qui ainsi ont déjà leur récompense, puisqu’ils se font « bien voir ».)Mais alors, est-ce que Matthieu nous proposerait une morale, en nous disant que si nous ne sommes pas assez bons, jamais nous ne pourrons hériter du Royaume? Je ne le crois pas. Je ne crois pas que Matthieu veuille nous culpabiliser et nous dire que jamais nous n’en ferons assez. J’en veux pour preuve cette phrase : « quand est-ce que nous t’avons vu nu »… que posent à la fois les réprouvés ét les élus. Etonnamment, ni les justes, ni les méchants ne savent ce qu’ils ont fait ou omis de faire. Ce qui est fait, n’est donc pas fait consciemment, pour « gagner son paradis ». Ni par peur de la damnation éternelle. Non, la vraie motivation se situe ailleurs : dans la figure de ce Roi Berger dont parle déjà Ezéchiel. En le suivant, nous ne pouvons qu’aller là où il nous mène : l’endroit où l’homme aurait dû se trouver depuis la création : le Royaume dont Dieu est le roi. Matthieu a composé son récit avec beaucoup de soin et de détails, dans un parallèle presqu’entier. Il y a une seule différence majeure : aux brebis le Juge explique pourquoi il est leur roi : dans son royaume les hommes prennent soin les uns des autres, à travers le quotidien le plus banal. Les boucs n’ont pas de roi : ils ont refusé de l’accepter comme roi. En fait, plutôt que de passer par un jugement où ils sont condamnés pour leur faute, c’est par leur passivité et leur refus de prendre soin de leur prochain qu’ils se sont exclus eux-mêmes du Royaume. Cela change la perspective du récit ; nous revenons vers cet appel à la vigilance et à la fidélité qui est le thème des derniers chapitres de l’évangile, avant que ne commence le récit de la passion. Nous avons à faire des choix dans notre vie, nous dit l’évangéliste, alors choisissons ce à quoi nous avons été appelés depuis le début : des êtres solidaires envers la création et l’humanité toute entière.Dans le Royaume de Dieu, nous dit Matthieu, nous sommes « condamnés à la solidarité ». Cela me fait penser à cette jolie fable :Un homme monte au ciel, et se présente devant St Pierre. Celui-ci lui montre l’enfer : pas de feu, ni de flammes, mais une très grande table ronde, avec au milieu une grande marmite d’où monte une odeur exquise. Autour de la table des hommes et des femmes, avec attaché à leur main une cuillère d’un mètre de long. Ils peuvent prendre la nourriture dans la marmite, mais impossible ensuite de ramener la cuillère à leur bouche : elle est trop longue ! Alors ils pleurent de faim et de frustration, ils sont livides, maigres, épuisés. L’homme monté au ciel est épouvanté, du coup St Pierre lui montre le paradis où il trouve des hommes et femmes souriants et en bonne santé. Pourtant il y a la même table, la même marmite de nourriture exquise, et les hommes et femmes ont attachés à leur main la même cuillère trop longue pour l’amener à leur bouche… Pourtant, ils sont heureux et repus. Comment ils ont fait ? Au lieu d’essayer vainement de se nourrir chacun pour soi, ils portent la cuillère remplie à la bouche d’un autre……Voyez, dit St Pierre : ils ont appris à se nourrir les uns les autres tandis que les gloutons et les égoïstes ne pensent qu’à eux-mêmes … cela fait toute la différence… » Une dernière chose : Jésus dit : lorsque tu as fait ceci et cela, c’est à moi que tu l’as fait. Cela veut dire que le Roi n’est pas loin au-dessus de nous et insensible à de que nous vivons. Au contraire, le premier, il s’est rendu solidaire. Le Dieu de Jésus n’est pas un juge sévère et lointain qui compte les points et attribue un diplôme de mérite. Le Dieu de Jésus est un Dieu qui lui-même souffre de l’injustice et des souffrances que nous nous infligeons les uns aux autres. Ce que Matthieu veut nous dire c’est ceci : nous ne sommes pas seuls devant les épreuves de notre vie. Dieu les traverse avec nous.La bonne nouvelle, c’est que le royaume de solidarité commence ici avec nous. Dès maintenant, nos actes ont une saveur d’éternité. La vie éternelle est déjà commencée. Pas question d’attendre demain, la mort ou même la fin du monde pour rencontrer Dieu. Dès maintenant, mystérieusement, à travers des actes simples, mais importants, se tisse notre rencontre avec le Christ.
Textes : Juges 18, v. 1 à 31 Psaume 23Ézéchiel 34, v. 11 à 17 1 Corinthiens 15, v. 20 à 28 Matthieu 25, v. 31 à 46Pasteur Elisabeth BrinkmanTélécharger tout le document
Introduction :Traditionnellement le dernier dimanche de l’année liturgique est appelé Christ Roi. Dimanche prochain commence l’Avent. Cette proximité éclaire le sens de la royauté du Christ : avant d’être le Juge, il est celui qui est venu sous les traits du « plus petit »1. Ainsi nous sommes invités à lever les yeux vers l’avenir. Le texte dans son contexteNotre péricope occupe une place bien déterminée dans l’évangile de Mt : elle clôt la dernière section qui décrit le passage du Royaume de Dieu caché et prêché au Royaume de Dieu manifesté « à la fin des temps »2. Cette section occupe les chap. 24 et 25, et est introduite par la question des disciples sur la date de ces évènements. Le Christ matthéen ne donnera jamais de réponse à cette question, mais fera un appel pressant à la vigilance et à la fidélité, en terminant son discours avec une série de paraboles. Ainsi Mt dit fortement à sa communauté que l’Eglise est la communauté des appelés et non des élus. Elle est exhortée à vivre le temps qui lui est impartie dans l’obéissance à l’enseignement reçu. Son destin ultime en dépend.3 Le discours sur le jugement dernier est propre à Mt. En se servant du langage apocalyptique qui a cours dans le judaïsme tardif, le Christ rappelle aux disciples qu’il n’y a pas de relation authentique avec lui en dehors du vécu quotidien du monde dans lequel nous vivons. C’est résolument vers le monde et ses souffrances que le disciple est envoyé, et certainement pas vers un espace à part, loin du quotidien ! Le disciple doit donc s’engager dans la société, et ainsi les œuvres sont une