Notes bibliques
Le contexte
Divers contextes peuvent être pris en compte. On peut le situer par rapport à un thème, celui du chemin, autour des six références (8, 27 ; 10, 52 ; 9, 33 ; 9, 34 ; 10, 17 ; 10, 32). Mais aussi dans le cadre des annonces de la passion, deux précèdent ce texte et une la suit (8, 31 ; 9, 31 ; 10, 33-34). Jésus annonce sa mort et sa résurrection. Il y aussi le thème de suivre le Christ mis en lien direct avec le Royaume de Dieu.
Le texte fait écho à plusieurs idées déjà déployés dans cet évangile :

– Suivre Jésus : l’appel des disciples dans les premiers chapitres, mais aussi en Marc 8, 34ss.
– Le dépouillement avec les disciples partant en mission qui ne doivent rien prendre pour la route.
– Le Royaume de Dieu au Ch 9, 42ss avec les métaphores draconiennes
– Perdre sa vie à cause de Jésus et de l’évangile, c’est donc également lié à un dépouillement, en 8, 35
– Réflexion sur la condition du disciple en 9, 35 qu’on peut rapprocher du v 31 de notre texte.
– Enfin, la puissance en 9, 23.

Plan du texte
On trouve trois scènes

– Les versets 17 à 22 relatent un entretien de Jésus avec un homme riche.
– Les versets 23 à 27 relatent un entretien de Jésus avec ses disciples en écho avec ce qui vient de se passer.
– Et enfin, les versets 28 à 31 sont une réflexion sur la condition du disciple, toujours en écho avec les deux scènes précédentes.

Au fil du texte
Une remarque de traduction v 27 : plutôt que « possible à … », on peut traduire par « auprès ou chez », c’est la traduction que je privilégie.

V 17, Jésus est en Judée, en chemin pour Jérusalem, sur la route du renoncement et du don total. Un inconnu, un anonyme, l’aborde. Il nous est présenté comme un homme tourmenté par la question de son salut, il se met à genou devant Jésus, ce qui est une attitude de supplication. L’expression: « que ferais-je », cet homme est sur le terrain du faire et Jésus reste sur son terrain en le renvoyant à la loi de Moïse v 19. Les commandements sont cités d’une manière assez libre, on peut remarquer cependant qu’ils concernent uniquement les relations humaines, rien n’est dit en ce qui concerne Dieu. v. 20 Il déclare qu’il a observé tout cela depuis sa jeunesse. Ce qui nous donne au passage l’indication implicite que cet homme est juif. On peut percevoir la déception, et relever ainsi que Jésus n’a pas répondu à sa quête de vie éternelle comme il l’entendait.

Le v 21 mentionne le regard de Jésus. Jésus est touché probablement par l’honnêteté et la recherche authentique de cet homme et cette affection est soulignée avant que Jésus n’aille jusqu’au bout avec lui pour le rejoindre dans ses derniers retranchements, là ou ça coince, c’est à dire, là où il y a un pas décisif à effectuer, celui qui le fera passer du statut d’observateur de la loi au statut de disciple. On trouve cinq impératifs dans ce verset: va, vends, donnes, viens, suis-moi. « Puis viens ici, suis moi », Jésus introduit ici le thème de suivre. Un théologien exprime ainsi la demande de Jésus : « L’essentiel est de se défaire de tout, de ‘’couper les ponts’’, sans possibilités de récupérer un jour les biens abandonnés» . Il s’agit donc là d’une rupture complète d’avec sa vie précédente, il doit se débarrasser de tout ce qui l’empêche de suivre Jésus. On peut comprendre que c’est dans ce « suis-moi » que ce trouve la vie éternelle recherché par l’homme, c’est à dire, dans le fait de suivre Christ. « Tu auras un trésor dans le ciel » signale probablement que ce qu’on laisse n’est rien en comparaison de ce que l’on reçoit.

v 22 Mc souligne la tristesse de l’homme, quelque que soit sa décision qui n’est pas mentionnée. Si son attitude est souvent prise pour une attitude de refus, il n’est pas exclu qu’il parte ici faire ce que Jésus lui demande pour revenir et ce renoncement ne va pas sans une certaine tristesse. La tristesse est mise en relation directe avec les nombreuses possessions. La richesse est ici explicitement un obstacle à « suivre ». On constate le déchirement qui résulte de la tension qui existe entre le fait de vouloir suivre le Christ et l’attrait des biens. Suivre Jésus est en relation directe avec la vie éternelle, on retrouve ces deux éléments très liés dans ce qui va suivre en particulier dans la troisième partie du texte.

