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3ème dimanche du carême
2 Analyse
V. 13 : le mot « Fils de l’homme » est un des titres de Jésus. Il est fort probable que Jésus lui-même se servait de ce titre pour qualifier son être. Par là, il voulait d’un côté insister sur sa simple humanité, de l’autre côté faire référence à Daniel 7, 13 où le roi de la fin des temps est présenté comme un « Fils d’homme » qui vient du ciel.
V. 14 : Jean Baptiste est mort et enseveli (voir 14, 1 – 12). Selon la tradition le prophète Élie allait un jour revenir. Sa venue serait signe de la fin des temps. Cette tradition s’est développée à partir du récit de son enlèvement au ciel, raconté dans 2 Rois 2. Comme il n’est pas mort, il pouvait revenir sur terre. Autour du personnage de Jérémie une légende semble s’être formée sur son retour. Il est certain qu’il existait une tradition selon laquelle à la fin du temps l’endroit où Jérémie avait caché l’arche de l’alliance (dans une grotte quelque part sur le mont Sinaï) sera révélé.
V 15 : « Messie » et « Christ » veulent dire la même chose. « Dieu vivant » est une expression forte du Premier Testament.
V 16 : « La chair et le sang » désigne l’homme.
V 17 : On se pose la question si, en l’appelant « Pierre », Jésus donne à « Simon bar Jona » un nouveau nom (dans l’Évangile on l’appelle déjà Pierre avant – voir 4, 18), ou s’il fait référence à ce nom pour lui donner un sens nouveau. Le don d’un nom nouveau est un acte souverain par lequel Dieu a déjà, dans le passé, signifié un changement radical chez certains (Abraham-Abram, Jacob-Israël). Le jeu de mot entre « Petros » (le nom) et « petra » (« roc ») est évident. En araméen, c’est « kepha » (d’où Cephas). S’il est dit que Jésus bâtira son Église sur Pierre, comme représentant des douze disciples, il n’est pas dit par là que cette promesse vise aussi ceux qui se réclament successeurs de Pierre, à savoir les évêques de Rome.
VV 18-19 Dans ces versets la puissance du témoignage des disciples est affirmée. Accueillir ou rejeter l’Évangile est affaire de vie ou de mort. VV 21-23 Ici Jésus annonce sa mort et sa résurrection pour la première fois. Il y aura par la suite deux autres annonces (17, 22–23 ; 20, 17–19). « Dieu t’en préserve, Seigneur… » – litt. : « Il t’est favorable, Seigneur… » « Satan » veut dire « accusateur ».
3 Pistes pour la prédication
- 1 Développer le thème de la tension entre une adhésion au christianisme qui se base sur ce que « on » dit sur le Christ (adhésion purement intellectuelle et/ou culturelle) et une foi qui s’articule autour d’une réponse personnelle et existentielle à un appel direct de la part du Christ. Est-ce que l’un exclut l’autre ? Est-ce que l’un complète l’autre ?
- 2 Développer le thème du don de la foi. L’homme est tel qu’il n’arrive pas à croire en Christ s’il n’y est pas amené par Dieu (par son Esprit). Livré à lui-même, il arrivera sans doute à formuler des réponses approximatives (« Tu es Jean-Baptiste, Élie, Jérémie… »), mais il n’arrivera pas à saisir l’essentiel, à savoir le paradoxe d’un Sauveur en croix.
- 3 Mener une réflexion à partir de la remarque de Pierre : « Il t’est favorable, cela ne t’arrivera pas ». Pour Pierre il est inconcevable que le Messie de la fin du temps doive passer par la mort – pire, que cette mort soit occasionnée par une mise-à-mort comme on en fait subir à des « injustes » (criminels). Il est fort possible que Pierre voit le Messie comme il voit Élie et Jérémie, à savoir comme un de ces « justes » qu’un jour Dieu avait enlevé au ciel afin de le faire descendre de là comme signe qui annonce et signifie la fin des temps. Assomption et descente du ciel sont tout autre chose que croix et résurrection.
