Textes : Psaume 150 Psaume 33 Ésaïe 53, v. 10 & 11 Hébreux 4, v. 14 à 16 Marc 10, v. 35 à 45Pasteur Richard BENNAHMIAS

PrédicationComment Dieu tire les ficelles de l’histoire ?Cruauté de l’Histoire ou de Dieu ?« Le SEIGNEUR a voulu le broyer par la souffrance » Comment peut-on entendre une chose pareille sans frissonner d’horreur !De qui et de quoi parle Ésaïe ? Est-ce vraiment d’un messie attendu, dont il dira ailleurs que l’empereur Cyrus remplit parfaitement ce rôle. Le personnage du serviteur souffrant n’est-il pas d’abord un personnage collectif ? Les restes de l’élite juive déportés à Babylone, par exemple. Nombreux sont en effet les passages du livre du prophète Ésaïe où ce dernier fait dire au Seigneur que, tel le forgeron qui broie le minerai pour en extraire le métal pur, il va broyer Israël pour le purger de ses iniquités. Au milieu des horreurs de l’histoire qu’ils ont à subir, Ésaïe suggère à ses auditeurs de garder confiance et espérance, pour résister et ne pas se laisser emporter par l’adversité. Ce qui se révèle au cours de cette période de l’Exil à Babylone, c’est que le Dieu d’Israël n’est pas un dieu parmi d’autres, mais qu’il est Le Dieu, le seul et l’unique, le maître de l’Histoire. Ésaïe a l’audace de placer cette découverte dans la bouche de Dieu lui-même « Je vous ai broyés… restez-moi fidèles … méditez sur nos malheurs … vous expierez ainsi vos iniquités passées et ma fidélité vous fera retrouver le chemin de la justice » Mais la violence de l’Histoire, quand bien même un dieu en serait le maître, est-elle imputable à ce dieu là ?Le dieu unique d’Ésaïe parle encore d’en haut, il surplombe l’Histoire, comme un marionnettiste les ficelles des pantins qu’il anime. Mais le héros qui, au nom de ce dieu, est censé conduire les fidèles sur la voie qui conduit de l’expiation à la justice retrouvée emprunte les chemins de l’abaissement et de l’humiliation.Cela pose une question : comment le dieu unique tire-t-il les ficelles de l’Histoire et de nos histoires.Le comportement du héros dans la lutteLe comportement du héros souffrant et humilié nous est pourtant familier. Qu’il s’appelle Superman, Indiana Johns, ou Harry Potter, les aventures d’un héros de film ou de roman seraient d’un mortel ennui s’il n’était confronté à des épreuves où il est toujours près de succomber et à des adversaires qui le poussent jusqu’aux limites extrêmes de sa résistance. Et c’est seulement après avoir frôlé la défaite ou la mort que, dans un sursaut proprement héroïque, il finit par terrasser son adversaire.Que dire des épreuves endurées par ce colonel de l’armée britannique prisonnier des japonais dans « Le pont de la Rivière Kwaï », ou encore par celui incarné par David Bowie dans « Furyo », un film qui raconte l’histoire de prisonniers anglais enfermés dans un camp japonais, toujours pendant la deuxième guerre mondiale. Il ne s’agit pas ici de héros solitaires ou dotés de pouvoirs extraordinaires. Pour les membres des groupes auxquels ils appartiennent, l’un et l’autre incarnent seulement un esprit de résistance et un refus viscéral de se résigner à la défaite. Et ils l’incarnent non seulement parce que c’est dans leur nature, ou pour donner l’exemple, ou pour épargner des souffrances à leurs subordonnés à leurs camarades, mais pour incarner cet esprit de résistance qui représente l’unique planche de salut offerte à leurs subordonnés ou leurs camarades : que le sentiment de leur défaite et les humiliations qu’ils subissent ne leur fassent jamais perdre l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et en quoi réside leur seule chance de salut. Le premier agit ainsi parce qu’il estime que cela fait partie de sa mission (pour ne pas dire sa vocation) de chef et l’autre conquiert par son attitude un statut de leader.Le modèle du héros chrétienQu’elle mette en scène des personnages réels ou fictifs, la trame dramatique de ces histoires est, volontairement ou non, inspirée par le « mystère » fondateur du Christianisme, à savoir le récit de la passion, de la croix et de la résurrection du Christ.Au travers des tribulations de leur héros, les deux derniers films auxquels nous avons fait allusion racontent la confrontation de deux cultures aux mentalités foncièrement différentes. Les gardiens japonais ne comprennent ni comment, ni pourquoi leurs prisonniers s’accrochent à la vie alors qu’ils ont perdu la face. De leur point de vue, la seule attitude honorable dans cette situation serait le suicide. Ils ne comprennent pas comment on peut rester un homme en dépit de toutes les humiliations subies.Le christianisme est peut-être en voie de disparition dans notre monde « occidental », mais il est encore profondément sous l’influence de ce « mystère fondateur » qui lui a permis à plusieurs reprises de traverser les crises auxquelles il a été confronté. Pour nous autres occidentaux, quoiqu’il arrive, rien n’est jamais perdu, il y a toujours quelque part, même dans les heures les plus sombre, une issue heureuse à espérer, à chercher et à trouver. Non pas tant la gloire arrogante du triomphe de la vie que, de tous les tombeaux où le destin et la fatalité prétendent l’enfermer, son échappée, le fait que la vie glisse, se dérobe, fuit, échappe à tout ce qui lui est opposé de barrière. La vie passe, triomphe tout de même, quoiqu’il arrive…Et si nous avons besoin de héros pour incarner cette espérance, le modèle du héros de nos histoires occidentales, c’est le Christ crucifié et ressuscité. Qu’il y soit ou non révélé comme tel n’a pas beaucoup d’importance.Pour une parcelle de pouvoirLes fils de Zébédé n’ont pas vraiment compris quel genre de héros était Jésus. Et si les autres