Textes : Ézéchiel 1, v. 1 à 14 Ps 33 Deutéronome 4, v. 32 à 40 Romains 8, v. 14 à 17 Matthieu 28, v. 16 à 20Pasteur Jean-Pierre SternbergerTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Les manuscrits ne posent pas de problème particulier. A noter une variante attestée dans un manuscrit grec et la version syriaque (peshitto) qui insèrent le texte de Jn 20.21 en à la fin de Mt 28.18 : « … tout pouvoir dans les Cieux et sur la terre. Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie : Allez … ». Proposition de traduction Les onze disciples allèrent en Galilée, dans la montagne que Jésus avait désignée.Ils le virent, se prosternèrent, mais eux, ils eurent des doutes;Jésus s’approcha et leur dit : « Toute autorité m’a été donnée dans le ciel et sur la terre.Allez donc,faites des disciples de toutes les nations, baptisez-les dans le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint,et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. et voici je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.Structure d’ensemble Je propose de distinguer dans ce texte deux ensembles concentriques de 7 (ou 5) et 11 stiques séparés par une phrase de transition : « Jésus s’approcha et leur dit ». La démarche des onze Le premier ensemble est délimité par deux stiques qui, en grec, commencent par les deux mots « oi de » Cet ensemble est caractérisé par un mouvement d’approche géographique suivi d’un éloignement spirituel : les disciples s’approchent de la montagne désignée par Jésus, le voient, se prosternent et doutent. Les deux premiers verbes évoquent les récits des apparitions aux femmes. A la suite de la promesse de l’ange ( » vous le verrez  » 28.7), le ressuscité vient à leur rencontre et, le saisissant par les pieds, elles se prosternent devant lui (28.9). Toutefois un autre récit paraît plus intéressant encore dans sa proximité et sa différence, celui des mages en 2.11. Comme les disciples, les mages ont été avertis. Ils le rejoignent le voient et se prosternent avant de repartir. Mais là où les mages adorent l’enfant, les disciples hésitent. Ils n’ont pas encore la foi des lointains voyageurs. Le verbe « se prosterner » du reste n’exprime pas dans Mt le seul mouvement de la foi : il est surtout le geste du suppliant (8.2; 9.18; 15.25) qui tente de faire pression sur son interlocuteur (voir le mauvais serviteur en 18.26, la mère des fils de Zébédée en 20.20). Hérode promet de se prosterner (2.8) et le Satan demande à ce qu’on se prosterne devant lui (4.9). La réponse que lui fait Jésus « devant le Seigneur ton dieu, tu te prosterneras et lui seul adoreras » éclaire de manière particulière Mt 28.17 : le geste des disciples ne saurait que signifier la divinité du ressuscité. Or, à la différence du récit des mages, Mt 28.17 ne débouche pas sur une adoration mais sur l’expression du doute. Or ces mots grecs « oi de edistassan » (mais eux doutèrent) posent un problème de traduction. Quand elle n’est pas construite avec l’expression apparentée « o men » (pluriel « oi men »), l’expression « o de » / (pluriel oi de) signifie qu’on change de sujet et doit être traduite par « mais lui » (« mais eux »). C’est une formule très fréquente dans Mt (2.5, 9; 4.20, 22; 9.31, 37; 14.17, 33 …). Mais le contexte de Mt 28.16-17 ne laisse au lecteur qu’une possibilité de compréhension du texte : identifier le sujet du verbe douter au groupe des onze déjà sujet des verbes précédents. Il s’en suit deux types de traductions : – la plus courante (déjà adoptée par les versions anciennes en latin et syriaque) suppose une scission parmi les disciples, certains (mais pas les autres) ayant des doutes. Alberto Mello insiste fortement sur cette interprétation en traduisant « d’autres au contraire doutèrent ». Reste la question de l’identité de ces « autres », voir de l’invention d’acteurs extérieurs aux onze groupe qui disparaîtraient tout aussitôt du récit. -Alberto Mello reconnaît toutefois : « ce serait intéressant si on pouvait traduire : « en le voyant, ils se prosternèrent mais restaient sceptiques » », Cette deuxième option est défendue par le commentaire de Sand (en allemand 1986) pour qui ce sont les mêmes qui s’avancent, voient, se prosternent et doutent (ou « hésitent », autre sens possible du verbe grec). Il me semble que la dernière option soit la bonne et ceci pour trois raisons :- en fonction