Textes : Romains 15, v. 14 à 33 Psaume 342 Rois 4, v. 8 à 11 & 14 à 16 Romains 6, v. 3 à 4 & 8 à 11 Matthieu 10, v. 37 à 42Pasteur Jean-Pierre SternbergerTélécharger tout le document

Notes bibliques
 
 

L’évangile de Matthieu est structuré par 5 grands discours, cinq comme les cinq livres de la Thora : Mt 5-7 adressé à la foule par-delà les disciples (Mt 5,1; 7), Mt 10; Mt 13 adressé aux foules (13,1-2,28-29); Mt 18 adressé aux disciples (18,1) et Mt 23-26 adressé aux foules et aux disciples (23,1). Le chapitre 10 constitue donc le 2ème discours adressé aux 12 disciples envoyés qui du coup deviennent des apôtres (10,2.5) vers les “brebis perdues de la maison d’Israël” (10,6 cf. 9,36) et non vers les païens ou les Samaritains. Ils ont une mission de guérison et d’exorcisme (10,1,8) mais aussi de proclamation de la venue du Règne de Dieu (10,7). Ils se garderont de demander une quelconque contrepartie financière. Pauvres, ils sont hébergés par les personnes dignes de les recevoir (10,9-11). Ces disciples sont comme des brebis envoyés au milieu des loups (10,16). Au passage on notera que ces apôtres sont appelés brebis comme les brebis perdues de la maison d’Israël. Ils seront, annonce Jésus, en but à la persécution et poursuivis devant les tribunaux où l’esprit leur donnera de s’exprimer et sera leur défenseur. Cette persécution, qui est le fait des païens et des autorités (romaines) peut aussi être initiée par des dénonciations venues de personnes juives. C’est le signe du désordre qui atteint les familles (“Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort.” 10,21). Le salut est promis à qui persévèrera. La venue du Fils de l’homme précèdera la fin de cette mission en Israël (10,23). On peut faire de ce chapitre une double lecture : dans le contexte du récit évangélique, on s’étonnera de la violence de la réaction des destinataires de cette mission des 12 auprès des Juifs. Cela ne correspond en rien à l’atmosphère qui se dégage des récits concernant le ministère de Jésus avant son arrestation. Dans le contexte des chrétiens des années 80, soit une cinquantaines d’années après la mort et la résurrection de Jésus, mais aussi une dizaine d’années après la guerre avec les romains et la prise de Jérusalem, on comprendra que les missionnaires chrétiens auprès des juifs aient à faire preuve de beaucoup de prudence et craignent d’être dénoncés auprès des autorités romaines comme des agitateurs messianiques désireux de reprendre le combat contre l’occupant. Ce texte de Mt 10 est fortement marqué par l’exemple de grandes figures de la bible juive notamment par Élie et Élisée dont les disciples envoyés vont reprendre le mode de vie itinérant alors que leur maître est comparé à Beel Zéboul (v. 25), le dieu des adversaires d’Élie (2 R 1,2-6.16). Les versets qu’on nous propose de lire en ce dimanche constituent la conclusion de ce discours. Il faut leur adjoindre Mt 11,1 qui fait pendant à Mt 10,1 et boucle la boucle (alors que 11,2 marque le début d’une nouvelle péricope). Il convient de noter que les versets 38 et 39 se trouvent également en 16,24-25 où ils semblent mieux insérés. Je propose la traduction suivante en grande partie tirée de la Nouvelle Bible Segond : 37 Celui qui aime père ou mère plus que moi ne me mérite pas, et celui qui aime fils ou fille plus que moi ne me mérite pas.38 Celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre ne me mérite pas.39 Celui qui aura trouvé sa vie la perdra, et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera.40 Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé.41 Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète obtiendra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste obtiendra une récompense de juste. 