Textes : Actes 2, v. 1 à 11 Ps 104 1 Corinthiens 12, v. 3 à 13 Jean 20, v. 19 à 23Pasteur Anderson MoubitangTélécharger le document au complet
Les « Parler en langues » en question De quoi s’agit-il ? Le terme de glossolalie vient de deux mots grecs (glôssa : langue, et laléô : à l’origine : prononcer des sons inarticulés » ; par suite : « babiller, bavarder » et enfin « parler »). La glossolalie désigne le « parler en langues ». Elle est la faculté de parler ou de prier à haute voix dans une suite de syllabes incompréhensible mais revêtant l’aspect d’une langue véritable. Il y a aussi l’aptitude considérée comme surnaturelle et miraculeuse de s’exprimer intelligemment dans une langue étrangère ou morte sans l’avoir jamais apprise ; il s’agit alors plus précisément de xénoglossie (du grec xéno : étranger, et glossa : langue). Des phénomènes de glossolalie ont été rapportés entre autres dans le christianisme, le chamanisme et le spiritisme. Du point de vue médical, la glossolalie est un trouble du langage qui se manifeste chez certains patients souffrant de maladies mentales. Elle consiste à prononcer des mots inventés ou à modifier des mots existants. Pour bon nombre de chrétiens, ce sont des manifestations du don du Saint Esprit, selon qu’il est écrit dans 1 Corinthiens 12 : 7-10 : Or, à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune. En effet, à l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit; à un autre, la foi, par le même Esprit; à un autre, le don des guérisons, par le même Esprit ; à un autre, le don d’opérer des miracles; à un autre, la prophétie ; à un autre, le discernement des esprits ; à un autre, la diversité des langues ; à un autre, l’interprétation des langues). Ces manifestations interviennent parfois dans la prière par des « gémissements ineffables » (Romains 8). Souvent, le sujet ne se comprend pas lui-même, et n’est pas compris de son entourage. Le « parler en langues » dans les Écritures Dans les évangiles le parler en langues est évoqué dans l’évangile selon Marc : « Et voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles, ils saisiront des serpents, et s’ils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux infirmes, et ceux-ci seront guéris. » (Mc 16, v. 17 & 18) Le livre des Actes en parle à plusieurs reprises : « Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer (2.4) ; « Tous les fidèles circoncis qui étaient venus avec Pierre furent étonnés de ce que le don du Saint Esprit était aussi répandu sur les païens. Car ils les entendaient parler en langues et glorifier Dieu » (10.45-46) ; « Lorsque Paul leur eut imposé les mains, le Saint Esprit vint sur eux, et ils parlaient en langues et prophétisaient. » (19.6). On peut penser que Paul de Tarse fait allusion à la glossolalie dans la première lettre aux Corinthiens : « Je pourrais être capable de parler la langue des hommes et des anges, mais si je n’ai pas d’amour, mes discours ne sont plus rien qu’un tambour bruyant ou qu’une cloche qui résonne. » (1Co 13, v. 1). Ici, la « langue des anges » peut, éventuellement, être interprétée comme une langue inconnue aux hommes. De nos jours Une des caractéristiques les plus visibles qui distinguent le pentecôtisme des autres formes de christianisme évangélique est l’emphase sur le travail du Saint-Esprit. Les pentecôtistes croient que l’Esprit Saint habite en tous ceux qui sont véritablement sauvés et travaille à travers eux. Mais à la différence de la plupart des autres chrétiens, ils croient qu’il existe une deuxième œuvre du Saint-Esprit, le baptême dans le Saint-Esprit, qui ouvre le croyant à une communion plus étroite avec le Saint-Esprit et l’habilite au service chrétien. Les manifestations du parler en langue sont vécues principalement dans le pentecôtisme. Dans les assemblées chrétiennes et charismatiques, on peut entendre des chrétiens prier en langue et le message contenu dans la prière est interprété, soit par eux-mêmes, soit par d’autres chrétiens. Le parler en langues est, dans le pentecôtisme, la première preuve (mais pas la seule preuve, ni une preuve suffisante) du baptême du Saint-Esprit. La plupart des principales Églises pentecôtistes acceptent également le corollaire que ceux qui ne parlent pas en langues n’ont pas reçu la bénédiction du baptême dans le Saint-Esprit. Les réserves L’apôtre Paul, qui évoque le phénomène, le définit comme « le plus petit des dons du Saint-Esprit » bien qu’il se réjouisse de « parler en langues plus que vous autres » (1 Co 14). Il souligne également que le don du « parler en langue » n’édifie pas le peuple (les membres de l’église), mais uniquement celui qui l’emploie, car la langue n’est pas toujours comprise des hommes. C’est pour cela qu’il dit « En effet, celui qui parle en langues ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le comprend, et c’est en esprit qu’il dit des mystères » (1 Co 14:2). Il ajoute aussi que, si les propos ne peuvent être traduits, il faut s’abstenir et parler en langue comprise de tous. Il réclame donc que ceux qui parlent en d’autres langues aient aussi le don d’interpréter (ce qui est complémentaire du parler en langues) : « C’est pourquoi celui qui parle en langue doit prier pour pouvoir interpréter. Car si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence n’en retire aucun fruit. Que faire donc ? Je prierai avec l’esprit, mais je prierai aussi avec l’intelligence. Je dirai un hymne avec l’esprit, mais je le dirai aussi avec l’intelligence » (1Co 14, 13-15).
