Textes : Ps 147 Job 7, v. 1 à 71 Corinthiens 9, v. 16 à 23 Marc 1, v. 29 à 39Pasteur Hugues LehnebachTélécharger le document au complet
Nouis dans L’aujourd’hui de l’Évangile (éd. Berger et Mages) fait une présentation assez personnelle de la belle-mère de Simon. Il la suppose vivre chez sa fille. Son gendre est pêcheur soumis aux aléas de ce métier, un jour avec et un jour sans. Mais voici que Simon s’est entiché de Jésus et le suit en délaissant son métier ce qui met sa belle-mère en souci, au point qu’elle en tombe malade. Jésus s’arrête chez Simon, se penche sur le cas de cette femme. Il lui prend la main, la guérit, la fait se lever. Elle est mise debout, c’est-à-dire ressuscitée. Il s’est soucié d’elle. Elle révise son jugement sur Jésus, comprend qu’il ne sépare pas les membres d’une famille, admet que le jugement de son gendre était fondé et se met à les servir. Elle a trouvé un sens à son existence. Il conclut en suggérant que cette femme est représentative de la figure du diacre qui remplit une tâche essentielle dans l’église. Simon est apôtre et elle est diacre. Chacun remplit son rôle dans l’église en devenir. Valette, dans son commentaire de l’Évangile de Marc (Les Bergers et les Mages ), fait l’observation suivante : Jésus est apparu à cette occasion comme celui qui sauve l’être tout entier. Ce qui s’est passé dans la maison de Simon est figure de l’événement qui concerne tout croyant. Quand Jésus entre dans la maison de Simon, il entre dans sa vie tout entière ; La guérison, le salut, entraîne immédiatement le service du Christ et des frères. Il note que Marc et Luc disent « elle les servait » alors que Matthieu écrit « Elle le servait ». Il fait remarquer que le mot de « service » (diaconia) est mentionné 34 fois dans le N. T. Le verbe « servir » y figure 37 fois, et le mot diacre, « serviteur » 30 fois. Puis Valette va aborder la question du sens à accorder au miracle. « Il la fit se lever » dont le sens le plus courant dans le N. T. est « ressusciter ». Ce mot est mentionné 144 fois. On ne peut donc éviter de penser à ce que signifie la résurrection. « L’ombre de la mort se profile derrière chaque maladie…En faisant lever la belle-mère de Simon, Jésus anéantit cette ombre. Cette femme rendue à la santé est promise à la résurrection… » Valette fait remarquer que l’on peut mettre facilement en question la possibilité de guérisons miraculeuse. Mais les « miracles » sont liés à l’enseignement de Jésus, notamment à sa prédication du Règne comme à sa personne. Ce ne sont pas de simples illustrations de récits utilisés comme preuves de la messianité de Jésus. Ils sont l’Évangile même dit-il. Les ôter de l’évangile réduirait la matière des textes. Les récits des miracles font partie de la prédication du Règne. Certes les miracles comportent une signification symbolique. Ils sont d’abord les signes de ce règne qui vient et qui est déjà là en Celui qui guérit. Il est intéressant de jeter un coup d’oeil sur le commentaire que fait Bonnard du parallèle de ce texte dans l’Évangile de Matthieu : Matthieu supprime dans la relation tout l’aspect émotionnel qui figurait dans Marc. Son intention est de faire de cette guérison un geste public de Jésus, geste adressé aux multitudes et aux autorités religieuses. Ce qui est mis en évidence, c’est l’autorité de Jésus. Marc 1, 32-34 L ( Mt 8, 16 ; Luc 4, 40-41 ) La journée se termine et avec elle le sabbat. On peut donc amener sans problème des malades à Jésus. Les miracles ont été vite connus. « La ville entière », c’est une hyperbole. Tout ce que la ville cache et se cache à elle-même, riches ou pauvres, est amené devant la maison de Simon. Il y a, dans Marc, une relation entre la popularité de Jésus et le secret que Jésus souhaite maintenir sur sa messianité. La foule se précipite vers Jésus mais il leur cache son identité et ne veut pas que les démons la révèlent. Est-ce parce qu’il y a malentendu ? La prédication de Jésus répond au véritable