42 Quiconque donnera à boire ne serait-ce qu’une coupe d’eau fraîche à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis, il ne perdra jamais sa récompense et obtiendra une récompense de juste.11,1 Il advint que Jésus acheva de donner ses ordres à ses douze disciples, il partit de là pour enseigner et proclamer dans leurs villes.Commentaire verset par verset : v. 37 “ne me mérite pas” ou “n’est pas digne de moi”. La formule se trouve déjà en 10,11-13: “Dans toute ville ou tout village où vous entrerez, informez-vous pour savoir s’il s’y trouve quelqu’un qui est digne, et demeurez chez lui jusqu’à ce que vous partiez. En entrant dans la maison, saluez-la. si la maison est digne, que votre paix vienne sur elle mais si elle n’est pas digne, que votre paix retourne vers vous”. Il faut peut-être comprendre cette formule dans le cadre de l’envoi des apôtres qui représentent le Christ. Il ne s’agit pas ici d’une dignité ou d’une indignité préalable à l’envoi mais du cas ou, pour une raison familiale (respect du père ou de la mère), le disciple est empêché d’aller où le Christ l’envoie.v. 42 : “Quiconque donnera à boire ne serait-ce qu’une coupe d’eau fraîche à l’un de ces petits en sa qualité de disciple” : le terme de « petit » pour désigner les disciples d’un maître apparaît aussi dans les textes rabbiniques.v. 11,1 : “il partit de là pour enseigner et proclamer dans leurs villes”. Il pourrait s’agir des villes des apôtres mais plutôt de celles des Juifs.” Le ton de ces quelques lignes est résolument militant voire choquant. Elles placent le disciples devant des choix douloureux sinon impossibles : préférer le Christ à ses parents, prendre soi-même et porter la croix sur laquelle on va être crucifié, perdre sa vie pour la gagner, voilà des propos qui nous paraissent rudes et difficiles à accepter. Pourtant, ces paroles ne sont pas surprenantes pour les familiers de la littérature juive contemporaines ou un peu plus tardives comme celle du Talmud. Ainsi les rabbins enseignent qu’en cas de nécessité, il faut préférer servir son maître plutôt que ses parents : “si quelqu’un a perdu quelque chose et que son père a également perdu quelque chose, [la recherche de] ce que lui-même a perdu passe avant ce que son père a perdu; s’il a perdu quelque chose et que son maître a également perdu quelque chose, , [la recherche de] ce que lui-même a perdu passe avant ce que son maître a perdu; si son père a perdu quelque chose et que son maître a également perdu quelque chose, [la recherche de] ce que son maître a perdu passe avant ce que son père a perdu car son père l’a fait venir en ce monde mais son maître qui lui enseigne la sagesse, l’introduit dans le monde à venir […] et si son père et son maître portent un fardeau, il aide d’abord son maître à le déposer puis il aide son père à le déposer. Si son père et son maître sont en prison, il fait d’abord libérer son maître, puis son père après son maître” (Talmud, Baba Messia 2.11). Pour justifier cette préférence pour le maître par rapport au père on peut se référer à l’exemple de Moïse dont on apprend en Dt 33,8 qu’il est “l’homme qui t’est fidèle […] lui qui a dit de son père et de sa mère : « je ne les ai pas vu », qui a refusé de reconnaître ses frères, qui ignoré ses fils”. Sur le fait de perdre son âme : « Il arriva que Rabban Scbim’on ben Gamliel (vers 140), Rabbi Jehuda et Rabbi Jose allèrent chez un propriétaire de Kezib; ils dirent : nous ignorons comment un propriétaire organise ses fruits par dizaine. Comme il les observait, il leur apporta une caisse pleine de pièces d’or. […] ils lui dirent : “va et mange ton argent, tu as gagné de l’argent mais tu as perdu ton âme” » (TMSch 3, 18:92) Sur l’hospitalité : Rabii Yehuda (mort en 299) disait que Rab (mort en 247) disait : “l’hospitalité est plus grande que le fait de saluer la divinité” (Talmud Shabbat 18,1)

 
 

Proposition de prédication
 
 

