3eme dimanche de l’AventTextes : Osée 10, v. 1 à 15 Ésaïe 12 Sophonie 3, v. 14 à 20 Philippiens 4, v. 4 à 7 Luc 3, v. 10 à 18Pasteur Jean-Pierre STERNBERGER
Notes bibliquesLuc 3,10-1810 Les foules l’interrogeaient [Jean-Baptiste] : “Que devons-nous donc faire ?”11 Il leur répondait : “Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même.”12 Des collecteurs des taxes aussi vinrent pour recevoir le baptême; ils lui demandèrent : “Maître, que devons-nous faire ?”13 Il leur dit : “N’exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné.”14 Des soldats aussi l’interrogeaient : “Et nous, que devons-nous faire ?” Il leur dit : “Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort, et contentez-vous de votre solde.”15 Comme le peuple1 était dans l’attente, et que tous se demandaient si Jean n’était pas le Christ2 ,16 il leur répondit à tous : “Moi, je vous baptise d’eau, mais il vient, celui qui est plus puissant3 que moi, et ce serait encore trop d’honneur pour moi que de délier la lanière de ses sandales4 . Lui vous baptisera dans l’Esprit saint5 et le feu6 .17 Il a sa fourche à la main, il va nettoyer son aire; il recueillera le blé dans sa grange, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas.”18 Jean annonçait la bonne nouvelle au peuple avec beaucoup d’autres encouragements.____________[1]– l’attente est le fait du peuple que Luc distingue des foules [2]– thème également présent dans Jn. 1, 21-22.25 Mt et Mc ne rapportent pas cette question mais seulement la réponse de Jean.[3]– ou plus fort cf. Es 1,24 ou le fort d’Israël désigne Dieu lui-même.[4]– Actes 13,24-25[5]– Actes 1,5; 11,16 où il ne concerne que la communauté chrétienne et les apôtres [6]– pour F Bovon le motif du feu est premier, celui du Saint Esprit est une réinterprétation chrétienne du texte de Q. Pour Luc le feu du jugement est ici une annonce de la Pentecôte (Ac 2, 3-4)Commentaire Après une introduction qui situe l’épisode dans son contexte historique (Lc 3,1-3), Lc 3,4-6 renvoie comme Marc et Matthieu au texte d’Ésaïe 40,3. Les versets suivants (7-9) sont communs avec l’évangile de Matthieu (3,7-10). Ils pourraient remonter un document présenté comme un ensemble de paroles et qui a servi à Matthieu comme à Luc pour composer leurs évangiles (c’est la célèbre source Q [de l’allemand Quelle, = source] ). Le texte qui nous est proposé ce dimanche (v. 10-18) comporte lui aussi des textes propres à Luc (v. 10-16a, relation de discussions entre Jean et la foule, + 18), une parole que Luc et Matthieu ont pu trouver dans Marc (16b en italique ci-dessus), et une seconde parole commune à Matthieu et Luc (v. 17 en gras) qui pourrait provenir de la source Q. C’est dire que tout ce passage de Lc 3,1-18 peut être considéré comme un véritable patchwork. Conformément au projet qui est le sien et qu’il décrit en 1,1-3, l’auteur de l’évangile rassemble en un seul récit des bribes d’histoires provenant de différentes origines. Il s’en suit une image très contrastée de Jean, qui apparaît par instant extrêmement sévère et dur pour ses interlocuteurs (notamment dans les versets venus de la source Q : 7-9 et 17) alors qu’à d’autres endroits, comme dans les textes propres à Luc (10-14, 18), il paraît plus conciliant, n’exigeant de ceux qui viennent à lui que ce qu’ils peuvent assumer. Jean-Baptiste souffle alternativement le chaud et le froid. Si on se souvient que l’évangile de Luc est la première partie d’une œuvre dont la deuxième partie constitue le livre des Actes, on ne peut être que frappé de la proximité entre notre texte et le récit de la Pentecôte (Actes 2). Dans les deux cas : – se produit un évènement insolite (irruption d’un prophète dans la région du Jourdain, irruption d’un