Notes bibliques

Jésus, au cours de son ministère, va souvent au Temple. Mais on ne l’y voit jamais célébrer un office. Il va et vient dans les cours, il enseigne. Le Temple est le cadre favorable pour diffuser son message de Salut. Le monopole qu’y exercent les autorités religieuses en fait aussi, pour lui, le lieu de tous les dangers.
Ce passage de l’Évangile de Marc, est le dernier enseignement de Jésus dans le Temple. Il ne répond pas ici à une question mais prend directement l’initiative d’une sévère mise en garde. « Ne soyez pas comme ces scribes préoccupés de préséance ! » Pour lui, ils représentent des contre-modèles de disciples. Leur attitude hypocrite est en contradiction avec le double commandement d’amour.

Marc renouvelle ici la critique déjà faite au chapitre 7 verset 13. Être disciple, pour Jésus, s’est bâtir sa foi sur trois piliers, qui représentent les trois piliers du nouveau Temple  et qui sont décrits juste avant notre péricope :
1. La liberté : l’homme appartient à Dieu et non à l’Empereur
2. La foi en la résurrection : Le Dieu de Jésus–Christ n’est pas le Dieu des morts mais des vivants
3. L’amour de Dieu : amour du prochain, amour de soi-même.
Cet enseignement de Jésus dans le Temple est destiné aux foules

Les scribes sont considérés comme les adversaires principaux de Jésus depuis le début de son ministère (2,16 – 3,22 – 7, 1 à 5 – 8, 31 – 9,14 – 10, 33 – 11, 18 à 27).
Les exégètes ont du mal à donner une interprétation précise des robes solennelles et des biens des veuves dévorés. Cela dit, ils s’accordent tous pour dire, que l’intention de l’évangéliste est de dénoncer la recherche d’honneur, de cupidité et d’hypocrisie. L’identité des scribes semble ne pas se construire sur la foi en Dieu mais sur un certains nombres de marqueurs identitaires religieux.

Parmi les scribes, il en existait, qui cherchaient vraiment et sincèrement le Royaume de Dieu.
«  Mais Marc écrit, presque 40 ans après la vie de jésus. En ce laps de temps, l’image des responsables juifs s’est modifiée. En rapportant cette vigoureuse diatribe de Jésus avec les scribes, Marc a voulu éclairer ses lecteurs, les chrétiens de Rome, sur l’état d’esprit et le comportement des dirigeants d’Israël après leur rejet de Jésus. La polémique engagée par le Maître avec les scribes s’est envenimée après son départ, au fur et à mesure de l’hostilité croissante qui s’est installée entre la jeune Église chrétienne et la Synagogue dans les années 80-90. On trouvera en Luc (11, 42-54) et surtout en Matthieu (23, 13-32) un développement sensible de cette critique acerbe des scribes et des pharisiens devenus adversaires types de la Bonne Nouvelle. » 
> J.Hervieux « L’Évangile de Marc » éd. Centurion p. 183

La seconde scène de ce passage se situe dans l’enceinte du Temple, près de la salle du trésor. Ce lieu n’était pas le lieu de dépôt des richesses du Temple mais le lieu où l’on déposait les offrandes des fidèles (cf. 2 Rois 12, 10). Des troncs y étaient disposés à cette fin à l’entrée.
Des Riches assez nombreux y mettaient de grosses sommes…

« Certains commentaires avancent que, lorsque Titus a rapporté à Rome le trésor du temple suite au sac de Jérusalem en 70 ap JC, cela a provoqué une crise financière du fait de la baisse du prix de l’or consécutive à l’afflux de métal précieux. Flavius Josèphe dit que ce trésor s’élevait à 400 talents, soit le salaire de 2,4 millions de journées de travail.»
> A.Nouis « L’aujourd’hui de l’Évangile », éd. Réveil Publications p. 380

C’est le mot de « veuve » qui relie les deux scènes.

