Textes : Ps 24 Matthieu 20, v. 29 à 21, v. 1 à 11 Philippiens 2, v. 6 à 11 Ésaïe 50, v. 4 à 7Pasteur Vincent Nêmes-PeyronTélécharger le document au complet
Qu’attendons-nous du Christ, pour notre vie, pour notre monde ? En quoi est-il le Messie ? Jérusalem est en fête. Dans l’effervescence, elle se prépare à fêter la Pâque, la sortie d’Égypte, le don de la Loi, la liberté retrouvée. Des cohortes de pèlerins se sont mises en route vers la Capitale. Cette agitation est amplifiée par des rumeurs : le Messie, celui que les prophètes Jérémie, Michée, Ézéchiel ou Zacharie annonçaient, est là, enfin. La grande attente prend fin, Dieu va établir son Règne. Il ne peut en être autrement car le mal est à son apogée. Les Romains, non contents d’avoir la mainmise politique et économique sur Israël, commencent à faire de leurs empereurs de véritables dieux, des rivaux de l’Eternel. Or, selon les prophètes, c’est au moment où le péché et l’idolâtrie auront étendu leur emprise que le Messie viendra. Après tout, c’est au cœur de la nuit que s’annonce l’aurore. Oui, le Messie va venir. Et ce Messie, beaucoup croient qu’il s’agit de Jésus de Nazareth. En effet, Jésus a accompli des miracles qui semblent autant de signes de l’imminence des temps messianiques : il a rendu la vue à des aveugles, fait marcher des paralytiques, expulsé des démons. De surcroît, Jésus parle et agit avec une autorité sans pareille ; il réinterprète la Loi de Dieu et manifeste une liberté souveraine vis-à-vis des rites, des sacrifices et même du Temple. Comme s’il connaissait intimement la volonté de l’Eternel. Comme s’il n’avait besoin d’aucune médiation pour entrer en communion avec lui. Comme s’il était son Fils unique. Comme s’il était le Messie. Si la foule est unanime dans son impatience messianique, elle est divisée quant au contenu de son attente : si le Messie vient, si Jésus est bien le Messie, que fera-t-il ? Comment établira-t-il le Règne de Dieu ? Va-t-il purifier les cœurs ou juger et condamner ? Va-t-il établir une paix universelle ou écraser l’ennemi romain ? Va-t-il n’accueillir qu’Israël ou l’ensemble des peuples ? Au sein de la population, les débats sont d’autant plus vifs que l’Écriture semble autoriser ces différentes attentes. A partir du Psaume 22, Israël peut espérer un libérateur nationaliste : « Toi, Mon Fils demande-moi et je te donne les nations en héritage et tu les écraseras avec un sceptre de fer ; tu les mettras en pièce ». D’après Ésaïe 2, au contraire, les temps messianiques se conjuguent avec la paix universelle : « De leurs lances, il fera des serpes et de leurs épées des socs. On ne fera plus la guerre nation contre nation. On n’apprendra plus à faire la guerre entre nations. Plus personne n’aura de raison d’avoir peur ». Certaines représentations sont contemporaines de Jésus. Autour de Qumrân, le courant essénien croit que le Messie mènera le combat ultime. Avec les « fils de lumière », il remportera la victoire sur les impies et les impurs, mais aussi sur l’Adversaire, Bélial, le roi des « fils des ténèbres ». Un juge, un libérateur, un artisan de paix, un combattant de la fin de temps : qui est vraiment le Messie et que peut-on espérer de sa venue ? Alors qu’il va entrer à Jérusalem, Jésus est conscient de ces impatiences contradictoires. Il sait que, malgré son enseignement et ses actes, les disciples, eux-mêmes, n’ont pas vraiment compris qui il est et ce qui va lui arriver. Alors, tout au long de son chemin vers Jérusalem, Jésus va les aider à faire le tri et à comprendre ce qu’il est venu faire. Il va ainsi donner à la foule, des indices, des signes, comme ces cailloux que l’on laisse au milieu du chemin pour indiquer la direction. Examinons-les ensemble. Premier signe : Jésus entre chez Zachée. Sur la route de Jérusalem, Jésus traverse la ville de Jéricho avec ses disciples. Déjà, une foule nombreuse est massée pour l’acclamer. Il y a sûrement parmi eux ces gens simples que Jésus aime tant. Pourtant, le Christ choisit d’aller chez Zachée, Zachée le pécheur, le collecteur d’impôts, celui qui collabore avec les Romains. Jésus a déjà annoncé qu’il ne venait pas pour juger, trier et condamner, mais pour purifier, guérir et sauver. Ici, logiquement, il se tourne prioritairement vers celui qui a le plus besoin de purification, de guérison et de salut. Le Messie vient pour les pécheurs les plus endurcis et les arrivistes, les médiocres et ceux qui se croient exclus de la communion du Royaume. Il vient peut-être pour toi, pour moi. Deuxième indice : la réponse de Zachée. Au terme de sa rencontre avec Jésus, Zachée change son comportement : « Seigneur, si j’ai fait du tort à quelqu’un, alors je lui rends le quadruple ». Jésus n’est pas seulement venu chez Zachée pour l’acquitter ou l’assurer de l’amour de Dieu. Il est venu, au