Textes : Proverbes 30, v. 15 à 33 Luc 1, v. 46 à 54 Ésaïe 61, v. 1 à 11 1 Thessaloniciens 5, v. 16 à 24 Jean 1, v. 6 à 8; 19 à 28 Pasteur Françoise PujolTélécharger le document au complet

3ème dimanche de l’Avent

Notes bibliques

Contexte :Luc 1, 1 à 2, 40 est un ensemble très soigneusement construit par l’auteur. Il entrecroise les naissances de Jean-Baptiste et de Jésus :

A Annonce de la naissance du Baptiste

A’ Annonce de la naissance de Jésus B rencontre des 2 mères enceintes (rencontre des 2 enfants in utero !) C Naissance du Baptiste + accueil par un cantique (de Zacharie) C’ Naissance de Jésus + accueil par un cantique (de Syméon) Notre texte, appelé cantique de Marie ou d’après la traduction latine « Le Magnificat », se situe au centre (partie B). Il se présente comme la réponse de Marie à la salutation inspirée d’Élisabeth (voir 1, 39-45). Genre littéraire et composition : Ce texte est un cantique, un poème dans le style des psaumes de louange de l’AT. Il est très proche du cantique d’Anne en 1Sm 2, 1 à 10 quant à son style et aux thèmes traités. C’est en fait une mosaïque de textes de l’AT. La louange personnelle est tissée de réminiscences bibliques (les Psaumes notamment : voir les renvois dans les notes des Bibles) et liturgiques. L’arrivée de Jésus (pas cité toutefois dans le chant de Marie) est dans la lignée de l’AT et l’accomplit. Le texte fonctionne par élargissement, en deux parties

  1. V 46 à 49 : Marie parle de ce qui lui advient personnellement.
  2. V 50 à 55 : sa louange s’élargit à une évocation générale du salut de Dieu.

Commentaire : -1ère partie (v 46 à 49) : Marie ne répond pas à la question d’Élisabeth au v 43, mais la réalité du signe annoncé par l’ange (Élisabeth, elle aussi, est enceinte) fait jaillir la louange de la bouche de Marie. La joie est très présente dans l’Évangile de Luc. Les v 46-47 présentent un parallélisme typique de la poésie hébraïque qui dit la jubilation de Marie. C’est aussi une reprise d’Habaquq 3, 18. Mon âme c’est mon moi conscient et intérieur, appelé souvent dans les Psaumes à louer Dieu (Ps 103, 1). Le mot est en parallèle avec mon esprit (les facultés affectives). Leur action ? Exalter Dieu : reconnaître et proclamer sa grandeur. Le second verbe est passif : l’esprit s’est rempli d’allégresse. C’est un verbe qui n’existe pas en grec mais qui est forgé par la Bible (traduction grecque de l’AT et NT). Il signifie « se réjouir » avec une tonalité de plénitude, d’accomplissement. Il est au passé. Quelque chose de décisif est accompli qui réjouit de façon ultime. Trois termes synonymes avec des nuances : le Seigneur, Dieu, mon Sauveur. L’action du Seigneur est salutaire et il est confessé comme un sauveur personnel. Le v 48 donne le motif de la louange : Dieu a porté son regard sur sa servante qui est de condition humble, basse, d’un milieu social peu élevé. C’est le sens. Ce n’est pas une supposée qualité morale de Marie qui est mise ici en avant (d’où « son humble servante  » est ambigu). Elle dit qu’elle est quelconque : Dieu vient en pleine pâte humaine ordinaire. Le regard de Dieu est cause de louange. L’allusion à Anne est évidente. En 1 Sm 1, 11, dans sa prière de supplication elle disait : « Seigneur…porte ton regard sur la basse condition de ta servante ». Les mêmes mots sont utilisés dans la traduction grecque de l’AT et notre texte. La situation de Anne, stérile, renvoie à un abaissement infligé. Sans enfant, elle est déconsidérée, comme les humbles socialement auxquels le mot pour basse condition renvoie également. La deuxième partie du v 48 cite Gn 30, 13 : Léa sera heureuse ou bienheureuse car sa servante lui a donné un fils. Marie sera dite heureuse ou bienheureuse en raison de celui dont elle est enceinte. Son bonheur est un cadeau de Dieu et ne renvoie à aucun mérite personnel. Le v 49 cite Dt 10, 21. Les grandes choses faites par Dieu sont les délivrances de son peuple élu. La venue de Jésus est comparée à l’événement salutaire par excellence : la sortie d’Égypte. Marie actualise et personnalise l’action salutaire du Seigneur, elle relit son histoire avec les mots et les réalités de tout Israël. Dieu manifeste pleinement son être (signifié par son nom), sa sainteté, en intervenant fidèlement pour les siens, en sauvant son peuple. Marie témoin de cette action ne peut que proclamer : saint est son Nom. – 2ème partie (v 50 à 55) : Le mot bonté (pitié, compassion) encadre cette 2ème partie où Marie s’efface complètement pour élargir son regard dans le temps, à la succession des générations (v 50 et 55) et dans l’espace, à toutes les catégories sociales (v 51 à 53). Au v 50 : « Craindre Dieu » : aimer respectueusement (un supérieur). V 50 Sa bonté de générations en générations V 51 Il est intervenu : série de renversements dont Dieu est le sujet A dispersé les orgueilleux Dieu abaisse A jeté à bas les puissants abaisse A élevé les humbles élève A comblé les affamés élève A renvoyé à vide les riches abaisse Est venu en aide à Israël son serviteur élève V 54 Sa bonté