La veuve et son obole au Temple précède le grand discours eschatologique de Mc 13 où il sera question de la destruction du Temple. La piété de la veuve contraste avec l’hypocrisie des scribes. Le don de la veuve n’est pas raisonnable, de même que celui de Jésus ne paraît pas raisonnable à Pierre. Un don qui mérite la louange et en même temps, ce don sans réserve au trésor du Temple, géré par ceux qui dévorent les maisons des veuves, a quelque chose de dérisoire et d’absurde, de nature même à susciter la plainte. Le don de la veuve correspond à 2 leptes ce qui équivaut à 1 quadrant soit 2 centimes… Très peu de chose !
La Veuve : un être largement déprécié dans le monde masculin régnant. Privée de la protection de son mari, la veuve est à l’époque, une personne privée de ressources propres et sans assistance. Avec l’orphelin et l’étranger, elle appartient à la catégorie sociale des plus pauvres (Dt 24, 17 à 22)

L’évangéliste Marc accentue encore la pauvreté de cette femme en notant « Pauvre veuve ».

Différentes interprétations peuvent être faites de ce passage :
Mise en relief de l’admiration de Jésus pour cette femme qui donne ce qu’elle a pour vivre (interprétation plus moralisante)
Condamnation indirecte d’un système religieux qui prend aux plus pauvres (interprétation qui met en lien le don et le Temple)
Jésus va quitter le Temple pour ne plus y revenir. Bientôt va retentir le discours sur la destruction de celui-ci (Mc13). Jésus dénonce dans ce contexte, un système religieux qui conduit une pauvre veuve à tout donner.

A l’issue du geste de la veuve, Jésus appelle ses disciples et introduit son discours d’un « Amen » qui montre l’importance et la solennité du moment et de sa déclaration.
Il ne félicite nullement le geste de cette femme, ni ne porte de jugement moral ; il relève simplement qu’elle a donné plus que les riches. En effet, les riches ne jouent pas leur vie dans leur don, alors que cette femme donne tout… « elle a jeté sa vie comme les vignerons homicides ont jeté le fils en dehors de la vigne » commente E.Cuvillier.

Interprétation symbolique d’un double registre : absurdité de la l’acte de la femme qui semble prisonnière d’un système de valeurs qui l’oblige à donner ce qu’elle a pour vivre pour un édifice qui a été précédemment décrié par Jésus et qui va disparaitre. Ce don absurde et inutile devient par lui-même parabole de l’existence et même parabole du Christ lui-même qui va lui aussi donner sa vie. Pour le monde, le geste de cette femme est absurde, sacrifice de sa vie pour quelque chose qui ne sauve pas.

Les responsables de ce sacrifice inutile sont alors les scribes qui eux, ne s’impliquent pas dans leur geste d’offrande.

Pour Elian Cuvillier, le don de la veuve est une parabole de la mort de Jésus. Inutile et cependant source de vie véritable pour ceux qui en font mémoire (cf. 14, 22 à 25)

L’épisode fait sens dans l’évangile de Marc depuis l’entrée triomphale (Mc 11, 1 à 10) passant par la malédiction du figuier (Mc 11, 12 à 14), la parabole des vignerons homicides (Mc 12, 1 à 12), le scandale du don de la veuve, scandale de la croix.

C’est de cette mort absurde et scandaleuse que surgira la vie véritable qui est au-delà de la morale. Un autre a perdu sa vie pour que beaucoup la gagne.

Prédication

Deux petites pièces orange, vous savez celles que les trésoriers affectionnent particulièrement lorsqu’à l’issue du culte, ils s’efforcent de compter la collecte. Deux petites pièces orange, deux centimes, qui ne valent presque rien… Et pourtant !