grand vent et apparition de langues de feu …),- cet évènement est expliqué par un recours aux Écritures (prophétie d’Ésaïe pour Luc, de Joël, pour Actes);- la foule interroge les croyants avec la même formule : “que devons-nous faire ?” (Lc 3,7; Ac 2,37). Dans le premier cas, Jean qui leur a déjà administré le baptême leur donne des consignes relevant du partage et du respect du prochain, dans le deuxième cas, Pierre les exhorte à la conversion et au baptême.A ces convergences entre les récits s’ajoute le fait que la Pentecôte est annoncée par Luc qui, à la différence de sa source Marc, fait dire à Jean que Jésus baptisera dans l’Esprit et dans le feu. Ces éléments permettent de voir dans ces épisodes de Luc 3,1-18 et de Actes 2 comme les véritables commencements des histoires du ministère de Jésus d’une part, des apôtres d’autre part. Après les prologues constitués par les récits de la naissance puis de l’enfance (Luc 1-2) et de l’ascension jusqu’à la Pentecôte (Actes 1), nous entrons par ces deux récits similaires dans le vif du sujet. Pour ce dimanche, le récit de Luc 3,10-18 a été choisi à cause du motif de l’attente attesté en 3,15a : “comme le peuple était en attente …”. Nous avons là une expression typique de Luc. Dans l’ensemble formé par Luc et les Actes le mot peuple (en grec : laos) apparaît 83 fois contre 56 fois dans le reste du NT (Mt = 14; Mc = 3). C’est ce mot qu’il préfère à celui plus banal de “foules” dans la deuxième partie de ce récit : si les foules interrogent au v. 10, c’est le peuple qui est en attente au v. 15 et se demande si Jean-Baptiste est le Christ. C’est encore le peuple qui reçoit la bonne nouvelle proclamée par Jean au v.18. Par sa prédication, Jean-Baptiste a su transformer les foules (au pluriel) en peuple (au singulier). Le verbe “attendre” fait aussi partie des mots préférés de Luc. Déjà en Lc 1,21, il nous décrit le peuple qui attend à l’extérieur du temple la sortie de Zacharie à qui le Seigneur a annoncé la naissance de Jean. Ce peuple n’attend pas seulement un prêtre en retard sur l’horaire prévu. Il attend l’accomplissement des promesses faites à Israël. C’est ce que proclame Anne ( Lc 2,38) alors que l’attente du peuple est partagée par deux personnages représentatifs et emblématiques de l’espérance d’Israël : Syméon (Lc 2,25), et, à l’autre bout de l’évangile, Joseph d’Arimathée (Lc 23,51). On peut aussi à ce propos penser à l’espérance déçue des disciples qui marchent vers Emmaüs (Lc 24,21) et rejoints par le ressuscité. PrédicationNoël peut-il résister face à la crise ? Chaque année, les dirigeants des industries du jouet ou du luxe se posent la question et s’inquiètent. Mais jusqu’à maintenant, les chiffres leur donnent tort. On continue à s’offrir et surtout à offrir aux enfants consoles de jeu et lecteurs MP3. Nos contemporains n’hésitent pas trop à casser leurs tirelires pour faire plaisir à ceux qu’ils aiment.Mais Noël peut-il résister à la crise ? Car Noël n’est pas seulement la fête des marchands de cadeaux. Pour nous, il signifie la naissance du Seigneur, l’aurore de l’évangile, la venue du Fils Dieu qui se fait humain. Et c’est ici que notre foi se heurte à un déficit d’espérance. Qui n’a pas entendu ces mots assassins lancés à un bienheureux qui a osé exprimer trois paroles d’espoir : “tu crois au Père Noël !”L’expression n’est pas nouvelle. Avant 1990, elle était parfois agrémentée d’une référence politique et devenait : “tu crois au Père Noël soviétique !” Depuis la chute du mur de Berlin, le mot même de “soviétique” ayant perdu toute signification, on en est revenu à la seule référence au Père Noël des petits. Croire au Père Noël, c’est être naïf, oublier les réalités, gober tout ce qui va dans