Textes : 2 Rois 12, v. 1 à 17 Ps 117 Ésaïe 66, v. 18 à 21 Hébreux 12, v. 5 à 13 Luc 13, v. 22 à 30Pasteur Christian TanonTélécharger le document au complet

En route pour le grand rassemblement

Notes de lecture

Ésaïe 66. 18-21 fait partie du « troisième Ésaïe », qui est une collection de messages prophétiques servant de conclusion au rouleau d’Ésaïe. Cette troisième partie contient à la fois des exhortations à la conversion (assorties de menaces pour appuyer l’argument), mais aussi des bonnes nouvelles comme celle de la venue du Royaume accompagnée de guérisons et de prodiges, et que Jésus Christ a utilisé dans son sermon à Nazareth (Ésaïe 61 repris en Luc 4. 16-21). Le passage retenu est l’annonce du grand rassemblement voulu par Dieu, l’accomplissement de son projet de réconcilier toute l’humanité à lui-même. La liste officielle de lecture biblique n’a pas retenu les derniers versets de ce passage, sans doute pour ne pas choquer les lecteurs, et c’est dommage, car cette omission a pour effet d’édulcorer l’ensemble. Les derniers versets (22-24) montrent que tous n’ont pas accueilli l’invitation de Dieu et que ceux-là seront comme des cadavres rongés par le ver. Vu dans son ensemble, ce passage est une exhortation à la conversion, s’adressant non seulement aux Juifs, mais aussi aux nations. Nous verrons que le message de Luc va dans le même sens : tous n’ont pas pris au sérieux la Bonne nouvelle de Jésus Christ en se convertissant, et ceux-là n’entreront pas par la porte étroite du Royaume des cieux. Le mot gloire à la fin du verset 18 signifie le poids, la renommée aux yeux des hommes : cette gloire brillera dans toutes les nations et les langues, donc le monde entier et pas seulement la diaspora juive. Un « signe » permettra à ceux qui sont en recherche de reconnaître le vrai Dieu. Quel est ce signe ? Ce sont les messagers de Dieu, les « évangélistes » ou « missionnaires » en langage moderne. Grâce à ces messagers, des juifs et des païens se lèveront et afflueront vers Jérusalem. Quelle Jérusalem ? On peut le prendre sur le plan géographique, mais aussi sur le plan symbolique. C’est le « lieu » où on peut adorer le vrai Dieu. On peut le comprendre ainsi : ils adoreront le vrai Dieu, tel qu’il est enseigné à Jérusalem. Jésus dira que ce vrai Dieu, on peut l’adorer en esprit et en vérité en tout lieu de la terre. Ce qui est surprenant, au v. 21, c’est que des prêtres et des lévites seront recrutés parmi les nations, ce qui est impossible selon la loi Juive. Cela signifie donc que les conditions habituelles du sacerdoce ne seront plus exigées : tout être humain peut approcher du Dieu vivant. L’enjeu de ce texte (dans sa version courte) est directement lié à la mission du peuple élu : le peuple Juif est destiné par Dieu à être la lumière des nations. (voir Es 42.6 ou 49.6). Ce qui implique la mission, l’évangélisation au monde entier, par le moyen des « rescapés de mon peuple » qui proclameront la gloire de Dieu jusqu’aux nations les plus éloignées. Le projet de Dieu qui est de rassembler toutes les nations passe par des missionnaires qui sillonnent le monde entier pour annoncer le Dieu Un au dessus des « dieux ». La question se pose : comment s’articule ce texte avec celui de Luc ? Examinons le texte de Luc 13. 22-30 en soi. Il se situe au milieu d’une série d’enseignements le plus souvent en paraboles. Le thème général est le Royaume de Dieu. Mais au fur et à mesure que Jésus et ses disciples se rapprochent de Jérusalem, le ton se fait de plus en plus menaçant. Car Jésus a bien pressenti que son message ne sera pas reçu. Il a déjà annoncé plusieurs fois sa mort prochaine, et juste après notre passage, Jésus se lamentera sur Jérusalem en prédisant sa destruction car elle n’a pas voulu recevoir la bonne nouvelle de Jésus Christ. (13. 34-35) Le passage retenu est lui-même une parabole, introduite par une question qui agitait les Juifs de l’époque : y aura-t-il beaucoup de personnes sauvées à la fin des temps, ou au contraire un petit nombre ? (dans les commentaires rabbiniques de l’époque, les deux écoles s’affrontaient). Jésus ne répond pas directement à la question (comme à son habitude) mais déplace la discussion sur la nécessité d’une réelle et profonde conversion. Il ne suffit pas d’avoir fréquenté le messie (« nous avons mangé et bu devant toi ») pour être sauvé, encore faut-il changer son cœur. Un mot est important : « efforcez-vous » d’entrer par la porte étroite. Il devrait être traduit littéralement par « luttez » pour entrer par la porte étroite. Il s’agit d’un combat. Un combat contre les autres qui veulent passer avant vous ? Non, plutôt un combat intérieur. C’est le combat de la conversion. L’image de la porte étroite n’est pas là pour dire que peu de personnes la franchiront, mais pour dire qu’elle suppose un effort personnel. Le fait qu’elle se fermera bientôt signifie qu’il ne faut pas sans cesse repousser au lendemain le travail de conversion personnelle. Il y a donc urgence. Au verset 27 apparaît la vraie raison du rejet par le maître de maison (qui est Dieu) : « éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice » (reprise du Ps. 6.9). Ce n’est pas le fait d’être juif ou chrétien ou judéo-chrétien qui garantit le salut, mais le fait de ne pas commettre l’injustice. Cela fait écho à Matthieu 25.31-46, la parabole du jugement dernier. L’enjeu de ce texte est celui de la conversion. Il ne suffit pas de se dire chrétien pour être sauvé. Avoir eu des liens – superficiels – avec l’Envoyé ne sert de rien, dès lors que la conversion n’est pas au rendez-vous. (voir commentaire de Luc par Hugues Cousin, Bayard Éditions/Centurion). Un autre enjeu est celui de la place respective du Judaïsme et du Christianisme dans l’annonce du Dieu sauveur au monde. Les versets 29-30 peuvent être interprétés comme le rejet de la mission du peuple juif au temps de Jésus et la prise de relais par les chrétiens pour annoncer la Bonne nouvelle au monde. Mais le texte ne dit pas que les Juifs seront rejetés au banquet du royaume, mais que les chrétiens, venus après eux dans l’histoire, seront appelés premiers. Articulation entre les deux passagesLe point commun est la nécessité de la conversion au vrai Dieu. Dans le contexte de l’AT, il s’agit du Dieu Un au dessus des « dieux » et idoles du monde. Dans le contexte du NT, il s’agit du Dieu de Jésus Christ, ce Dieu qui a donné son fils par amour pour le monde. Cette conversion suppose deux choses essentielles : (1) l’action des missionnaires pour annoncer la bonne nouvelle du Dieu d’amour et (2) renoncer à faire le mal, donc mettre de l’ordre dans sa vie personnelle. On peut le formuler positivement : prendre au sérieux le double commandement de Dieu : tu aimeras ton Dieu, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et ceci, sans tarder.

