Textes : Luc 9, v. 18 à 36 Psaume 91 Deutéronome 26, v. 4 à 10 Romains 10, v. 8 à 13 Luc 4, v. 1 à 13Pasteur Jean-Pierre SternbergerTélécharger le document complet
Notes bibliques Le texte de Luc 4,1-13 a été choisi pour l’entrée du carême. Ce nom vient de l’expression latin quadragesima, « le quarantième » puisque cette période comprend quarante jours travailles (les dimanches ne faisant pas partie du carême). A l’origine, vraisemblablement, le carême correspondait à la période durant laquelle les catéchumènes qui allaient être baptisés dans la nuit pascale se préparaient à ce sacrement. On peut penser que cette préparation spirituelle se faisait dans le jeûne et la prière. Il se trouve que cette période recouvre également la fin de l’hiver, époque où les réserves de nourritures s’épuisent sans encore être renouvelées par l’apport des nouvelles récoltes. Le jeûne du carême pourrait ainsi correspondre à une nécessité économique. Il sera rompu avec d’autant plus d’enthousiasme à Pâques qu’il aura été vécu dans toute sa rigueur. Le recours au texte de la tentation de Jésus est seulement dû à la mention du jeûne et des 40 jours. Ce récit en effet n’a aucun rapport avec Pâques. S’il faut lui trouver une signification dans la Bible, il serait à chercher du côté de la traversée du désert pendant 40 ans par les Hébreux et plus exactement en relation avec les 40 jours passés sans boire ni manger par Moïse monté sur le mont Sinaï. Aucun texte n’explicite le sens du chiffre 40. On peut cependant y voir soit l’allusion au renouvellement des générations (l’homme de 40 ans peut être grand père, c’est à dire voir son fils de 20 ans devenir père à son tour) soit, c’est l’hypothèse que je privilégierai une allusion aux 40 semaines de la grossesse humaine. De fait, le déluge de 40 jours est gros d’un monde nouveau quand il faut 40 ans de désert pour voir naître, au travers de multiples épreuves et tentations, le peuple d’Israël. Les tentations de Jésus correspondent assez bien à cette période de l’histoire, quand, après avoir traversé les eaux du baptême (comme Israël a traversé la mer des Joncs), il est conduit au désert. C’est pourquoi, plutôt que de lire le texte de Deutéronome 26 (il faudrait lire les v.1 à 13 pour avoir une péricope qui se tient), je suggère de lire Deutéronome 9,8-18 où il est question, comme dans l’épisode de la tentation de Jésus d’un jeûne de quarante jours et quarante nuits. Quelques remarques sur Luc 4,1-13 On retrouve dans les v. 1 et 2 quelques éléments qui peuvent provenir de l’évangile de Marc : Jésus est conduit au désert où il est tenté par le diable (Satan dans Marc) pendant 40 jours. Le reste du récit que l’on retrouve grosso modo dans l’évangile de Matthieu est souvent attribué à la source Q commune aux deux évangiles. Par rapport à Matthieu, Luc inverse les deuxième et troisième tentations (ou inversement) : la progression du récit va, dans Matthieu du plus bas au plus haut (désert, sommet du temple, haute montagne), elle va dans l’évangile de Luc vers le plus saint (désert = lieu des démons, « plus haut“, temple). L’histoire en elle-même se présente comme une joute verbale. Le diable, c’est à dire en grec l’adversaire, celui qui jette des projectiles en travers, celui qui vous met des bâtons dans les roues, propose à Jésus d’accomplir des performances dont Jésus tirerait profit (les pierres changées en pains) ou que lui, le diable récompenserait. Jésus chaque fois lui répond en citant la Thora surtout le Deutéronome (8,3; 6,13.16). A la troisième tentation, le diable cite lui aussi les Écritures au Psaume 91,11 et 12. Le recours à la Bible n’est donc pas le gage d’une sainte doctrine ! A l’issue de cet échange, le diable s’en va de lui-même (à la différence de ce qui se passe dans Matthieu où Jésus le chasse). Jésus a passé avec succès son examen. Actualisation Plutôt que de conférer à ce