du style : si on considère la structure du texte grec, on note que la réitération du « oi de » au début du premier et du dernier stique structure l’ensemble 28.16-17. Nous avons en effet un ensemble de 7 (ou 5) stiques centrés sur la proposition « que leur avait indiquée Jésus » et encadrés par deux énoncés en assonance : « oi de … eporeuthésan » et « oi de edistassan ». Cette lecture laisse entendre que le deuxième « oi de » reprend le premier et désigne comme celui-ci le groupe des onze : « oi de endeka mathetai ». – en terme d’intertextualité et en fonction de l’histoire de la rédaction de cet épisode : cette finale tardive de Mt rappelle Ac 28.23-24 qui raconte comment Paul en résidence surveillée à Rome donne rendez-vous ( avec Mt 28.16, seul emploi dans ce sens pour le NT du verbe « tassô ») à des membres de la communauté juive qu’il tente de convaincre. Les uns (« oi men ») se laissent convaincre. Les autres (« oi de ») refusent de croire (ici « apistô »). On pourrait alors imaginer que l’emploi inhabituel de « oi de » en Mt 28.17 tient à ce que son auteur se soit laissé influencé par sa source en Ac 28.17. – en fonction du sens même du texte : le verbe « dizô / distazô », formé à partir de l’adverbe « dis » ( = « deux fois ») signifie « hésiter entre deux » (cf. l’hésitation d’Hector dans l’Illiade. 16, 713). Il signifie ici que les disciples sont à la fois croyants et incroyants à l’image de Pierre qui tout en marchant sur les eaux s’enfonce (Mt 14.23-24, seul autre emploi du verbe dans le NT). Du coup, le rédacteur peut écrire à la fois « qu’ils se prosternent mais qu’ils doutent ». A l’instar de la célèbre expression de Serge Gainsbourg, « je t’aime, moi non plus », l’incongruité de l’emploi de « oi de » en Mt 28.17 sert à renforcer le sens de l’énoncé.la parole de Jésus (28.18-20)Nous sommes en présence d’un ensemble de 11 stiques centrés sur la formulation qui évoque la Trinité au nom du Père/ et du fils/ et de l’esprit saint. Je décris cet ensemble à partir de ce centre : – de part et d’autre de la formulation père/ fils/ esprit sont évoqués les deux modalités de l’action des envoyés en vue de faire des disciples : le baptême et l’enseignement, ce qui est souvent traduit en terme de sacrement et de prédication, ou comme les deux foyers de la célébration chrétienne. – de part et d’autre de ce noyau du texte deux stiques comportant en grec le mot « panta  » « toutes (choses) ». Il s’agit en effet de susciter des disciples au sein de toutes les nations et d’enseigner toutes les paroles de Jésus, de proposer la totalité des paroles du Christ à la totalité des humains. – de part et d’autre de ce noyau, un envoi « allez » et une promesse « voici, je suis avec vous ». Cette fois les deux énoncés sont en tension. L’ordre tend à la séparation : la résurrection ne vise pas à la constitution d’une communauté de témoins faisant bloc autour du ressuscité. Les disciples deviennent apôtres. La nouveauté de la résurrection tient aussi en ce que le Christ est présent aux côtés / en chacun des envoyés et non plus seulement en tel ou tel endroit du monde. -encadrant cet ensemble deux formules mettent de nouveau l’accent sur l’universalité du pouvoir du Christ dans l’espace (« tous pouvoirs dans les cieux et sur la terre ») et dans le temps (« tous les jours jusqu’à la fin des temps »). Il faut donc souligner que l’envoi par Jésus est placé sous le signe de la totalité : tous pouvoirs donnés en tous les lieux au Christ qui envoie en mission dans toutes les nations, enseigner toutes les paroles de celui qui est avec eux tous les jours. On peut alors comprendre aussi le centre de la proclamation selon ce point de vue en soulignant que tous les visages de Dieu nous sont évoqués, en tant que père, fils et esprit. La juxtaposition des deux parties : Mt 28.16-20 résulte donc de la convergence de deux démarches : – celle des disciples qui viennent, obéissent, voient se prosternent mais finalement doutent, c’est à dire sont divisés en eux-mêmes (à moins que ce ne soit le groupe qui soit divisé si on traduit « certains eurent des doutes »)- celle du ressuscité qui lui aussi s’approche et leur tient un discours où domine l’idée de totalité, c’est à dire d’unité du monde et de Dieu. Pour ce dimanche de la trinité, je vous proposerai donc une prédication autour de l’idée du Dieu Un pour un monde éclaté.