Ils sont venus à l’aube. Personne ne les attendait. Ils sont venus en cuirasses comme des chevaliers du Moyen Age quand les autres dormaient au cœur de la cité. Je ne sais pas où ils ont garé leurs cars et leurs fourgons. Ils ont été très discrets, très discrets au début. Mais vite, ils sont devenus les vedettes du quartier. Il y avait même des journalistes armés de caméras et de ces longues perches qui finissent en micros aux drôles de bonnettes fourrure synthétique. Ils sont venus pour eux, honneur et déchéance, gloire et honte à la fois. Ils sont venus les arrêter au petit matin et ceux-là sont sortis les uns après les autres, sans même avoir eu le temps d’avaler un café, de manger une orange. On dit qu’ils sont dangereux. Le croyez-vous ? On dit qu’il fallait les neutraliser. Mais que leur reproche-t-on ? On n’a trouvé chez eux ni arme, ni drogue mais seulement quelques livres et des ordinateurs que la police a emportés. Les chevaliers noirs aux visages masqués sont venus au matin et les ont emmenés. On les a sans doute bombardés de questions. Beaucoup de questions. Mais ceux qui les interrogeaient savaient déjà tant de choses, que voulaient-ils apprendre ? Ils savaient tout ou presque. Ils savaient quand ils sont partis et quand ils sont revenus, par où ils sont passés, jusqu’où ils sont allés. Ils savaient même ce qui s’est passé de l’autre côté de la frontière, les marches de nuit, les villages en ruine. Que voulaient-ils savoir de plus ? Peut-être la raison pour laquelle, ils ne sont pas restés … ? Est-ce un crime que d’avoir voulu vivre une extraordinaire aventure et lutter contre un dictateur ? Est-ce un crime que d’avoir cru que leurs places étaient aux côtés des frères qui se battent et tombent sous les bombes quand l’occident se tait ? Est-ce un crime que d’avoir voulu prendre les armes pour, au nom de Dieu, le Miséricordieux, le Clément, aider à instaurer la justice et l’ordre là où tout n’est que chaos et dictature ? Oui, ils ont menti. Ils ont menti pour partir. Ils ont menti à leurs parents, ceux-là même qu’à cause de la religion ils disent aimer et respecter. Ils leur ont dit qu’ils partaient en vacances, qu’ils en avaient marre de l’hiver en Alsace et qu’ils avaient un plan d’enfer pour se réchauffer au soleil d’Abou Dhabi. Abou Dhabi, la mer, les palais, les palmiers. Un plan d’enfer, ce n’était pas vraiment un mensonge. Un plan vers l’enfer. L’enfer dont ils sont revenus. Ils ont menti à leurs parents. Ils ont rompu les liens de l’enfance. Mais n’est-ce pas Jésus qui dit dans l’évangile : “Celui qui aime père ou mère plus que moi ne me mérite pas, et celui qui aime fils ou fille plus que moi ne me mérite pas.” Ils ont cru mériter de partir. Ils ont aimé leur religion plus qu’ils n’ont aimé leurs parents. Et puisqu’on cite Jésus, n’est-ce pas aussi lui qui disait : “Celui qui aura trouvé sa vie la perdra, et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera.” ? Trouver sa vie, trouver un sens à sa vie, trouver un lieu ou une cause pour laquelle on peut donner sa vie, n’est-ce pas la donner et donc la gagner, la perdre et en même temps la trouver ? Mais à qui la donner et pourquoi ? Est-ce trouver sa voie, trouver sa vie que d’aller donner la mort, la sienne et celle des autres, même si c’est pour une autre vie, une vie meilleure pour ceux qui restent, une vie de paradis pour celui qui tombe ? Ils sont parti pour avoir trop écouter des prophètes, des hommes qui parlent au nom de Dieu. Mais Jésus lui aussi n’était ils pas prophète et n’a-t-il pas envoyé des hommes risquer leurs vies pour relayer ses paroles de prophètes venues de Dieu ? Et Jésus n’a-t-il pas dit lui aussi : “Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète obtiendra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste obtiendra une récompense de juste” ? Ils ont accueillis des prophètes et se sont cru envoyés. Ils ont cru mener un juste combat et espéré recevoir une récompense de