Prédication

N.B. Le style est particulier : il s’agit d’un dialogue. Le prédicateur est interrompu à quatre reprises par un « contradicteur », qui représente « la vox populi ». Le Prédicateur : C’est souvent à la mort des grands hommes qu’ont lieu les plus grands rassemblements. Les gens viennent de partout pour honorer la mémoire du défunt. Dans le texte du prophète Ésaïe, il est question d’un grand rassemblement, avec des gens qui viennent de partout, mais ce n’est pas pour honorer un défunt, mais un vivant. Le vivant, c’est Dieu. « Je rassemblerai toutes les nations et toutes les langues et elles viendront voir ma gloire ». C’est le Dieu d’Israël qui parle. Quand cela se produira-t-il ? À la fin des temps. Qui viendra à ce grand rassemblement ? Tout le monde ! Les juifs et les païens, les blancs et les noirs et les jaunes, les riches et les pauvres. Dieu accomplira enfin son grand projet qu’il caresse depuis la nuit des temps : rassembler sous son aile tous ses enfants dispersés. Se réconcilier à lui tous ceux qui se sont éloignés. Comme un père qui ramène ses enfants à la maison. Ou qui fait une grande fête et rassemble autour d’un magnifique banquet tous ses descendants. Ils viennent des 4 coins de la planète et parlent les langues les plus diverses. Le « contradicteur » : Vous parlez d’un grand rassemblement et d’un grand banquet, c’est très bien, mais c’est pour quand ? Faut-il attendre la fin des temps pour que cela se réalise ? Et pourquoi pas maintenant ? Le prédicateur Tout d’abord nul ne sait le jour de la fin des temps. Vous proposez de le faire maintenant, ce grand banquet, mais qui va l’organiser ? Ce n’est pas les hommes qui invitent, c’est Dieu. Et même si Dieu invitait aujourd’hui, tous les humains à son banquet, je crains qu’il n’y ait pas beaucoup de convives. En France, par exemple, il n’y a guère qu’une petite minorité de croyants. Nous ne sommes pas mûrs. Et quand on voit nos Églises et nos Temples se dépeupler depuis 50 ans, on se dit qu’on l’est de moins en moins. Alors Dieu, qui a de la suite dans les idées, prépare son banquet en envoyant partout dans le monde des messagers. Les invitations par lettre ou courrier électronique, ou SMS, ça ne marche pas. Il faut que l’invitation soit portée sur le terrain, par contact direct, c’est-à-dire par des missionnaires. C’est ce que dit le prophète Ésaïe : « je les enverrai vers les nations… aux îles lointaines qui jamais n’ont entendu parler de moi » Dans l’histoire du christianisme, il y a toujours eu des missionnaires. A commencer par l’apôtre Paul qui a sillonné le proche orient, la Grèce et la Turquie jusqu’à Rome. Il y a eu des vagues de missionnaires de siècles en siècles. Mais tout le monde n’a pas encore reçu la bonne nouvelle de Jésus Christ. Le contradicteur : vous voulez dire que le monde a besoin de missionnaires pour qu’ils aillent partout annoncer l’Évangile ? Je me demande si la priorité n’est pas plutôt humanitaire : que chacun puisse manger à sa faim, que le droit du plus pauvre soit respecté, et que cessent les oppressions et les violences… ce sont des artisans de paix et de justice dont on a besoin, pas de missionnaire. Le problème n’est pas tant de pratiquer une religion pour se rapprocher de Dieu, que de pratiquer la justice pour se rapprocher de son frère. Le prédicateur : aimer Dieu et aimer son frère sont indissociablement liés. Si on dit qu’il faut d’abord aimer son frère avant de penser à Dieu, ou l’inverse, il faut aimer Dieu d’abord et après aller vers son frère, on entre dans un débat stérile. La vraie question est celle de la conversion du cœur. Le cœur, c’est – à – dire mes désirs, mes priorités dans la vie, et le fond de ma pensée. Le cœur est-il bien ou mal orienté ? Est-il un bon arbre qui