récit une historicité forte peu probable et en tous cas impossible à établir, on se doit d’interpréter ce récit de manière programmatique. Comme chacun d’entre nous Jésus dot faire face à ces trois tentations qui reprennent la plupart des défis proposés aux humains. Dans notre français contemporain, le mot tentation a pris un sens positif. Une marque d’appareil photo (Nikon pour ne pas la citer) en a fait encore tout récemment un argument de vente pour son tout dernier modèle : « je suis la tentation ». C’est que la consommation est le moteur de la croissance … laquelle fait cruellement défaut. Et si le salut (un mot tout à fait has been, dépassé) passait au contraire par la résistance à la tentation, le refus de la croissance comme seul horizon et l’interrogation sur une saine décroissance de certains qui permettrait une vraie croissance pour ceux qui en ont le plus besoin ? C’est peut-être aussi à cela que nous invite à réfléchir le récit de Luc.Proposition de prédication Jésus est au désert, Jésus fait sa traversée du désert. Pour nous, une traversée du désert, c’est un temps de difficulté, de vaches maigres. Dans cette expression, nous retenons plutôt le désert que la traversée. Quand on traverse le désert ou plutôt quand on connaît une traversée du désert, on ne sait jamais si on en verra la fin et dans quel état on touchera à la terre promise si terre promise il y a. La traversée du désert, c’est alors une série de jours sans : des jours sans joie, des jours sans espoir, sans possibilité, sans force … La traversée du désert, c’est long comme un jour sans pain. Dans le vocabulaire religieux cela s’appelle le carême et, en général, ce n’est pas très drôle. A propos de « général » justement. C’est dans le domaine politique que la formule « traversée du désert » a fait flores. En France, l’expression est liée au parcours du général De Gaulle retiré des affaires entre 1948 et 1957, Dans son désert entre deux églises, il attendait son heure, écrivait ses mémoires et n’en pensait pas moins. Me tromperai-je ? J’ai l’impression aujourd’hui que l’ensemble de notre pays traverse sans enthousiasme un désert, celui de la crise, avec surtout avec l’omniprésent souci de ne pas tomber dans des ornières plus profondes encore. Relisons alors ensemble ces textes du Deutéronome et de l’évangile de Luc. Ils sont aussi pour nous. Ces deux textes s’éclairent mutuellement: -le récit de la tentation suit celui du baptême de Jésus comme le parcours de Moïse suit la traversée de la mer des Roseaux par le peuple. Jésus vit au commencement de son ministère une sorte de récapitulation de l’histoire d’Israël. Ayant traversé les eaux, il monte dans le désert; -dans le désert, Moïse et Jésus s’isolent pendant 40 jours et 40 nuits sans boire ni manger. Voilà l’origine de la pratique chrétienne du Carême, une origine qui n’est pas si loin de celle du Ramadan musulman si on se rappelle que le Ramadan est pour l’Islam le mois de la révélation du Coran à Muhamad. On jeûne dans l’Islam comme Moïse jeûne avant de recevoir les dix paroles au sommet du Sinaï, et comme Jésus jeûne avant de rencontrer le Satan. Le jeûne n’est pas mortification du corps mais prise de conscience de ce corps, révélation des besoins de ce corps, de ses désirs et de ses appels. Le temps du jeûne est un temps d’écoute : écoute des besoins du corps, écoute des désirs de l’âme, écoute de la parole qui vient nourrir la vie de l’un comme de l’autre. Car de même que l’histoire de Moïse est aussi celle d’une tentation, la tentation de Jésus est déjà celle d’une révélation. Au fil de l’histoire d’Israël au désert, on retrouve les tentations que tout peuple est amené à rencontrer dans sa marche de peuple : l’idolâtrie, l’anarchie, le totalitarisme. A chacune de ces tentations, la parole qui se fait entendre sur le mont Sinaï répond par le biais d’un commandement qui est aussi une