Textes : Nombres 5, v. 11 à 31 Ps 33 Actes 6, v. 1 à 7 1 Pierre 2, v. 4 à 9 Jean 14, v. 1 à 12 Pasteur Gilles de St BlanquantTélécharger le document au complet
Chapitre 13 : Jésus, au cours d’un repas, a lavé les pieds de ses disciples, annoncé la trahison de Judas, son propre « départ » (et les disciples ne peuvent le suivre), donné son commandement « nouveau » : « Aimez-vous les uns les autres » et averti Pierre de son reniement. C’est le début des derniers entretiens de Jésus avec ses disciples, qui vont courir jusqu’au ch. 17. 14,1 « Que votre cœur ne se trouble pas » Or il y a de quoi être troublé, angoissé (départ, trahison, reniement…). Le contraire de la foi, ce n’est pas le doute, c’est la peur. Jésus oppose toujours la foi à la peur (« pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ? »). « Vous croyez (mettez votre confiance) en Dieu, croyez aussi en moi ». Il n’est pas question de croyance (je crois que Dieu existe), mais de mettre sa confiance en Dieu et en Jésus, d’engager sa foi, de s’engager, de marcher. Jean est considéré comme l’évangile « spirituel », mais avec lui nous ne sommes jamais hors du monde. Au contraire il ramène toujours le regard des disciples, qui ont trop tendance à regarder le ciel, au Jésus réel qu’ils ont devant eux (cf. plus bas le dialogue avec Thomas et Philippe). Dieu n’est souvent qu’une belle image, une imagination, une illusion, et la croyance en lui une projection. Avec Jésus, nous avons une personne réelle et une question concrète : lui faisons-nous confiance ? Est-il fiable ? Son Évangile est-il solide ? Pouvons-nous nous fonder dessus ? Est-il celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? demande Jean-Baptiste. Nous introduit-il vraiment dans la maison du Père, nous y fait-il une place? 14, 2. « Il y a beaucoup de demeures… je vais vous préparer une place… » Ce que dit le Jésus de Jean, c’est qu’à son écoute et à sa suite, nous nous retrouvons habiter la grande maison familiale de Dieu, famille que nous découvrons, plus grande et plus nombreuse que nous ne le pensions dans notre vision étroite, a priori, de Dieu. « Par lui, nous croyons en Dieu notre Père », dit une de nos confessions de foi. C’est quelque chose à expérimenter, à vérifier. Avons-nous bien placé notre foi ? Jean nous dit : vous pouvez y aller en confiance… 14,3. Jésus part en éclaireur, et il éclaire le chemin et la bonne direction vers le but encore caché, au-delà de tout ce qui va se passer. « que là où je suis vous soyez aussi » N’est-ce pas l’essentiel ? Que souhaiter de plus et de mieux que de toujours se trouver dans la compagnie, le compagnonnage de Jésus ? Pas la peine de décrire le « lieu », si Jésus y est et l’habite de sa présence. Encore une fois, Jean est sobre, pas de délire imaginatif, d’apocalypse ni de description d’un paradis qui comble notre soif de merveilleux pour mieux nous endormir. L’essentiel est d’être et de rester frères et sœurs de Jésus, dans la maison du Père. Et, étonnamment, pas de dortoir collectif : chacun sa demeure. Jean fait-il allusion aux différences, dissensions, conflits même entre les apôtres, les différentes écoles et Églises du christianisme primitif qui ont du mal à s’accepter les unes les autres (celles de Jacques, Pierre, Paul, Jean et les autres) ? Il y a une demeure pour chacun… 14,4-5. « Vous en savez le chemin ». Mais Thomas veut voir le but : raconte-nous, décris-nous. Quand on branche le GPS, on lui dit où on veut aller, sinon il ne nous dit pas la route. Mais Thomas ne demande-t-il pas un raccourci, et ne pas avoir à prendre le chemin indiqué, ne pas avoir à marcher ? Il veut voir par-dessus la tête de Jésus, il demande à être rassuré, émerveillé, motivé par la vision du But Ultime. 