le sens d’une amélioration, c’est être optimiste au mauvais sens du terme. Or aujourd’hui, le terme “optimiste” est devenu synonyme de “benêt“ et semble avoir perdu tout sens positif.Alors Noël peut-il résister à la crise ? Je parle de Noël, pas du Père Noël. Je parle de Noël et j’évoque cette fois les récits bibliques et la fête chrétienne. Comment allons-nous fêter Noël ? Comment allons-nous vivre Noël sans passer pour de gentils naïfs et sans que cela induise nos voisins en erreur sur le sens que nous donnons à cette fête ? Que ferons-nous à Noël ? Le texte qui nous est proposée ce matin peut nous aider à répondre à cette question. Pourtant -vous l’avez entendu- il n’y est question ni de Noël, ni des bergers ou des mages, ni de Bethléem ou de la crèche. L’histoire se passe quelque 30 ans après la naissance de Jésus, un Jésus qui n’est même pas présent dans cette histoire, pas encore présent, pas présent mais sur le point d’arriver. Ce jour-là, les gens sont dans l’attente. Dans l’attente de quoi ? Sans doute ne le savent-ils pas exactement. Ils le savent si peu qu’ils vont demander à Jean-Baptiste si par hasard il ne serait pas celui qu’ils attendent, à savoir le Christ. Et Jean de répondre par quelque chose de plus mystérieux encore : je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Celui qui vient est plus puissant. Il va nettoyer son aire. Il va baptiser dans l’Esprit saint et le feu. Que pouvons-nous entendre par là ? Sans doute ces mots que nous comprenons mal ont-ils du sens pour les gens de ce temps-là et de ce pays-là. Ainsi quand Jean-Baptiste dit qu’il n’est même pas digne de dénouer la lanière des sandales de celui qui vient, il fait allusion au service des esclaves qui devaient laver les pieds des leurs maîtres quand ils rentraient à la maison ou les accompagner et de les aider à se dévêtir quand ils allaient aux bains. Ainsi trouve-t-on dans le Talmud cet enseignement : “tout travail qu’un esclave accomplit pour son maître, le disciple d’un sage l’accomplit pour son maître à cette exception près : il ne lui enlève pas sa chaussure”7. Pour Jean-Baptiste, celui qui vient après lui, (autre manière de désigner quelqu’un qui sera son disciple), celui qui le suivra est tellement plus grand que lui-même qu’il ne se sent pas digne d’être son esclave. Or nous le savons par l’évangile de Jean, Jésus à quelques heures de la crucifixion se dépouillera de ses vêtements et accomplira pour ses disciples la tâche des esclaves : il leur lavera les pieds (Jean 13,2-5). Cela, Jean-Baptiste ne l’attendait pas. Cela, la foule ne l’attendait pas non plus. S’il est une chose que nous enseigne l’évangile au sujet de Noël, fête de la venue du Christ, c’est que celui qui vient ne sera pas à l’image de ce que nous attendons. Noël est et restera la fête de l’étonnement. Attendez-vous à être étonné, attendez-vous à ne pas recevoir ce que vous attendez. Mais revenons à notre texte choisi dans l’évangile de Luc. Le thème de l’attente y est particulièrement exprimé dans cette petite phrase du verset 15 : “le peuple était en attente”. Ici chaque mot est significatif. L’évangile de Luc et le livre des Actes des Apôtres qui poursuit le récit de l’évangile de Luc, mentionnent très souvent le peuple. Ailleurs, comme dans l’évangile de Marc par exemple, on nous parle de la foule ou même quand la foule est très nombreuse, des foules, au pluriel. Ici aussi, Luc commence par mentionner les foules : « les foules l’interrogeaient », lit-on au verset 10. Pourtant au verset 15, c’est le peuple qui est en attente et au verset 18, c’est le peuple et non les foules qui reçoivent de Jean l’annonce de la Bonne Nouvelle. C’est comme si, encore divisées au moment où elles