Prédication

Je doute.Je ne suis pas le seul. Enfin de ne pas être seul, je n’en suis pas certain mais je m’en doute. Je crois que nous sommes des millions à douter. Oui, sans aucun doute, nous sommes des millions à douter. Peut-être même que le doute est une manière de vivre : je doute donc je suis. Je doute, je me pose des questions et j’existe. Pendant ce temps, me sont sans cesse renvoyées les images et les histoires de gens qui, parce qu’ils ne doutent pas semblent ne pas exister. Existe-t-il le fanatique qui va se faire exploser ? Existe-t-il celui qui ne vit que par son travail ou sa passion, celui qui dépend d’une personne ou d’un produit ? Est-il libre celui qui se tient loin de tout doute ? Il sait, il obéit. Il est certain mais peut-il penser au delà de sa foi? Il ne doute pas mais est-ce cela la vie ? Je doute. Je doute un peu de tout. De moi d’abord mais aussi de tout ce en quoi on a cru jusqu’à présent. Je doute de ce que j’apprends. Est-ce vrai ce que disent les médias ? Tous ne disent pas tous la même chose. Beaucoup se sont beaucoup trompés et ont parfois menti. Je revois encore ce scientifique qui prétendait que le nuage de Tchernobyl n’avait pas franchi nos frontières. Je me souviens de ce débat électoral au cours duquel un président de la République accusait son premier ministre de mensonge et réciproquement. Au moins un des deux mentait, il n’y a pas de doute, mais lequel ? Est-ce celui qui mentait qui a été élu ? En fait les deux ont été successivement élus. Nous avons eu au moins un président menteur !Je doute.Je ne devrais pas douter. La science fait chaque jour de nouveaux exploits. On connaît comme jamais on n’a connu : la structure de la matière, le nombre des étoiles, l’histoire de l’univers, le fonctionnement du cerveau … On envoie de plus en plus loin des machines de plus en plus perfectionnées qui ramènent des résultats de plus en plus étonnants. Jamais nous n’avons été aussi capables de prévoir. On prévoit tout : le temps de demain, la fonte des glaciers, la désertification du Sahel, la fin des énergies fossiles. On est donc capable de prendre dès aujourd’hui les mesures indispensables, capables de donner les premiers secours à la planète en danger. On peut le faire. C’est possible. C’est souhaitable. C’est nécessaire. C’est indispensable ! C’est crucial. On aurait dû le faire. Ce qui aurait été bien c’est de le faire. Est-il déjà trop tard ? Je doute. Il y a dans l’air je ne sais quelle inertie, un manque d’enthousiasme : nous savons, nous croyons, nous voudrions, parfois nous exigeons des autres, puis nous nous lamentons et enfin nous désespérons. Faut-il croire encore ? En qui, en quoi faut-il croire ? Nous doutons. Le verbe douter commence par un « d ». « d » comme « deux ». Celui ou celle qui doute se trouve devant deux possibilités aussi crédibles l’une que l’autre, deux chemins aussi accueillants. Dans la Bible, ce verbe apparaît deux fois en lien avec la mort et la résurrection du Christ. Le premier récit raconte comment une nuit, Jésus a rejoint en marchant sur l’eau les disciples qui traversaient en barque le lac. Pierre n’en croyant pas ses yeux crut voir le fantôme de Jésus. Il demanda alors à rejoindre en marchant son maître qui avançait sur l’eau. Jésus l’appela et Pierre marcha sur l’eau. Mais il douta et ne dut son salut qu’à la main secourable de Jésus qui le retira des eaux. Le deuxième récit, celui que nous avons lu ce matin, raconte comment les disciples avaient rendez-vous avec le ressuscité en Galilée, sur une montagne. Jésus était là. Ils le voyaient. Ils se sont prosternés devant lui. Mais croyant peut-être voir un fantôme, ils doutaient également. Plutôt que de les prendre en main, Jésus alors les a envoyés dans toutes les nations, pour annoncer tout ce qu’il avait transmis. Il leur a promis sa