besoin des hommes. Les miracles répondent à d’autres besoins et passionnent davantage que la prédication. L’évangile est une libération totale. Le pain et la santé sont aussi le salut mais ils ne sont pas tout le salut. Les miracles sont des signes. L’essentiel du salut est la redécouverte de l’amour, la relation entre Dieu et les hommes, et entre les hommes eux-mêmes. « Ce n’est pas parce que vous avez vu des miracles que vous me cherchez, mais parce que vous avez mangé du pain à satiété » ( Jn 6, 26 ). Une autre explication est dans le fait que chez Marc ce ne sera qu’à la crucifixion que la prise de conscience de la messianité de Jésus sera possible. Le premier à confesser en vérité que Jésus est le fils de Dieu est un soldat païen qui a vu Jésus mourir sur la croix et s’écrie « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu. » ( Mc 15, 40 ) « Tous te cherchent… » Les hommes vont trouver en lui ce qu’il faut de sécurité pour ne plus chercher qui il est véritablement, pour ne pas écouter l’Évangile. Il faut donc qu’il les quitte. Et il quitte Capharnaüm. L’Église n’est l’Église que lorsqu’elle comprend que le passage de l’Évangile chez les autres est condition non seulement du salut des autres mais du sien. La prière est une préparation à cette mission fondamentale de la transmission de l’Évangile. C’est pour cela que je suis sorti, ce matin, pour prier. La purification du lépreux : v. 40-45 ( Mt 8, 1-4 ; Lc 5, 12-16 ) Ce passage met en évidence les sentiments humains de Jésus, son émotion, la rudesse de ses réactions, sans doute très proche de ce qu’il fut réellement. Dans la Bible la lèpre est la maladie par excellence. Par peur de la contagion et de l’impureté, le lépreux est rejeté. Il doit vivre isolé. Il ne peut plus travailler. Quand il se déplace il doit crier « impur » « impur » ! Le mot lèpre vient d’un verbe qui signifie écorcher, peler. Cette maladie traîne l’idée d’un jugement de Dieu. Myriam ( Nb 12, 10 ) est couverte de lèpre pour avoir médit de Moïse. Guéhazy, le serviteur d’Élisée devient lépreux pour le punir de sa cupidité (2 R 5, 27 ). Isolé, le lépreux ne peut que s’enfoncer dans sa maladie d’autant plus qu’il n’est soutenu par personne. Quand Jésus passe, il s’écrie « Si tu le veux, tu peux me purifier ». Il n’a plus rien à perdre. Au mépris de toutes les règles, Jésus le touche pour le guérir. Nouis repère ici trois tensions qui structurent le récit : la pureté et l’impureté, la colère et la compassion, la liberté et la soumission. La pureté et l’impureté : La demande : « tu peux me purifier » montre que le lépreux se sait impur. Son geste s’explique par la confiance qu’il a. Une personne qui touche un lépreux est elle-même rendue impure. Toucher les lépreux, c’était les rejoindre en transgressant la loi dans une excommunication pire que la mort. En touchant le lépreux, Jésus signifie que Dieu partage maladie et exclusion et n’est pas le Dieu qui punit les malades. Toucher quelqu’un, c’est entrer en communion avec lui. Dans l’évangile la pureté n’est plus une question extérieure mais une question intérieure. La colère et la compassion : Certains manuscrits parlent de colère et non de pitié. Nous avons dans le récit trois verbes : être saisi de colère, s’irriter ou gronder, chasser. Ils expriment un climat de rudesse, voire de brutalité. Résulterait-elle de la révolte de Jésus devant le triomphe du mal ? Sans doute en partie. Ce qui expliquerait également la colère de Jésus est qu’il lui avait demandé de se taire et qu’il fait tout le contraire. Une autre suggestion de Valette : Une nouvelle demande de miracle favorisant le malentendu sur sa mission et sa personne, propre à le faire apparaître comme thaumaturge ou guérisseur et non-prédicateur. La nouvelle se répand au point que Jésus ne pouvait plus entrer dans une ville. Cette guérison freine donc son ministère. Jésus a surmonté sa colère pour entrer dans une démarche compassionnelle. La liberté et la soumission : Jésus ordonne à l’homme guéri de faire ce que prescrit le Lévitique. Il l’invite donc à respecter les préceptes religieux. Pour Nouis il s’agit d’une obéissance au nom de la liberté. « Libérés par grâce, nous pouvons suivre le Christ et vivre l’Église dans la reconnaissance de ses commandements » Cet homme impur, comme la femme adultère de Jean 8, est le paravent derrière lequel se cache la société d’alors, société qui éprouve le besoin de fixer en dehors d’elle, sur les maudits, ce dont elle est en fait atteinte. C’est sa façon de se prouver son intégrité. Jésus dénonce ce montage et proclame que l’impureté n’est pas là où on veut la voir. La main posée sur l’épaule du lépreux, c’est le recommencement de la relation avec un autre homme. C’est le salut avec la guérison en plus. Le témoignage : Jésus soumet l’ancien lépreux à la purification ( Lev. 13, 14 ). Le prêtre pourra constater la guérison comme le prévoit la loi. Les autorités religieuses verront ainsi que Jésus obéit à la loi. Doit-on penser que ce détail exprime les difficultés des premières églises dans leurs rapports avec la synagogue ? Ou leurs tensions internes ? Bonnard dans son commentaire du même récit par Matthieu pense que Jésus entend se soumettre aux observances légales. Cette loi qu’il « accomplit », il en est le maître puisque c’est lui qui accomplit la guérison que la loi doit entériner. La loi trouve ici une nouvelle signification. Elle rend témoignage à l’autorité du Christ. C’est lui qui est l’autorité suprême.L’homme peu impressionné par les consignes de Jésus pour lui imposer le silence raconte partout son histoire. La Parole se répand. Laquelle ? Celle déformée des activités de Jésus guérisseur ? Ou la véritable, l’Évangile ?
Introduction : Ces deux récits nous présentent les contemporains de Jésus comme fascinés par les miracles qu’ils regardent comme des prodiges au lieu d’en comprendre la signification. Pour d’autres raisons nous faisons comme eux. C’est donc par les miracles que nous entrerons dans notre méditation. Dans un deuxième point nous pourrons tenter de voir en quoi la belle-mère de Simon et le lépreux sont semblables et différents. Puis nous tenterons d’actualiser la situation en la projetant dans notre univers. 1) Les miracles sont des signes Tout au long de ces récits la question du miracle se pose de façon récurrente. La foule sollicite constamment Jésus pour qu’il opère des miracles. Jésus répond à la demande et vient sauver les malheureux et les guérit à la stupéfaction sans doute du public. Ils se comportent comme un public au spectacle. Et Jésus semble agacé de ce que l’on ne voit en lui qu’un thaumaturge. Il préférerait que l’on s’attache davantage à son message, à la proclamation de la bonne nouvelle du salut. Il semble donc en porte à faux et quand il le peut il s’éloigne pour prier, pour reprendre son dialogue avec le Père. En ce qui nous concerne à 2 000 ans de distance de ces événements, nous sommes également portés à plus nous intéresser aux miracles qu’à ce qui est dit en actes ou en paroles dans ces textes. Marqués profondément par notre formation rationaliste et scientifique nous mettons en doute la véracité des récits, doutant de la possibilité de ces guérisons obéissant à des lois surnaturelles. Puis nous attachons tant d’importance à cette question que nous en oublions la signification. En effet ces miracles sont simplement des signes à l’image des tracés de la carte que nous consultons pour nous rendre d’un point à un autre dans une région que nous ne connaissons pas. Nous ne prenons pas ces tracés pour la réalité des routes ou des autoroutes. De même quand nous regardons le tableau d’un maître, nous ne cherchons pas à vérifier s’il a fait une bonne photographie du paysage qu’il peignait car nous cherchons à comprendre le sentiment, l’émotion qui l’avait saisi quand il a fait cette œuvre. De même en est-il de ces récits de miracles. Peut être que Jésus était vraiment un guérisseur