s’interrogent, les foules sont devenue un seul peuple quand il s’agit d’attendre et plus encore quand leur est annoncé l’évangile. L’évangile ne s’adresse pas à des foules fussent-elles curieuses. L’évangile s’adresse à un peuple. Il transforme les foules en peuple, unifiant les attentes, amenant chacun à se comprendre non comme un individu mais comme un membre du peuple, un membre c’est à dire une partie du corps que constitue ce peuple, une partie qui souffre quand une autre partie est blessée, une partie qui se sent mieux et guéri quand ce qui était blessée est soigné. Et nous, sommes-nous foules ou peuple ? Se pourrait-il que l’approche de Noël retisse entre nous les liens qui feraient de nous un peuple, un peuple habité par une même attente. C’est déjà de cela que je parlais tout à l’heure en posant la question de savoir si Noël allait résister à la crise. La crise est propre à nous diviser quand nous croyons pouvoir nous en sortir sans les autres, sans que les autres nous aident et sans que les autres aussi soient sauvés. La crise nous pousse à ne pas entendre les mots de ceux dont on a supprimé les emplois, les cris de ceux qui ne trouvent pas de logement décent, la colère de ceux qui font la queue aux restos du cœur. La crise fait de nous des foules qui passent sans les voir devant celles qui tendent la main. La crise nous est pourtant racontée tous les soirs de Noël quand est lue l’histoire de ce couple qui n’avait pas de place et de cette femme qui a dû accouchée à quelques mètres d’un tas de fumier. Il y avait foule ce soir là à l’auberge à ignorer cette famille. Mais il y eut quand même cette même nuit un peuple de bergers et de voyageurs orientaux pour chanter avec les anges, la naissance du Sauveur.C’est aussi de cela que parle l’évangile de Luc quand on y lit que le peuple était dans l’attente.Or, ce n’est pas la première fois que l’évangile de Luc décrit le peuple en attente. Ces mêmes mots se retrouvent quelques pages plus haut quand il est question de l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste en Luc 1,21. Ce jour-là les peuples attendaient le prêtre Zacharie entré dans le temple et à qui le Seigneur venait d’annoncer la naissance d’un fils, Jean-Baptiste. Ce peuple n’attendait pas seulement un prêtre en retard. Il attendait aussi l’accomplissement des promesses faites à Israël. C’est à ceux qui attendaient ce salut que la vieille prophétesse Anne s’adressait le jour de la présentation de Jésus au temple de Jérusalem (Luc 2,38). C’est cette attente qui motive deux autres personnages représentatifs et emblématiques de l’espérance d’Israël : le vieillard Syméon (Luc 2,25), et, à l’autre bout de l’évangile, Joseph d’Arimathée (Lc 23,51). Cette attente elle est aussi celle des voyageurs qui, au soir de la résurrection, marchent vers Emmaüs. Ils ne savent pas encore que; dans quelques minutes, cette attente sera comblée lorsqu’ils reconnaîtront dans celui qui les rejoint le crucifié dont ils portaient le deuil. Le peuple au temps de Jean-Baptiste était donc en attente. Notre peuple aussi. C’est pour cela que nous fêterons Noël. Certains sont indignés de la façon dont on traite les humains chez nous et au loin. Avec eux nous fêterons Noël. Que ferons-nous ? Nous écouterons la parole de Jean-Baptiste : “Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même.” C’est ainsi que nous formerons un peuple et non un ensemble disparate de foules. C’est ainsi que nous recevrons chez nous celui que nous attendons … et qui ne viendra certainement pas de la manière dont nous l’attendons. Mais peut-être est-il déjà présent au milieu de nous. Amen____________[7]– Rabbi Yoshua ben Levi dans le Talmud de Babylone traité Ketuvôt 96a
