Textes : 2 Chroniques 10, v. 1 à 19 Psaume 137 2 Chroniques 36, v. 14 à 23 Éphésiens 2, v. 4 à 10 Jean 3, v. 14 à 21Pasteur Caspar Visser ‘t HooftTélécharger le document au complet
4ème Dimanche de Carême
1 Analyse du texte (trad. TOB) Le passage fait partie de « l’entretien avec Nicodème » (3, 1-21). Toutefois, là où jusqu’au v. 10 cet entretien se présente sous la forme d’un jeu de questions-réponses serrées, à partir du v. 11 ce dialogue devient monologue. Le discours de Jésus devient ainsi plus général. Ce discours (vs. 11-21), qui a comme point de départ l’incompréhension de Nicodème, semble s’articuler autour des vs. 16-17. Ces versets sont « préparés » par des allusions à l’élévation du Christ et par une référence à la tension monter-descendre (vs. 13-15) – thèmes supposés dans les vs. 16-17. Dans la suite, c’est notamment la notion de l’offre de la vie éternelle, également présente dans les vs. 16-17, qui est retenue, pour aboutir au thème du jugement (au travers l’image lumière-ténèbres). 2 Au fil du texte V. 14 – Jésus fait référence à un épisode de la traversée d’Israël dans le désert, racontée dans Nb. 21, 4-9. Le peuple se plaint de n’avoir ni pain ni eau – bien que Dieu fasse quotidiennement descendre la manne du ciel, et qu’il ne lui ait jamais réellement manqué d’eau, même s’il fallait des miracles pour cela. Dieu punit le peuple à cause de ses plaintes en envoyant des serpents venimeux qui mordent le peuple et en font mourir un grand nombre. Le peuple est sauvé grâce à une intercession de Moïse, à laquelle Dieu répond en lui ordonnant de fixer un serpent d’airain sur une hampe. Ceux qui regardent vers ce signe seront guéris. Le passage en Nb. dit que Moïse « fixa » le serpent d’airain sur une hampe. Dans Jean 3, 14 il est question de l’élévation du serpent. Cet écart par rapport au récit original s’explique par le thème de Jean 3, qui est l’élévation du Christ. V. 15 – L’élévation du Christ est comparée à l’élévation du serpent. Il est clair que Jean fait référence à la croix. Comme le serpent se trouva fixé sur une hampe que tout le peuple pouvait voir (et pour être vu, il fallait que cette hampe soit élevée), ainsi le Christ était attaché sur une croix. Dans la théologie de Jean la croix n’est pas placée en contraste radical avec le thème de la gloire ; la croix y est plutôt considérée comme une étape qui mène à la gloire, de sorte qu’on puisse presque confondre croix et gloire (ou élévation) du Christ. V. 16-17 – « Tout homme » qui croit, a la vie éternelle (v. 16). Le fils « envoyé dans le monde » (V. 17). Jean affirme l’universalité du salut. V. 18 – croire « au nom du Fils unique de Dieu » est une locution hébraïque. Le « nom » représente la personne. Croire au nom du Fils, c’est croire au Fils. Vs. 19-21 – Jean reprend l’image dont il s’était déjà servi dans le prologue de son Évangile (1, 5). La lumière désigne l’intervention de Dieu en Jésus-Christ – lumière comme source de vie et comme vérité qui démasque. Les ténèbres caractérisent le monde où règne le mal et le mensonge. Les ténèbres sont l’élément du mal puisqu’elles le cachent – ainsi le mal peut se donner des fausses apparences. Personne n’y voit clair. En Christ le mal est démasqué. « Faire la vérité », c’est selon la pensée biblique obéir à la Parole de Dieu. 3 Commentaire Un esprit cartésien dira que la succession des images dans le passage manque de cohérence. Au travers de ces images qui se superposent le lecteur semble « glisser » d’une idée à l’autre. La comparaison entre le serpent d’airain fixé sur la hampe et l’élévation du Christ sur la croix semble déjà assez audacieuse. Dans le premier cas il suffisait de « regarder » le serpent pour avoir la vie sauve, dans le deuxième cas il s’agit de « croire ». Là où dans la première partie du passage l’évangéliste insiste sur l’effet salutaire de l’élévation du Christ (vs. 14–17), dans la deuxième partie (18-21) l’argumentation change quelque peu d’orientation en abordant le thème du jugement. Ceci est rendu possible par l’opposition salut-jugement qu’on retrouve dans le v. 17. Le jugement est présenté comme s’accomplissant d’ores et déjà pour ceux qui ne croient pas au Christ. Ce refus de croire est comparé à une préférence pour l’obscurité. En effet, les œuvres de ceux qui obéissent à Dieu supportent la pleine lumière de la vérité. Par contre, ceux qui commettent le mal ont besoin des ténèbres. Car dans l’obscurité nul ne fera la différence entre le masque et ce qui s’y trouve derrière. 4 Pistes pour la prédicationUne piste serait d’aborder le thème de « l’auto-jugement ». Selon Jean 3, 18 le jugement à l’égard de ceux qui ne croient pas au Christ consiste simplement dans le fait qu’ils ne croient pas au Christ. Le jugement ne semble rien y ajouter. Refuser la lumière quand elle nous parvient, à savoir en Christ, descendu dans le monde, c’est simplement demeurer dans l’état d’obscurité qui est celui qui caractérise le monde. Comme le passage renvoie au récit des serpents dans le désert (Nb. 21, 4-9), on pourrait amplifier ce thème de « l’auto-jugement » en se posant la question si ces serpents venimeux ne seraient pas simplement l’image de nos propres penchants : manque de confiance, esprit de plainte, nostalgie mensongère, plutôt que d’être une punition « supplémentaire ». Notre punition-jugement, c’est de manquer de confiance et de broyer du noir. Nous portons nos serpents venimeux en nous-mêmes…Une autre piste serait de jouer sur le thème lumière-obscurité, en créant un réseau de références qui pourrait consister en Jean 1, 5 ; 3, 14-21 et Eph. 5, 6-20.
« Et comme Moise a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit ait en lui la vie éternelle ». Ces paroles que Jésus-Christ a prononcées – lui, qui est « le Fils de l’homme », font référence à un passage dans le livre des Nombres, à savoir Nombres 21, 4-9. Un passage bien difficile, voire choquant ? – Qui nous présente un Dieu qui, exaspéré par les éternelles lamentations, les plaintes incessantes de son peuple, décide de le punir en « faisant mourir un grand nombre de gens en Israël » – comme il est écrit ? Que Dieu soit exaspéré semble évident – on y reviendra. Qu’il punit et qu’il fasse mourir, voilà une affirmation qui nécessite d’être nuancée. Car au fond, ces serpents brûlants qui mordent, ils ne font que mordre des personnes qui se disent déjà mourants : « Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Égypte ? Pour que nous mourions dans le désert ! » – disent-ils, pour ensuite se plaindre de la nourriture que Dieu leur fait manger. Vous voyez ? Ces serpents brûlants ne font que rendre visibles et concrets ce que les gens disent déjà être : morts ou en train de mourir. Donc, ne vaut-il pas mieux dire qu’en réalité les gens sont en train de se mordre eux-mêmes ? – en se plaignant, en se lamentant, en se disant morts ou sur le point de mourir ? Et que les serpents n’en sont que l’expression symbolique ? N’a-t-on pas l’impression que dans beaucoup de passages de l’Ancien Testament l’on attribue à Dieu ce qui en réalité serait plutôt à attribuer aux hommes eux-mêmes. Oui, les auteurs des ces passages le savaient bien. Pourtant, quand ils parlent d’un Dieu qui fait mourir, ils n’ont pas complètement tort pour autant. Mais il ne s’agit pas là d’un Dieu imprévisible, cruel, qui donne et reprend la vie à sa