Reprise

Notes bibliques

Contexte
Le passage de Marc qui nous est proposé se situe dans une grande partie où l’on voit Jésus à l’étranger. En effet parmi les différents découpages que l’on peut faire de cet évangile, il y en a un, que propose notamment l’exégète Elian Cuvillier, qui s’articule autour des voyages de Jésus. Ainsi l’évangile de Marc peut se découper de la façon suivante :

Marc 1/14-7/23 : Ministère en Galilée
Marc 7/24-9,29 : les voyage à l’étranger
Marc 9/30-10/52 : de la Galilée vers Jérusalem
Marc 11/1-16/8 : à Jérusalem

Notre texte se situe pleinement dans le second volet de cet évangile. Jésus est en dehors de son pays. Il est conduit hors de ses frontières car suite à une multitude de petites ou grandes contestations ou d’incompréhension de son ministère de la part des siens, il cherche à s’isoler, prendre le temps de la solitude. Cette recherche va le conduire à une découverte fabuleuse pour lui et pour nous : juste avant notre texte il rencontre une femme païenne, où plutôt une femme vient à sa rencontre et lui demande de guérir sa fille. Dans le dialogue qui se noue avec elle, Jésus prend conscience que son évangile n’est pas seulement destiné à faire vivre les siens, mais qu’il est a même de faire vivre tout ceux qui veulent mettre leur foi en lui juifs ou païens. Son ministère prend à ce moment là le caractère de l’universel.
D’ailleurs juste après notre texte se tiendra le second récit de la multiplication des pains dont on sait que celle-ci nourri une foule constituée de juifs et non juifs. (Le premier récit de multiplication lui était pour rassasier une foule juive !)

Notre texte se situe donc en charnière. Jésus vient de comprendre à cause ou grâce à une femme que ses paroles sont porteuses de vie pour le monde, pour chaque être en particulier. Fort de cette découverte, c’est tout naturellement qu’il accepte de rencontrer ce sourd à élocution difficile, malgré le fait qu’il soit toujours en territoire païen et que la demande s’adresse aussi sans doute pour un païen.

 

Déroulement du texte 

Ce récit a tout du récit de miracle. v.31 : introduction géographique ; v32a : situation du malade, v32b intercession de ceux qui en demandent la guérison ; v.33-34 acte et parole de guérison ; v.35 réaction du malade ; v.37 réaction et acclamation de l’entourage.

Seul le verset 36 nous laisse perplexe avec son injonction au silence. Certes ce n’est pas la première fois que Jésus demande le silence, demande de ne rien dire, mais dans ce cadre, guérison d’un sourd à l’élocution difficile, nous aurions pu imaginer que Jésus lui laisse la joie d’utiliser sa langue et de témoigner !
Au verset 31, Marc nous présente un Jésus qui sillonne dans tous les sens le territoire païen. Est-ce en réaction à l’épisode précédent, ou simplement une géographie totalement aléatoire de l’auteur ? On ne peut précisément le dire. Mais le résultat est là : l’impression est que Jésus parcourt le territoire païen en long, en large et en travers. sa parole est ouverte, son être disponible.
Au verset 32, la situation nous est simplement présentée : comme cela arrive souvent des gens emmènent « leur » malade et prient Jésus d’agir en leur faveur. La libération qu’opère une guérison ne concerne pas seulement la personne qui en souffre mais aussi l’entourage qui indirectement est lui aussi sujet à une certaine souffrance. On apprend là également que la personne malade est sourde et ne parlait pas correctement. On peut aisément imaginer que c’est parce que l’homme n’entend pas qu’il parle mal. On peut aussi imaginer que cette surdité et cette parole abîmée est une allégorie pour signifier la surdité de l’homme aux paroles d’évangile et son incapacité à en rendre compte correctement, c’est-à-dire en vérité. Car il faut que la parole soit articulée en soi, qu’elle fasse vivre et vibrer pour qu’elle puisse être dite sans effort et sans trahison.