Jésus est dans la cour du Temple en train d’enseigner aux foules et à ses disciples. Il observe les aller et venue des scribes et des pharisiens. Il condamne sévèrement leur attitude faite d’orgueil et d’hypocrisie. Eux qui se présentent comme les maitres du savoir, eux qui réglementent la vie des uns et des autres en pensant détenir la vérité. Eux qui aiment se faire voir. Eux qui vont jusqu’à dérober le bien des veuves. Eux qui font de grandes prières aux yeux de tous, en pensant être bons… Eux…

« Ne faites pas comme eux ! Ne leur ressemblez pas ! Détournez-vous de cette pratique, de ces images » invective l’homme de Nazareth.
Jésus, qui depuis le début de son ministère, a eu affaire à eux, sait combien leur attitude est non seulement perverse mais également faite de pouvoir et d’obligation. Les attaques et les pièges régulièrement tendus, montrent combien l’homme de Nazareth perturbe leur plan, leur vie, leur pouvoir. Tout est remis en cause. Leur soit disant autorité, leurs privilèges, la vérité même qu’ils semblaient détenir et dont ils faisaient croire, à tous, qu’elle était entre leurs mains.

Tout est remis en cause par la vie, l’enseignement et le ministère même du Christ. Ses réponses aux attaques successives, ses luttes répétées contre ces adversaires virulents témoignent d’une tension de plus en plus grande.

Pour la dernière fois, Jésus est allé au temple de Jérusalem. Pour la dernière fois il enseigne les foules, pour la dernière fois il se trouve devant les scribes avant l’ultime rencontre devant le Sanhédrin. Pour la dernière fois il observe, condamne et ouvre une brèche d’espérance et de vie.

Détournant son regard de ces hommes faux…. Il observe le lieu des offrandes. Là encore, beaucoup se pavanent en donnant, certes beaucoup, mais ostensiblement. Le riche contribue abondamment aux offrandes pour le Temple. Cela fait partie de ses devoirs de croyant. Chaque juif doit apporter son offrande au Temple. Cela en devient même une obligation.

Jésus regarde et voit arriver, lentement, sûrement une pauvre veuve. Dans la société palestinienne de l’époque, la veuve est comme l’orphelin et l’étranger, une des personnes les plus démunies. L’évangéliste Marc, ajoute encore de la précarité en insistant sur le fait qu’elle était pauvre. C’est comme si elle était une pauvre pauvre ! Et dans sa pauvreté, au-delà de sa pauvreté, elle dépose deux petites pièces dans le tronc du Temple. Deux petites pièces ridicules. Tout ce qu’elle a pour vivre, nous dit le texte. Absurdité d’un don qui ne va pas contribuer à la richesse du trésor du Temple.

Absurdité d’un don qui enlève le peu qui reste à cette femme pour vivre
Absurdité d’un don s’il n’est fait que par devoir.
Absurdité d’un don mais… Immensité d’un don où toute la vie est présentée devant Dieu, pour Dieu.

Jésus regarde le geste de cette femme et le compare aux dons des hommes riches venus auparavant.

Les scribes et les pharisiens par leur discours, leurs obligations ont obligé cette femme à déposer son offrande pour le Temple. Mais, elle, est venue, éventuellement par devoir, par amour et obéissance sûrement, par adoration peut-être. Son don va au-delà de la somme déposée, son don va jusqu’au don de soi ; dans l’absurde et la grâce à la fois.

Les riches, semblent dire Jésus, ont donné beaucoup d’argent mais n’ont pas donné d’eux-mêmes. Les riches ont déposé le surplus, ce qu’ils avaient en trop, ce qui ne comptait pas pour eux, ce dont ils n’avaient en fait pas besoin. Ce qu’ils ont mis dans le tronc du Temple ne leur manque pas, c’est tout juste s’ils s’en souviennent. Geste de devoir et non de don, d’offrande de son existence, marque de reconnaissance pour la vie et l’amour donné par le Dieu d’Israël.

Les riches ont accomplis leur devoir d’offrandes au Temple, mais leur acte est resté purement rituel, factice voire artificiel. La pauvre veuve a mis, elle, tout ce qu’elle avait, son argent, ses besoins, son nécessaire, sa vie. Elle est même allée jusqu’à mettre son avenir puisque ces deux centimes étaient tout ce qui lui restait pour vivre.