disciples s’indignent contre eux, c’est que la même demande leur brûlait les lèvres, mais qu’ils n’ont pas osé. En échange de leur soumission au Maître, ils lui demandent une parcelle de sa puissance et de sa gloire, qui, ils en sont certains, ne manquera pas d’éclater bientôt au grand jour. Bientôt leur maître sera un de ces grands qui gouvernera par en haut, à l’image de ce dieu qui surplombe l’Histoire et dirige ses protagonistes comme un marionnettiste les ficelles des pantins qu’il anime. Et les fils de Zébédé se verraient bien dans le rôle d’assistants marionnettistes sous la direction du marionnettiste en chef. Les autres disciples n’ont pas à se faire de soucis : le théâtre de l’Histoire est assez grand pour 12 !Le dieu de Jésus-Christ est-il un marionnettiste. Sommes-nous capables d’imaginer d’autres dieux que des dieux qui tirent les ficelles de nos destins ? Qu’il soit unique ou non, qu’est-ce qu’un dieu pour nous ? Sinon une puissance, de quelque nom qu’on la nomme et quelques qualités qu’on lui prête, à laquelle nous sommes prêts à nous soumettre pour peu que cette soumission nous garantisse la réussite, le bonheur, un peu de pouvoir ou, si tout cela nous est refusé dans ce monde-ci, la même chose dans un autre monde. Un dieu vers lequel nous pourrions nous tourner quand tout va mal pour lui dire : « Tu nous as broyé, mais nous avons compris ta leçon, nous avons expié, et désormais nous allons de nouveau nous soumettre à tes décrets … et gare à ceux qui refuseront de s’y plier ». Un dieu dont nous pourrions dire : « c’est toi le responsable, nous n’avons fait qu’obéir, nous étions les jouets de ta puissance. »Dieu s’engage dans notre histoire … par en dessousQui est le dieu de Jésus-Christ, si ça n’est pas le grand tireur de ficelles ? Entre la prophétie d’Ésaïe et la Pâque de Jésus-Christ, il se passe quelque chose d’inattendu et de tout à fait nouveau. Le dieu de Jésus-Christ n’est pas un père irresponsable qui, du haut de sa forteresse céleste, envoie son fils au charbon pour prendre les coups à sa place afin de réparer les erreurs de sa création. Dans le drame de la passion, de la croix et de la résurrection, Le Dieu, c’est Jésus-Christ lui-même. Face à la croix, nous sommes invités reconnaître et à confesser Jésus-Christ non seulement comme Christ et Seigneur, mais d’abord comme notre dieu. En d’autres termes : sur la croix, la divinité engage en Jésus-Christ tout son être et y met en jeu toute sa puissance, jusqu’à épuisement. Et, de façon absolument inattendue, la vie passe, triomphe tout de même, quoiqu’il arrive…Dans le drame de Pâques, tout se passe à l’horizontale : plus aucune divinité ne surplombe notre histoire humaine, il n’y a plus Dieu en haut, et nous en bas, il n’y a tout simplement plus ni haut ni bas. Dieu se fait totalement « avec nous » : Emmanuel. Entre la croix et le tombeau vide, en Jésus-Christ crucifié et ressuscité, l’épreuve de la mort, de la fatalité et du néant est affrontée et franchie. Depuis toujours et pour toujours, toute l’histoire de notre humanité et de notre univers s’en trouve soudain ouverte à l’aventure de la vie. Commander et servirNous ne sommes pas tous tentés par l’exercice du pouvoir. Certains ou certaines d’entre nous le sont. L’espèce humaine est une espèce animale à comportement social. Même dans nos pays démocratiques, il y aura toujours des individus animés du désir de dominer les autres ; et d’autres qui préfèreront éviter l’angoisse des décisions importantes.Nous avons longtemps cru que quelque chose de la divinité s’incarnait dans ces relations de soumission et de domination. Le mot d’origine grecque « hiérarchie » est un héritage de cette conception antique pour laquelle quelque chose de sacré s’exprime toujours dans l’exercice du pouvoir.Il n’est peut-être pas nécessaire de la prendre le renversement opéré par Jésus au pied de la lettre. Ou bien il faudrait soupçonner de vouloir prendre le pouvoir parmi nous toute personne qui se met exagérément au service des autres ; ce qui, avouons-le, n’est pas toujours faux, notamment dans nos communautés. Mais si nous ne voulons pas sacraliser les relations sociales, il nous faut considérer l’exercice du pouvoir, du commandement ou de l’autorité comme une fonction au service à la communauté. Celles et ceux qui souhaitent exercer ces fonctions sont invités à y entendre l’appel à d’une vocation qui comporte aussi ses servitudes.Mais les allusions de Jésus aux sacrements du Baptême et à la Cène sont assez claires. Dans le baptême, nous signifions que nous mourrons et ressuscitons avec Jésus-Christ, que nous sommes toutes et tous à ce titre enfants de Dieu et dans la Cène que nous formons corps avec Jésus dans l’histoire vivante sur les chemins de laquelle il nous entraine. Désormais, Dieu n’est plus au dessus de nous comme un Maître despotique auquel nous devrions nous sous-mettre : il est devant nous et nous invite à le suivre.Le dieu de Jésus-Christ intervient dans le courage qui nous manque, mais qui peut nous venir, de faire la part des choses entre les évènements extérieurs dont nous croyons avoir été les jouets, et nos erreurs de jugement et de discernement, nos paniques, nos « sauve qui peut » et nos résignations. Et c’est au fond des abîmes où, qu’on nous y ait poussé ou non, nous nous sommes nous-mêmes laissé sombrer, qu’il vient nous chercher. Non pas pour que nous consentions aux coups du destin, mais pour que saisissions la main de l’espérance, tendue en avant de nous. En première et en dernière instance, ce qui commande, c’est notre espérance commune : que, sur les voies de la justice où Jésus nous précède, aucune souffrance ne vienne nous broyer.