Les versets 33 et 34 mettent en scène la guérison. Tout d’abord ils nous précisent que la rencontre avec Jésus se fait en tête à tête et face à face. Ce n’est pas dans la foule qu’une parole peut s’adresser à soi, mais quand l’être sort ou est sorti de la foule. par ailleurs Entendre puis parler, c’est à dire devenir le sujet de sa propre parole, est quelque chose qui relève de l’intimité. Advenir en Jésus n’est pas une naissance facile ! Cela nous dit également que Dieu se préoccupe de chacun individuellement, il nous distingue de la masse, il agit pour nous, il nous parle, il nous écoute. d’ailleurs Jésus « comprend » le sourd bègue dans le sens étymologique du mot : c’est-à-dire il prendre avec. Il le prend à part et le rencontre là où il est là où il en est. Son évangile ne peut pas être dit puisque le malade est sourd. Jésus trouve le moyen de le rencontrer autrement, de faire des gestes qui invitent l’autre à se sentir compris, et « entendu » dans son histoire. Il lui touche ce qui ne fonctionne pas bien comme pour signifier qu’il a bien saisi l’ampleur de l’handicap et les répercussions qu il engendre dans l’existence. C’est seulement lorsque l’autre est en mesure d’entendre, c’est-à-dire lorsqu’il est vraiment rencontré que Jésus emploie sa langue maternelle pour l’inviter à s’ouvrir.
On note alors deux choses. La première est que Jésus parle sa langue maternelle. Il ne cherche pas des mots fabuleux, magiques ou autres, mais utilise le langage courant sans fioritures et sans exercice de rhétorique. La deuxième chose que l’on note c’est l’invitation : ouvre toi l’invitation n’est pas seulement ouverture à l’évangile, mais à la vie, à la communication par laquelle toute relation humaine ou avec Dieu devient possible.

Enfin dans les deux derniers versets, on relève alors l’injonction au premier abord surprenante de Jésus de ne rien dire et la désobéissance de la foule qui crie partout qu’il guérit les sourds et les muets. Sans doute la demande de silence est justement pour éviter ce cri. Car en le célébrant de la sorte la foule se fourvoie. Elle révèle qu’elle est plus en quête de miracle que de sens car elle n’a pas compris ce qui s’est passé. Elle dit que Jésus guérit les sourds et les muets alors que Jésus a rétabli un sourd bègue… elle met en Jésus une espérance qui n’est pas celle à laquelle Jésus est venu répondre.

 

Pistes pour la prédication
Ci-dessous quelques idées non exhaustives et pleinement conjugables les unes entre les autres !
3.1 – Dieu libère et guérit. Le sourd bègue est peut être parfois l’illustration de ce que nous sommes ou des personnes que l’on rencontre dans l’église ou notre société ; personnes qui ont du mal à communiquer avec les autres, à s’ouvrir aux autres, à l’évangile, murées dans l’isolement ou l’indifférence.
3.2 – Témoigner c’est rendre audible une parole existentielle. Jésus rencontre le sourd bègue très précisément dans ce qu’il est. Il choisit de le guérir dans ses attentes (geste classique des guérisseurs –surtout que l’on attribuait à cette époque une valeur curative à la salive) par un mode de communication qui sans doute lui est propre (le geste, le gémissement et les yeux vers le ciel) et enfin utilise des mots simples et dans sa langue maternelle. Tout cela témoigne à mon sens de l’importance et l’urgence qu’il y a de communiquer l’évangile dans les mots de l’autre. C’est-à-dire des mots qui le rencontrent, le font frémir et s’ouvrir. C’est par une mise à l’écoute totale, une rencontre qui vient lui dire toute l’importance de son existence qu’il y a témoignage de foi !! un témoignage qui ne s’écoute pas, qui ne se plait pas à choisir minutieusement des mots, égrainer des concepts, mais qui se donne tout entier à l’autre… après pourquoi pas laisser place au concepts, mais pour qu’une rencontre se fasse, il ne faut peut être pas vouloir aller trop vite !
3.3 – Un Dieu qui écoute et rencontre. Dans une société du tout pour soi, et du sur individualisme, il me semble que ce texte vient affirmer le don précieux de Dieu : cette capacité à se mettre à l’écoute de tous et de rencontrer chacun au cœur même de son histoire. en contraste avec le sourd bègue, qui ne peut ou ne veut ni entendre ni s’exprimer sur la vie ou sur Dieu, Dieu lui accepte de s’incarner dans des gestes pleinement humains, dans l’attente des hommes et leurs espérances. Il prend le temps de se concentrer sur l’individu (il prend le sourd à part, loin de la foule) il prend le temps de le rencontrer dans ce qu’il est : par le geste et de lui parler. C’est alors que la guérison a lieu.
Pour la prédication qui suit, j’ai choisi de ne pas choisir et de grappiller ici et là ces thèmes possibles. Il me semble que cela permet une prédication au ton plus léger et facile à adapter, même si après coup, pour un culte possible de rentrée le second thème me semble particulièrement adapté…