promesse. De même les différentes propositions que le diable, c’est à dire l’adversaire, fait à Jésus suscite en lui et devrait susciter en nous le souvenir d’une parole de Dieu, d’un commandement qui permet de refuser d’obéir au diable et de se montrer libre vis à vis de cette tentation. La première tentation mentionnée par Luc est celle de la magie : transformer les pierres en pain. Cette tentation s’enracine dans la souffrance d’un corps qui connaît la faim et la soif. S’il en a la possibilité, pourquoi Jésus refuserait-il de se nourrir des pierres transformées en pain ? Refuser de transformer les pierres en pain, c’est refuser de faire n’importe quoi pour assouvir les besoins naturels du corps comme si ces besoins-là étaient les seuls et les plus urgents. “L’homme ne vivra pas de pain seulement” répond Jésus au tentateur. L’être humain, s’il éprouve la soif, la faim, le froid ou la peur est aussi un être de désirs et d’espérance. Quand le Mahatma Gandhi, quand Martin Luther King, quand les sans-papiers de Saint Bernard ou plus récemment ceux de Lille jeûnent, ils disent aussi cela : mon corps a faim et cette faim vous fait mal par ce qu’elle se voit. Au miroir de ma faim, vous imaginez la vôtre et cette vision vous est insupportable au point que vous voudriez me nourrir pour apaiser vos consciences et vous me donneriez n’importe quoi à manger pourvu que j’en sois rassasié et que je me taise. Vous chantez avec Coluche : « aujourd’hui on n’a plus le droit d’avoir faim ou d’avoir froid ». Jésus revendique ce droit d’avoir faim et de le dire. Car qu’en est-il de ces autres besoins, de ces autres désirs, de ces faims tout aussi douloureuses mais moins visibles : la faim de liberté, de respect, de reconnaissance, d’existence sociale ? Ces faims-là ne vous font pas mal ? Changer les pierres en pain, c’est palier au plus pressé, c’est donner des cailloux à manger, faire avaler des couleuvres, apaiser la faim à bon compte et refouler tous les autres besoins de l’âme. Jésus connaît et reconnaît sa faim. Il ne veut pas la nier au prix de n’importe quoi. Il reste avec sa faim plutôt que d’abdiquer sa liberté. Et voici la deuxième tentation, celle du pouvoir. Voyant tous les Royaume de la terre, Jésus connaît cette autre faim que tout homme connaît, même le plus petit et le plus faible, la faim de l’autre, la faim du pouvoir. Le pouvoir n’est pas une faute, un péché. Comme il est naturel de nourrir son corps, il est normal, naturel que certains hommes ou certaines femmes aient une responsabilité, une autorité, du pouvoir sur les autres. Ce qui n’est pas naturel, c’est de transformer les pierres en pain, c’est de se nourrir de n’importe quoi, à n’importe quel prix, et c’est aussi de se nourrir des autres. De même, il n’est a-normal, la loi l’interdit d’adorer n’importe qui et n’importe quoi, le diable en l’occurrence pour recevoir de lui le pouvoir sur les Royaumes de ce monde. Le pouvoir ne s’acquiert pas au prix du pacte avec le diable. Le pouvoir n’est pas chose du diable. Au diable Jésus répond par le rappel, la mémoire du premier commandement : “tu adoreras le SEIGNEUR ton Dieu et à lui seul tu rendras un culte.” Au désert le diable montre alors au Christ « tous les Royaume du monde » » Je te donnerai tout ce pouvoir ajoute-t-il et la gloire de ces Royaumes; car elle m’a été remise et je la donne à qui je veux ». ll est menteur celui qui prétend que la Gloire de Royaumes de la terre lui a été remise, en d’autres termes, c’est mensonge de prétendre que le politique est diabolique, Mais il arrive que la religion accepte le pouvoir. Il arrive même que des religieux prennent le pouvoir. Ils acceptent ce que le Christ a refusé, ils succombent à la tentation, ils n’entendent plus l’Évangile. A Moïse et à son peuple, l’Éternel ne dit pas : « je te donnerai un pays si tu te prosternes et m’adores ». Il ne joue pas au donnant