exceptionnel. Peut être que ces récits sont auréolés d’une pointe de surnaturel imaginée par les auteurs des récits. L’essentiel est dans ce que ces signes veulent souligner et faire passer du message de l’annonce de l’Évangile. Jésus guérit, Jésus sauve, Jésus ressuscite. Et ce miracle concerne chacun de nous car nous pouvons en être le sujet. Soit pour agir à notre tour et témoigner, soit parce que c’est nous même qui pouvons être guéri, sauvé, ressuscité. La même trame qui relie les deux récits de guérison est celle de la résurrection vécue par celles et ceux qui ont vécu la rencontre avec la personne du Christ. 2) Similitude de situation entre la belle-mère de Simon et le lépreux Tout d’abord Marc nous présente une humble femme, la belle-mère de Simon. C’est l’image d’une femme âgée, fatiguée, éprouvée sans doute et terrassée par la maladie, la lassitude. Au lieu de mettre l’accent sur l’accueil réservé par Simon à Jésus, sur leur conversation, il s’arrête sur ce qui semble le plus futile : une pauvre femme dont on va se soucier, mettre sur le devant de la scène. Elle, elle a peut être le sentiment d’être en quelque sorte de trop. De gêner par sa présence insupportable puisqu’elle est malade, inutile et pesante. Pour un peu elle s’excuserait d’être malade. Or c’est d’elle que Jésus se préoccupe. Jésus la prend par la main, elle se lève, elle se remet debout. Se relever, c’est ressusciter. On emploie le même mot pour désigner, et l’effort physique par lequel on se relève, et ce qui se passe dans la tête et le coeur, quand quelqu’un reprend goût à la vie, retrouve sa place dans la société, a le sentiment que sa vie a un sens. Le lépreux au bord du chemin est beaucoup moins discret. Il guettait le passage de Jésus. Il n’a absolument plus rien à perdre. Et quand Jésus passe, il fait délibérément ce qui lui était interdit. Au lieu de crier « impur » ! « impur » ! Pour éloigner Jésus de la malédiction qu’il représente, il se met à genoux et l’interpelle par une sorte de confession de foi : « Si tu le veux tu peux me rendre pur ». Et le miracle là encore va se produire : Jésus va le rendre à la vraie vie. Non pas une vie au rabais, une vie de quelqu’un qui se traîne en quêtant de quoi survivre dans le dénuement, qui se contenterait d’une pièce lancée de loin, comme s’il n’était qu’un rebut, qu’une personne à rejeter, qui ne vaut rien puisque tout le monde vous rejette. Qu’est-ce donc qui leur a donné cette énergie ? d’où leur vient ce sursaut ? Est-ce parce que dans leur enfance ils ont été aimés, sécurisés de façon suffisante pour oser se révolter, pour oser braver les interdits ? Toujours est-il qu’ils imaginent une autre vie possible. Ils rêvent peut-être. C’est leur force ! Ceux là savent qu’ils n’ont plus rien à perdre alors ils saisissent l’occasion offerte et nous crient « Si vous le voulez, vous pouvez me sauver ! » exactement comme le fit le lépreux en s’adressant à Jésus malgré toutes les interdictions religieuses ou sociales. Et Jésus alors nous montre l’exemple à suivre. Il lui toucha l’épaule, se fit proche, le secoua littéralement avec une pointe de rudesse pour qu’il se relève, se mette lui aussi en marche et fasse ce qu’il fallait pour être réintégré socialement. La belle-mère de Simon était restée en retrait. C’est Jésus qui était allé au devant d’elle, sans lui demander dirai-je, son avis. Par contre c’est le lépreux qui a provoqué la rencontre. Ces deux attitudes sont deux aspects de ce qui permet la mise en marche de la résurrection vécue au niveau de notre humanité. Les personnes qui sont dans la situation de la belle-mère de Simon ou du lépreux sont légion autour de nous. Ce sont des oubliés de la vie. Certains ont appris dès le plus jeune âge à se calfeutrer dans une situation effacée, en retrait. Nés parfois dans une famille de situation modeste, précaire, ils ont eu tendance à n’occuper que la place que les autres leur laissaient. Poursuivre des études supérieures par exemple