14, 6-7. « C’est moi qui suis le chemin, la vérité et la vie. » Regardez-moi, écoutez-moi, suivez-moi, vous avez tout ce qu’il faut : le courage, les outils, la nourriture. A me suivre, la marche se prouve en marchant, le chemin se déroule, la vérité se construit, se découvre, se déploie en cours de route, la vie s’approfondit et s’enrichit. La vérité n’est pas une idée objective, a priori, morte et définitive, qu’on « détiendrait », qu’on « possèderait », et qui dispenserait d’avoir à marcher et à vivre. C’est une vérité qu’on explore, qu’on parcourt, qu’on découvre, qu’on expérimente, qu’on ajuste, qu’on approfondit. Nul ne peut faire l’économie de son propre chemin vers elle, et en fait avec elle. Le chemin, dit Jean, c’est Jésus. Suivre Jésus est la voie royale pour découvrir la vérité et la vie, quelles en sont leurs dimensions, la hauteur, la largeur, la profondeur. « Nul ne vient au Père que par moi ». A la suite de Jésus se dessine peu à peu de manière de plus en plus vivante, le visage du Père et son amour. 14, 8-11. « Montre-nous le Père et cela nous suffit » Philippe, comme Thomas, essaie de regarder par-dessus la tête de Jésus. Non plus le but du chemin, mais maintenant le Père, Dieu lui-même. Remarque : il est courageux, car voir Dieu c’est mourir. Mais il se sent prêt pour la révélation définitive, impatient même, avec une foi à tout accepter. Patiemment, Jésus ramène le regard des disciples à lui. Jean ramène le regard de ses lecteurs à Jésus. Il faut toujours entendre ce que, en écrivant son évangile, Jean essaie de faire comprendre à sa paroisse. Ici : vous rêvez au paradis, à des visions divines, vous rêvez Dieu, c’est une fuite en avant, une projection imaginaire. Regardez donc Jésus, écoutez-le. Suivez-le en confiance, surtout à ce moment où le chemin va devenir difficile. Son unique préoccupation a été de faire entendre la parole du Père, et la parole du Père l’habite, et le Père a planté sa tente sur terre, dans cette vie d’homme. Pourquoi chercher ailleurs ? Pas d’autre enseignement secret ou supérieur. Jésus ne parle ni n’agit de sa propre initiative. Jésus renvoie à Dieu et Dieu renvoie à Jésus. Le Fils glorifie le Père et le Père glorifie le Fils. La libre obéissance du Fils renvoie à l’autorité du Père qui habite librement cette vie d’homme qui l’a acceptée. En Jésus, nous voyons un homme libre, habité par la Parole, libre de la liberté même de Dieu, et Dieu l’atteste et le confirme. Voilà bien son Fils, c’est-à-dire celui qui fait sa volonté. C’est un des thèmes récurrents de l’évangile selon Jean. Au v 10, apparaît le thème des œuvres : « C’est le Père qui, demeurant en moi, fait ses œuvres ». Dernier argument de Jean contre ses rêveurs religieux, qui aimeraient avoir des choses à croire, des vérités fixes, des descriptions du paradis, des visions divines. Comme preuve que Jésus est dans le Père et le Père en Jésus, vous n’aurez rien de tout ça, et vous n’en avez pas besoin : vous n’avez qu’à le constater vous-mêmes en regardant les œuvres de Jésus. Autrement dit : arrêtez d’ergoter, si vous ne croyez pas Jésus sur ses paroles, jugez sur pièces, regardez ses actes. Des paroles peuvent mentir, pas des actes. 