juste, un salaire de prophète. Pourquoi le leur reprocher ?Ai-je tort de parler ainsi ? Ai-je tort de poser ces questions ? Ai-je tort de rapprocher le texte de l’évangile de ce jour de cette actualité récente et ô combien préoccupante ? Veuillez me pardonner si cet exemple choque mais pour ma part, c’est le texte de l’évangile qui me choque et m’interroge. Que signifie pour nous aujourd’hui préférer le Christ à ses parents ? Et qui peut dire qu’il est prêt à prendre sa croix pour marcher sur les pas de Jésus ? Alors j’imagine les premiers lecteurs de cet évangile de Matthieu. On dit que, vers l’an 80, ils vivaient en Palestine ou en Syrie. C’était très peu de temps après cette terrible guerre qui avait opposé des Juifs aux Romains mais aussi des Juifs entre eux. Les Romains avaient gagné. Tous les autres avaient perdu. Le temple était détruit. Certains Juifs, des pharisiens notamment, tentaient de rassembler les croyants autour des piliers de la foi. Or rassembler, c’est aussi exclure et furent exclus ceux qui croyaient et priaient différemment et notamment ceux qui avaient reçu le baptême au nom de Jésus-Christ et pensaient qu’il avait été, avant tous ces malheurs, le messie envoyé par Dieu non pour combattre mais pour aimer. Je les imagine ces lecteurs de l’évangile parmi “les brebis perdues de la maison d’Israël”. Eux aussi risquaient leurs vies et partaient guérir et chasser les démons. Ils quittaient leurs parents, pour certains leurs enfants. Ils n’avaient rien et étaient accueillis dans des maisons amies. On les recevait comme s’ils étaient le Christ. Le Christ n’a-t-il pas aussi dit : “Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé” ? et encore : “Quiconque donnera à boire ne serait-ce qu’une coupe d’eau fraîche à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis, il ne perdra jamais sa récompense et obtiendra une récompense de juste” ? Pour les musulmans, il est n’est pas juste de dire que le mot djihad ne renvoie qu’à la guerre et à la violence. Il est aussi et peut-être surtout un synonyme du mot effort et signifie l’engagement à combattre le mal en soi et autour de soi. Je ne vois pas de mot qui, pour les chrétiens, pourrait en être l’équivalent, mais nous connaissons tous des hommes, des femmes, des jeunes qui, là où ils sont, ou là où on les envoie se mettent au service de leurs hôtes et parfois se chargent de la croix. Sont-ils dignes du Christ ? Les maisons qui leurs sont ouvertes méritent-elles de les recevoir ? Je ne crois pas aux mérites mais je crois qu’il y a là comme des figures de la grâce, grâce d’être envoyé sans l’avoir mérité, grâce de recevoir sans l’avoir mérité. Dans ce même évangile de Matthieu on trouve aussi dans la bouche d’un centurion romain cette petite phrases que nos frères catholiques ont incorporé à leur liturgie : “Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri”. Nous pouvons en écho à la page de l’évangile que nous lisons ce matin dire nous aussi : “Seigneur, je ne sais pas ce que cela signifie que de t’aimer plus que mes parents, plus que mes enfants, et je sais que je n’ai pas pris la croix pour te suivre, je ne suis pas digne de toi, envoie un autre que moi”. Mais je sais et je crains sa réponse : il appelle ceux qui sont dignes et ceux qui ne sont pas, les méritant et les mécréants. Il les envoie, les uns comme les autres, ceux qui se croient dignes et ceux qui savent qu’ils ne le sont pas. Heureux sommes-nous d’être ainsi envoyés, non pour la guerre mais pour aimer, pour prendre la croix et non les armes. De Strasbourg, des jeunes étaient parti dit-on, faire le Djihad en Syrie. On peut aussi dire qu’ils ne sont peut-être pas partis poussés par la haine mais par une quête de justice ou d’aventure. D’autres partent sans faire la une des journaux et leur courage n’en est pas moins grand. Tous nous sommes envoyés ou appelés à recevoir. Que la fraternité partagée soit pour chacun une récompense de juste et de prophète. Amen