V 55 pour Abraham et sa descendance pour toujours

Il s’agit d’un rappel de l’agir de Dieu pour Israël, fondé sur sa compassion. C’est en même temps l’annonce du programme virtuel du salut qui sera accompli par l’enfant à naître. Dieu renverse les situations (cf. Ps 75, 8). Lui seul a la compétence de juger et de mettre en évidence les vraies valeurs. Il a le pouvoir d’inverser les valeurs anciennes pour en établir de nouvelles. L’intervention salutaire de Dieu rendra prioritairement justice aux écrasés (voir les Béatitudes de Luc 6, 20-26).L’évangile de Luc insiste sur cet aspect. Les orgueilleux, les puissants, les riches sont les figures des pouvoirs politiques et économiques qui écrasent les plus faibles et que Dieu vient contester et renverser. Les humbles, les affamés sont notamment dans les Psaumes les « petits » socialement, qui attendent de Dieu la justice, la délivrance. Le dernier mot est à l’élévation : celle d’Israël, appelé serviteur, l’Israël si souvent dominé et faible témoin de Dieu (Es 53). Marie voit cela accompli déjà. La liturgie célèbre au présent l’avènement du nouveau monde à venir et incite à une action actuelle en conformité avec ce que Dieu veut et va instituer. Ce texte devrait toujours venir contester tous les pouvoirs qui écrasent (sous la dictature en Argentine le texte avait été amputé : trop contestataire !).