Jésus et Pierre qui se disputent ! C’est du beau ça ! Car oui, ils se disputent. Il est dit que Pierre, prenant Jésus à part, le « rabroue ». Et puis, la réponse de Jésus : quelle violence verbale ! « Derrière moi, Satan ! »
Mais c’est Pierre qui commence. Après que Jésus a annoncé qu’il lui fallait souffrir beaucoup de la part des anciens, des scribes et des grands prêtres, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter, il dit (littéralement, en restant tout proche du grec) : « Il (c’est-à-dire Dieu) t’est favorable, Seigneur – sûrement ceci ne t’arrivera pas. »
Quand on y pense, cette remarque est tout de même un peu curieuse – ou plutôt, ce qui étonne, c’est la véhémence avec laquelle elle est exprimée. Véhémence, puisqu’il est bien dit que Pierre « rabroue »… N’avait-il pas dit, Jésus, que le troisième jour il allait ressusciter ? C’est dire que Dieu sera bel et bien favorable à Jésus. Il ne le laissera pas sombrer dans la mort, mais au contraire Il l’en tirera. Et cette résurrection sera, de fait, comme une dénonciation de l’injustice que Jésus aura subie de la part des autorités de son peuple, censées être justes. Comme une réhabilitation glorieuse. Dieu sera donc bel et bien favorable à Jésus : Il le ressuscitera. Alors pourquoi Pierre pense-t-il le contraire, à savoir que la faveur de Dieu envers Jésus ne pourra s’exprimer que par le fait de lui épargner ce qu’il vient d’annoncer : qu’il souffrira beaucoup, qu’il sera mis à mort, qu’il ressuscitera ? Pour ressusciter, il faut d’abord mourir – non ? Et si cette mort est une mort injuste, comment mieux manifester que la personne mise à mort est en réalité un juste qu’en le ressuscitant ?
On a du mal à comprendre la réaction de Pierre.
Dans notre passage, deux personnages du Premier Testament sont évoqués : Élie et Jérémie. Souvent, quand un passage d’Évangile pose quelque problème – si on y trouve une référence à un personnage du Premier Testament, à un événement raconté dans ce Premier Testament, à une loi du Premier Testament etc., ce sera cette référence qui ouvrira une piste intéressante. Non, ce n’est pas par hasard qu’Élie et Jérémie soient mentionnés. On aurait peut-être tendance à penser : Que ce soient eux, ou que ce soient d’autres personnages du Premier Testament, c’est pour donner un peu de « couleur locale » au récit. Pour nous aujourd’hui, qu’importe ? « Au dire des hommes, qui est le Fils de l’homme ? » N’allons pas trop vite « actualiser » la réponse – en échangeant Élie et Jérémie contre Gandhi et Martin Luther King. « Pour les uns tu es une sorte de Gandhi, pour les autres une sorte de Martin Luther King. » Ce serait passer à côté de quelque chose d’important, qui justement pourrait nous aider à mieux comprendre la réaction si virulente de Pierre, après l’annonce par Jésus de sa mort et de sa résurrection. Car à l’époque du Nouveau Testament, dans l’imaginaire des Juifs, Élie et Jérémie faisaient partie de cette mystérieuse catégorie de personnages dont on attendait le retour à la fin du temps. Hénoch en faisait partie, le roi juste Ezéchias aussi (à ce qu’il paraît), et peut-être aussi Moïse.
Pourquoi ces personnages-ci ? Pour Hénoch et Élie, c’est clair. C’est que, dans le texte même du Premier Testament, il est dit que Dieu les avait enlevés au ciel – vous vous rappelez le chariot de feu d’Élie ? Et donc, comme ils avaient été enlevés au ciel, ils n’étaient pas morts. Par conséquent, ils pouvaient, un jour, revenir.
La disparition de Moïse comporte aussi sa part de mystère. A la fin du livre du Deutéronome, il est dit que personne n’a jamais connu son tombeau (Dt. 34, 6). Ceci a donné lieu à des spéculations : est-ce que Moïse est vraiment mort ?
Et puis toute une légende semble s’être formée autour de la figure du prophète Jérémie, dont on trouve la trace dans un livre apocryphe comme 2 Maccabées : Avant la déportation du peuple il aurait caché l’arche de l’alliance dans une grotte quelque part sur le Mont Sinaï – dans un lieu qui demeurera inconnu jusqu’à la fin des temps. Jérémie serait aussi apparu à Judas Maccabée – donc bien des siècles après l’époque où il vivait sur terre, sous la forme d’un homme aux cheveux blancs et très majestueux ; il lui aurait donné une épée d’or pour combattre et vaincre les ennemis d’Israël. Pour dire que dans l’imaginaire des gens de l’époque de Jésus, Jérémie faisait également partie de cette «nébuleuse » de personnages du Premier Testament qu’on ne croyait pas vraiment morts – pas vraiment morts comme meurt le commun des hommes. C’est pourquoi on aimait spéculer sur leur retour, un jour – retour considéré comme annonçant la fin des temps. Et c’est peut-être à eux que Pierre pense quand il réagit si violemment à l’annonce de Jésus, quand celui-ci dit qu’il faut qu’il souffre de la part des autorités du peuple, qu’il sera mis à mort et que le troisième jour il ressuscitera. C’est qu’il ne peut envisager la manifestation du Messie autrement que sous forme d’une venue sur terre ayant suivi une sorte d’assomption. Comme ces personnages qu’on vient d’évoquer, et dont Élie et, aussi dans une certaine mesure, Jérémie font partie.