Le v 23 mentionne de nouveau le regard de Jésus. Ce regard fait le lien avec ce qui précède et introduit les disciples auquel désormais Jésus s’adresse. Il marque l’importance de ce qui va suivre.
La difficulté d’entrer dans le royaume de Dieu est mise en évidence par Jésus et elle est soulignée trois fois (voire quatre) dans les versets suivants : « combien difficilement ceux ayant des richesses entreront… combien il est difficile d’entrer… l’hyperbole, il est plus aisé… et enfin, cela est impossible pour les hommes ». On peut remarquer que l’on glisse du difficile à l’impossible ce qui entraîne aussi une progression dans la stupeur des disciples vs 24 et 26.

V. 24 Ce verset fait intrusion entre les versets 23 et 25 qui tous deux parlent des riches. Ici, la réaction des disciples laisse entendre qu’ils se sentent concernés et la déclaration de Jésus qui ne reprend pas le mot « riche » étend ainsi la difficulté d’entrer dans le Royaume de Dieu à l’ensemble et non aux riches seulement. Cela forme donc une rupture dans la manière d’envisager les personnes concernées. Un théologien suggère que dans le riche du v25, « nous devons maintenant reconnaître l’homme _ que nous sommes tous _ incapable de se libérer, pour s’ouvrir au règne de Dieu, des sécurités qu’il se donne lui-même ».

V 25 Jésus utilise une hyperbole pour marquer l’impossibilité absolue de se sauver soi-même. Les disciples ne sont pas rassurés par ce qui vient d’être dit et sont de plus en plus étonnés. Ils étaient extraordinairement frappés ou impressionnés nous dit le texte, ce qui montre une fois de plus qu’ils se sentent entièrement concernés et ils demandent v. 26: « Et qui peut être sauvé? L’issu de l’impasse est exprimée v. 27: « Auprès des hommes, impossible, mais non auprès de Dieu, car tout est possible auprès de Dieu ». On peut mettre en relation, le « tout est possible auprès de Dieu et le « nous te suivons » dans le verset suivant. Et aussi « auprès des hommes, c’est impossible » et, au verset suivant « nous avons tout quitté » qui suggère qu’auprès de Dieu, présent en ce Jésus que les disciples suivent, c’est possible mais pour suivre, il faut se détacher de tout ce qui aliène et retient, les liens familiaux étouffants et les richesses qui emprisonnent…. Ce qui est explicité dans la suite du texte. Il faut donc faire un choix ici entre rester « auprès des hommes » ou venir « auprès de Dieu » en qui se trouve la vie éternelle.

On arrive ainsi à la troisième partie ou Marc, au moyen de deux listes, marque le contraste entre ce qu’on perd et ce que l’on gagne.
Le v 28 fait le lien entre ce qui précède et les paroles de Jésus à partir du v 29. Pierre se fait le porte-parole du groupe qui s’inquiète de sa propre condition, et introduit ainsi la parole de Jésus. « Nous avons tout quitté », Pierre rappelle ici à Jésus le geste qui a été le leur.

Et Jésus réponds dans les vs 29 et 30. Dans ces versets, la question de suivre et du salut sont liés à la personne de Jésus: « Il n’est personne qui laissa… à cause de moi et de l’évangile… et qui ne reçoive… la vie éternelle ». « à cause de moi et de l’évangile », on peut noter ici que « la personne de Jésus est désormais indissociable de la prédication qui l’inclut en proclamant l’œuvre du salut réalisée par sa mort et sa résurrection ».

La liste donnée déploie les éléments essentiels susceptibles de faire obstacle pour suivre Christ: Maisons, qui peut représenter un certain confort, Famille, avec laquelle les liens sont parfois complexes et ont besoin d’être mis à leur juste place; et enfin champs, lieu de travail, source de gain, identité.