leur semble interdit. D’autres se considèrent marqués, de façon indélébile, par leur origine, par la couleur de leur peau, par leur passé ou celui de leurs parents. Alors ils baissent les yeux mais souffrent en silence de cette injustice du destin. Mais que quelqu’un les regarde, les voit, leur prend la main, leur sourie, leur parle, et, tout étonnés, ils peuvent alors se mettre debout, naître à nouveau, prendre confiance en eux, s’affirmer à un tel point que leurs anciens condisciples n’en croient pas leurs yeux. Ils prennent dès lors leur place et jouent parfaitement leur rôle comme le fit la belle-mère de Simon. Certains parmi eux, face à l’adversité, ont fini par aimer leur souffrance. Tout projet de développement est alors arrêté. Les convaincre du contraire est beaucoup plus difficile, exige beaucoup plus d’effort que celui de leur prendre simplement la main pour les aider à se lever. 3) Actualisation Nous n’avons pas l’occasion de rencontrer fréquemment des lépreux en faisant nos courses. Dans notre monde soumis aux lois du seul profit, de la lutte du chacun pour soi, de l’adhésion aux règles du jeu imposées par le plus grand nombre, nous pouvons très bien rester passifs et supporter l’insupportable. Un enfant de déporté raconte que lorsque les nazis ont édicté un règlement incitant à la persécution des juifs, ceux qui se sont tus n’ont pas été inquiétés. Ils avaient la permission de ne pas obéir, de laisser simplement faire ceux qui s’étaient volontairement soumis à l’horreur en persécutant les victimes désignées. Or, nous sommes également confrontés à cette exigence de l’évangile : oser faire ce qu’il faut pour simplement permettre à ceux qui sont les oubliés de la vie de reprendre confiance, de se lever, de ressusciter. Il y a mille façons d’agir ainsi : Apporter son concours à une oeuvre caritative comme le diaconat. Faire partie d’un cercle du silence pour demander simplement que les sans papiers soient traités avec respect et dans la dignité aux côtés de la Cimade, oser protester si dans un échange quelqu’un profère des propos inadmissibles, des propos racistes par exemple. C’est peu de chose et pourtant c’est incroyablement important et salutaire pour l’avancée du royaume. Quand Jésus étendit la main pour toucher le lépreux il ne manifestait pas seulement sa volonté d’établir un contact avec le lépreux pour lui dire en le touchant qu’il se voulait son prochain. Il provoquait l’intelligentsia religieuse et sociale de son temps. Toucher un lépreux, c’était se mettre soi-même au rang des impurs. En s’appuyant sur le Talmud, on considérait à l’époque que le lépreux était une personne punie par Dieu pour avoir commis une faute grave comme l’assassinat, le faux serment, avoir eu une relation sexuelle interdite, commis un vol ou être avare. En fait, Jésus dénonçait simplement la véritable impureté d’une société qui voit dans un bouc émissaire le mal dont elle est elle-même porteuse. Une société qui ne cherche pas à faire régner la simple justice mais qui organise de façon démagogique le jeu de la compassion pour inciter à venger les victimes, ou qui met sur pied la répression contre ceux qu’elle juge a priori coupables est une société elle-même malade. Au lieu de chercher à lutter contre les causes des comportements asociaux, elle se cache derrière les jugements portés à l’encontre des êtres considérés comme impurs. Or c’est justement dans les marges de la société que l’on voit le mieux les maux dont le monde souffre. Les marges se sont par exemple les prisons. La violence qui existe dans ces marges de la société que sont les cellules de nos prisons est l’exacte réplique de la violence larvée qui existe dans la société tout entière. Il est plus facile de punir que de réinsérer, de réintégrer. Les marges de la société sont aussi dans nos cours d’école. Quand les enfants jouent au jeu dangereux du petit pont, jeu qui consiste à tabasser celui qui n’a pas pu bloquer le ballon qu’on lui