 

Prédication
Difficile de dire à un sourd…

Un homme
Nous voilà face à un Jésus qui traverse le territoire païen de long en large et en travers. Lui qui cherchait sans doute à prendre un peu de recul par rapport à son ministère controversé de parts et d’autre et même incompris de ses proches, lui qui cherchait sans doute à s’isoler et prendre le temps de la solitude, une rencontre pas du tout attendue, ni forcement souhaitée, le transforme. Dans un dialogue qu’il noue avec une femme païenne, il prend conscience que son évangile ne fait pas vivre seulement un peuple particulier, mais que son évangile s’adresse au monde ; qu’il peut être reçu et entendu au-delà de toute frontière, de toute culture…
On imagine pour lui le choc !! Une femme païenne vient de lui témoigner que son évangile fait vivre ! Une femme vient le confirmer dans son ministère et lui certifie par sa foi que son évangile est reçu, qu’il porte des hommes et des femmes dans l’espérance. Après une découverte de cette ampleur, il est aisé de comprendre que Jésus sillonne le territoire païen. C’est alors que s’offre à lui cette nouvelle rencontre. Des personnes portées par l’espérance lui emmènent un sourd….
Nouvelle rencontre, nouveau challenge ! Car admettez qu’il est difficile de dire à un sourd : va ta foi t’a sauvé ! Surtout quand ce sourd a de grandes difficultés d’élocution et que ce n’est pas de lui-même qu’il est venu auprès de Jésus ! Difficile de dire à un sourd : va ta foi t’a sauvé quand il est avant tout passif et non acteur. Visiblement Jésus de Nazareth, ça ne lui dit pas grand-chose. Sans doute est-ce à cause de son ouïe déficiente, de son impossibilité d’entendre les « ouïes dire » des uns et des autres, ou tout simplement de son imperméabilité volontaire ou non à ce genre de discours. Jésus ça ne lui dit pas grand-chose, mais docile, il est prêt à essayer. Si ça marche tant mieux, au pire ça fera au moins plaisir à ceux qui l’ont emmené.
Et là dans ce sourd bègue, c’est avec tendresse que l’on reconnaît nos enfants, petits enfants, amis ou autre proche, quand ce n’est pas nous-même…
Car l’histoire de ce sourd bègue peut vraiment nous rencontrer de deux manières fondamentales. La première justement parce que nous pouvons facilement nous reconnaître dans ce sourd bègue ou y reconnaître les personnes que l’on rencontre autour de soi, que ce soit dans l’église ou dans la société. Et la seconde parce qu’il nous affirme toute l’importance d’un témoignage à l’écoute de l’autre.

 

Comme nous
Il nous rencontre car nous pouvons nous reconnaître dans cet homme sourd. Même en étant baptisés depuis des générations et des générations ou d’hier, même en ayant confirmé ce baptême publiquement ou non, même en ayant une espérance fabuleuse, il y a des choses qui parfois dans l’évangile nous gênent et que nous préférons ne pas entendre. « Tu aimeras tes ennemis » par exemple ! Franchement il y a bien des fois où nous aimerions que Jésus n’ai jamais prononcé une parole pareille ! Quelle contrainte ! Et c’est bien là le paradoxe de l’évangile c’est qu’en nous offrant la liberté en Dieu –la seule qui soit ! il nous offre la responsabilité, la conscience de ce que l’on devrait faire par rapport à l’autre puisque pour soi-même il n’y a plus rien a chercher. Or être chrétien, assumer cette liberté ce n’est pas toujours facile. Ainsi l’histoire de ce sourd bègue nous rencontre dans ce que nous sommes, car parfois il semble plus simple dans son existence de ne pas entendre et de perdre pied dans l’évangile. Il faut alors un signe, un geste, une parole de Jésus pour que nous mesurions que l’esclavage est bien plus difficile à vivre que la liberté ! Que rien ne vaut la grâce.