donnant. Il n’achète personne. Mais il entend et il libère. « J’ai entendu les cris de mon peuple en Égypte. Je suis l’Éternel ton Dieu qui t’ai fait sortir de la maison de servitude ». Et quand c’est fait. Quand le peuple est sorti, quand il s’en est sorti, quand il est libre, il lui propose l’alliance de la loi. Il dit en quelque sorte : “Quoique tu fasses maintenant, quoique tu croies maintenant, y compris si tu choisis de retourner en Égypte et de reprendre la servitude dont je t’ai libéré, tu ne peux nier que je t’ai fait sortir de la maison de servitude. Mais à toi que j’ai fait sortir de la maison de servitude, je propose une alliance et la voici : « tu n’auras pas d’autre dieu devant ma face » « . Voilà ce qui dit le livre de l’Exode et ce que le Deutéronome reprend. Ce n’est pas « si tu me donne ta vie, ta foi et ta liberté », alors je te donne le pouvoir sur les autres. C’est « je te rends à toi-même et je te propose une alliance qui fera de moi ton dieu et toi mon peuple ». Voilà ce que dit l’Exode et voilà ce que rappelle Jésus. Voilà la révélation de notre être avec les autres, la loi qui permet de repousser la tentation. Être avec les autres, dans la cité, vivre le politique. Il y a un peu moins d’un an, nous avons élu un homme à la tête de notre pays. Son pouvoir, il le tient des hommes et des femmes de ce pays, il le tient des combats, des alliances, de son habilité, de sa valeur et de sa chance. Son pouvoir, il est permis par Dieu. Mais en aucun cas il ne lui a été octroyé par le diable. Son pouvoir, il l’utilisera pour la paix ou pour la guerre, pour la justice ou son contraire. Cela fera de lui un bon ou un mauvais président, mais en aucun cas un saint. En aucun cas nous ne devons lui demander de nous conduire au Royaume de Dieu. Moins de chômage et plus de justice, ce serait déjà bien, Que tous se sentent reconnus et libres dans ce pays. Que les hommes, les femmes, les enfants, les groupes, les partis, le Églises puissent vivre ensemble et en paix. Voilà ce que nous lui demandons : pas le Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu viendra en son temps. Il est déjà au milieu de nous. Nous sommes déjà libres puisque l’Eternel nous a libérés. Enfin, il y a une autre tentation liée à la prise de conscience par Jésus de son désir de Dieu, c’est à dire de son désir de pouvoir sur Dieu et de son désir d’être Dieu. Ce désir d’être dieu, dans la bouche du Satan correspond à un désir de mort. Le diable propose à Jésus de se jeter dans le vide au risque de s’écraser sur le parvis du temple. Jésus y répond à nouveau par la Bible, “tu ne tenteras le Seigneur ton Dieu”. Nous sommes dit-on entrés dans le carême. Il me semble qu’il y a toujours autant de monde chez Mac Donald et, parmi les clients, bien peu se contentent de salade. Mais si nous jeûnons, si nous prenons le temps du désert et de l’écoute de tout ce qui bouillonne en nous de débats et de désirs, nous traverserons ensemble le désert. Nous le traverserons jusqu’à ce que trouvions en nous la soif et la faim d’autre chose, le désir de vivre ensemble et donc la force de nous construire ensemble de meilleures conditions de vie. C’est en nous et pas au bout d’un raccourci foireux que retrouverons des réponses à ces interrogations criées pas tant de voix discordantes qui sont à la fois les nôtres et celles d’un autre. C’est peut-être cela le vrai carême, la vraie traversée du désert, un temps de préparation à la grande fête de Pâques. Que ce temps du carême nous donne de faire le point pour accueillir la grande nouvelle de la résurrection, ce don fait à chacun. Dans la paix qui est celle de notre pays et pour laquelle nous pouvons rendre grâce, nous irons au devant de la paix qui vient du Christ et qui surpasse toute intelligence. Ce n’est pas un président de la république qui nous sauvera, c’est l’Amour de notre Dieu Il nous a déjà sauvés. Amen