Proposition de prédication sur Luc 1, 46-55 L’enfant n’est pas né et déjà la joie éclate ! Ce n’est pas encore Noël et c’est l’allégresse ! Marie chante sa jubilation et célèbre Dieu, auteur de sa joie. Mais point de mièvreries dans ce que proclame Marie, ni de détails sur elle et l’enfant à naître. Luc a voulu à travers les paroles de reconnaissance de Marie nous donner le programme : l’arrivée du Fils de Dieu va bouleverser nos organisations et nos valeurs. S’il est un texte où spiritualité et vision du monde se télescopent, c’est bien celui-là ! Exaltation de Dieu et vision politico-économique y vont de pair. Le Dieu célébré par le cantique d’action de grâce de Marie est un Dieu qui intervient dans les affaires bien matérielles des hommes, bref, le même que Celui de l’Ancien Testament. Et, de fait, le chant de Marie est tissé d’allusions et citations venues tout droit du Premier Testament. Comme le dit joliment France Quéré : « Cette femme est une Bible ouverte » et cela, ça nous plaît à nous Protestants ! Relisant toute l’histoire d’Israël, Luc fait dire à Marie : « La bonté de Dieu s’étend de générations en générations sur tous ceux qui l’aiment et l’honorent » (c’est le double sens de « craindre Dieu »). Si Marie le proclame haut et fort c’est qu’elle-même se sent entièrement au bénéfice de la bienveillance, de la tendresse de Dieu. Le secret de sa joie ? C’est que Dieu « a porté son regard sur la basse condition de sa servante. » Tout Noël est là en germe : -Marie a été regardée par Dieu. -Alors, désormais, Marie, inspirée, et tissant les vieux mots de la Bible, voit le monde, son histoire et son avenir selon Dieu. Ce sera les deux temps de ce message : être regardé par Dieu et voir le monde tel que Dieu veut et va le transformer. 1. Marie, qui porte le Messie, dit qu’elle a été regardée par Dieu. Mais Marie, ici, c’est tout un chacun. Tous les humbles de la terre, vous, moi, dans notre faiblesse d’humains, avons été regardés par Dieu. « Il a porté son regard sur la modeste condition de sa servante » dit-elle. Dans l’Ancien Testament quand « Dieu porte son regard sur » des hommes, sur une situation, cela signifie qu’il intervient pour délivrer, pour réconforter, pour rétablir le droit bafoué. En fait, Marie reprend les mots d’une autre femme. Rappelez-vous : Anne était stérile et du coup humiliée, dévalorisée dans la société de son temps. Elle a supplié Dieu : « Seigneur porte donc ton regard sur la modeste condition (ou même : sur la pauvre condition) de ta servante ». Marie reprend les mots d’Anne pour son action de grâce. Anne, exaucée avec la naissance de Samuel, a chanté sa joie ; Marie fait de même mais en reprenant les mots d’Anne lorsqu elle appelait au secours. Le cri de la femme stérile évoque tous les appels d’une humanité en souffrance. Et Marie dit que ces cris ont été entendus par Dieu, les attentes comblées par le Dieu Sauveur. Anne stérile souhaitait ardemment un enfant. Marie, pas encore mariée, n’a rien demandé. La grâce survient de façon inattendue et dérangeante tout à la fois ! C’est comme si le salut de Dieu était toujours surprenant, hors norme, excédant nos attentes. Un salut qui a besoin de nous aussi, comme Dieu a eu besoin de Marie pour que son Fils naisse parmi nous. Marie a été regardée par Dieu et cela bouscule sa vie, mais fait aussi advenir la joie ! Désormais, en Jésus, par Jésus en nous donnant Jésus, le Christ, Dieu regarde définitivement l’humanité avec bonté et on peut aussi traduire : avec compassion, avec tendresse. Et regarder, redisons-le, quand le Seigneur est le sujet, cela signifie intervenir concrètement, activement ! La grande joie de Marie, son allégresse, c’est celle-la : savoir l’humanité secourue par le Dieu fidèle. 2. Alors Marie voit le monde selon Dieu, dans la lumière de l’enfant à naître. Et c’est renversant ! … et dérangeant, pour nous, les riches. Car que prophétise Marie, en s’inspirant largement de l’Ancien Testament ? Les humiliés se relèvent, les pauvres du Tiers-Monde reçoivent la nourriture en abondance, les dictateurs sont renversés et destitués, les riches spéculateurs se retrouvent avec leurs comptes vides… Luc, en ce commencement de la Bonne Nouvelle nous donne les grandes lignes du programme socio-politique de Dieu avec la venue de son Fils. Mais voilà 2000 ans que nous fêtons sa naissance et sans cesse renaissent dictatures et puissances économique qui écrasent. Il est fort peu probable que les plus riches, renversés par la crise économique actuelle, en souffrent autant que les plus démunis de notre planète. De plus, un pauvre devenu riche et puissant se fera vite tyran dominant, pour ne pas dire exploitant, ses frères humains. N’empêche, ce texte garde sa charge explosive : ce n’est pas pour rien que sous la dictature en Argentine on avait amputé ce chant de Marie des versets trop dérangeants pour les puissants…. N’empêche, encore, nous ne pouvons confesser que Jésus est notre Seigneur et fermer les yeux sur le programme que Dieu a décidé de mettre en place avec lui, par lui. L’Évangile nous montre, en effet, Jésus amis des plus petits, des humbles, nourrissant et guérissant, et nous mettant en garde contre l’esclavage des possessions, de l’argent et du pouvoir qui écrase et nous invitant à la joie de partager. Le OUI à Jésus-Christ c’est le OUI concret de la solidarité, du partage, du souci des pauvres, ici et au loin. Et c’est le NON à un enrichissement égoïste et effréné, à une consommation de surplus alors que la faim s’accroît encore dans le monde, le NON à la domination des nations riches, dont la nôtre, sur celles d’Afrique ou d’Amérique latine. Dieu a décidé d’intervenir ultimement en Jésus-Christ. Il nous est dit ici clairement quelles sont les valeurs que Dieu fera triompher et qu’il nous invite à mettre au centre de nos vies… si c’est bien Jésus qui est notre Seigneur ! Il est venu nous sauver de notre égoïsme, de notre possible indifférence de repus, nous sauver de notre richesse qui peut nous rendre aveugles et sourds. Avant même de nous raconter la naissance du Fils, Luc avec le chant de Marie, n’y va pas de main morte ! Et Jésus adulte confirme et signe : « Malheureux vous les riches : vous tenez votre consolation. Malheureux vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim. » (Lc 6, 24-25). Paroles rudes… pour nous sauver ! Pour que la joie, celle de Marie, soit aussi la nôtre ! Voulez-vous vraiment toujours de ce Sauveur qui vient à Noël ? Amen.