Il y a une symétrie entre la liste du v 29 et celle du v 30 mais également des différences. V 29, l’agent de liaison est la particule η (ou) tandis qu’au v 30 c’est kai (et) ; Le père est absent du v 30 ; maison et mère au singulier v 29 sont au pluriel v 30 et enfin la mention des persécutions pour le temps présent et de la vie éternelle dans l’ère à venir sont ajoutés à la liste du v 30. Cette différence renforce l’idée du centuple, hyperbole du v 30 qui manifeste qu’après avoir quitté tel ou tel aspect aliénant, ils recevront dans la totalité. Le centuple traduit l’idée d’une surabondance. Le maintenant est attaché à la vie terrestre ou s’articulent les bénédictions et les persécutions lié à ce monde, liés sans doute à l’originalité d’un tel choix qui suscite des incompréhensions et donc des réactions parfois violentes tandis que la vie éternelle est attachée à l’ère à venir. Le v 31 probablement indépendant à l’origine vient conclure ce qui vient d’être dit, notre ordre de priorité n’est pas celui de Dieu.
Lecture préalable : Proverbes 3, 13-20

Prédication

En lien avec ces versets des proverbes, le texte de l’évangile proposé aujourd’hui interpelle sur la condition du disciple que nous sommes appelés à être.

Marc 10, 17-31.
Voilà un texte construit en trois scènes qui se font échos les unes aux autres :

Nous avons tout d’abord un entretien de Jésus avec un homme riche. Il est suivi d’un entretien de Jésus avec ces disciples pour aboutir enfin à une réflexion sur la condition de disciple.
Dans ce contexte, Jésus est en chemin pour Jérusalem, sur la route du renoncement et du don total.
Un inconnu l’aborde, qui nous est présenté comme un homme tourmenté par la question de son salut, il est dans une quête existentielle et il interpelle Jésus: « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle? ». «  Que dois-je FAIRE » ?
Cet homme, est donc dans la logique du faire et Jésus pour l’instant reste sur son terrain en le renvoyant à la loi.
Ici, déception, en effet, tout ça, il le fait déjà, Jésus n’a-t-il rien de plus à proposer?
Devant la perplexité de cet homme, Jésus va plus loin dans ses propos qui sont soutenus par un regard, un regard d’amour pour rejoindre cet homme dans ses derniers retranchements, là où ça coince, c’est à dire, là où il y a un pas décisif à effectuer, celui qui le fera passer du statut d’observateur de la loi au statut de disciple.

Cinq impératifs : Va, vends, donnes, viens et suis-moi!
Avec ce viens et suis-moi, Jésus introduit une autre logique : non plus un « faire », mais un « suivre ». C’est dans ce suis-moi que se trouve la vie éternelle recherchée par l’homme et pour y accéder, il doit entrer dans une démarche qui vient rompre la logique apprise. C’est une démarche qui requiert tout son être et non des bricoles dispatchées à droite ou à gauche, fussent-elles effectuées avec largesse et la meilleure intention qui soit.
« Suis-moi et tu auras un trésor dans le ciel » une promesse est attachée à cette démarche.

La décision de l’homme n’est pas mentionnée, mais l’accent est mis sur sa tristesse qui provient du lien à ses nombreuses possessions. La richesse est ici explicitement un obstacle au fait de suivre le Christ. On constate le déchirement qui résulte de la tension qui existe entre le fait de vouloir suivre et l’attachement aux biens.
Le théologien Elian Cuvillier élargie cependant le champ des possessions, je le cite: « Jésus brise l’équilibre fragile et insatisfaisant sur lequel l’homme a construit son existence: Recevoir la vie éternelle en héritage, c’est abandonner les ‘’héritages’’ financiers, religieux et identitaires, au profit de la logique de la suivance du Christ qui est sans contrepartie financière et en rupture avec les pratiques religieuses traditionnelles ». Et il ajoute: « C’est changer la nature même de son trésor, investir dans une autre réalité. C’est découvrir que sa vie ne peut plus être construite sur un avoir matériel, sur une tradition religieuse ou une identité nationale… mais sur l’unique relation au Christ ».

L’homme riche disparaît de la scène et Jésus entre alors en dialogue avec ses disciples.
Il y a un crescendo, la tension du dialogue monte et est de plus en plus vive, jusqu’à ce que Jésus y mette un terme par une déclaration apaisante.