Textes : Psaume 150 Psaume 33 Ésaïe 53, v. 10 & 11 Hébreux 4, v. 14 à 16 Marc 10, v. 35 à 45Pasteur Richard BENNAHMIAS

PrédicationComment Dieu tire les ficelles de l’histoire ?Cruauté de l’Histoire ou de Dieu ?« Le SEIGNEUR a voulu le broyer par la souffrance » Comment peut-on entendre une chose pareille sans frissonner d’horreur !De qui et de quoi parle Ésaïe ? Est-ce vraiment d’un messie attendu, dont il dira ailleurs que l’empereur Cyrus remplit parfaitement ce rôle. Le personnage du serviteur souffrant n’est-il pas d’abord un personnage collectif ? Les restes de l’élite juive déportés à Babylone, par exemple. Nombreux sont en effet les passages du livre du prophète Ésaïe où ce dernier fait dire au Seigneur que, tel le forgeron qui broie le minerai pour en extraire le métal pur, il va broyer Israël pour le purger de ses iniquités. Au milieu des horreurs de l’histoire qu’ils ont à subir, Ésaïe suggère à ses auditeurs de garder confiance et espérance, pour résister et ne pas se laisser emporter par l’adversité. Ce qui se révèle au cours de cette période de l’Exil à Babylone, c’est que le Dieu d’Israël n’est pas un dieu parmi d’autres, mais qu’il est Le Dieu, le seul et l’unique, le maître de l’Histoire. Ésaïe a l’audace de placer cette découverte dans la bouche de Dieu lui-même « Je vous ai broyés… restez-moi fidèles … méditez sur nos malheurs … vous expierez ainsi vos iniquités passées et ma fidélité vous fera retrouver le chemin de la justice » Mais la violence de l’Histoire, quand bien même un dieu en serait le maître, est-elle imputable à ce dieu là ?Le dieu unique d’Ésaïe parle encore d’en haut, il surplombe l’Histoire, comme un marionnettiste les ficelles des pantins qu’il anime. Mais le héros qui, au nom de ce dieu, est censé conduire les fidèles sur la voie qui conduit de l’expiation à la justice retrouvée emprunte les chemins de l’abaissement et de l’humiliation.Cela pose une question : comment le dieu unique tire-t-il les ficelles de l’Histoire et de nos histoires.Le comportement du héros dans la lutteLe comportement du héros souffrant et humilié nous est pourtant familier. Qu’il s’appelle Superman, Indiana Johns, ou Harry Potter, les aventures d’un héros de film ou de roman seraient d’un mortel ennui s’il n’était confronté à des épreuves où il est toujours près de succomber et à des adversaires qui le poussent jusqu’aux limites extrêmes de sa résistance. Et c’est seulement après avoir frôlé la défaite ou la mort que, dans un sursaut proprement héroïque, il finit par terrasser son adversaire.Que dire des épreuves endurées par ce colonel de l’armée britannique prisonnier des japonais dans « Le pont de la Rivière Kwaï », ou encore par celui incarné par David Bowie dans « Furyo », un film qui raconte l’histoire de prisonniers anglais enfermés dans un camp japonais, toujours pendant la deuxième guerre mondiale. Il ne s’agit pas ici de héros solitaires ou dotés de pouvoirs extraordinaires. Pour les membres des groupes auxquels ils appartiennent, l’un et l’autre incarnent seulement un esprit de résistance et un refus viscéral de se résigner à la défaite. Et ils l’incarnent non seulement parce que c’est dans leur nature, ou pour donner l’exemple, ou pour épargner des souffrances à leurs subordonnés à leurs camarades, mais pour incarner cet esprit de résistance qui représente l’unique planche de salut offerte à leurs subordonnés ou leurs camarades : que le sentiment de leur défaite et les humiliations qu’ils subissent ne leur fassent jamais perdre l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et en quoi réside leur seule chance de salut. Le premier agit ainsi parce qu’il estime que cela fait partie de sa mission (pour ne pas dire sa vocation) de chef et l’autre conquiert par son attitude un statut de leader.Le modèle du héros chrétienQu’elle mette en scène des personnages réels ou fictifs, la trame dramatique de ces histoires est, volontairement ou non, inspirée par le « mystère » fondateur du Christianisme, à savoir le récit de la passion, de la croix et de la résurrection du Christ.Au travers des tribulations de leur héros, les deux derniers films auxquels nous avons fait allusion racontent la confrontation de deux cultures aux mentalités foncièrement différentes. Les gardiens japonais ne comprennent ni comment, ni pourquoi leurs prisonniers s’accrochent à la vie alors qu’ils ont perdu la face. De leur point de vue, la seule attitude honorable dans cette situation serait le suicide. Ils ne comprennent pas comment on peut rester un homme en dépit de toutes les humiliations subies.Le christianisme est peut-être en voie de disparition dans notre monde « occidental », mais il est encore profondément sous l’influence de ce « mystère fondateur » qui lui a permis à plusieurs reprises de traverser les crises auxquelles il a été confronté. Pour nous autres occidentaux, quoiqu’il arrive, rien n’est jamais perdu, il y a toujours quelque part, même dans les heures les plus sombre, une issue heureuse à espérer, à chercher et à trouver. Non pas tant la gloire arrogante du triomphe de la vie que, de tous les tombeaux où le destin et la fatalité prétendent l’enfermer, son échappée, le fait que la vie glisse, se dérobe, fuit, échappe à tout ce qui lui est opposé de barrière. La vie passe, triomphe tout de même, quoiqu’il arrive…Et si nous avons besoin de héros pour incarner cette espérance, le modèle du héros de nos histoires occidentales, c’est le Christ crucifié et ressuscité. Qu’il y soit ou non révélé comme tel n’a pas beaucoup d’importance.Pour une parcelle de pouvoirLes fils de Zébédé n’ont pas vraiment compris quel genre de héros était Jésus. Et si les autres