produira des bons fruits, ou un mauvais arbre qui produira des mauvais fruits ? (pour reprendre une image que Jésus lui-même nous a donnée) Pour passer de l’un à l’autre, il faut une véritable conversion. C’est ce que les deux textes de ce jour veulent nous dire. Dans Ésaïe, ceux qui aiment le vrai Dieu sont aussi ceux qui pratiquent la justice. Et il y a un mot qui revient souvent dans l’Ancien Testament, « shoum » en Hébreu, qui veut dire : revenir, revenir à Dieu. Comme le fils prodigue qui revient vers son père. C’est un autre mot pour dire la conversion. Dans l’Évangile de Luc, comme dans tout le nouveau testament, il est question de changement de pensée, de metanoia, en grec. Ce n’est pas superficiel. Il ne suffit pas d’avoir fréquenté le messie (« nous avons mangé et bu devant toi ») pour être sauvé, encore faut-il changer son cœur. Pour illustrer la nécessité et l’urgence de la conversion, Jésus donne une parabole : l’entrée dans le Royaume de Dieu implique de passer par la porte étroite. « Efforcez-vous » d’entrer par la porte étroite, dit-il aux disciples. Un mot est important : efforcez-vous. Il devrait être traduit littéralement par « luttez », pour entrer par la porte étroite. Il s’agit d’un combat. Un combat contre les autres qui veulent passer avant vous ? Non, plutôt un combat intérieur. C’est le combat de la conversion. C’est un travail sur soi. C’est le courage de dire « oui » à un appel qui nous fait sortir de nos schémas de pensée, de nos habitudes. Il ne suffit pas de lire quelques livres sur Jésus, ou de fréquenter les milieux d’Église. Il arrive un moment où l’appel se fait à la fois pressant et personnel : toi, qui que tu sois, es-tu prêt à suivre Jésus Christ ? Ce qui selon les cas implique de remettre en cause sa façon de voir les choses, d’abandonner quelque chose qui fait obstacle, de lâcher prise. C’est cela la conversion. Du coup, j’ai peut-être besoin d’être évangélisé, non pas pour être près du bon Dieu, comme le dit l’adage populaire, mais pour un renouvellement profond de mon existence, qui se traduira nécessairement par un élan et vers Dieu et vers mon prochain. Ce n’est pas Dieu ou mon prochain, c’est les deux à la fois. Le contradicteur : si je comprends bien, le ticket d’entrée pour le grand banquet, c’est la conversion ? Le prédicateur : la conversion, oui, ou déjà le désir de la conversion. Dieu nous invite à son grand rassemblement, mais pour entendre son invitation il faut déjà se déboucher les oreilles. Et une fois qu’on a compris le sens de son appel, et qu’on a pris goût à ses promesses, il s’agit de se dire en soi-même : allez ! Je fais le pas ! Je me mets en route ! Et une fois en route, chers frères et sœurs, c’est un peu l’aventure. Passionnante et pleine d’imprévus. Plus on avance sur le chemin de la foi, plus on se dit : pour rien au monde je ne retournerai en arrière ! Plus on avance sur le chemin de la foi, plus on connaît Dieu comme une personne, à travers Jésus Christ qui nous le révèle. Et on connaît la destination : on est en route pour le grand rassemblement et son banquet festif. Le contradicteur : et qui sera sauvé, alors ? Qui sera invité au banquet, qui passera par la porte étroite en définitive ? Le prédicateur : pour celui qui est sur le chemin de la foi, la question ne se pose plus. Cette interrogation est derrière lui. Ce n’est plus un sujet de préoccupation ou d’angoisse. Car il a confiance en Celui qui sait tout et qui veut le bien de tous. La seule question qui compte pour lui désormais, c’est : comment devenir chaque jour disciple du Christ, comment rester en marche sur le chemin de la foi, ou encore comment être réconcilié : réconcilié avec Dieu et réconcilié avec les hommes… et en prime, réconciliés avec soi-même. Amen