3eme dimanche de l’AventTextes : Osée 10, v. 1 à 15 Ésaïe 12 Sophonie 3, v. 14 à 20 Philippiens 4, v. 4 à 7 Luc 3, v. 10 à 18Pasteur Jean-Pierre STERNBERGERTélécharger l’ensemble du document
Notes bibliquesLuc 3,10-1810 Les foules l’interrogeaient [Jean-Baptiste] : “Que devons-nous donc faire ?”11 Il leur répondait : “Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même.”12 Des collecteurs des taxes aussi vinrent pour recevoir le baptême; ils lui demandèrent : “Maître, que devons-nous faire ?”13 Il leur dit : “N’exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné.”14 Des soldats aussi l’interrogeaient : “Et nous, que devons-nous faire ?” Il leur dit : “Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort, et contentez-vous de votre solde.”15 Comme le peuple1 était dans l’attente, et que tous se demandaient si Jean n’était pas le Christ2 ,16 il leur répondit à tous : “Moi, je vous baptise d’eau, mais il vient, celui qui est plus puissant3 que moi, et ce serait encore trop d’honneur pour moi que de délier la lanière de ses sandales4 . Lui vous baptisera dans l’Esprit saint5 et le feu6 .17 Il a sa fourche à la main, il va nettoyer son aire; il recueillera le blé dans sa grange, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas.”18 Jean annonçait la bonne nouvelle au peuple avec beaucoup d’autres encouragements.____________[1]– l’attente est le fait du peuple que Luc distingue des foules [2]– thème également présent dans Jn. 1, 21-22.25 Mt et Mc ne rapportent pas cette question mais seulement la réponse de Jean.[3]– ou plus fort cf. Es 1,24 ou le fort d’Israël désigne Dieu lui-même.[4]– Actes 13,24-25[5]– Actes 1,5; 11,16 où il ne concerne que la communauté chrétienne et les apôtres [6]– pour F Bovon le motif du feu est premier, celui du Saint Esprit est une réinterprétation chrétienne du texte de Q. Pour Luc le feu du jugement est ici une annonce de la Pentecôte (Ac 2, 3-4)Commentaire Après une introduction qui situe l’épisode dans son contexte historique (Lc 3,1-3), Lc 3,4-6 renvoie comme Marc et Matthieu au texte d’Ésaïe 40,3. Les versets suivants (7-9) sont communs avec l’évangile de Matthieu (3,7-10). Ils pourraient remonter un document présenté comme un ensemble de paroles et qui a servi à Matthieu comme à Luc pour composer leurs évangiles (c’est la célèbre source Q [de l’allemand Quelle, = source] ). Le texte qui nous est proposé ce dimanche (v. 10-18) comporte lui aussi des textes propres à Luc (v. 10-16a, relation de discussions entre Jean et la foule, + 18), une parole que Luc et Matthieu ont pu trouver dans Marc (16b en italique ci-dessus), et une seconde parole commune à Matthieu et Luc (v. 17 en gras) qui pourrait provenir de la source Q. C’est dire que tout ce passage de Lc 3,1-18 peut être considéré comme un véritable patchwork. Conformément au projet qui est le sien et qu’il décrit en 1,1-3, l’auteur de l’évangile rassemble en un seul récit des bribes d’histoires provenant de différentes origines. Il s’en suit une image très contrastée de Jean, qui apparaît par instant extrêmement sévère et dur pour ses interlocuteurs (notamment dans les versets venus de la source Q : 7-9 et 17) alors qu’à d’autres endroits, comme dans les textes propres à Luc (10-14, 18), il paraît plus conciliant, n’exigeant de ceux qui viennent à lui que ce qu’ils peuvent assumer. Jean-Baptiste souffle alternativement le chaud et le froid. Si on se souvient que l’évangile de Luc est la première partie d’une œuvre dont la deuxième partie constitue le livre des Actes, on ne peut être que frappé de la proximité entre notre texte et le récit de la Pentecôte (Actes 2). Dans les deux cas : – se produit un évènement insolite (irruption d’un prophète dans la région du