Textes : Romains 8, v. 31 à 39 Psaume 148Exode 34, v. 4 à 9 2 Corinthiens 13, v. 11 à 13 Jean 3, v. 16 à 18Pasteur Elisabeth Brinkman Télécharger tout le document

Notes bibliques
 
 

Lecture suivieIntroductionTrois textes nous sont proposés ce matin par le lectionnaire œcuménique, qui chacun mériterait une analyse approfondie. Trois textes majeurs : Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR (YHWH, YHWH), Dieu compatissant et clément, patient et grand par la fidélité et la loyauté (Exode); le Dieu de l’amour et de la paix sera avec vous (2 Corinthiens) ; Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que quiconque met sa foi en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle (Jean 3). Curieusement les trois sont des fragments et pour ce qui est de l’évangile de Jean, nulle trace du récit dans lequel la phrase est insérée, à savoir le récit de la rencontre entre Jésus et Nicodème. Difficile de voir un lien pertinent entre ces 3 textes, qui pourrait être le support de la prédication. Il me semble du coup plus judicieux de prendre l’ensemble de la péricope de l’évangile, donc Jean 3, 1-21, plutôt que d’essayer de tirer quelque chose de ces 3 fragments. Je vous propose donc de partir sur le texte de l’évangile de Jean 3, 1-21.Le texte dans son contexteEn fait, on doit faire remonter le début de notre péricope à 2,23 : Pendant qu’il était à Jérusalem, à la fête de la Pâque, beaucoup mirent leur foi en son nom, à la vue des signes qu’il produisait, 24mais Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous 25et parce qu’il n’avait pas besoin qu’on lui présente un témoignage sur l’homme : lui-même connaissait ce qui était dans l’homme.Nous sommes donc à Jérusalem, pendant la fête de la Pâque (contrairement aux évangiles synoptiques, Jean mentionne 3 fêtes de la Pâque), au début du ministère de Jésus.Nous sommes en outre dans le (ou du moins proche du) temple de Jérusalem, d’où Jésus vient de chasser les marchands. Le temple est donc déjà connoté comme un endroit controversé. En aval du récit de la rencontre avec Nicodème se trouve un déplacement en Judée, avec une dernière rencontre avec Jean le Baptiste.Il y a donc bien une unité narrative qui va de 2,23 à 3,21Elle est en plus encadrée par une inclusion : au vs 2 Nicodème vient de nuit, au vs 21 celui qui fait la vérité vient à la lumière. Composition de 2,23-3,21Après le passage des noces de Cana, signe du monde nouveau qui surgit avec Jésus, après l’épisode au temple qui annonce déjà que ce passage se fera à travers l’évènement de Pâques (2,22 : après sa mort, ses disciples se souvinrent..)1, viennent maintenant des rencontres avec des personnes. Derrière chacun on peut deviner un groupe de personnes : derrière Nicodème les prêtres et scribes, derrière la Samaritaine les « demi-frères » samaritains, derrière l’officier royal les non-juifs. D’après Xavier Léon-Dufour ces différents groupes (juifs, hérétiques et païens) sont invités ainsi à adhérer à l’enseignement de Jésus et à venir à la foi. Ainsi l’évangéliste invite son lecteur –nous- à prendre position : il s’agit de croire ou de ne pas croire en la véritable identité de Jésus.La rencontre avec Nicodème se fait en plusieurs temps :

  • Un récit genre « sommaire2 » qui reprend l’ensemble de l’action de Jésus: 2, 23 – 3, 2a
  • Un dialogue entre Jésus et Nicodème : 3,2b – 3, 12
  • Un monologue de Jésus, qui s’apparente à une confession de foi : 3,13 – 3,21.

Exégèse verset par verset :Vs. 3,1 – 2a: introduction : une série d’informations nous est donnée :

  • Nicodème, chef des Juifs, pharisien. Nicodème est mentionné 2 fois encore dans l’évangile de Jean : en 7,50 il prend la défense de Jésus devant ses collègues ; en 19,39 il est présent lors de l’ensevelissement de Jésus.
  • Il vient de nuit : la nuit a plusieurs fonctions dans les récits de la bible : c’est le moment où les choses sont cachées, et la mention de la vérité/lumière en 3,21 peut faire penser qu’il y a ici un élément de secret, car celui qui a peur peut se dissimuler. Mais la nuit c’est aussi le moment propice à l’étude de la Thora et on sait que les rabbins estimaient que la nuit était le moment propice pour méditer sur le mystère de Dieu. C’est la nuit que se passent des choses importantes dans la bible : la libération d’Égypte, la résurrection…..Au cœur de la nuit Dieu est à l’œuvre !