disciples s’indignent contre eux, c’est que la même demande leur brûlait les lèvres, mais qu’ils n’ont pas osé. En échange de leur soumission au Maître, ils lui demandent une parcelle de sa puissance et de sa gloire, qui, ils en sont certains, ne manquera pas d’éclater bientôt au grand jour. Bientôt leur maître sera un de ces grands qui gouvernera par en haut, à l’image de ce dieu qui surplombe l’Histoire et dirige ses protagonistes comme un marionnettiste les ficelles des pantins qu’il anime. Et les fils de Zébédé se verraient bien dans le rôle d’assistants marionnettistes sous la direction du marionnettiste en chef. Les autres disciples n’ont pas à se faire de soucis : le théâtre de l’Histoire est assez grand pour 12 !Le dieu de Jésus-Christ est-il un marionnettiste. Sommes-nous capables d’imaginer d’autres dieux que des dieux qui tirent les ficelles de nos destins ? Qu’il soit unique ou non, qu’est-ce qu’un dieu pour nous ? Sinon une puissance, de quelque nom qu’on la nomme et quelques qualités qu’on lui prête, à laquelle nous sommes prêts à nous soumettre pour peu que cette soumission nous garantisse la réussite, le bonheur, un peu de pouvoir ou, si tout cela nous est refusé dans ce monde-ci, la même chose dans un autre monde. Un dieu vers lequel nous pourrions nous tourner quand tout va mal pour lui dire : « Tu nous as broyé, mais nous avons compris ta leçon, nous avons expié, et désormais nous allons de nouveau nous soumettre à tes décrets … et gare à ceux qui refuseront de s’y plier ». Un dieu dont nous pourrions dire : « c’est toi le responsable, nous n’avons fait qu’obéir, nous étions les jouets de ta puissance. »Dieu s’engage dans notre histoire … par en dessousQui est le dieu de Jésus-Christ, si ça n’est pas le grand tireur de ficelles ? Entre la prophétie d’Ésaïe et la Pâque de Jésus-Christ, il se passe quelque chose d’inattendu et de tout à fait nouveau. Le dieu de Jésus-Christ n’est pas un père irresponsable qui, du haut de sa forteresse céleste, envoie son fils au charbon pour prendre les coups à sa place afin de réparer les erreurs de sa création. Dans le drame de la passion, de la croix et de la résurrection, Le Dieu, c’est Jésus-Christ lui-même. Face à la croix, nous sommes invités reconnaître et à confesser Jésus-Christ non seulement comme Christ et Seigneur, mais d’abord comme notre dieu. En d’autres termes : sur la croix, la divinité engage en Jésus-Christ tout son être et y met en jeu toute sa puissance, jusqu’à épuisement. Et, de façon absolument inattendue, la vie passe, triomphe tout de même, quoiqu’il arrive…Dans le drame de Pâques, tout se passe à l’horizontale : plus aucune divinité ne surplombe notre histoire humaine, il n’y a plus Dieu en haut, et nous en bas, il n’y a tout simplement plus ni haut ni bas. Dieu se fait totalement « avec nous » : Emmanuel. Entre la croix et le tombeau vide, en Jésus-Christ crucifié et ressuscité, l’épreuve de la mort, de la fatalité et du néant est affrontée et franchie. Depuis toujours et pour toujours, toute l’histoire de notre humanité et de notre univers s’en trouve soudain ouverte à l’aventure de la vie. Commander et servirNous ne sommes pas tous tentés par l’exercice du pouvoir. Certains ou certaines d’entre nous le sont. L’espèce humaine est une espèce animale à comportement social. Même dans nos pays démocratiques, il y aura toujours des individus animés du désir de dominer les autres ; et d’autres qui préfèreront éviter l’angoisse des décisions importantes.Nous avons longtemps cru que quelque chose de la divinité s’incarnait dans ces relations de soumission et de domination. Le mot d’origine grecque « hiérarchie » est un héritage de cette conception antique pour laquelle quelque chose de sacré s’exprime toujours dans l’exercice du pouvoir.Il n’est peut-être pas nécessaire de la prendre le renversement opéré par Jésus au pied de la lettre. Ou bien il faudrait soupçonner de vouloir prendre le pouvoir parmi nous toute personne qui se met exagérément au service des autres ; ce qui, avouons-le, n’est pas toujours faux, notamment dans nos communautés. Mais si nous ne voulons pas sacraliser les relations sociales, il nous faut considérer l’exercice du pouvoir, du commandement ou de l’autorité comme une fonction au service à la communauté. Celles et ceux qui souhaitent exercer ces fonctions sont invités à y entendre l’appel à d’une vocation qui comporte aussi ses servitudes.Mais les allusions de Jésus aux sacrements du Baptême et à la Cène sont assez claires. Dans le baptême, nous signifions que nous mourrons et ressuscitons avec Jésus-Christ, que nous sommes toutes et tous à ce titre enfants de Dieu et dans la Cène que nous formons corps avec Jésus dans l’histoire vivante sur les chemins de laquelle il nous entraine. Désormais, Dieu n’est plus au dessus de nous comme un Maître despotique auquel nous devrions nous sous-mettre : il est devant nous et nous invite à le suivre.Le dieu de Jésus-Christ intervient dans le courage qui nous manque, mais qui peut nous venir, de faire la part des choses entre les évènements extérieurs dont nous croyons avoir été les jouets, et nos erreurs de jugement et de discernement, nos paniques, nos « sauve qui peut » et nos résignations. Et c’est au fond des abîmes où, qu’on nous y ait poussé ou non, nous nous sommes nous-mêmes laissé sombrer, qu’il vient nous chercher. Non pas pour que nous consentions aux coups du destin, mais pour que saisissions la main de l’espérance, tendue en avant de nous. En première et en dernière instance, ce qui commande, c’est notre espérance commune : que, sur les voies de la justice où Jésus nous précède, aucune souffrance ne vienne nous broyer.