guise. Ni non plus d’un Dieu mesquin, comptable, qui récompense et punit selon des prétendus mérites. Mais d’un Dieu créateur qui nous a ainsi créés que si nous nous détournons de Lui – eh bien, nous dépérissons, comme des fleurs qui un beau jour décideraient de se passer du soleil. Voilà ce qui est tout de même plus grand ! En réalité, nous nous faisons mourir nous-mêmes en nous détournant de Dieu, qui est notre lumière et notre salut. Supposons que je construise un petit objet et que, voilà, je donne cet objet à un enfant pour qu’il puisse jouer avec. « Attention », lui dis-je : « si tu tapes trop fort dessus, l’objet se cassera ». L’enfant tape trop fort dessus, l’objet se casse. Maintenant à qui la faute ? A l’enfant surtout. Il suffisait de ne pas taper. Et à moi – si vous voulez. C’est moi qui ai construit l’objet si fragile. Si je m’étais servi d’une matière plus solide l’objet ne se serait peut-être pas cassé. Dieu nous a créés ainsi que si nous nous détournons de Lui nous dépérissons. Si nous nous détournons de Lui nous nous faisons mourir nous-mêmes. A qui la faute ? Au deux ? A nous, et à Dieu. Pourtant, si Dieu ne nous avait pas créé ainsi, c’est-à-dire avec la possibilité de nous détourner de Lui – qu’en serait-il de notre liberté, de notre responsabilité qui est notre dignité… ? Dieu avait de quoi être exaspéré ! Il a sauvé un peuple de l’esclavage qui est un état de non-vie, et cela n’a pas été pour Lui une mince affaire ! Vous connaissez l’histoire : l’Égypte, le pharaon, Moïse, le passage de la mer rouge et caetera. Et Il est en train de mener ce peuple vers une terre où il pourra vivre librement. Mais sitôt quitté l’Égypte, la misère de l’esclavage, la non-vie – voilà que ce peuple commence à traîner les pieds, à se plaindre, à se plaindre des inconvénients d’un voyage au travers du désert, en prétendant même qu’en Égypte on vivait mieux ! Eh oui, le passé, même le pire des passés, c’est toujours mieux qu’aujourd’hui… Oui, à se plaindre, à murmurer (mot fréquent dans le livre des Nombres), à se disputer, à critiquer celui que Dieu a désigné comme chef du peuple : Moïse – à contester son autorité. Enfin bref, ce n’est que trop humain : on demande aux gens un minimum de patience, d’endurance, endurance pourtant nourrie par l’espérance, et déjà ils commencent à faire des histoires. Et pourtant l’accomplissement de la promesse – la belle terre promise, est tout proche. Nous sommes à la fin du parcours dans le désert… Chers amis, ne croyez-vous pas que Dieu a de quoi être exaspéré face à son Église ? On peut penser ici à l’histoire de l’Église avec ses nombreuses pages noires. On peut penser aux divisions au sein de l’Église universelle, certainement difficilement supportables aux yeux de Dieu. On peut penser aussi tout simplement à nous-mêmes. Car est-ce que cela ne nous arrive pas aussi de temps en temps, et même assez souvent, de nous plaindre de l’Église, parce qu’elle ne serait pas assez ceci, ou parce qu’elle est trop cela ? De nous plaindre de notre Église en la comparant à l’Église de nos rêves et de nos nostalgies – ailleurs c’est mieux, autrefois c’était mieux…. Fi de ces rêves, qui risquent de nous rendre durs et de nous ériger en juges face à notre propre Église ! Se plaindre de l’Église, c’est se plaindre du Christ, qui est le chef de l’Église, et donc de Dieu. Lui nous a appelés dans cette Église-ci – et non pas dans une autre. N’oublions jamais cela ! Et toutes ces belles Églises de nos rêves, ce ne sont que des rêves. Se plaindre, se lamenter, juger, se juger les uns les autres, se critiquer mutuellement, s’engager dans des petites rivalités – et nous voilà sur une pente, une