Vs. 2b- 8 : premier dialogue : connaître ou naître

  • Rabbi, nous savons : Nicodème se présente comme envoyé des pharisiens et pose Jésus comme son égal « rabbi ». Même plus, puisqu’il lui attribue les signes qui attestent que Jésus est envoyé de Dieu. La tradition juive connaissait des rabbins reconnus de cette façon comme d’authentiques prophètes.
  • Jésus répond à côté de la question : en la déplaçant ainsi l’ensemble du récit va fonctionner sur le registre du malentendu.
  • Amen, amen, je vous le dis : formule typiquement johannique. Chez Jean ces mots annoncent une révélation particulièrement importante. Elle correspond aux déclarations prophétiques vétérotestamentaires du type « oracle de YHWH ».
  • Nicodème se place sur le registre du savoir, Jésus sur celui de l’expérience : tu voulais savoir, moi je te propose une nouvelle naissance. Il s’agit ici des conditions à remplir pour entrer dans le Royaume, ce qui est un sujet plutôt rare chez Jean, il ne reviendra qu’au ch. 183. Plus radical encore que Matthieu lorsque celui-ci dit qu’il faut devenir comme un enfant pour entrer dans le Royaume, Jean nous dit que nous pouvons que le recevoir, en naissant à nouveau.
  • Le mot anothen a une double signification : d’en haut ou à nouveau. Ici naît le malentendu, et Nicodème ironise : comment peut-on rentrer à nouveau dans le sein maternel ? Ce malentendu sert dans la narration à mettre l’accent sur le sens spirituel « d’en haut » : si quelqu’un ne naît pas d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Eau et Esprit : les 2 se trouvent en Genèse 1 : l’Esprit de Dieu plane sur les eaux. Et c’est parce que cet Esprit vient toucher le chaos primordial, que peut naître le monde des vivants. On peut penser aussi à la prophétie d’Ézéchiel 36,26-27 qui dit : « je verserai sur vous une eau pure… je mettrai en vous un esprit nouveau » La nouvelle naissance est donc œuvre de l’Esprit.
  • Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit : le dualisme est typiquement johannique, et oppose le monde de Dieu et le monde humain. Dans un cas l’être est faible, périssable, terrestre, dans l’autre il est vivant de la vie de Dieu même à jamais. On pense ici au Prologue du chap. 1 où déjà l’évangéliste a opposé l’origine d’ici-bas et l’engendrement par Dieu4.
  • On peut remarquer le vous de Jésus : il vous faut. Il se met ainsi à distance de Nicodème, lui-même n’ayant pas besoin de naître d’en haut..

Vs. 9-11 : deuxième dialogue : le témoignage de Jésus

  • Comment cela se peut-il ? La question de Nicodème est aussi la nôtre. Il y a cette nouvelle naissance, et Nicodème a compris qu’elle est d’ordre spirituel. Mais reste la question : comment accéder à la foi ? Comment être renouvelé entièrement par Dieu ? Nicodème, en fin connaisseur du Premier Testament, aurait dû le savoir, aussi Jésus est plutôt critique à son égard : tu es maître en Israël. Jésus le renvoie aux textes qu’il étudie chaque jour.
  • Le verbe témoigner est un verbe très fort : marturoumen. Le nous implique peut-être derrière la figure de Jésus la communauté croyante qui est appelée à témoigner de sa foi.
  • Jésus apporte ce témoignage de Dieu son Père et de son amour, il ne parle pas de lui-même, mais renvoie à ce qu’il a vu auprès du Père. Refuser le témoignage du Fils signifie refuser la révélation.

Vs. 12 : la difficulté de croire

  • La constatation de non-accueil de la Parole ne met pas fin à l’entretien : nous entrons dans un monologue de Jésus, d’où Nicodème semble avoir disparu.
  • L’individu Nicodème laisse maintenant la place à la communauté, l’ensemble du peuple juif dont il est l’émissaire (du moins dans notre passage). Est-ce que celle-ci sera capable de distinguer entre ce qui vient du ciel et ce qui est terrestre, est-ce qu’elle croira ?

Vs. 13-21 : le monologueTout ce monologue est le témoignage de Jésus sur lui-même – ou le témoignage de Jean sur Jésus ! – et est écrit à la 3e personne. L’ensemble est en 3 mouvements :- le Fils de l’homme est descendu du ciel et doit être élevé (13-14)- Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique (15-16)- la vie éternelle est obtenue grâce à ce Fils (17-18)- à chacun de se déterminer face à cette révélation (19-21)Vs. 13-14 : Jean nous fournit ici un apport capital à la christologie du NT (X Léon-Dufour) : la croix qui à l’origine est un instrument d’humiliation et de souffrance devient le manifeste de la gloire et de l’élévation du Christ. Ce paradoxe indique que la croix est le signe du salut, tout comme le serpent d’airain de Moïse le fut jadis dans le désert. En regardant ce serpent d’airain, les Hébreux attaqués par des serpents dans le désert (Nb. 21) sauvaient la vie ; de la même manière tout homme qui regarde la croix du Christ sauve sa vie. Vs. 15-16 : ici nous sommes au cœur de la christologie johannique, à tel point que tous les mots pèsent.