Textes : Luc 9, v. 18 à 36 Psaume 91 Deutéronome 26, v. 4 à 10 Romains 10, v. 8 à 13 Luc 4, v. 1 à 13Pasteur Jean-Pierre SternbergerTélécharger le document complet
Notes bibliquesLe texte de Luc 4,1-13 a été choisi pour l’entrée du carême. Ce nom vient de l’expression latin quadragesima, « le quarantième » puisque cette période comprend quarante jours travailles (les dimanches ne faisant pas partie du carême). A l’origine, vraisemblablement, le carême correspondait à la période durant laquelle les catéchumènes qui allaient être baptisés dans la nuit pascale se préparaient à ce sacrement. On peut penser que cette préparation spirituelle se faisait dans le jeûne et la prière. Il se trouve que cette période recouvre également la fin de l’hiver, époque où les réserves de nourritures s’épuisent sans encore être renouvelées par l’apport des nouvelles récoltes. Le jeûne du carême pourrait ainsi correspondre à une nécessité économique. Il sera rompu avec d’autant plus d’enthousiasme à Pâques qu’il aura été vécu dans toute sa rigueur.Le recours au texte de la tentation de Jésus est seulement dû à la mention du jeûne et des 40 jours. Ce récit en effet n’a aucun rapport avec Pâques. S’il faut lui trouver une signification dans la Bible, il serait à chercher du côté de la traversée du désert pendant 40 ans par les Hébreux et plus exactement en relation avec les 40 jours passés sans boire ni manger par Moïse monté sur le mont Sinaï. Aucun texte n’explicite le sens du chiffre 40. On peut cependant y voir soit l’allusion au renouvellement des générations (l’homme de 40 ans peut être grand père, c’est à dire voir son fils de 20 ans devenir père à son tour) soit, c’est l’hypothèse que je privilégierai une allusion aux 40 semaines de la grossesse humaine. De fait, le déluge de 40 jours est gros d’un monde nouveau quand il faut 40 ans de désert pour voir naître, au travers de multiples épreuves et tentations, le peuple d’Israël. Les tentations de Jésus correspondent assez bien à cette période de l’histoire, quand, après avoir traversé les eaux du baptême (comme Israël a traversé la mer des Joncs), il est conduit au désert. C’est pourquoi, plutôt que de lire le texte de Deutéronome 26 (il faudrait lire les v.1 à 13 pour avoir une péricope qui se tient), je suggère de lire Deutéronome 9,8-18 où il est question, comme dans l’épisode de la tentation de Jésus d’un jeûne de quarante jours et quarante nuits. Quelques remarques sur Luc 4,1-13On retrouve dans les v. 1 et 2 quelques éléments qui peuvent provenir de l’évangile de Marc : Jésus est conduit au désert où il est tenté par le diable (Satan dans Marc) pendant 40 jours. Le reste du récit que l’on retrouve grosso modo dans l’évangile de Matthieu est souvent attribué à la source Q commune aux deux évangiles. Par rapport à Matthieu, Luc inverse les deuxième et troisième tentations (ou inversement) : la progression du récit va, dans Matthieu du plus bas au plus haut (désert, sommet du temple, haute montagne), elle va dans l’évangile de Luc vers le plus saint (désert = lieu des démons, « plus haut“, temple).L’histoire en elle-même se présente comme une joute verbale. Le diable, c’est à dire en grec l’adversaire, celui qui jette des projectiles en travers, celui qui vous met des bâtons dans les roues, propose à Jésus d’accomplir des performances dont Jésus tirerait profit (les pierres changées en pains) ou que lui, le diable récompenserait. Jésus chaque fois lui répond en citant la Thora surtout le Deutéronome (8,3; 6,13.16). A la troisième tentation, le diable cite lui aussi les Écritures au Psaume 91,11 et 12. Le recours à la Bible n’est donc pas le gage d’une sainte doctrine ! A l’issue de cet échange, le diable s’en va de lui-même (à la différence de ce qui se passe dans Matthieu où Jésus le chasse). Jésus a passé avec succès son examen. Actualisation Plutôt que de conférer à ce