Reprise

Notes bibliques

Présentation du livre

Le livre des Proverbes rassemble 9 recueils différents, tous compilations de proverbes, chaque recueil est marqué par un titre dans le texte. Les chapitres 1 à 9 constituent le premier de ces recueils. Il est constitué d’une dizaine de discours dans lesquels un père/enseignant s’adresse à son fils/disciple l’avertissant contre les mauvaises routes et de 3 discours par lesquelles la sagesse personnifiée  s’adresse aux humains et, en particulier aux « simples d’esprit ». La sagesse des proverbes relève à bien des égards du bon sens populaire et de l’idée d’un monde bien ordonné par Yahvé  dans lequel les bons sont récompensés et les méchants punis. Il est d’ailleurs important de noter que le terme hokma traduit par sagesse n’a pas seulement une consonance intellectuelle, il désigne aussi bien l’habileté de l’artisan que les connaissances du scribe.

 

Personnification de la sagesse

Il est très rare dans les textes bibliques qu’une vertu soit ainsi personnifiée (en effet, vis à vis du monothéisme, la personnification n’est pas sans risque) et c’est pourquoi ce statut de la sagesse est tout à fait remarquable et riche en enseignements sur la culture juive antique.

La sagesse représentée sous les traits d’une femme avisée et accueillante évoque Maât, la déesse égyptienne de la sagesse. Maât est en effet une entité symbolisant la norme universelle : l’équilibre établi par le Créateur, la justice qui permet d’agir selon le droit, l’ordre qui fait conformer les actes de chacun aux lois, la vérité, la droiture et la confiance..

De plus la proximité  de Hokma, la sagesse, avec Dieu et son statut devant lui (Proverbes 8, 22-24) peut également faire penser  également penser à Ashera, l’épouse de Yahvé avant qu’Israël ne passe à un monothéisme absolu[1]. Il faut également avoir à l’esprit que dans le monde sémite, la femme est souvent responsable de la socialisation religieuse primaire et donc premier témoin de l’ordre voulu par Yahvé. Enfin les commentaires juifs voient souvent dans cette sagesse une allégorie de la Torah. Bien sûr ces données ne sont pas contradictoires entre elles et permettent de se faire une idée de la manière dont s’est forgée cette représentation de la sagesse grâce à qui le monde va fonctionner de manière harmonieuse.

Et puis, quelles que soient les origines de cette vision de la sagesse, celle-ci a été tout à fait adaptée à la religion hébraïque. Ce phénomène n’est pas rare dans la Bible : un mythe, une légende est empruntée aux cultures voisines mais elle est modifiée, détournée de sa signification première pour correspondre à la foi juive. Dans ce cas, si la sagesse a de nombreux attributs d’une déesse, elle est une création de Dieu (la première) et n’est absolument pas autonome. La sagesse n’est plus la déesse qui donne son harmonie au monde : elle est un don de Dieu au monde.

 

Les préparatifs de la sagesse

Les préparatifs de la sagesse sont avant tout les préparatifs d’une maîtresse de maison qui prépare un repas. Les bêtes tuées ont un statut plus utilitaire que sacrificiel. Le vin mêlé est dû à la façon dont le vin se présentait à cette époque : une pâte qu’il fallait mélanger à de l’eau. Il serait sans doute hasardeux de vouloir trop préciser la signification des 7 colonnes au-delà de l’indice d’une grande richesse (les colonnes indiquent un palais plus qu’une maison et 7 est le chiffre de la plénitude)

 

L’appel de la sagesse

 Si la plupart des proverbes du premier recueil de Salomon s’adressent à un jeune homme en l’exhortant de se tenir à l’écart des voies des criminels et des insensés, la sagesse elle s’adresse justement aux insensés et aux sans intelligence. Son message n’est pas une condamnation ni une moquerie mais un appel. Un appel qui ne s’accompagne pas de menaces mais de promesses. Ainsi, rejoindre la sagesse, ce n’est pas éviter un châtiment mais entrer dans la vie et le bonheur. C’est ici une indication forte de ce qu’est la loi de Dieu : non pas une règle arbitraire fixée par un despote et à laquelle il faudrait obéir sous peine de punition mais des conseils de vie. C’est parce que la loi fonde le cosmos contre le chaos que l’humain doit la suivre.

