Dire la tétanie qui saisit devant la violence, le surgissement des armes et la mort d’un jeune. La peur devant ce phénomène incontrôlable, cette éruption contagieuse que rien ne semble pouvoir arrêter. L’abattement devant les morts, les blessés, les biens des personnes détruits, les quartiers pauvres saccagés… la tristesse qui accable, qui écrase.
Prier, parler et tenter de comprendre.
Comment des jeunes peuvent-ils avoir accumulé tant de colère qu’elle s’enflamme de la sorte ? Au-delà des opportunistes, de ceux qui passaient par là, il y a ceux qui ouvraient les hostilités. Ceux qui ont détruit l’ont fait parce qu’ils ne voient pas que cette école était la leur, ni la mairie, ni le petit commerce où leurs parents vont faire les courses. C’est comme s’ils avaient leurs attaches ailleurs, et n’avaient rien à perdre.
Ils sont de notre monde mais semblent ne pas en être. Qu’ils en aient été exclus, qu’ils le croient, qu’ils le ressentent jour après jour de diverses manières, ou qu’ils ne veuillent pas de ce monde, nous les avons laissés le traverser sans leur permettre de créer des liens qui le leur fasse aimer jusqu’à avoir envie de le protéger, d’en prendre soin comme de leur bien propre.
Jeudi dernier, les pouvoirs publics en ont appelé « aux parents, aux éducateurs… ». Un proverbe africain dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Le village tout entier a failli à élever ces enfants. Aucune autorité n’a pu les faire grandir pour leur donner leur place au milieu de nous, et aujourd’hui c’est dans la violence qu’ils la prennent ou la refusent. Et qui les a aimés ?
La colère est légitime contre la violence, et contre l’injustice, l’exclusion, la pauvreté sans issue. Mais la colère doit trouver des supports pour se dire sans détruire, des langages pour être reçue, la colère doit être transformée pour construire un monde meilleur. Et pour cela, il faut des parents, des éducateurs, des instituteurs (même si le mot n’existe plus), des entraineurs sportifs ou des profs de musique, des soignants, mais aussi des services publics accessibles, des humains avec lesquels parler, et pas des dossiers à remplir en ligne et pour lesquels il manque toujours une nouvelle pièce…
Toutes les communautés religieuses[1], et les chrétiennes en particulier ont un rôle à jouer d’abord pour parler d’amour.
En effet, on ne peut aimer que parce que l’on a été aimé d’abord. Les chrétiens l’affirment quand ils confessent l’amour de Dieu premier dans leurs vies. Affirmer que chacune et chacun reçoit une place unique devant Dieu et dans le monde est à proprement parler évangélique. Les croyants ont aussi un rôle dans le travail de médiation et d’élaboration d’un langage pour protester contre l’injustice, la pauvreté, et cela sans violence. Les communautés chrétiennes ont en plus une espérance à proposer dans un monde qui a perdu tout récit commun et où chacun se replie sur son propre confort. Pour que ce travail de médiation puisse se faire, il ne suffit pas d’accueillir, ni même de faire de la place, il faut aller là où cette parole n’est pas attendue. Car aujourd’hui dire la bonne Nouvelle dans nos lieux de culte ne touche pas celles et ceux qui ont perdu tout espoir et sont enfermés dans leur quartier.
La corde à trois brins ne se rompt pas facilement, dit l’Ecclésiaste (4,12). Encore faut-il aller chercher les brins à tresser avec celui que nous avons reçu.
Emmanuelle Seyboldt, pasteure
présidente du Conseil national
[1] https://www.protestants.org/articles/123889-les-responsables-de-cultes-de-france-crcf-appellent-a-l-apaisement