Le Messie, qui à la fin du temps descend du ciel, est un Messie qui auparavant a été enlevé au ciel – sinon, comment pourra-t-il en descendre? Et ceci à plus forte raison qu’il s’agit de plus qu’Élie ou de Jérémie, puisqu’il s’agit du Messie. Les autres ne font que venir à la fin du temps – lui, le Messie, sera le roi qui introduira l’ère radicalement nouvelle. Le pauvre Pierre ! Il vient de reconnaître en Jésus le Messie, autrement dit le Christ, le Fils du Dieu vivant – il voit donc plus clair que les autres, qui voient en Jésus un Élie, un Jérémie, ou même un Jean Baptiste, mais il ne comprend pas -cela le dépasse complètement- que sa manifestation, pour être pleinement manifestation du Messie, doive passer par une mort injustement subie. Il doit mourir une mort injuste – après il sera ressuscité. Ce qui est tout autre chose qu’être enlevé au ciel, pour ensuite en descendre. En somme, il ne comprend pas que le Messie, pour être le Messie, le Christ, doive subir le sort des hommes jusqu’au bout, et notamment le sort des hommes dont la mort est brutale (chose qu’on ressent toujours comme étant injuste), qu’il doive même subir leur honte (la honte d’être stigmatisé, exécuté comme un criminel) – qu’il doive subir ceci pour être véritablement le Sauveur de tous les hommes, comme le veut Dieu, et non pas celui d’une seule poignée d’hommes, à savoir les justes. Ce n’est pas juste que des justes meurent comme meurent des gens injustes.
Hénoch, Élie, Moïse, Jérémie et Ezekias étaient des justes, c’est pourquoi Dieu ne les a pas fait mourir, Il les a enlevés auprès de Lui, dans le ciel. Et voilà, un jour ils descendront de là pour rassembler… les justes (évidemment). Voici une logique que Jésus dénonce comme étant à la fois satanique et dépassée : « Derrière-moi, Satan ! ». Satan, cela veut dire « accusateur », Satan, c’est celui qui voit clair, mais qui voit trop clair, il accuse – il accuse, il a mille fois raison ; il ne sait pas pardonner, il est complètement dans le tort. Une logique satanique est une logique mécanique, sans âme, sans miséricorde. Jésus la rejette avec violence. C’est aussi une logique dépassée (« derrière-moi, Satan »). La vraie justice – Jésus la comprend, Jésus l’incarne, c’est pourquoi il est le Messie, le Christ : c’est la main tendue vers les injustes. Main tendue qui les accompagne et qui les « tient » même dans le gouffre obscur de la mort. Jésus subira le sort que les justes font subir aux injustes, on le fera souffrir, on le mettra à mort, il mourra – chute libre dans le noir. Sa résurrection l’attestera – l’attestera de façon éclatante : C’est lui le Juste, Lui, qui tient les injustes par la main, qui les rassemble autour de Lui, qui les regarde comme s’ils étaient des justes et qui par là, souverainement, les déclare justes. C’est lui le Juste, car c’est lui notre pardon. Non, pour Pierre la faveur de Dieu envers le Messie ne peut que s’exprimer par le fait qu’il épargne au Messie le sort que Jésus annonce. Dieu ne fera pas mourir un juste – ne fera pas mourir le Juste par excellence. Même s’il y a la promesse d’une résurrection, pour Pierre c’est encore inconcevable. Il aura tout un chemin à parcourir avant qu’il ne comprenne que la faveur de Dieu est si vaste qu’au travers le Messie, le Juste par excellence, et qu’en lui elle vise, couvre et accueille tous les hommes, justes et injustes – tous les pécheurs que nous sommes. Alors, c’est à nous aussi que la question est posée : Au dire des hommes, qui est le Fils de l’homme ?
Car ce que disent les hommes, nous aussi, nous le disons ou nous le pensons le plus souvent. Nous ne vivons pas en vase clos. Pour les uns, il était un homme profondément libre, humain et généreux. Il est mort, mais l’exemple d’humanité qu’il a donné ne « mourra » jamais. Pour les autres, il était le grand modèle de l’homme non-violent. Il est mort, mais l’idée pour laquelle il vivait ne « mourra » jamais… Et vous, qui dites-vous que je suis ? Thomas, le disciple qui avait tant de mal à croire qu’il avait là, devant lui, Jésus-Christ ressuscité, voit les plaies provoquées par la croix : non, il n’est pas un revenant du ciel ! Non, il n’est pas une idée qui « ne mourra pas » ! Il est celui qui est mort… Thomas dit : Mon Seigneur et mon Dieu.
Thématique : Identité de Christ/Mort /resurrection/Scénario des hommes/Scénario divin/