 

Prédication

Toute culture a, par définition, sa sagesse. Et bien sûr la culture, les cultures hébraïques ne font pas exceptions. Le texte que nous avons entendu ce matin nous montre d’une part ce qu’est la sagesse et d’autre part comment la chercher.

Qu’est-ce que la sagesse ? En effet peu de mots sont aussi flous : les définitions sont nombreuses. En reprenant Descartes le dictionnaire nous dit que c’est la « parfaite connaissance de toutes les choses que l’homme peut savoir. Mais il nous en donne aussi 5 autres définitions : comportement juste, discernement, modération, tranquillité qui, si elles sont liées entre elles n’en sont pas moins assez différentes. Lorsque nous demandons à nos enfants d’être sages, nous ne leur demandons pas de se conduire en philosophes grecs. D’ailleurs, à propos de philosophes grecs, voyons un peu ce que nous disent ces champions de la sagesse :  Les stoïciens et les épicuriens parlent de la maîtrise des désirs et de la connaissance de ce qui est de notre ressort et ce qui ne l’est pas. Les sophistes évoquent la relativité de la vérité qui s’élabore dans le discours, dans le débat agonistique, dans le maniement de la rhétorique, de la logique et de la résolution des contradictions. Pour Aristote et Socrate, la sagesse est la recherche du Souverain Bien… Bien sûr on trouvera d’autres définitions de la sagesse dans bien d’autres cultures

L’Ancien Testament propose une vision très concrète de la sagesse. Le sage c’est celui qui vit en conformité avec les projets de Dieu. La sagesse est aussi bien la bonne connaissance de la loi par le scribe que l’habileté de l’artisan, du marin ou du commerçant. La sagesse c’est de vivre en conformité avec le plan de Dieu qui ordonne le monde. C’est ce que nous montre le livre entier des proverbes. En le lisant, on se sent souvent bien loin des grands penseurs de l’humanité ou, pour rester dans la Bible, de la profondeur du Qoeleth, dans le livre des Proverbes nous trouvons surtout des dictons, on a l’impression d’être plus dans le bon sens populaire que dans la philosophie. Eh bien c’est normal, puisque c’est précisément cela la sagesse de la Bible. Non pas des grandes théories mais une manière très concrète de participer à l’harmonie que Dieu donne au monde. Alors, bien sûr, un certain nombre de proverbes nous mettent mal à l’aise aujourd’hui : parce qu’ils sont tous emprunts d’une culture qui n’est pas la notre. Mais plutôt que nous attacher à chacun de ces proverbes, c’est à cette vision générale de la sagesse que nous devrions penser. La sagesse n’est pas l’affaire d’une élite intellectuelle ou religieuse mais simplement une façon de vivre dans le monde que Dieu façonne, un chemin de vie plus qu’une activité cérébrale.