Textes : Romains 15, v. 14 à 33 Psaume 342 Rois 4, v. 8 à 11 & 14 à 16 Romains 6, v. 3 à 4 & 8 à 11 Matthieu 10, v. 37 à 42Pasteur Jean-Pierre SternbergerTélécharger tout le document

Notes bibliques
 
 

L’évangile de Matthieu est structuré par 5 grands discours, cinq comme les cinq livres de la Thora : Mt 5-7 adressé à la foule par-delà les disciples (Mt 5,1; 7), Mt 10; Mt 13 adressé aux foules (13,1-2,28-29); Mt 18 adressé aux disciples (18,1) et Mt 23-26 adressé aux foules et aux disciples (23,1). Le chapitre 10 constitue donc le 2ème discours adressé aux 12 disciples envoyés qui du coup deviennent des apôtres (10,2.5) vers les “brebis perdues de la maison d’Israël” (10,6 cf. 9,36) et non vers les païens ou les Samaritains. Ils ont une mission de guérison et d’exorcisme (10,1,8) mais aussi de proclamation de la venue du Règne de Dieu (10,7). Ils se garderont de demander une quelconque contrepartie financière. Pauvres, ils sont hébergés par les personnes dignes de les recevoir (10,9-11). Ces disciples sont comme des brebis envoyés au milieu des loups (10,16). Au passage on notera que ces apôtres sont appelés brebis comme les brebis perdues de la maison d’Israël. Ils seront, annonce Jésus, en but à la persécution et poursuivis devant les tribunaux où l’esprit leur donnera de s’exprimer et sera leur défenseur. Cette persécution, qui est le fait des païens et des autorités (romaines) peut aussi être initiée par des dénonciations venues de personnes juives. C’est le signe du désordre qui atteint les familles (“Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort.” 10,21). Le salut est promis à qui persévèrera. La venue du Fils de l’homme précèdera la fin de cette mission en Israël (10,23). On peut faire de ce chapitre une double lecture : dans le contexte du récit évangélique, on s’étonnera de la violence de la réaction des destinataires de cette mission des 12 auprès des Juifs. Cela ne correspond en rien à l’atmosphère qui se dégage des récits concernant le ministère de Jésus avant son arrestation. Dans le contexte des chrétiens des années 80, soit une cinquantaines d’années après la mort et la résurrection de Jésus, mais aussi une dizaine d’années après la guerre avec les romains et la prise de Jérusalem, on comprendra que les missionnaires chrétiens auprès des juifs aient à faire preuve de beaucoup de prudence et craignent d’être dénoncés auprès des autorités romaines comme des agitateurs messianiques désireux de reprendre le combat contre l’occupant. Ce texte de Mt 10 est fortement marqué par l’exemple de grandes figures de la bible juive notamment par Élie et Élisée dont les disciples envoyés vont reprendre le mode de vie itinérant alors que leur maître est comparé à Beel Zéboul (v. 25), le dieu des adversaires d’Élie (2 R 1,2-6.16). Les versets qu’on nous propose de lire en ce dimanche constituent la conclusion de ce discours. Il faut leur adjoindre Mt 11,1 qui fait pendant à Mt 10,1 et boucle la boucle (alors que 11,2 marque le début d’une nouvelle péricope). Il convient de noter que les versets 38 et 39 se trouvent également en 16,24-25 où ils semblent mieux insérés. Je propose la traduction suivante en grande partie tirée de la Nouvelle Bible Segond : 37 Celui qui aime père ou mère plus que moi ne me mérite pas, et celui qui aime fils ou fille plus que moi ne me mérite pas.38 Celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre ne me mérite pas.39 Celui qui aura trouvé sa vie la perdra, et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera.40 Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé.41 Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète obtiendra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste obtiendra une récompense de juste. 