Textes : Psaume 150 Psaume 33 Ésaïe 53, v. 10 & 11 Hébreux 4, v. 14 à 16 Marc 10, v. 35 à 45Pasteur Richard BENNAHMIAS

PrédicationComment Dieu tire les ficelles de l’histoire ?Cruauté de l’Histoire ou de Dieu ?« Le SEIGNEUR a voulu le broyer par la souffrance » Comment peut-on entendre une chose pareille sans frissonner d’horreur !De qui et de quoi parle Ésaïe ? Est-ce vraiment d’un messie attendu, dont il dira ailleurs que l’empereur Cyrus remplit parfaitement ce rôle. Le personnage du serviteur souffrant n’est-il pas d’abord un personnage collectif ? Les restes de l’élite juive déportés à Babylone, par exemple. Nombreux sont en effet les passages du livre du prophète Ésaïe où ce dernier fait dire au Seigneur que, tel le forgeron qui broie le minerai pour en extraire le métal pur, il va broyer Israël pour le purger de ses iniquités. Au milieu des horreurs de l’histoire qu’ils ont à subir, Ésaïe suggère à ses auditeurs de garder confiance et espérance, pour résister et ne pas se laisser emporter par l’adversité. Ce qui se révèle au cours de cette période de l’Exil à Babylone, c’est que le Dieu d’Israël n’est pas un dieu parmi d’autres, mais qu’il est Le Dieu, le seul et l’unique, le maître de l’Histoire. Ésaïe a l’audace de placer cette découverte dans la bouche de Dieu lui-même « Je vous ai broyés… restez-moi fidèles … méditez sur nos malheurs … vous expierez ainsi vos iniquités passées et ma fidélité vous fera retrouver le chemin de la justice » Mais la violence de l’Histoire, quand bien même un dieu en serait le maître, est-elle imputable à ce dieu là ?Le dieu unique d’Ésaïe parle encore d’en haut, il surplombe l’Histoire, comme un marionnettiste les ficelles des pantins qu’il anime. Mais le héros qui, au nom de ce dieu, est censé conduire les fidèles sur la voie qui conduit de l’expiation à la justice retrouvée emprunte les chemins de l’abaissement et de l’humiliation.Cela pose une question : comment le dieu unique tire-t-il les ficelles de l’Histoire et de nos histoires.Le comportement du héros dans la lutteLe comportement du héros souffrant et humilié nous est pourtant familier. Qu’il s’appelle Superman, Indiana Johns, ou Harry Potter, les aventures d’un héros de film ou de roman seraient d’un mortel ennui s’il n’était confronté à des épreuves où il est toujours près de succomber et à des adversaires qui le poussent jusqu’aux limites extrêmes de sa résistance. Et c’est seulement après avoir frôlé la défaite ou la mort que, dans un sursaut proprement héroïque, il finit par terrasser son adversaire.Que dire des épreuves endurées par ce colonel de l’armée britannique prisonnier des japonais dans « Le pont de la Rivière Kwaï », ou encore par celui incarné par David Bowie dans « Furyo », un film qui raconte l’histoire de prisonniers anglais enfermés dans un camp japonais, toujours pendant la deuxième guerre mondiale. Il ne s’agit pas ici de héros solitaires ou dotés de pouvoirs extraordinaires. Pour les membres des groupes auxquels ils appartiennent, l’un et l’autre incarnent seulement un esprit de résistance et un refus viscéral de se résigner à la défaite. Et ils l’incarnent non seulement parce que c’est dans leur nature, ou pour donner l’exemple, ou pour épargner des souffrances à leurs subordonnés à leurs camarades, mais pour incarner cet esprit de résistance qui représente l’unique planche de salut offerte à leurs subordonnés ou leurs camarades : que le sentiment de leur défaite et les humiliations qu’ils subissent ne leur fassent jamais perdre l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et en quoi réside leur seule chance de salut. Le premier agit ainsi parce qu’il estime que cela fait partie de sa mission (pour ne pas dire sa vocation) de chef et l’autre conquiert par son attitude un statut de leader.Le modèle du héros chrétienQu’elle mette en scène des personnages réels ou fictifs, la trame dramatique de ces histoires est, volontairement ou non, inspirée par le « mystère » fondateur du Christianisme, à savoir le récit de la passion, de la croix et de la résurrection du Christ.Au travers des tribulations de leur héros, les deux derniers films auxquels nous avons fait allusion racontent la confrontation de deux cultures aux mentalités foncièrement différentes. Les gardiens japonais ne comprennent ni comment, ni pourquoi leurs prisonniers s’accrochent à la vie alors qu’ils ont perdu la face. De leur point de vue, la seule attitude honorable dans cette situation serait le suicide. Ils ne comprennent pas comment on peut rester un homme en dépit de toutes les humiliations subies.Le christianisme est peut-être en voie de disparition dans notre monde « occidental », mais il est encore profondément sous l’influence de ce « mystère fondateur » qui lui a permis à plusieurs reprises de traverser les crises auxquelles il a été confronté. Pour nous autres occidentaux, quoiqu’il arrive, rien n’est jamais perdu, il y a toujours quelque part, même dans les heures les plus sombre, une issue heureuse à espérer, à chercher et à trouver. Non pas tant la gloire arrogante du triomphe de la vie que, de tous les tombeaux où le destin et la fatalité prétendent l’enfermer, son échappée, le fait que la vie glisse, se dérobe, fuit, échappe à tout ce qui lui est opposé de barrière. La vie passe, triomphe tout de même, quoiqu’il arrive…Et si nous avons besoin de héros pour incarner cette espérance, le modèle du héros de nos histoires occidentales, c’est le Christ crucifié et ressuscité. Qu’il y soit ou non révélé comme tel n’a pas beaucoup d’importance.Pour une parcelle de pouvoirLes fils de Zébédé n’ont pas vraiment compris quel genre de héros était Jésus. Et si les autres