jetait entre les jambes, ils nous renvoient l’image d’une société sans pitié pour les chômeurs, pour tous les laissés-pour-compte, les sans-domicile, les surendettés, les malades mentaux. Pour que ceux-là refassent surface, ressuscitent en quelque sorte, il faut qu’ils reprennent confiance en eux pour se retrouver en tant que personnes et non plus en tant qu’individus victimes ou n’obéissant plus qu’aux seules lois de ce monde perverti. Conclusion : Jésus nous invite à aller à la rencontre avec Dieu. La personne qui vit cette rencontre est soudain habitée par la prise de conscience de sa véritable identité. Si il ou elle était vivant en retrait, écrasée par les épreuves vécues, par un trauma qui l’avait foudroyé(e). il ou elle prend conscience de l’amour infinie de Dieu à son égard. La rencontre est la première étape d’une résilience, d’un retour ou d’une découverte de son infinie importance pour Dieu. Au cours de cette conversation infinie, l’homme ou la femme trouve sa place et se découvre soi même. Cette expérience peut être vécue simplement parce que nous nous sommes mis en quête d’une réponse au sens à donner à notre propre existence, à l’attitude à avoir avec celles et ceux qui nous entourent. Bref, il se peut que l’on soit simplement en recherche d’une paix intérieure qui soit réponse à nos préoccupations. La rencontre peut surgir de diverses façons. Luther, à la suite d’une longue quête vécue comme une épreuve spirituelle, nous indique une voie possible. Ce dont il a pris conscience à la lecture de Romain 3 est que nous sommes accueillis, restaurés dans notre dignité, justifiés par Dieu et qu’il nous suffit de faire confiance à Dieu, de le croire pour le vivre. Cette découverte de la personne libérée, sûre d’elle-même, de sa valeur, de son indépendance à l’égard des autorités, à l’exception de l’autorité des Écritures, a été transformée sous l’influence en particulier des philosophes des Lumières et par la modernité laïque en une conception universaliste de la personne. Ce fut l’origine de ce qui s’énoncera plus tard sous une version laïque avec la déclaration des droits de l’homme. Cette prise de conscience peut vous saisir de façon soudaine ou être au contraire l’aboutissement d’un lent cheminement intérieur. La prise de conscience qui fait naître la personne au coeur de l’individu peut être vécue comme l’expérience de sa propre résurrection, c’est-à-dire d’une rencontre avec la personne du Christ tel qu’il est annoncé dans les Écritures. C’est recevoir sa vie comme un don gratuit que nous n’avons pas à payer mais seulement à accepter. Au moment où Christ devient l’événement qui survient, rencontre notre propre personne, la modifie radicalement et donne un sens à notre existence c’est Pâques en nous même. Le sujet habité par cette certitude est tout à coup soustrait à tout ce qui pouvait le déterminer, l’asservir. Il ne s’identifie plus en rien « au monde ». La référence à Christ est le fondement d’une éthique qui fait appel à la responsabilité davantage qu’à la morale. La règle d’or de l’évangile, « tu aimeras ton prochain comme toi-même » ouvre alors des perspectives insolites. L’économie du don se substitue à l’économie marchande qui obéit à la loi de l’intérêt et du profit. Dans notre univers occidental tout imprégné de la modernité, nous avons peu à peu été conduits à croire que nous pouvions nous faire nous-mêmes, être notre propre dieu, ne devant rien à personne, parfaitement autonomes, tout puissants grâce entre autre à la technique, à notre savoir, à nos talents. Nous avons été instruits dans l’idée que réussir voulait dire gagner beaucoup d’argent et donner à nos enfants les moyens de « tirer leur épingle du jeu ». Et voilà que, guidés par l’Esprit Saint, à l’écoute de l’Évangile, nous pouvons découvrir qui nous sommes en vérité, non des individus surdéterminés par l’idéologie environnante, mais des personnes conscientes et responsables, des témoins du Royaume en marche. Amen