présence tous les jours. Il leur demandait de baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. C’est un des textes du Nouveau Testament sur lequel les théologiens chrétiens se sont appuyés pour bâtir la doctrine de la Trinité, un seul Dieu en 3 personnes. Aujourd’hui où de nombreuses Églises célèbrent la Trinité, c’est le texte qui est proposé à notre méditation. Mais en quoi les paroles de Jésus peuvent-elles apaiser le doute des disciples ? En quoi cette doctrine de la Trinité répond-elle à nos doutes d’hommes et de femmes du XXIème siècle ?Il y a plusieurs manières de comprendre la résurrection. La manière la plus conforme aux témoignages du Nouveau Testament part de l’événement de la croix. Si les disciples doutent en voyant Jésus, c’est qu’avant d’être les témoins de la résurrection, ils ont été ceux de la crucifixion. Si le ressuscité n’est pas le crucifié, la résurrection n’a pas de sens. Elle fait du Christ un individu isolé du reste des humains, un immortel privilégié dont on peut douter de la capacité à comprendre nos impasses, nos échecs ou nos espoirs. Rappeler la croix, c’est dire que Dieu a habité le désespoir, l’abandon et la mort, qu’il a connu ce que tout humain connaît, que personne n’est trop loin de Lui et qu’il n’est jamais trop loin de qui que ce soit. C’est parce que le ressuscité est le crucifié que tous pouvoirs lui ont été donné, et que ses apôtres sont envoyés dans toutes les nations, forts de ce que, tous les jours, il est avec eux … Du coup, ce que plus tard, on a appelé la Trinité, un mot absent de la Bible, prend aussi un tout autre sens. C’est à propos du baptême qu’il est ici question du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ailleurs, dans les Actes notamment, les croyants sont baptisés au nom de Jésus-Christ (Ac 2.38), c’est à dire au nom de Jésus reconnu comme Christ, comme messie, envoyé de Dieu pour les humains, Jésus perçu à partir de sa relation avec Dieu. Ici, cette relation est dite autrement. Dieu est non seulement celui qui a choisi un messie, il est son Père et notre Père. Au-delà de nos doutes, nous croyons que Dieu est à la fois origine et amour, deux notions présentes dans le nom de Père. De même Jésus est ici le Fils, image de celui qui aime et qui est aimé, de celui aussi qui, désigné comme fils, montre le Père. Enfin, le baptême se fera aussi au nom du Saint Esprit parce que cette présence du Père et du Fils nous est rendue perceptible par l’expérience en nous et dans le monde d’un souffle qui ne doit rien au monde et qui pour cela est dit « saint », c’est à dire « à part ». Alors plutôt que de trois personnes comme trois individus placés côte à côte, il faut me semble-t-il comprendre, à la suite du récit de la crucifixion et de la résurrection, qu’il est question de trois expériences possibles et complémentaires de la présence de Dieu. Dieu se donne à connaître comme Père dans l’expérience de la création, comme Fils dans celle de la rencontre et comme esprit dans celle de l’inspiration. C’est pourquoi, tous les pouvoirs lui sont donnés, et que son message concerne toutes les nations, tous les jours à l’écoute de tout son enseignement. Ce que nous appelons la Trinité tire son origine de cette volonté de dire combien tous sont concernés par l’Évangile. et cela ne n’empêche pas de douter moi aussi. Je doute et je m’en vais comme ces disciples. Je vois et je me prosterne mais les questions demeurent. C’est pourquoi, à moi aussi il est proposé le baptême, l’immersion dans cette expérience de Dieu et du monde. C’est pourquoi, sans cesse aussi me sont proposées les paroles de l’Évangile. Sans cesse deux chemins sont proposés à ma foi, à mon intelligence et à mon cœur. Mais quel que soit le chemin choisi, je crois qu’Il est aussi avec moi chaque jour jusqu’à la fin, ma fin ou celle du monde. Amen