récit une historicité forte peu probable et en tous cas impossible à établir, on se doit d’interpréter ce récit de manière programmatique. Comme chacun d’entre nous Jésus dot faire face à ces trois tentations qui reprennent la plupart des défis proposés aux humains. Dans notre français contemporain, le mot tentation a pris un sens positif. Une marque d’appareil photo (Nikon pour ne pas la citer) en a fait encore tout récemment un argument de vente pour son tout dernier modèle : « je suis la tentation ». C’est que la consommation est le moteur de la croissance … laquelle fait cruellement défaut. Et si le salut (un mot tout à fait has been, dépassé) passait au contraire par la résistance à la tentation, le refus de la croissance comme seul horizon et l’interrogation sur une saine décroissance de certains qui permettrait une vraie croissance pour ceux qui en ont le plus besoin ? C’est peut-être aussi à cela que nous invite à réfléchir le récit de Luc.Proposition de prédicationJésus est au désert, Jésus fait sa traversée du désert. Pour nous, une traversée du désert, c’est un temps de difficulté, de vaches maigres. Dans cette expression, nous retenons plutôt le désert que la traversée. Quand on traverse le désert ou plutôt quand on connaît une traversée du désert, on ne sait jamais si on en verra la fin et dans quel état on touchera à la terre promise si terre promise il y a. La traversée du désert, c’est alors une série de jours sans : des jours sans joie, des jours sans espoir, sans possibilité, sans force … La traversée du désert, c’est long comme un jour sans pain. Dans le vocabulaire religieux cela s’appelle le carême et, en général, ce n’est pas très drôle. A propos de « général » justement. C’est dans le domaine politique que la formule « traversée du désert » a fait flores. En France, l’expression est liée au parcours du général De Gaulle retiré des affaires entre 1948 et 1957, Dans son désert entre deux églises, il attendait son heure, écrivait ses mémoires et n’en pensait pas moins. Me tromperai-je ? J’ai l’impression aujourd’hui que l’ensemble de notre pays traverse sans enthousiasme un désert, celui de la crise, avec surtout avec l’omniprésent souci de ne pas tomber dans des ornières plus profondes encore.Relisons alors ensemble ces textes du Deutéronome et de l’évangile de Luc. Ils sont aussi pour nous. Ces deux textes s’éclairent mutuellement:-le récit de la tentation suit celui du baptême de Jésus comme le parcours de Moïse suit la traversée de la mer des Roseaux par le peuple. Jésus vit au commencement de son ministère une sorte de récapitulation de l’histoire d’Israël. Ayant traversé les eaux, il monte dans le désert; -dans le désert, Moïse et Jésus s’isolent pendant 40 jours et 40 nuits sans boire ni manger. Voilà l’origine de la pratique chrétienne du Carême, une origine qui n’est pas si loin de celle du Ramadan musulman si on se rappelle que le Ramadan est pour l’Islam le mois de la révélation du Coran à Muhamad. On jeûne dans l’Islam comme Moïse jeûne avant de recevoir les dix paroles au sommet du Sinaï, et comme Jésus jeûne avant de rencontrer le Satan. Le jeûne n’est pas mortification du corps mais prise de conscience de ce corps, révélation des besoins de ce corps, de ses désirs et de ses appels. Le temps du jeûne est un temps d’écoute : écoute des besoins du corps, écoute des désirs de l’âme, écoute de la parole qui vient nourrir la vie de l’un comme de l’autre. Car de même que l’histoire de Moïse est aussi celle d’une tentation, la tentation de Jésus est déjà celle d’une révélation. Au fil de l’histoire d’Israël au désert, on retrouve les tentations que tout peuple est amené à rencontrer dans sa marche de peuple : l’idolâtrie, l’anarchie, le totalitarisme. A chacune de ces tentations, la parole qui se fait entendre sur le mont Sinaï répond par le biais d’un commandement qui est aussi une