Jourdain, irruption d’un grand vent et apparition de langues de feu …),- cet évènement est expliqué par un recours aux Écritures (prophétie d’Ésaïe pour Luc, de Joël, pour Actes);- la foule interroge les croyants avec la même formule : “que devons-nous faire ?” (Lc 3,7; Ac 2,37). Dans le premier cas, Jean qui leur a déjà administré le baptême leur donne des consignes relevant du partage et du respect du prochain, dans le deuxième cas, Pierre les exhorte à la conversion et au baptême.A ces convergences entre les récits s’ajoute le fait que la Pentecôte est annoncée par Luc qui, à la différence de sa source Marc, fait dire à Jean que Jésus baptisera dans l’Esprit et dans le feu. Ces éléments permettent de voir dans ces épisodes de Luc 3,1-18 et de Actes 2 comme les véritables commencements des histoires du ministère de Jésus d’une part, des apôtres d’autre part. Après les prologues constitués par les récits de la naissance puis de l’enfance (Luc 1-2) et de l’ascension jusqu’à la Pentecôte (Actes 1), nous entrons par ces deux récits similaires dans le vif du sujet. Pour ce dimanche, le récit de Luc 3,10-18 a été choisi à cause du motif de l’attente attesté en 3,15a : “comme le peuple était en attente …”. Nous avons là une expression typique de Luc. Dans l’ensemble formé par Luc et les Actes le mot peuple (en grec : laos) apparaît 83 fois contre 56 fois dans le reste du NT (Mt = 14; Mc = 3). C’est ce mot qu’il préfère à celui plus banal de “foules” dans la deuxième partie de ce récit : si les foules interrogent au v. 10, c’est le peuple qui est en attente au v. 15 et se demande si Jean-Baptiste est le Christ. C’est encore le peuple qui reçoit la bonne nouvelle proclamée par Jean au v.18. Par sa prédication, Jean-Baptiste a su transformer les foules (au pluriel) en peuple (au singulier). Le verbe “attendre” fait aussi partie des mots préférés de Luc. Déjà en Lc 1,21, il nous décrit le peuple qui attend à l’extérieur du temple la sortie de Zacharie à qui le Seigneur a annoncé la naissance de Jean. Ce peuple n’attend pas seulement un prêtre en retard sur l’horaire prévu. Il attend l’accomplissement des promesses faites à Israël. C’est ce que proclame Anne ( Lc 2,38) alors que l’attente du peuple est partagée par deux personnages représentatifs et emblématiques de l’espérance d’Israël : Syméon (Lc 2,25), et, à l’autre bout de l’évangile, Joseph d’Arimathée (Lc 23,51). On peut aussi à ce propos penser à l’espérance déçue des disciples qui marchent vers Emmaüs (Lc 24,21) et rejoints par le ressuscité. PrédicationNoël peut-il résister face à la crise ? Chaque année, les dirigeants des industries du jouet ou du luxe se posent la question et s’inquiètent. Mais jusqu’à maintenant, les chiffres leur donnent tort. On continue à s’offrir et surtout à offrir aux enfants consoles de jeu et lecteurs MP3. Nos contemporains n’hésitent pas trop à casser leurs tirelires pour faire plaisir à ceux qu’ils aiment.Mais Noël peut-il résister à la crise ? Car Noël n’est pas seulement la fête des marchands de cadeaux. Pour nous, il signifie la naissance du Seigneur, l’aurore de l’évangile, la venue du Fils Dieu qui se fait humain. Et c’est ici que notre foi se heurte à un déficit d’espérance. Qui n’a pas entendu ces mots assassins lancés à un bienheureux qui a osé exprimer trois paroles d’espoir : “tu crois au Père Noël !”L’expression n’est pas nouvelle. Avant 1990, elle était parfois agrémentée d’une référence politique et devenait : “tu crois au Père Noël soviétique !” Depuis la chute du mur de Berlin, le mot même de “soviétique” ayant perdu toute signification, on en est revenu à la seule référence au Père Noël des petits. Croire au Père Noël, c’est être naïf, oublier les réalités, gober