Peut-on parler pour ne rien dire ? Je vous atteste : qui ne sait que la loi Si quis canis, Digeste, De vi, paragrapho, Messieurs, Caponibus, est manifestement contraire à cet abus ? Vous devez vous dire : Tiens, il se met à parler en langue ! Ce serait sans doute normal, puisque nous sommes jour de Pentecôte. Mais, rassurez-vous, il ne s’agit pas de cela. Ce que vous entendez est un extrait des Plaideurs de Jean Racine, une comédie en trois actes écrite en 1668. Le passage que je viens de lire est tiré de l’acte III, scène 3, et Jean Racine s’y livre à une parodie de la langue juridique, telle qu’elle se pratiquait alors. Il force à l’évidence le trait, afin d’en dégager un effet comique. Mais, c’est pour mieux évoquer, je le cite, ces « mots barbares » qui constituent le langage des juges et des magistrats, le rendant incompréhensible (cf. son avis Au lecteur qui précède sa pièce). En règle générale, « parler » c’est « dire » quelque chose à quelqu’un ; c’est, au sens large, utiliser une langue, pas nécessairement orale, pour communiquer. Autrement dit parler c’est « partager », c’est « entrer en relation avec ». On remarquera que même les monologues sont aussi des « entrées en relation », dans la mesure où elles supposent un dédoublement de la personnalité de celui qui parle. Ainsi donc nous parlons pour nouer des liens, pour transmettre un message, une émotion, un état d’âme, une espérance, etc. Parler, c’est en quelque sorte vouloir cesser d’être seul. Cependant, quand je parle, ce dont je parle et la façon dont j’en parle ont en général du sens pour moi, car ils me parlent. Mais ont-ils une signification pour les autres ? Leurs parlent-ils ? C’est la question que l’on peut se poser concernant les manifestations liées au « parler en langue ». Le Livre des Actes nous décrit les Apôtres, au jour de Pentecôte, investis par l’Esprit, et se mettant à parler « en d’autres langues », de telles sorte que chacun pouvait les entendre parler, dans sa langue, des merveilles de Dieu. On donne à cette manifestation de l’Esprit le nom de « xénoglossie ». Par la suite apparaît dans les communautés chrétiennes la pratique du « parler en langue » ou glossolalie (Actes 10, 46 ; I Co 14, 2-39). A la différence de la première, celle-ci est un langage extatique consistant à s’exprimer en des sons inarticulés n’appartenant à aucune langue, à parler avec des mots inintelligibles pour autrui. La bible La Pléiade a choisi de traduire ce « parler en langue » par le terme de « charabia ». En effet, pour le commun des fidèles, ce « parler en langue » ne veut rien « dire ». Mais, le fait que le « parler en langue » reste généralement incompris le disqualifie-t-il pour autant ? Dans ce cas il faudrait commencer par disqualifier les paraboles de Jésus. On pourrait effet faire le rapprochement avec Jésus qui parlait à ses disciples en « Paraboles », mais ceux-ci ne les comprenaient pas toujours. C’est pourquoi, en particulier, Jésus était obligé de leur « dire » ce qu’elles voulaient dire… On pourrait aussi souligner que le langage de l’Église, ou plutôt son jargon, est devenu à bien des égards un « patois de Canaan ». L’apôtre Paul lui-même dit parler en langue. Il ne s’élève donc pas a priori contre cette manifestation de l’Esprit dans les assemblées, mais à la condition expresse qu’il y ait là présente une personne capable, par ce même Esprit, d’interpréter ce « parler » afin de faire entendre à la communauté ce que l’Esprit veut dire à l’Église. S’il n’y a pas d’interprète, ajoute-t-il, qu’on se taise, et que l’on parle à Dieu dans son cœur. Et on retrouve là l’une des constantes de la pensée de l’apôtre : l’utilité. En 1 Co 6.12 il affirme : « Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile » (1 Co 6,12). Ici, il insiste aussi le fait que « à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune ». L’utilité au plan personnel, l’utilité au plan communautaire. A travers ce charabia qu’est le « parler en langue », par le moyen de l’interprète, l’Esprit peut « dire » une chose claire et compréhensible à l’Église. Et que dit l’Esprit aux disciples, le jour de Pentecôte ? On commencera par faire remarquer que l’étonnement et l’émerveillement des foules se trouvant à Jérusalem, ce jour-là, ne viennent pas tant du fait que les apôtres « parlent » dans des langues leur sont inconnues, les langues des anges pour certains, mais dans le fait que « chacun les entendait parler dans sa propre langue » (Actes 2.6). En fait, c’est la question même de l’Église elle-même qui est posée. Dans les événements de Pentecôte tels que les Actes nous les rapportent, il ne s’agit pas de seulement « parler » mais il s’agit, bien au contraire, de se faire comprendre des autres. Pentecôte invite à prendre en considération le peuple concret auquel on s’adresse, à utiliser sa langue, ses signes et symboles, à répondre aux questions qu’il pose, à aller le rejoindre sa vie concrète. Or, seule une Église qui garde la conscience de son universalité et montre qu’elle est en fait universelle peut avoir un message capable d’être entendu par tous. Pentecôte ne crée pas du merveilleux, de l’étrange, du surnaturel. Pentecôte vient nous interroger, en fait, sur la place que nous laissons à l’autre dans nos églises, dans nos paroles.