promesse. De même les différentes propositions que le diable, c’est à dire l’adversaire, fait à Jésus suscite en lui et devrait susciter en nous le souvenir d’une parole de Dieu, d’un commandement qui permet de refuser d’obéir au diable et de se montrer libre vis à vis de cette tentation. La première tentation mentionnée par Luc est celle de la magie : transformer les pierres en pain. Cette tentation s’enracine dans la souffrance d’un corps qui connaît la faim et la soif. S’il en a la possibilité, pourquoi Jésus refuserait-il de se nourrir des pierres transformées en pain ? Refuser de transformer les pierres en pain, c’est refuser de faire n’importe quoi pour assouvir les besoins naturels du corps comme si ces besoins-là étaient les seuls et les plus urgents. “L’homme ne vivra pas de pain seulement” répond Jésus au tentateur. L’être humain, s’il éprouve la soif, la faim, le froid ou la peur est aussi un être de désirs et d’espérance. Quand le Mahatma Gandhi, quand Martin Luther King, quand les sans-papiers de Saint Bernard ou plus récemment ceux de Lille jeûnent, ils disent aussi cela : mon corps a faim et cette faim vous fait mal par ce qu’elle se voit. Au miroir de ma faim, vous imaginez la vôtre et cette vision vous est insupportable au point que vous voudriez me nourrir pour apaiser vos consciences et vous me donneriez n’importe quoi à manger pourvu que j’en sois rassasié et que je me taise. Vous chantez avec Coluche : « aujourd’hui on n’a plus le droit d’avoir faim ou d’avoir froid ». Jésus revendique ce droit d’avoir faim et de le dire. Car qu’en est-il de ces autres besoins, de ces autres désirs, de ces faims tout aussi douloureuses mais moins visibles : la faim de liberté, de respect, de reconnaissance, d’existence sociale ? Ces faims-là ne vous font pas mal ? Changer les pierres en pain, c’est palier au plus pressé, c’est donner des cailloux à manger, faire avaler des couleuvres, apaiser la faim à bon compte et refouler tous les autres besoins de l’âme. Jésus connaît et reconnaît sa faim. Il ne veut pas la nier au prix de n’importe quoi. Il reste avec sa faim plutôt que d’abdiquer sa liberté. Et voici la deuxième tentation, celle du pouvoir. Voyant tous les Royaume de la terre, Jésus connaît cette autre faim que tout homme connaît, même le plus petit et le plus faible, la faim de l’autre, la faim du pouvoir. Le pouvoir n’est pas une faute, un péché. Comme il est naturel de nourrir son corps, il est normal, naturel que certains hommes ou certaines femmes aient une responsabilité, une autorité, du pouvoir sur les autres. Ce qui n’est pas naturel, c’est de transformer les pierres en pain, c’est de se nourrir de n’importe quoi, à n’importe quel prix, et c’est aussi de se nourrir des autres. De même, il n’est a-normal, la loi l’interdit d’adorer n’importe qui et n’importe quoi, le diable en l’occurrence pour recevoir de lui le pouvoir sur les Royaumes de ce monde. Le pouvoir ne s’acquiert pas au prix du pacte avec le diable. Le pouvoir n’est pas chose du diable. Au diable Jésus répond par le rappel, la mémoire du premier commandement : “tu adoreras le SEIGNEUR ton Dieu et à lui seul tu rendras un culte.”Au désert le diable montre alors au Christ « tous les Royaume du monde » » Je te donnerai tout ce pouvoir ajoute-t-il et la gloire de ces Royaumes; car elle m’a été remise et je la donne à qui je veux ». ll est menteur celui qui prétend que la Gloire de Royaumes de la terre lui a été remise, en d’autres termes, c’est mensonge de prétendre que le politique est diabolique, Mais il arrive que la religion accepte le pouvoir. Il arrive même que des religieux prennent le pouvoir. Ils acceptent ce que le Christ a refusé, ils succombent à la tentation, ils n’entendent plus l’Évangile. A Moïse et à son peuple, l’Éternel ne dit pas : « je te donnerai un pays si tu te prosternes et m’adores ». Il ne joue pas au donnant