tout ce qui va dans le sens d’une amélioration, c’est être optimiste au mauvais sens du terme. Or aujourd’hui, le terme “optimiste” est devenu synonyme de “benêt“ et semble avoir perdu tout sens positif.Alors Noël peut-il résister à la crise ? Je parle de Noël, pas du Père Noël. Je parle de Noël et j’évoque cette fois les récits bibliques et la fête chrétienne. Comment allons-nous fêter Noël ? Comment allons-nous vivre Noël sans passer pour de gentils naïfs et sans que cela induise nos voisins en erreur sur le sens que nous donnons à cette fête ? Que ferons-nous à Noël ? Le texte qui nous est proposée ce matin peut nous aider à répondre à cette question. Pourtant -vous l’avez entendu- il n’y est question ni de Noël, ni des bergers ou des mages, ni de Bethléem ou de la crèche. L’histoire se passe quelque 30 ans après la naissance de Jésus, un Jésus qui n’est même pas présent dans cette histoire, pas encore présent, pas présent mais sur le point d’arriver. Ce jour-là, les gens sont dans l’attente. Dans l’attente de quoi ? Sans doute ne le savent-ils pas exactement. Ils le savent si peu qu’ils vont demander à Jean-Baptiste si par hasard il ne serait pas celui qu’ils attendent, à savoir le Christ. Et Jean de répondre par quelque chose de plus mystérieux encore : je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Celui qui vient est plus puissant. Il va nettoyer son aire. Il va baptiser dans l’Esprit saint et le feu. Que pouvons-nous entendre par là ? Sans doute ces mots que nous comprenons mal ont-ils du sens pour les gens de ce temps-là et de ce pays-là. Ainsi quand Jean-Baptiste dit qu’il n’est même pas digne de dénouer la lanière des sandales de celui qui vient, il fait allusion au service des esclaves qui devaient laver les pieds des leurs maîtres quand ils rentraient à la maison ou les accompagner et de les aider à se dévêtir quand ils allaient aux bains. Ainsi trouve-t-on dans le Talmud cet enseignement : “tout travail qu’un esclave accomplit pour son maître, le disciple d’un sage l’accomplit pour son maître à cette exception près : il ne lui enlève pas sa chaussure”7. Pour Jean-Baptiste, celui qui vient après lui, (autre manière de désigner quelqu’un qui sera son disciple), celui qui le suivra est tellement plus grand que lui-même qu’il ne se sent pas digne d’être son esclave. Or nous le savons par l’évangile de Jean, Jésus à quelques heures de la crucifixion se dépouillera de ses vêtements et accomplira pour ses disciples la tâche des esclaves : il leur lavera les pieds (Jean 13,2-5). Cela, Jean-Baptiste ne l’attendait pas. Cela, la foule ne l’attendait pas non plus. S’il est une chose que nous enseigne l’évangile au sujet de Noël, fête de la venue du Christ, c’est que celui qui vient ne sera pas à l’image de ce que nous attendons. Noël est et restera la fête de l’étonnement. Attendez-vous à être étonné, attendez-vous à ne pas recevoir ce que vous attendez. Mais revenons à notre texte choisi dans l’évangile de Luc. Le thème de l’attente y est particulièrement exprimé dans cette petite phrase du verset 15 : “le peuple était en attente”. Ici chaque mot est significatif. L’évangile de Luc et le livre des Actes des Apôtres qui poursuit le récit de l’évangile de Luc, mentionnent très souvent le peuple. Ailleurs, comme dans l’évangile de Marc par exemple, on nous parle de la foule ou même quand la foule est très nombreuse, des foules, au pluriel. Ici aussi, Luc commence par mentionner les foules : « les foules l’interrogeaient », lit-on au verset 10. Pourtant au verset 15, c’est le peuple qui est en attente et au verset 18, c’est le peuple et non les foules qui reçoivent de Jean l’annonce de la Bonne Nouvelle. C’est comme si, encore divisées au moment