14,12 : enfin, continuant sur ce thème des actes, et introduit par le solennel « Amen, amen ! », une sorte de pavé dans la mare : « celui qui met sa foi en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes… » Ce que tous les chrétiens unanimes dans la modestie se refusent à prétendre, mettant Jésus sur un piédestal, ses signes, miracles et prodiges au-dessus de tout, et eux, pauvres mortels, se considérant comme bien incapables de telles œuvres ! Fausse vénération ! Fuite devant nos responsabilités de suivre et d’imiter Jésus. Pour Jean c’est clair et concret : si comme Jésus vous mettez la parole de Dieu au centre, si vous laissez Dieu faire sa demeure au cœur de vos vies, si vous mettez en pratique l’Évangile, vous ferez les mêmes œuvres, signes, miracles que Jésus. La majorité préfère se défiler en arguant de la divinité de Jésus, de ses pouvoirs prétendus. Jean affirme que quiconque se laisse habiter par la parole de Dieu peut en faire autant, peut donner les mêmes « signes », mot que Jean préfère à miracle. Qui d’ailleurs, une fois Jésus parti, fera les œuvres de Dieu sinon vous, les disciples de Jésus ? Dans l’histoire, il y en a qui ont pris cette responsabilité au sérieux, et ont fait des miracles. C’est-à-dire des signes du Royaume où se lit la liberté créatrice de Dieu. Il faut prendre cette promesse de Jésus, et notre responsabilité de disciples, au sérieux.
Jésus et moi, entre quatre yeux Nous sommes au début des derniers entretiens de Jésus avec ses disciples. Entretiens en tête à tête, face à face. La raison, c’est que les problèmes sérieux vont commencer. Trahison, reniement, abandon, « départ » de Jésus qui va les laisser seuls… Si je puis dire Jésus essaie de prendre chacun entre quatre yeux pour les avertir, les préparer. Dans les ch. 13 et 14, Jean raconte comment, après avoir lavé les pieds de ses disciples, ce qui les a dès le début secoués, il prend ainsi Judas, Pierre, Thomas, Philippe, bons représentants des disciples moyens, et met les choses au point avec chacun d’eux. Je ne pense pas extrapoler en disant que ces disciples représentent assez exactement les paroissiens de Jean, et sans doute nous aussi, bons paroissiens de N… Il ne s’agit donc pas pour chacun de nous de nous camoufler dans la masse indistincte des disciples. Je suis interpellé, averti et mis en cause. Jésus prend chacun de nous pour un entretien en tête à tête. Nous avons, et les disciples ont eu jusque là, la religion facile. L’Évangile est agréable à entendre, Jésus fait des miracles qui nous émerveillent, ses paraboles sont pleines de sens, nous accueillons avec passivité et reconnaissance tout ce qu’il fait pour nous. Nous acceptons d’être le centre de son intérêt et de l’amour de Dieu. Mais Jésus va aller jusqu’au bout de son propre chemin et nous laisser seuls. Notre situation concrète c’est que nous sommes des disciples désormais responsables de l’Évangile. Jésus va affronter les puissances politiques et religieuses, écrire l’Évangile de son sang, de sa vie, et il parle avec moi. Qui d’autre va prendre en charge l’Évangile, sinon moi ? Et moi je rêve, comme Pierre, Thomas, Philippe, et peut-être même Judas. Judas se voit peut-être en déclencheur de l’intervention divine, Pierre s’imagine en héros. Comme Thomas, j’ai besoin que Jésus me raconte un peu « où il va », ce qu’il va y avoir au bout. Besoin de la carotte du paradis, d’un but à mon GPS personnel pour qu’il me dessine la route? Trouver un raccourci pour le Royaume de Dieu ? Ou comme Philippe j’aimerais bien « voir le Père », savoir qui il est, être fixé une bonne fois pour toutes. Pouvoir m’en convaincre et convaincre les autres. Nous avons envie que Jésus nous fasse rêver, qu’il nous dise des vérités agréables à entendre et à croire, confortables et définitives, merveilleuses et sûres. Au moins qu’il nous motive. Nous confondons spirituel et imaginaire. La spiritualité de Jésus (et de Jean) passe par la réalité du monde et les aléas de l’histoire, par un chemin d’homme, une vie datée et située, contingente, où se dessine, où se révèle une