disciples s’indignent contre eux, c’est que la même demande leur brûlait les lèvres, mais qu’ils n’ont pas osé. En échange de leur soumission au Maître, ils lui demandent une parcelle de sa puissance et de sa gloire, qui, ils en sont certains, ne manquera pas d’éclater bientôt au grand jour. Bientôt leur maître sera un de ces grands qui gouvernera par en haut, à l’image de ce dieu qui surplombe l’Histoire et dirige ses protagonistes comme un marionnettiste les ficelles des pantins qu’il anime. Et les fils de Zébédé se verraient bien dans le rôle d’assistants marionnettistes sous la direction du marionnettiste en chef. Les autres disciples n’ont pas à se faire de soucis : le théâtre de l’Histoire est assez grand pour 12 !Le dieu de Jésus-Christ est-il un marionnettiste. Sommes-nous capables d’imaginer d’autres dieux que des dieux qui tirent les ficelles de nos destins ? Qu’il soit unique ou non, qu’est-ce qu’un dieu pour nous ? Sinon une puissance, de quelque nom qu’on la nomme et quelques qualités qu’on lui prête, à laquelle nous sommes prêts à nous soumettre pour peu que cette soumission nous garantisse la réussite, le bonheur, un peu de pouvoir ou, si tout cela nous est refusé dans ce monde-ci, la même chose dans un autre monde. Un dieu vers lequel nous pourrions nous tourner quand tout va mal pour lui dire : « Tu nous as broyé, mais nous avons compris ta leçon, nous avons expié, et désormais nous allons de nouveau nous soumettre à tes décrets … et gare à ceux qui refuseront de s’y plier ». Un dieu dont nous pourrions dire : « c’est toi le responsable, nous n’avons fait qu’obéir, nous étions les jouets de ta puissance. »Dieu s’engage dans notre histoire … par en dessousQui est le dieu de Jésus-Christ, si ça n’est pas le grand tireur de ficelles ? Entre la prophétie d’Ésaïe et la Pâque de Jésus-Christ, il se passe quelque chose d’inattendu et de tout à fait nouveau. Le dieu de Jésus-Christ n’est pas un père irresponsable qui, du haut de sa forteresse céleste, envoie son fils au charbon pour prendre les coups à sa place afin de réparer les erreurs de sa création. Dans le drame de la passion, de la croix et de la résurrection, Le Dieu, c’est Jésus-Christ lui-même. Face à la croix, nous sommes invités reconnaître et à confesser Jésus-Christ non seulement comme Christ et Seigneur, mais d’abord comme notre dieu. En d’autres termes : sur la croix, la divinité engage en Jésus-Christ tout son être et y met en jeu toute sa puissance, jusqu’à épuisement. Et, de façon absolument inattendue, la vie passe, triomphe tout de même, quoiqu’il arrive…Dans le drame de Pâques, tout se passe à l’horizontale : plus aucune divinité ne surplombe notre histoire humaine, il n’y a plus Dieu en haut, et nous en bas, il n’y a tout simplement plus ni haut ni bas. Dieu se fait totalement « avec nous » : Emmanuel. Entre la croix et le tombeau vide, en Jésus-Christ crucifié et ressuscité, l’épreuve de la mort, de la fatalité et du néant est affrontée et franchie. Depuis toujours et pour toujours, toute l’histoire de notre humanité et de notre univers s’en trouve soudain ouverte à l’aventure de la vie. Commander et servirNous ne sommes pas tous tentés par l’exercice du pouvoir. Certains ou certaines d’entre nous le sont. L’espèce humaine est une espèce animale à comportement social. Même dans nos pays démocratiques, il y aura toujours des individus animés du désir de dominer les autres ; et d’autres qui préfèreront éviter l’angoisse des décisions importantes.Nous avons longtemps cru que quelque chose de la divinité s’incarnait dans ces relations de soumission et de domination. Le mot d’origine grecque « hiérarchie » est un héritage de cette conception antique pour laquelle quelque chose de sacré s’exprime toujours dans l’exercice du pouvoir.Il n’est peut-être pas nécessaire de la prendre le renversement opéré par Jésus au pied de la lettre. Ou bien il faudrait soupçonner de vouloir prendre le pouvoir parmi nous toute personne qui se met exagérément au service des autres ; ce qui, avouons-le, n’est pas toujours faux, notamment dans nos communautés. Mais si nous ne voulons pas sacraliser les relations sociales, il nous faut considérer l’exercice du pouvoir, du commandement ou de l’autorité comme une fonction au service à la communauté. Celles et ceux qui souhaitent exercer ces fonctions sont invités à y entendre l’appel à d’une vocation qui comporte aussi ses servitudes.Mais les allusions de Jésus aux sacrements du Baptême et à la Cène sont assez claires. Dans le baptême, nous signifions que nous mourrons et ressuscitons avec Jésus-Christ, que nous sommes toutes et tous à ce titre enfants de Dieu et dans la Cène que nous formons corps avec Jésus dans l’histoire vivante sur les chemins de laquelle il nous entraine. Désormais, Dieu n’est plus au dessus de nous comme un Maître despotique auquel nous devrions nous sous-mettre : il est devant nous et nous invite à le suivre.Le dieu de Jésus-Christ intervient dans le courage qui nous manque, mais qui peut nous venir, de faire la part des choses entre les évènements extérieurs dont nous croyons avoir été les jouets, et nos erreurs de jugement et de discernement, nos paniques, nos « sauve qui peut » et nos résignations. Et c’est au fond des abîmes où, qu’on nous y ait poussé ou non, nous nous sommes nous-mêmes laissé sombrer, qu’il vient nous chercher. Non pas pour que nous consentions aux coups du destin, mais pour que saisissions la main de l’espérance, tendue en avant de nous. En première et en dernière instance, ce qui commande, c’est notre espérance commune : que, sur les voies de la justice où Jésus nous précède, aucune souffrance ne vienne nous broyer.