42 Quiconque donnera à boire ne serait-ce qu’une coupe d’eau fraîche à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis, il ne perdra jamais sa récompense et obtiendra une récompense de juste.11,1 Il advint que Jésus acheva de donner ses ordres à ses douze disciples, il partit de là pour enseigner et proclamer dans leurs villes.Commentaire verset par verset : v. 37 “ne me mérite pas” ou “n’est pas digne de moi”. La formule se trouve déjà en 10,11-13: “Dans toute ville ou tout village où vous entrerez, informez-vous pour savoir s’il s’y trouve quelqu’un qui est digne, et demeurez chez lui jusqu’à ce que vous partiez. En entrant dans la maison, saluez-la. si la maison est digne, que votre paix vienne sur elle mais si elle n’est pas digne, que votre paix retourne vers vous”. Il faut peut-être comprendre cette formule dans le cadre de l’envoi des apôtres qui représentent le Christ. Il ne s’agit pas ici d’une dignité ou d’une indignité préalable à l’envoi mais du cas ou, pour une raison familiale (respect du père ou de la mère), le disciple est empêché d’aller où le Christ l’envoie.v. 42 : “Quiconque donnera à boire ne serait-ce qu’une coupe d’eau fraîche à l’un de ces petits en sa qualité de disciple” : le terme de « petit » pour désigner les disciples d’un maître apparaît aussi dans les textes rabbiniques.v. 11,1 : “il partit de là pour enseigner et proclamer dans leurs villes”. Il pourrait s’agir des villes des apôtres mais plutôt de celles des Juifs.” Le ton de ces quelques lignes est résolument militant voire choquant. Elles placent le disciples devant des choix douloureux sinon impossibles : préférer le Christ à ses parents, prendre soi-même et porter la croix sur laquelle on va être crucifié, perdre sa vie pour la gagner, voilà des propos qui nous paraissent rudes et difficiles à accepter. Pourtant, ces paroles ne sont pas surprenantes pour les familiers de la littérature juive contemporaines ou un peu plus tardives comme celle du Talmud. Ainsi les rabbins enseignent qu’en cas de nécessité, il faut préférer servir son maître plutôt que ses parents : “si quelqu’un a perdu quelque chose et que son père a également perdu quelque chose, [la recherche de] ce que lui-même a perdu passe avant ce que son père a perdu; s’il a perdu quelque chose et que son maître a également perdu quelque chose, , [la recherche de] ce que lui-même a perdu passe avant ce que son maître a perdu; si son père a perdu quelque chose et que son maître a également perdu quelque chose, [la recherche de] ce que son maître a perdu passe avant ce que son père a perdu car son père l’a fait venir en ce monde mais son maître qui lui enseigne la sagesse, l’introduit dans le monde à venir […] et si son père et son maître portent un fardeau, il aide d’abord son maître à le déposer puis il aide son père à le déposer. Si son père et son maître sont en prison, il fait d’abord libérer son maître, puis son père après son maître” (Talmud, Baba Messia 2.11). Pour justifier cette préférence pour le maître par rapport au père on peut se référer à l’exemple de Moïse dont on apprend en Dt 33,8 qu’il est “l’homme qui t’est fidèle […] lui qui a dit de son père et de sa mère : « je ne les ai pas vu », qui a refusé de reconnaître ses frères, qui ignoré ses fils”. Sur le fait de perdre son âme : « Il arriva que Rabban Scbim’on ben Gamliel (vers 140), Rabbi Jehuda et Rabbi Jose allèrent chez un propriétaire de Kezib; ils dirent : nous ignorons comment un propriétaire organise ses fruits par dizaine. Comme il les observait, il leur apporta une caisse pleine de pièces d’or. […] ils lui dirent : “va et mange ton argent, tu as gagné de l’argent mais tu as perdu ton âme” » (TMSch 3, 18:92) Sur l’hospitalité : Rabii Yehuda (mort en 299) disait que Rab (mort en 247) disait : “l’hospitalité est plus grande que le fait de saluer la divinité” (Talmud Shabbat 18,1)

 
 

Proposition de prédication
 
 