pente qui va vers le bas… Où grouillent les serpents… Oui, les serpents sont toujours là. Ils nous mordent toujours. Et font mourir. Ce serait Dieu qui nous les envoie ? Non ! Cela vient de nous-mêmes – cela grouille au plus profond de nous-mêmes. C’est qu’ils brûlent, ces sales bêtes, sinon on ne les distinguerait pas dans la profonde obscurité de nos fors intérieurs. Là où tout est ténèbres. Sinon on ne les distinguerait pas dans l’obscurité qui enveloppe notre bas-monde. Ces serpents s’appellent convoitise, rancœur, soif de puissance, impatience, nostalgie – c’est-à-dire haine du temps présent… Oui, voilà notre monde – le meilleur des mondes possibles ? Quand une petite partie du monde se gave, se bourre, se goinfre à en devenir malade – réellement malade, comme le peuple Israël quand il se gavait de cailles jusqu’à ce que ces bêtes leur sortent du nez (autre épisode de cette triste traversée du désert que nous raconte le livre de Nombres), là où une autre partie de l’humanité meurt de faim ? Et quand la richesse des uns se fonde sur toutes sortes d’oppressions qu’on fait subir aux autres ? Si ce n’est par le simple biais de la vente d’armes… Notre monde, monde où les hommes préfèrent l’obscurité à la clarté – car dans l’obscurité, on y voit pas trop clair. Et comme on n’y voit pas trop clair, on peut s’imaginer que l’on ne voit pas du tout : que nous vivons dans un pays dans lequel la vente d’armes augmente chaque année, par exemple – oui, a augmenté de 60% en 2004, selon le journal Le Monde… Notre monde, où les hommes préfèrent les ténèbres, car ce serait vraiment trop insupportable de voir toutes nos magouilles, toutes nos lâchetés, fruits de nos convoitises et de nos égoïsmes – en somme, tout le mal que nous faisons tout-à-coup mis en pleine lumière, et ainsi démasqué ! Eh bien, voilà notre jugement – Dieu n’a rien à y ajouter : c’est de demeurer dans cette obscurité. Où ça grouille de serpents – qui mordent, et qui font mourir. Voilà notre jugement. Chers amis, qui pourra supporter cette lumière qui transperce, qui démasque et qui met tout à nu ? Brrr – dégoûtant, ce tas de serpents ! C’est là qu’on les voit, tout à-coup, trop nettement, beaucoup trop nettement. Notre première réaction est de vite-vite éteindre la lumière, brrr…. ! Mais non, cette fois-ci nous pouvons supporter cette grande lumière qui démasque et met à nu, car nous avons entendu cette bonne nouvelle et nous y croyons : ces serpents ne nous mordront plus. Le signe ? Le voilà, le serpent fixé sur une hampe. Serpent, symbole du mal, symbole d’Égypte (vous vous rappelez, le serpent attaché au chapeau du pharaon…), et qui dit Égypte dit esclavage, et qui dit esclavage dit non-vie, donc mort – le voilà fixé sur une hampe, bêtement. Il ne peut plus nous mordre Oui, il suffit de regarder vers le haut, pour le savoir : nous sommes sauvés. Le Christ, là haut sur la croix, c’est le Christ élevé, le Christ de la gloire, lumière venue dans le monde non pas pour juger, mais pour sauver le monde, en nous montrant les chemins de la vérité – chemins de lumière, et en nous ouvrant les portes de la vie éternelle. Qu’avons-nous encore besoin de l’obscurité, des ténèbres pour y cacher nos serpents ? Ces serpents, ils ne sont plus – ou s’ils sont quelque part, les voilà fixés sur la hampe, vaincus. Non, nous pouvons maintenant marcher dans la lumière, pleins de confiance, en toute vérité d’être, la tête relevée, les yeux tournés vers celui-là même, là-haut, qui est la victoire sur la mort et les forces de la mort : Jésus-Christ, notre Sauveur. Et que ceci soit manifeste par nos actes, par nos paroles, par notre amour et par notre souci de la justice. Amen.