Textes : Psaume 150 Psaume 33 Ésaïe 53, v. 10 & 11 Hébreux 4, v. 14 à 16 Marc 10, v. 35 à 45Pasteur Richard BENNAHMIAS

PrédicationComment Dieu tire les ficelles de l’histoire ?Cruauté de l’Histoire ou de Dieu ?« Le SEIGNEUR a voulu le broyer par la souffrance » Comment peut-on entendre une chose pareille sans frissonner d’horreur !De qui et de quoi parle Ésaïe ? Est-ce vraiment d’un messie attendu, dont il dira ailleurs que l’empereur Cyrus remplit parfaitement ce rôle. Le personnage du serviteur souffrant n’est-il pas d’abord un personnage collectif ? Les restes de l’élite juive déportés à Babylone, par exemple. Nombreux sont en effet les passages du livre du prophète Ésaïe où ce dernier fait dire au Seigneur que, tel le forgeron qui broie le minerai pour en extraire le métal pur, il va broyer Israël pour le purger de ses iniquités. Au milieu des horreurs de l’histoire qu’ils ont à subir, Ésaïe suggère à ses auditeurs de garder confiance et espérance, pour résister et ne pas se laisser emporter par l’adversité. Ce qui se révèle au cours de cette période de l’Exil à Babylone, c’est que le Dieu d’Israël n’est pas un dieu parmi d’autres, mais qu’il est Le Dieu, le seul et l’unique, le maître de l’Histoire. Ésaïe a l’audace de placer cette découverte dans la bouche de Dieu lui-même « Je vous ai broyés… restez-moi fidèles … méditez sur nos malheurs … vous expierez ainsi vos iniquités passées et ma fidélité vous fera retrouver le chemin de la justice » Mais la violence de l’Histoire, quand bien même un dieu en serait le maître, est-elle imputable à ce dieu là ?Le dieu unique d’Ésaïe parle encore d’en haut, il surplombe l’Histoire, comme un marionnettiste les ficelles des pantins qu’il anime. Mais le héros qui, au nom de ce dieu, est censé conduire les fidèles sur la voie qui conduit de l’expiation à la justice retrouvée emprunte les chemins de l’abaissement et de l’humiliation.Cela pose une question : comment le dieu unique tire-t-il les ficelles de l’Histoire et de nos histoires.Le comportement du héros dans la lutteLe comportement du héros souffrant et humilié nous est pourtant familier. Qu’il s’appelle Superman, Indiana Johns, ou Harry Potter, les aventures d’un héros de film ou de roman seraient d’un mortel ennui s’il n’était confronté à des épreuves où il est toujours près de succomber et à des adversaires qui le poussent jusqu’aux limites extrêmes de sa résistance. Et c’est seulement après avoir frôlé la défaite ou la mort que, dans un sursaut proprement héroïque, il finit par terrasser son adversaire.Que dire des épreuves endurées par ce colonel de l’armée britannique prisonnier des japonais dans « Le pont de la Rivière Kwaï », ou encore par celui incarné par David Bowie dans « Furyo », un film qui raconte l’histoire de prisonniers anglais enfermés dans un camp japonais, toujours pendant la deuxième guerre mondiale. Il ne s’agit pas ici de héros solitaires ou dotés de pouvoirs extraordinaires. Pour les membres des groupes auxquels ils appartiennent, l’un et l’autre incarnent seulement un esprit de résistance et un refus viscéral de se résigner à la défaite. Et ils l’incarnent non seulement parce que c’est dans leur nature, ou pour donner l’exemple, ou pour épargner des souffrances à leurs subordonnés à leurs camarades, mais pour incarner cet esprit de résistance qui représente l’unique planche de salut offerte à leurs subordonnés ou leurs camarades : que le sentiment de leur défaite et les humiliations qu’ils subissent ne leur fassent jamais perdre l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et en quoi réside leur seule chance de salut. Le premier agit ainsi parce qu’il estime que cela fait partie de sa mission (pour ne pas dire sa vocation) de chef et l’autre conquiert par son attitude un statut de leader.Le modèle du héros chrétienQu’elle mette en scène des personnages réels ou fictifs, la trame dramatique de ces histoires est, volontairement ou non, inspirée par le « mystère » fondateur du Christianisme, à savoir le récit de la passion, de la croix et de la résurrection du Christ.Au travers des tribulations de leur héros, les deux derniers films auxquels nous avons fait allusion racontent la confrontation de deux cultures aux mentalités foncièrement différentes. Les gardiens japonais ne comprennent ni comment, ni pourquoi leurs prisonniers s’accrochent à la vie alors qu’ils ont perdu la face. De leur point de vue, la seule attitude honorable dans cette situation serait le suicide. Ils ne comprennent pas comment on peut rester un homme en dépit de toutes les humiliations subies.Le christianisme est peut-être en voie de disparition dans notre monde « occidental », mais il est encore profondément sous l’influence de ce « mystère fondateur » qui lui a permis à plusieurs reprises de traverser les crises auxquelles il a été confronté. Pour nous autres occidentaux, quoiqu’il arrive, rien n’est jamais perdu, il y a toujours quelque part, même dans les heures les plus sombre, une issue heureuse à espérer, à chercher et à trouver. Non pas tant la gloire arrogante du triomphe de la vie que, de tous les tombeaux où le destin et la fatalité prétendent l’enfermer, son échappée, le fait que la vie glisse, se dérobe, fuit, échappe à tout ce qui lui est opposé de barrière. La vie passe, triomphe tout de même, quoiqu’il arrive…Et si nous avons besoin de héros pour incarner cette espérance, le modèle du héros de nos histoires occidentales, c’est le Christ crucifié et ressuscité. Qu’il y soit ou non révélé comme tel n’a pas beaucoup d’importance.Pour une parcelle de pouvoirLes fils de Zébédé n’ont pas vraiment compris quel genre de héros était Jésus. Et si les autres