donnant. Il n’achète personne. Mais il entend et il libère. « J’ai entendu les cris de mon peuple en Égypte. Je suis l’Éternel ton Dieu qui t’ai fait sortir de la maison de servitude ». Et quand c’est fait. Quand le peuple est sorti, quand il s’en est sorti, quand il est libre, il lui propose l’alliance de la loi. Il dit en quelque sorte : “Quoique tu fasses maintenant, quoique tu croies maintenant, y compris si tu choisis de retourner en Égypte et de reprendre la servitude dont je t’ai libéré, tu ne peux nier que je t’ai fait sortir de la maison de servitude. Mais à toi que j’ai fait sortir de la maison de servitude, je propose une alliance et la voici : « tu n’auras pas d’autre dieu devant ma face » « . Voilà ce qui dit le livre de l’Exode et ce que le Deutéronome reprend. Ce n’est pas « si tu me donne ta vie, ta foi et ta liberté », alors je te donne le pouvoir sur les autres. C’est « je te rends à toi-même et je te propose une alliance qui fera de moi ton dieu et toi mon peuple ». Voilà ce que dit l’Exode et voilà ce que rappelle Jésus. Voilà la révélation de notre être avec les autres, la loi qui permet de repousser la tentation. Être avec les autres, dans la cité, vivre le politique. Il y a un peu moins d’un an, nous avons élu un homme à la tête de notre pays. Son pouvoir, il le tient des hommes et des femmes de ce pays, il le tient des combats, des alliances, de son habilité, de sa valeur et de sa chance. Son pouvoir, il est permis par Dieu. Mais en aucun cas il ne lui a été octroyé par le diable. Son pouvoir, il l’utilisera pour la paix ou pour la guerre, pour la justice ou son contraire. Cela fera de lui un bon ou un mauvais président, mais en aucun cas un saint. En aucun cas nous ne devons lui demander de nous conduire au Royaume de Dieu. Moins de chômage et plus de justice, ce serait déjà bien, Que tous se sentent reconnus et libres dans ce pays. Que les hommes, les femmes, les enfants, les groupes, les partis, le Églises puissent vivre ensemble et en paix. Voilà ce que nous lui demandons : pas le Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu viendra en son temps. Il est déjà au milieu de nous. Nous sommes déjà libres puisque l’Eternel nous a libérés. Enfin, il y a une autre tentation liée à la prise de conscience par Jésus de son désir de Dieu, c’est à dire de son désir de pouvoir sur Dieu et de son désir d’être Dieu. Ce désir d’être dieu, dans la bouche du Satan correspond à un désir de mort. Le diable propose à Jésus de se jeter dans le vide au risque de s’écraser sur le parvis du temple. Jésus y répond à nouveau par la Bible, “tu ne tenteras le Seigneur ton Dieu”. Nous sommes dit-on entrés dans le carême. Il me semble qu’il y a toujours autant de monde chez Mac Donald et, parmi les clients, bien peu se contentent de salade. Mais si nous jeûnons, si nous prenons le temps du désert et de l’écoute de tout ce qui bouillonne en nous de débats et de désirs, nous traverserons ensemble le désert. Nous le traverserons jusqu’à ce que trouvions en nous la soif et la faim d’autre chose, le désir de vivre ensemble et donc la force de nous construire ensemble de meilleures conditions de vie. C’est en nous et pas au bout d’un raccourci foireux que retrouverons des réponses à ces interrogations criées pas tant de voix discordantes qui sont à la fois les nôtres et celles d’un autre. C’est peut-être cela le vrai carême, la vraie traversée du désert, un temps de préparation à la grande fête de Pâques. Que ce temps du carême nous donne de faire le point pour accueillir la grande nouvelle de la résurrection, ce don fait à chacun. Dans la paix qui est celle de notre pays et pour laquelle nous pouvons rendre grâce, nous irons au devant de la paix qui vient du Christ et qui surpasse toute intelligence. Ce n’est pas un président de la république qui nous sauvera, c’est l’Amour de notre DieuIl nous a déjà sauvés. Amen