Ils sont venus à l’aube. Personne ne les attendait. Ils sont venus en cuirasses comme des chevaliers du Moyen Age quand les autres dormaient au cœur de la cité. Je ne sais pas où ils ont garé leurs cars et leurs fourgons. Ils ont été très discrets, très discrets au début. Mais vite, ils sont devenus les vedettes du quartier. Il y avait même des journalistes armés de caméras et de ces longues perches qui finissent en micros aux drôles de bonnettes fourrure synthétique. Ils sont venus pour eux, honneur et déchéance, gloire et honte à la fois. Ils sont venus les arrêter au petit matin et ceux-là sont sortis les uns après les autres, sans même avoir eu le temps d’avaler un café, de manger une orange. On dit qu’ils sont dangereux. Le croyez-vous ? On dit qu’il fallait les neutraliser. Mais que leur reproche-t-on ? On n’a trouvé chez eux ni arme, ni drogue mais seulement quelques livres et des ordinateurs que la police a emportés. Les chevaliers noirs aux visages masqués sont venus au matin et les ont emmenés. On les a sans doute bombardés de questions. Beaucoup de questions. Mais ceux qui les interrogeaient savaient déjà tant de choses, que voulaient-ils apprendre ? Ils savaient tout ou presque. Ils savaient quand ils sont partis et quand ils sont revenus, par où ils sont passés, jusqu’où ils sont allés. Ils savaient même ce qui s’est passé de l’autre côté de la frontière, les marches de nuit, les villages en ruine. Que voulaient-ils savoir de plus ? Peut-être la raison pour laquelle, ils ne sont pas restés … ? Est-ce un crime que d’avoir voulu vivre une extraordinaire aventure et lutter contre un dictateur ? Est-ce un crime que d’avoir cru que leurs places étaient aux côtés des frères qui se battent et tombent sous les bombes quand l’occident se tait ? Est-ce un crime que d’avoir voulu prendre les armes pour, au nom de Dieu, le Miséricordieux, le Clément, aider à instaurer la justice et l’ordre là où tout n’est que chaos et dictature ? Oui, ils ont menti. Ils ont menti pour partir. Ils ont menti à leurs parents, ceux-là même qu’à cause de la religion ils disent aimer et respecter. Ils leur ont dit qu’ils partaient en vacances, qu’ils en avaient marre de l’hiver en Alsace et qu’ils avaient un plan d’enfer pour se réchauffer au soleil d’Abou Dhabi. Abou Dhabi, la mer, les palais, les palmiers. Un plan d’enfer, ce n’était pas vraiment un mensonge. Un plan vers l’enfer. L’enfer dont ils sont revenus. Ils ont menti à leurs parents. Ils ont rompu les liens de l’enfance. Mais n’est-ce pas Jésus qui dit dans l’évangile : “Celui qui aime père ou mère plus que moi ne me mérite pas, et celui qui aime fils ou fille plus que moi ne me mérite pas.” Ils ont cru mériter de partir. Ils ont aimé leur religion plus qu’ils n’ont aimé leurs parents. Et puisqu’on cite Jésus, n’est-ce pas aussi lui qui disait : “Celui qui aura trouvé sa vie la perdra, et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera.” ? Trouver sa vie, trouver un sens à sa vie, trouver un lieu ou une cause pour laquelle on peut donner sa vie, n’est-ce pas la donner et donc la gagner, la perdre et en même temps la trouver ? Mais à qui la donner et pourquoi ? Est-ce trouver sa voie, trouver sa vie que d’aller donner la mort, la sienne et celle des autres, même si c’est pour une autre vie, une vie meilleure pour ceux qui restent, une vie de paradis pour celui qui tombe ? Ils sont parti pour avoir trop écouter des prophètes, des hommes qui parlent au nom de Dieu. Mais Jésus lui aussi n’était ils pas prophète et n’a-t-il pas envoyé des hommes risquer leurs vies pour relayer ses paroles de prophètes venues de Dieu ? Et Jésus n’a-t-il pas dit lui aussi : “Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète obtiendra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste obtiendra une récompense de juste” ? Ils ont accueillis des prophètes et se sont cru envoyés. Ils ont cru mener un juste combat et espéré recevoir une récompense de