 

Comme tout autour de nous
Mais l’histoire de ce sourd bègue nous rencontre aussi dans les personnes qui vivent autour de nous. Qui ne sont certes pas hostiles à l’évangile ou à la vie d’église, mais qui en sont pour le moment indifférentes soit parce qu’elles n’ont pas le temps pour ces choses, soit parce qu’elles ne voient pas trop ce que cela peut leur apporter, soit pour des raisons que nul ne peut imaginer… Comme notre homme elles semblent sourdes à toute parole et tout témoignage. Les un et les autres ont beau tenter de démontrer par a plus b la pensée de l’église, la pertinence de l’évangile, l’intelligence de la grâce, rien n’y fait. ces personnes restent sourdes.

Qui plus est elles ont du mal à parler ! Où en tout cas elles ont du mal à bien parler de l’évangile, de l’église, ou de la religion à cause d’une méconnaissance bien souvent provoquée par la conviction de trop connaître ! Dans notre société laïque et sécularisée, l’église, l’évangile arrive à coup de bride médiatique, de film ou suppositions soit disant discriminant le discours de l’église… (Ces derniers temps nous en avons eu pas mal entre l’évangile de judas et la sortie du film da Vinci code) Bref, la confusion devient grande et les uns et les autres pensent savoir ce que c’est l’église à travers ces bribes reçues ici ou là, ou les traditions encore visibles dans certaine famille… ainsi nous entendons parfois de la bouche de nos proches ou de nos prochains des exclamations du type « de toute façon Jésus il n’a jamais existé… »
L’histoire de ce sourd bègue nous rappelle alors ces personnes qui ne sont pas hostiles à l’église, à l’évangile mais qui n’en saisissent pour le moment pas le sens pour elles… pourtant le miracle d’une rencontre n’est jamais loin. Jésus nous le montre, il suffit parfois juste d’un témoignage de foi, d’un témoignage d’amour, d’un temps pris pour rencontrer l’autre dans ses attentes et ses questions.

 

Avec l’évangile juste face à soi
En effet Jésus devant cet homme sourd et à l’élocution difficile ne peut pas simplement dire : va ta foi t’a sauvé. C’est impossible l’homme est sourd, il n’est pas prêt à entendre une telle parole et qui plus est sa présence devant Jésus n’est pas fruit de sa propre volonté mais fruit de l’espérance des autres, de ses proches. Face à une telle situation on imagine donc bien que Jésus ne peut pas agir comme il en a l’habitude de le faire. Il ne peut pas nouer un dialogue et simplement renvoyer devant la personne son espérance et sa foi. Il doit trouver un autre moyen que la parole, il doit trouver le moyen de venir le rencontrer dans ce qu’il est, dans son mal et sa souffrance, dans son enfermement volontaire ou subi.

En d’autres mots, pour entrer en communication avec cet homme qui n’a pas forcément désiré être là, Jésus doit le comprendre, et c’est ce qu’il fait ! Car comprendre ça signifie d’abord prendre avec soi. Jésus prend avec lui le sourd bègue. Il le prend à l’écart, loin de la foule sans doute avide de miracle. Et c’est là, dans un tête à tête, un face à face que les choses peuvent alors éclore. C’est là dans l’intimité d’un échange qu’une rencontre existentielle peut surgir et redonner à l’autre tant l’ouïe que la parole.
Et ce tout simplement parce que la vérité d’un homme ne s’annonce pas comme une information, elle ne s’apprend pas comme un théorème, mais elle s’expérimente à travers une rencontre, un échange, un partage. L’évangile doit toucher les hommes au creux de leurs existences. Et pour ce faire il doit être dit avec les mots de l’autre, c’est-à-dire les mots qui rencontrent l’autre. Témoigner, c’est prendre le temps de se mettre à l’écoute de l’autre, entendre ses attentes et non pas vouloir calquer les siennes…
Sans doute cela reste difficile, mais ne restons pas sourds à l’évangile, le monde attend !

Amen

Nota les « points » (un homme, comme nous,…) ne se lisent pas ! c’est juste pour structurer ma prédication !