vérité vivante. C’est une spiritualité incarnée, « dans le monde », même si sa source n’est « pas du monde », c’est-à-dire qu’elle ne suit pas la logique de ce monde. Jésus va aller jusqu’au bout de sa vérité, qui est sa réponse et son obéissance libres à celui qu’il appelle son Père, vérité vivante signée par ses actes, ses paroles et son sang. « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». A ces disciples qui regardent au ciel, par-dessus sa tête, Jésus dit : regardez-moi, suivez mon chemin et faîtes comme moi. Donnez votre propre réponse vivante. C’est vous qui allez maintenant prendre en charge l’Évangile. Ce que je vous montre est plus concret, réel, et plus solide que vos rêves. La vérité n’est pas une idée objective, a priori, morte et définitive, qu’on « détiendrait », qu’on « possèderait », et qui dispenserait d’avoir à marcher et à vivre. La marche se prouve en marchant, le chemin se déroule, la vérité se construit, se découvre, se déploie, la vie s’approfondit et s’enrichit. C’est une vérité qu’on parcourt, qu’on explore, qu’on découvre, qu’on expérimente, qu’on ajuste. C’est un champ qu’on laboure en y semant sa vie, pas une autoroute. Nul ne peut faire l’économie de son propre chemin, vers elle et avec elle. C’est ce que nous voyons concrètement dans la vie de Jésus, la vérité de cette vie, ce chemin unique. Comme un éclaireur, Jésus nous a ouvert et éclairé la route. Suivre Jésus, dit Jean, est la voie royale pour découvrir la vérité et la vie, explorer leurs dimensions, la hauteur, la largeur, la profondeur. Et se dessine le visage du Père, et se découvre la vaste maison du Père où chacun avec sa vérité, la vérité de sa vie, trouve sa place, en frère ou sœur de Jésus… Nul ne peut faire l’économie de sa réponse à Dieu et de son obéissance au Père. Nul ne peut faire l’économie de son chemin, de sa vie, de sa vérité. « Je suis le chemin, la vérité et la vie », ce n’est pas la première phrase de la dogmatique de Jean, ce sont les premiers mots de sa vie, c’est un doigt qui montre un chemin. Il s’agit maintenant de marcher, être vrai, vivre. Jésus nous ramène les pieds sur terre, bousculant nos rêves et nos illusions. Mais sur ce chemin il y a trois promesses : 1. La foi bannit la peur. « Que votre cœur ne se trouble pas » Notre cœur se trouble parce que nous voulons croire à des contes de fées. Mais prendre en charge l’Évangile, et l’expérimenter concrètement dans les turbulences du monde actuel, en un mot suivre Jésus, est un vrai bonheur, plus solide que toutes les illusions religieuses. « La joie imprenable », dit Lytta Basset. 2. La fraternité de Jésus. « Afin que là où je suis, vous y soyez aussi ». Que souhaiter de plus et de mieux que de toujours se retrouver dans le compagnonnage de Jésus ? Et se retrouver avec ses frères et ses sœurs. Pas la peine de décrire le lieu, si Jésus l’habite de sa présence, et si je m’y retrouve avec la famille de Dieu. 3. Les « signes » du Royaume. « Vous ferez les œuvres que je fais, vous en ferez même de plus grandes » Les chrétiens unanimes dans la modestie mettent Jésus sur un piédestal et ne sauraient prétendre faire les miracles que sa divinité lui permettrait. Fausse vénération, fuite de nos responsabilités, dit Jean. La capacité de Jésus à donner des « signes » vient de la place centrale du Père dans sa vie. Si Dieu et sa parole sont au centre de notre vie, les signes du Royaume éclateront. Dans l’histoire, il y a beaucoup de modestes chrétiens qui ont pris au sérieux leur responsabilité de disciples, et ont fait des miracles. Et l’Évangile est parvenu jusqu’à nous ! Ce qui nous est promis, c’est bien le chemin, la vérité, la vie ! Amen