nom de son Père, pour que la vie de Zachée change, pour que son comportement évolue et entre dans la sphère du Royaume de Dieu. De même, Jésus vient à nous, vient en nous, non seulement pour nous dire l’amour et la tendresse de Dieu mais, également, pour toucher notre cœur et notre intelligence, pour nous « retourner ». C’est cela « naître de nouveau ». C’est cela revêtir les « habits de la noce ». Troisième indice : après Jéricho, Jésus entre dans la ville, assis sur un ânon. En le voyant entrer ainsi dans la capitale, la foule ne peut que penser au livre de Zacharie : « Tressaille d’allégresse, fille de Sion. Voici que ton roi s’avance vers toi, il est juste et victorieux, il est humble de cœur. Il vient, monté sur un ânon, petit d’une ânesse. Il supprimera les chars de guerre … il brisera l’arc des combats et prononcera la paix pour les nations ». En choisissant cette monture, Jésus envoie donc un message à la foule : il est bien le Messie ; il est bien celui qui était attendu, depuis si longtemps ; mais il ne sera pas le Messie vengeur, le destructeur des impies. Jésus est le Messie en ce qu’il est doux et humble de cœur, artisan de paix. Jésus est le Messie en ce qu’il refuse la toute puissance. Jésus est un Messie qui va mourir sur une croix avant d’être ressuscité. La foule déchiffre-t-elle ces indices ? Le récit ne tranche pas cette question. Nous ne savons pas si la foule acclame Jésus en connaissance de cause ou parce qu’elle attend de lui autre chose que ce qu’il vient lui apporter. La suite de l’Évangile incline néanmoins à privilégier le second terme. Si une foule est assemblée pour acclamer Jésus et lui offrir son premier et dernier « bain de foule », elle l’aura abandonné au jardin de Gethsémané. Là, il ne restera que le dernier cercle, les fidèles, les onze. Et au moment de l’épreuve ultime, au pied de la croix, trois femmes seulement accompagneront Jésus. La fête des rameaux repose donc largement sur un malentendu. Alors, pourquoi Jésus accepte-t-il cet accueil ? La foule se trompe probablement sur Jésus. Elle persiste à croire que Jésus vient la libérer de Romains ou des pécheurs. Elle ignore avoir d’abord besoin de libération intérieure, de libération spirituelle. Seulement, si la foule se trompe sur Jésus, elle le fait avec ferveur et sincérité. C’est pourquoi Jésus est ému par cette foule. Il comprend ses attentes. Il sait qu’il ne chassera pas les Romains, qu’il la décevra et que cet enthousiasme ne sera qu’un « feu de paille » mais, malgré tout, il se sent proche de ce peuple et de son allégresse. S’il ne communiait qu’avec des gens aux espérances claires, en quoi serait-il le sauveur des égarés ? Par là, Jésus manifeste son amour pour les « petits de la foi ». Bien sûr, il a enseigné cette foule, il lui a annoncé le Royaume de Dieu ; il a utilisé tous les moyens pédagogiques à sa disposition : l’enseignement magistral, les signes, les références à l’Écriture, les paraboles. Il a voulu permettre au plus grand nombre de comprendre qui il est vraiment et ce qu’il est venu faire. Mais, quoi qu’il en soit, Jésus reste avec cette foule et son enthousiasme ambigu. J’y vois là une invitation pour nos Églises : prêcher, catéchiser, faire connaître et expliquer la bonne nouvelle mais aussi accueillir ceux dont la ferveur religieuse est encore ambiguë, mélangée. Actuellement, des personnes viennent à nous, en quête de foi. Parfois même, elles se livrent à un bricolage spirituel déconcertant, mélangeant allégrement résurrection et réincarnation, Saint Esprit et spiritisme. Bien sûr, il est de notre responsabilité de les enseigner et de les guider vers une foi plus conforme à l’Évangile mais avec le même respect que Jésus envers la foule. Nous serons fidèles à Jésus si nous les accueillons et accompagnons, quelle que soit leur spiritualité initiale. Il est temps de conclure. Par son entrée dans Jérusalem, Jésus nous dit à nouveau qu’il est le Messie en ce qu’il vient étendre le Règne de Dieu sur les égarés, les pécheurs et les indignes. Aucun homme n’est exclu a priori du festin du Royaume. Tout homme doit s’y préparer et accepter d’être renouvelé par lui, pour naître, enfin, à une vraie vie. Amen ! Remarque Le récit matthéen des rameaux est émaillé de références aux annonces prophétiques. J’ai choisi de les expliciter dans la prédication. Car, c’est ainsi que je comprends ce texte, Jésus veut, par son entrée dans Jérusalem, aider la foule à trier parmi les nombreuses attentes messianiques. La question est moins de savoir s’il est le Messie que de comprendre quel Messie Dieu lui a donné d’être. Il ne sera pas un roi charismatique, établissant le Royaume sur Terre en chassant les Romains ou en purifiant le temple. Il sera celui par qui l’alliance est offerte à toute l’humanité et ouvre à la vie éternelle.