Quatre fois, la difficulté d’entrer dans le Royaume de Dieu est soulignée :
« Qu’il est difficile à ceux qui ont des biens d’entrer dans le Royaume de Dieu » (v 23). « Mes enfants, qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu » (v 24). « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » (v 25). Et enfin, « Cela est impossible aux hommes » (v 27).
Jésus ne parle plus ici de l’homme riche, mais il généralise la situation. Les disciples sont désormais interpellés. Quelqu’un suggère que dans le riche « nous devons maintenant reconnaître [je cite] l’homme – que nous sommes tous – incapable de se libérer, pour s’ouvrir au Règne de Dieu, des sécurités qu’il se donne à lui-même ».
L’hyperbole du chameau et du trou d’aiguille exprime l’impossibilité absolue de se sauver soi-même.
Panique alors chez les disciples, la tension est à son comble: « Et qui peut être sauvé? »
« Cela est impossible aux hommes, mais non à Dieu, car tout est possible à Dieu ».
Je choisis une traduction qui me semble plus juste: « Auprès des hommes, c’est impossible, mais non auprès de Dieu, car tout est possible auprès de Dieu ».
Auprès de Dieu, présent en ce Jésus que les disciples suivent, c’est possible, mais pour cela, il faut se détacher de tout ce qui aliène et retient, tout ce qui nous emprisonne.
Derrière les richesses dont fait mention ce récit, il faut entendre tout ce qui crée une barrière infranchissable sur le chemin du salut, quelle qu’en soit la nature. Le théologien Elian Cuvillier précise: « De manière générale, tout ce par quoi l’on se suffit à soi-même fait obstacle au Règne de Dieu. Or, affirme Jésus, cette impossibilité anthropologique [c’est à dire humaine] n’est pas un obstacle infranchissable: le ‘’possible’’ de Dieu peut rencontrer l’impossible des hommes ».

Pierre se fait le porte-parole du groupe et rappelle à Jésus le geste qui a été le leur: « Nous avons tout quitté et nous t’avons suivi ». La réponse de Jésus confirme les éléments essentiels susceptibles de faire obstacle pour le suivre : les liens matériels : maisons ; les liens affectifs : famille, dont les relations parfois complexes ont besoin d’être ajustés ; et le lien identitaire : la terre, les racines.
Jésus reprends ses éléments pour dire que tout cela sera donné mais de manière nouvelle et libératrice à sa suite.
Il ajoute les persécutions, le détachement est souvent un geste incompris qui peut susciter bien des critiques négatives voire générer de l’agressivité de la part de celles et ceux qui résistent à cette démarche.
Mais voilà « Plusieurs des premiers seront les derniers, et les derniers seront premiers ». En effet, notre ordre de priorité n’est pas celui de Dieu.

Ainsi, à un homme qui vient demander ce qu’il faut faire pour hériter de la vie éternelle, et à ses disciples, Jésus explicite que la vie éternelle ne se négocie pas dans un faire, mais se trouve dans une libération de tout ce qui aliène pour être libre de vivre avec celui, qui « a les paroles de la vie éternelle », pour reprendre une expression de l’évangile de Jean.
Jésus est en chemin pour Jérusalem, sur la route du renoncement et du don total.
Ce texte nous montre ainsi que le salut ne se trouve pas sur un chemin glorieux et compris aux yeux des hommes, mais sur le chemin d’un renoncement libérateur, certes, parfois incompris, mais chemin de vie qui se trouve à la suite du Christ.

L’homme riche, les disciples et nous à leur suite, sont appelés à se libérer de tout ce qui fait obstacle à cette suivance.
Nous sommes appelés à nous libérer de tout ce à quoi nous nous confions pour oublier notre fragilité : nous libérer de toute sécurité illusoire, de toute identité factice et tout attachement qui nous referme sur nos biens.

Suivre le Christ, être disciple, c’est vivre un pas décisif d’abandon et cet abandon est avant tout une démarche mentale qui me place dans une autre relation à ce que je possède, aux liens affectifs et à l’identité. Une relation assainie par la relation au Christ.

La vie éternelle se trouve sur le chemin ou l’on cesse de compter sur soi-même, pour compter sur le Christ et tout recevoir de lui.
C’est sans doute la sagesse dont parlent les proverbes, je conclus en relisant ces quelques versets :
« Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse… car le gain qu’elle procure est préférable au gain de l’argent et son revenu vaut mieux que l’or, elle est plus précieuse que les perles et tous les objets de tes désirs n’ont pas sa valeur… tous ces sentiers apportent la paix. Elle est un arbre de vie pour ceux qui la saisissent ».