juste, un salaire de prophète. Pourquoi le leur reprocher ?Ai-je tort de parler ainsi ? Ai-je tort de poser ces questions ? Ai-je tort de rapprocher le texte de l’évangile de ce jour de cette actualité récente et ô combien préoccupante ? Veuillez me pardonner si cet exemple choque mais pour ma part, c’est le texte de l’évangile qui me choque et m’interroge. Que signifie pour nous aujourd’hui préférer le Christ à ses parents ? Et qui peut dire qu’il est prêt à prendre sa croix pour marcher sur les pas de Jésus ? Alors j’imagine les premiers lecteurs de cet évangile de Matthieu. On dit que, vers l’an 80, ils vivaient en Palestine ou en Syrie. C’était très peu de temps après cette terrible guerre qui avait opposé des Juifs aux Romains mais aussi des Juifs entre eux. Les Romains avaient gagné. Tous les autres avaient perdu. Le temple était détruit. Certains Juifs, des pharisiens notamment, tentaient de rassembler les croyants autour des piliers de la foi. Or rassembler, c’est aussi exclure et furent exclus ceux qui croyaient et priaient différemment et notamment ceux qui avaient reçu le baptême au nom de Jésus-Christ et pensaient qu’il avait été, avant tous ces malheurs, le messie envoyé par Dieu non pour combattre mais pour aimer. Je les imagine ces lecteurs de l’évangile parmi “les brebis perdues de la maison d’Israël”. Eux aussi risquaient leurs vies et partaient guérir et chasser les démons. Ils quittaient leurs parents, pour certains leurs enfants. Ils n’avaient rien et étaient accueillis dans des maisons amies. On les recevait comme s’ils étaient le Christ. Le Christ n’a-t-il pas aussi dit : “Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé” ? et encore : “Quiconque donnera à boire ne serait-ce qu’une coupe d’eau fraîche à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis, il ne perdra jamais sa récompense et obtiendra une récompense de juste” ? Pour les musulmans, il est n’est pas juste de dire que le mot djihad ne renvoie qu’à la guerre et à la violence. Il est aussi et peut-être surtout un synonyme du mot effort et signifie l’engagement à combattre le mal en soi et autour de soi. Je ne vois pas de mot qui, pour les chrétiens, pourrait en être l’équivalent, mais nous connaissons tous des hommes, des femmes, des jeunes qui, là où ils sont, ou là où on les envoie se mettent au service de leurs hôtes et parfois se chargent de la croix. Sont-ils dignes du Christ ? Les maisons qui leurs sont ouvertes méritent-elles de les recevoir ? Je ne crois pas aux mérites mais je crois qu’il y a là comme des figures de la grâce, grâce d’être envoyé sans l’avoir mérité, grâce de recevoir sans l’avoir mérité. Dans ce même évangile de Matthieu on trouve aussi dans la bouche d’un centurion romain cette petite phrases que nos frères catholiques ont incorporé à leur liturgie : “Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri”. Nous pouvons en écho à la page de l’évangile que nous lisons ce matin dire nous aussi : “Seigneur, je ne sais pas ce que cela signifie que de t’aimer plus que mes parents, plus que mes enfants, et je sais que je n’ai pas pris la croix pour te suivre, je ne suis pas digne de toi, envoie un autre que moi”. Mais je sais et je crains sa réponse : il appelle ceux qui sont dignes et ceux qui ne sont pas, les méritant et les mécréants. Il les envoie, les uns comme les autres, ceux qui se croient dignes et ceux qui savent qu’ils ne le sont pas. Heureux sommes-nous d’être ainsi envoyés, non pour la guerre mais pour aimer, pour prendre la croix et non les armes. De Strasbourg, des jeunes étaient parti dit-on, faire le Djihad en Syrie. On peut aussi dire qu’ils ne sont peut-être pas partis poussés par la haine mais par une quête de justice ou d’aventure. D’autres partent sans faire la une des journaux et leur courage n’en est pas moins grand. Tous nous sommes envoyés ou appelés à recevoir. Que la fraternité partagée soit pour chacun une récompense de juste et de prophète. Amen