disciples s’indignent contre eux, c’est que la même demande leur brûlait les lèvres, mais qu’ils n’ont pas osé. En échange de leur soumission au Maître, ils lui demandent une parcelle de sa puissance et de sa gloire, qui, ils en sont certains, ne manquera pas d’éclater bientôt au grand jour. Bientôt leur maître sera un de ces grands qui gouvernera par en haut, à l’image de ce dieu qui surplombe l’Histoire et dirige ses protagonistes comme un marionnettiste les ficelles des pantins qu’il anime. Et les fils de Zébédé se verraient bien dans le rôle d’assistants marionnettistes sous la direction du marionnettiste en chef. Les autres disciples n’ont pas à se faire de soucis : le théâtre de l’Histoire est assez grand pour 12 !Le dieu de Jésus-Christ est-il un marionnettiste. Sommes-nous capables d’imaginer d’autres dieux que des dieux qui tirent les ficelles de nos destins ? Qu’il soit unique ou non, qu’est-ce qu’un dieu pour nous ? Sinon une puissance, de quelque nom qu’on la nomme et quelques qualités qu’on lui prête, à laquelle nous sommes prêts à nous soumettre pour peu que cette soumission nous garantisse la réussite, le bonheur, un peu de pouvoir ou, si tout cela nous est refusé dans ce monde-ci, la même chose dans un autre monde. Un dieu vers lequel nous pourrions nous tourner quand tout va mal pour lui dire : « Tu nous as broyé, mais nous avons compris ta leçon, nous avons expié, et désormais nous allons de nouveau nous soumettre à tes décrets … et gare à ceux qui refuseront de s’y plier ». Un dieu dont nous pourrions dire : « c’est toi le responsable, nous n’avons fait qu’obéir, nous étions les jouets de ta puissance. »Dieu s’engage dans notre histoire … par en dessousQui est le dieu de Jésus-Christ, si ça n’est pas le grand tireur de ficelles ? Entre la prophétie d’Ésaïe et la Pâque de Jésus-Christ, il se passe quelque chose d’inattendu et de tout à fait nouveau. Le dieu de Jésus-Christ n’est pas un père irresponsable qui, du haut de sa forteresse céleste, envoie son fils au charbon pour prendre les coups à sa place afin de réparer les erreurs de sa création. Dans le drame de la passion, de la croix et de la résurrection, Le Dieu, c’est Jésus-Christ lui-même. Face à la croix, nous sommes invités reconnaître et à confesser Jésus-Christ non seulement comme Christ et Seigneur, mais d’abord comme notre dieu. En d’autres termes : sur la croix, la divinité engage en Jésus-Christ tout son être et y met en jeu toute sa puissance, jusqu’à épuisement. Et, de façon absolument inattendue, la vie passe, triomphe tout de même, quoiqu’il arrive…Dans le drame de Pâques, tout se passe à l’horizontale : plus aucune divinité ne surplombe notre histoire humaine, il n’y a plus Dieu en haut, et nous en bas, il n’y a tout simplement plus ni haut ni bas. Dieu se fait totalement « avec nous » : Emmanuel. Entre la croix et le tombeau vide, en Jésus-Christ crucifié et ressuscité, l’épreuve de la mort, de la fatalité et du néant est affrontée et franchie. Depuis toujours et pour toujours, toute l’histoire de notre humanité et de notre univers s’en trouve soudain ouverte à l’aventure de la vie. Commander et servirNous ne sommes pas tous tentés par l’exercice du pouvoir. Certains ou certaines d’entre nous le sont. L’espèce humaine est une espèce animale à comportement social. Même dans nos pays démocratiques, il y aura toujours des individus animés du désir de dominer les autres ; et d’autres qui préfèreront éviter l’angoisse des décisions importantes.Nous avons longtemps cru que quelque chose de la divinité s’incarnait dans ces relations de soumission et de domination. Le mot d’origine grecque « hiérarchie » est un héritage de cette conception antique pour laquelle quelque chose de sacré s’exprime toujours dans l’exercice du pouvoir.Il n’est peut-être pas nécessaire de la prendre le renversement opéré par Jésus au pied de la lettre. Ou bien il faudrait soupçonner de vouloir prendre le pouvoir parmi nous toute personne qui se met exagérément au service des autres ; ce qui, avouons-le, n’est pas toujours faux, notamment dans nos communautés. Mais si nous ne voulons pas sacraliser les relations sociales, il nous faut considérer l’exercice du pouvoir, du commandement ou de l’autorité comme une fonction au service à la communauté. Celles et ceux qui souhaitent exercer ces fonctions sont invités à y entendre l’appel à d’une vocation qui comporte aussi ses servitudes.Mais les allusions de Jésus aux sacrements du Baptême et à la Cène sont assez claires. Dans le baptême, nous signifions que nous mourrons et ressuscitons avec Jésus-Christ, que nous sommes toutes et tous à ce titre enfants de Dieu et dans la Cène que nous formons corps avec Jésus dans l’histoire vivante sur les chemins de laquelle il nous entraine. Désormais, Dieu n’est plus au dessus de nous comme un Maître despotique auquel nous devrions nous sous-mettre : il est devant nous et nous invite à le suivre.Le dieu de Jésus-Christ intervient dans le courage qui nous manque, mais qui peut nous venir, de faire la part des choses entre les évènements extérieurs dont nous croyons avoir été les jouets, et nos erreurs de jugement et de discernement, nos paniques, nos « sauve qui peut » et nos résignations. Et c’est au fond des abîmes où, qu’on nous y ait poussé ou non, nous nous sommes nous-mêmes laissé sombrer, qu’il vient nous chercher. Non pas pour que nous consentions aux coups du destin, mais pour que saisissions la main de l’espérance, tendue en avant de nous. En première et en dernière instance, ce qui commande, c’est notre espérance commune : que, sur les voies de la justice où Jésus nous précède, aucune souffrance ne vienne nous broyer.