Absurdité d’un don… immensité d’un don rejoignant le don d’une autre femme qui quelque temps plus tard à Béthanie versera un parfum d’un grand prix sur la tête de Jésus. Là aussi, absurdité d’un geste… immensité d’un don.

Deux petites pièces pour un Temple qui, selon l’annonce faite dans le chapitre qui suit, sera détruit.
Deux petites pièces pour tout un système religieux qui n’a pas reconnu le Messie, le Fils de Dieu.
Deux petites pièces pour un don immense annonçant et préfigurant un geste encore plus absurde, encore plus immense. Le don d’un homme pour l’humanité. Le don d’un Dieu pour le pardon de l’homme.
Cette pauvre veuve semble, par sa vie, son geste, son don, préfigurer le Christ lui-même à la veille de sa Passion. Lui, l’homme de Nazareth, qui n’a même pas un lieu pour faire reposer sa tête ; nourri par les uns, logé par les autres ; itinérant au gré des rencontres, de l’accueil, de l’annonce… a donné tout ce qu’il avait dans un don à la fois absurde, à la fois immense. Absurdité de la croix, immensité de la grâce. Absurdité de la mort, immensité de la vie illuminée au matin de Pâques

Absurdité du vendredi Saint, de la violence, de la condamnation, de la crucifixion ; immensité de l’amour de Dieu relevant le Fils de l’homme.
Absurdité du doute s’emparant des disciples, immensité de la résurrection et de la foi empoignant les trois femmes devant le tombeau vide.

Le Christ a tout donné : le tout et le rien, le nécessaire et le futile, la vie et la mort. Lui a tout donné non pour un temple, un système religieux, une caste de savoir, d’orgueil et d’hypocrisie. Non il a tout donné pour nous, pour toi, pour moi, pour chacun d’entre nous, une fois pour toute, une unique fois.

En se donnant au monde, le Christ est allé encore plus loin que cette pauvre femme avançant vers le Temple. En se donnant au monde, le Christ a renversé les murs d’un Temple fait de pierre, de règles et de savoir pour un construire un autre bien plus grand, bien plus vivant. En se donnant au monde, Le christ a voulu témoigner d’un amour immense fait de pardon et de grâce où chacun a sa place quel que soit son statut dans la société, sa richesse ou sa pauvreté, ses difficultés, ses fragilités. Un amour rempli de vie où les brèches d’espérance sont ouvertes. Une vie remplie d’amour pour que le don que l’on offre soit rempli d’existence.

Quand le Christ s’est donné à l’humanité, il ne l’a pas fait avec le surplus, c’est toute sa vie qui a été donnée. Quand la pauvre veuve a déposé ces deux petites pièces dans le tronc du Temple c’est tout ce qu’elle possédait qu’elle est venue apporter.

Quand aujourd’hui, demain, nous présenterons notre offrande…

Nous déposerons alors toute notre reconnaissance pour tout ce qui a été reçu, vécu, partagé.

Nous déposerons alors tout notre être aussi, tout ce qui fait notre identité, nos joies, nos peines, nos difficultés, nos qualités, nos doutes, nos certitudes. Nous déposerons une part de nous-mêmes, celle qui nous manquera et à laquelle on pensera.

Ce que nous déposerons aura sûrement un peu le goût de l’absurde et pourtant il sera tellement immense. Ce que nous déposerons ne changera peut-être pas, ni la face du monde, ni la vie de l’Église, ni ses finances (quoi que !…) et pourtant tout cela sera tellement important.

Placer notre vie devant Dieu nous éloigne de toute hypocrisie, des faire-valoir, ou des savoir orgueilleux et aliénants. Placer notre vie devant Dieu nous renvoie à l’essentiel, au nécessaire.

Placer notre vie devant Dieu nous ouvre à tous les espaces de liberté pour que notre don, nos gestes, nos paroles nous engagent tout entier. C’est toute notre existence alors qui sera placé devant le Père. Celui qui a tout donné, jusqu’à son Fils pour que par lui nous ayons la vie, la vie éternelle.

Amen