où elles s’interrogent, les foules sont devenue un seul peuple quand il s’agit d’attendre et plus encore quand leur est annoncé l’évangile. L’évangile ne s’adresse pas à des foules fussent-elles curieuses. L’évangile s’adresse à un peuple. Il transforme les foules en peuple, unifiant les attentes, amenant chacun à se comprendre non comme un individu mais comme un membre du peuple, un membre c’est à dire une partie du corps que constitue ce peuple, une partie qui souffre quand une autre partie est blessée, une partie qui se sent mieux et guéri quand ce qui était blessée est soigné. Et nous, sommes-nous foules ou peuple ? Se pourrait-il que l’approche de Noël retisse entre nous les liens qui feraient de nous un peuple, un peuple habité par une même attente. C’est déjà de cela que je parlais tout à l’heure en posant la question de savoir si Noël allait résister à la crise. La crise est propre à nous diviser quand nous croyons pouvoir nous en sortir sans les autres, sans que les autres nous aident et sans que les autres aussi soient sauvés. La crise nous pousse à ne pas entendre les mots de ceux dont on a supprimé les emplois, les cris de ceux qui ne trouvent pas de logement décent, la colère de ceux qui font la queue aux restos du cœur. La crise fait de nous des foules qui passent sans les voir devant celles qui tendent la main. La crise nous est pourtant racontée tous les soirs de Noël quand est lue l’histoire de ce couple qui n’avait pas de place et de cette femme qui a dû accouchée à quelques mètres d’un tas de fumier. Il y avait foule ce soir là à l’auberge à ignorer cette famille. Mais il y eut quand même cette même nuit un peuple de bergers et de voyageurs orientaux pour chanter avec les anges, la naissance du Sauveur.C’est aussi de cela que parle l’évangile de Luc quand on y lit que le peuple était dans l’attente.Or, ce n’est pas la première fois que l’évangile de Luc décrit le peuple en attente. Ces mêmes mots se retrouvent quelques pages plus haut quand il est question de l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste en Luc 1,21. Ce jour-là les peuples attendaient le prêtre Zacharie entré dans le temple et à qui le Seigneur venait d’annoncer la naissance d’un fils, Jean-Baptiste. Ce peuple n’attendait pas seulement un prêtre en retard. Il attendait aussi l’accomplissement des promesses faites à Israël. C’est à ceux qui attendaient ce salut que la vieille prophétesse Anne s’adressait le jour de la présentation de Jésus au temple de Jérusalem (Luc 2,38). C’est cette attente qui motive deux autres personnages représentatifs et emblématiques de l’espérance d’Israël : le vieillard Syméon (Luc 2,25), et, à l’autre bout de l’évangile, Joseph d’Arimathée (Lc 23,51). Cette attente elle est aussi celle des voyageurs qui, au soir de la résurrection, marchent vers Emmaüs. Ils ne savent pas encore que; dans quelques minutes, cette attente sera comblée lorsqu’ils reconnaîtront dans celui qui les rejoint le crucifié dont ils portaient le deuil. Le peuple au temps de Jean-Baptiste était donc en attente. Notre peuple aussi. C’est pour cela que nous fêterons Noël. Certains sont indignés de la façon dont on traite les humains chez nous et au loin. Avec eux nous fêterons Noël. Que ferons-nous ? Nous écouterons la parole de Jean-Baptiste : “Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même.” C’est ainsi que nous formerons un peuple et non un ensemble disparate de foules. C’est ainsi que nous recevrons chez nous celui que nous attendons … et qui ne viendra certainement pas de la manière dont nous l’attendons. Mais peut-être est-il déjà présent au milieu de nous. Amen____________[7]– Rabbi Yoshua ben Levi dans le Talmud de Babylone traité Ketuvôt 96a