Et ce chemin de vie prend un visage assez remarquable : celui d’une maîtresse de maison. Alors, il faut bien préciser que ce n’est pas remarquable au sens d’exceptionnel, bien d’autres cultures représentent la sagesse comme une femme (l’Égypte avec Maat, la Grèce antique avec Athena en fournissent de bons exemples). Mais c’est remarquable, parce qu’on reproche souvent au Dieu biblique d’être un dieu exclusivement masculin (bien qu’il ne soit pas anthropomorphe, il est quand même « père »)et que peu de place soit laissé à l’aspect féminin, à tel point que certains vont jusqu’à justifier le culte marial comme un rétablissement de l’équilibre. Mais c’est oublier que si Dieu présente des aspects masculins indéniables, il n’est pas un Dieu anthropomorphe et qu’il présente également certaines caractéristiques typiquement féminines. C’est oublier également qu’en hébreux l’esprit et la sagesse sont deux noms féminins. D’ailleurs dans ce texte non seulement la sagesse est au féminin mais sa conduite est complètement celle d’une femme. Bien sûr il ne s’agit pas ici de dire que la seule place de la femme est celle de la maîtresse de maison mais contrairement à Athéna par exemple qui n’a de féminin que l’aspect (c’est une vierge guerrière), la sagesse dans son rôle de matrone, correspond pleinement à l’image que la société hébraïque se fait de la femme. On peut, à raison, contester cette image mais il n’empêche que la sagesse est ici indéniablement féminine et vue comme telle.

 

Si les définitions de la sagesse sont nombreuses, il en va de même pour les chemins qui conduisent à cette  sagesse. Toutefois, il est possible de regrouper ce foisonnement en 2 grands types de chemin.

Le premier chemin c’est celui de la recherche intellectuelle, que ce soit à travers la connaissance ou à travers la rhétorique.  C’est d’ailleurs l’image qu’on se fait du philosophe, de l’ami de la sagesse : un penseur, un chercheur, quelqu’un qui se sert avant tout de sa tête. La recherche de la sagesse serait alors avant tout une activité cérébrale.

Mais un autre type de chemin de sagesse est également courant, celui de l’action. La quête de la sagesse est plus qu’une réflexion, c’est une façon de vivre. On pensera bien sûr à toutes les conceptions orientales (le bouddhisme notamment mais cette quête de la sagesse par l’action autant que par la pensée se trouve également chez les philosophes grecs. Renoncement à soi, obéissance aux lois de la cité, recherche du bonheur individuel autant de chemins qui passent non plus par la pensée mais par l’être tout entier pour accéder à la sagesse.

Étant donné la proximité entre la sagesse et la loi, on pourrait s’attendre à ce que l’Ancien Testament propose une recherche de la sagesse sous la forme d’un ascétisme. Et pourtant, le texte nous propose une troisième voie : ici la sagesse n’est plus recherchée, c’est elle qui recherche. Non seulement la sagesse est une femme mais ce n’est pas une femme inaccessible, cachée au sommet d’une quelconque tour, c’est une maîtresse de maison qui a pignon sur rue. La sagesse des proverbes n’est pas un Graal en quête duquel nous devons nous lancer. Que le chemin de la sagesse soit cogitation ou action, c’est l’homme qui reste au centre de l’effort, c’est à lui de faire le premier pas et de s’élancer vers la sagesse. Et du coup la sagesse reste réservée à ceux qui y parviendront. Mais ici, c’est la sagesse qui appelle et ce ne sont justement pas les sages et les justes qu’elle appelle mais les insensés, les gens sans intelligence. Jésus dira plus tard le médecin vient pour les malades, pas pour les bien-portants. C’est ici la particularité de la Bible : c’est Dieu qui s’approche, c’est Dieu qui fait le premier pas, c’est Dieu qui nous rejoint.

Frères et sœurs, la sagesse nous convie à un festin, c’est ainsi que Dieu nous appelle. Il ne nous ordonne pas l’ascèse et la privation mais il nous rejoint pour nous offrir le bonheur d’une vie en harmonie avec son projet pour le monde. C’est lui qui vient à nous alors, laissons-le nous rejoindre. Abandonnons notre orgueil et nos vaines recherches, la sagesse est là, tout près. Il nous suffit de nous laisser saisir et d’entrer dans une vie nouvelle.

Amen

[1] il est plus que probable que le passage d’Israël au monothéisme se soit fait en plusieurs étapes : polythéisme puis monolatrie (adoration d’un seul Dieu national  sans nier que d’autres existent) puis monothéisme radical.