  • Aimer : la première occurrence de ce verbe dans l’évangile. Pour Jean ce geste initial de Dieu est la réalité fondatrice du monde. Aucune réciprocité de la part du monde n’est suggérée5. L’amour de Dieu précède tout.
  • Cet amour est total, inconditionnel, donné en surabondance, telle est la signification du mot « tellement ». Comme le vin à Cana (chap. 2), comme les poissons lors de la pêche miraculeuse (chap. 21), cet amour de Dieu est incompréhensible, au-delà de toute possibilité humaine.
  • Le monde : chez Jean le monde est souvent une réalité négative, celle qui ne reconnaît pas le fils de Dieu, qui s’oppose à la lumière (chap.1) ; ici elle est la réalité humaine avec toutes ses zones d’ombre et de refus.
  • Donner : encore une fois le geste gratuit de Dieu est souligné par ce verbe : le don n’appelle aucune contrepartie, mais est offert par pure générosité.
  • Fils unique : on pense ici à Abraham appelé à sacrifier son fils Isaac ; ce Fils est ce que Dieu a de plus précieux.
  • Croire : ici devient tout à fait clair que croire n’est pas le résultat de longues études, n’en déplaise à Nicodème, mais est une possibilité offerte à ceux qui osent faire confiance au Christ.
  • Vie éternelle : le jugement dernier n’est pas vu à la fin des temps, et la vie éternelle n’est pas le résultat d’une quelconque éthique du croyant (comme dans Mt 28 p ex.) Au contraire, la vie éternelle chez Jean dépend entièrement de la réponse que l’homme face à l’envoyé de Dieu. Jugement et vie éternelle ne sont pas réservés à la fin des temps, mais se réalisent dans le présent, dès la rencontre ; ils sont actualisés6. Ce ne sont donc pas des faits objectifs, mais des évènements qui ne peuvent se vivre que dans une relation au Christ ressuscité.

Vs. 17-21 :

  • Croire en Jésus n’est pas la simple acceptation de vérités, mais engagement à suivre le Christ qui s’est donné pour nous. En ce sens le monologue de Jean 3 pourrait être lu comme une catéchèse baptismale, qui met en lumière le mouvement trinitaire : le Père qui aime, le Fils qui sauve, l’Esprit qui transforme la vie du croyant en l’amenant parfois sur des routes insoupçonnées « l’esprit souffle où il veut.7 »
  • La vie ou la mort dépendent donc de la foi en Christ. Jean réfère ici sans doute à des textes vétérotestamentaires comme Dt. 30,15-19 : « je place devant toi aujourd’hui la vie et la mort.. choisis la vie et ce qui fait vivre. »

Pistes pour la prédication :Le récit de Nicodème est exceptionnellement dense, et pourrait donner lieu à une multitude de prédications. J’en donne quelques exemples :

  • Que veut dire « aimer » pour nous ? Aimer Dieu, aimer le monde…
  • Baptiser d’eau et d’esprit, mais si je n’ai pas l’impression d’avoir reçu cet esprit à mon baptême, est-ce que ça fait de moi un chrétien de deuxième zone ? Comment oser se laisser déplacer par cet esprit qui « souffle où il veut » ?
  • Qu’est-ce que la foi ? Un système de valeurs ? Adhérer à des dogmes ? D’après Jean ce serait « simplement » regarder le Christ, comme le peuple dans le désert regardait le serpent d’airain. Mais alors, quid de nos œuvres, comment rimer Jean et Matthieu 28?

Le danger de ce texte est à mon avis, sa densité même. Et de là le risque existe soit de vouloir tout mettre, tout dire, soit de se réduire à quelques platitudes parce que le texte mène quelque part une vie dogmatique et liturgique propre. J’ai pris le parti de la narration, essayant de suivre le fil du récit, me mettant dans la peau de Nicodème qui finalement n’est autre que chacun et chacune d’entre nous !1 Xavier Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean, tome 1, p. 2762 Un sommaire est un petit texte récapitulatif qui dit en grandes lignes ce qui s’est passé. 3 Edouard Cothenet, la chaîne des témoins dans l’Evangile de Jean, Paris, Cerf, 2005, p. 424 Xavier Léon-Dufour, op.cit., p. 2935 Xavier Léon-Dufour, idem, p. 3066 Idem, p. 3087 Edouard Cothenet, op.cit, p 51

 
 

Prédication
 
 

Aujourd’hui je voudrais vous parler de Nicodème, le pharisien qui ose venir voir Jésus pour lui confier ses soucis existentiels. Il a hésité, Jésus était d’un côté un type intéressant, mais en même temps, pas mal contesté. Et un Pharisien, ça fait attention à qui il s’adresse ! Alors, il y va, mais de nuit. Il veut dire son admiration à cet homme, lui poser ses questions, et quel meilleur moment que le creux de la nuit où on entend les rouages de son cerveau, où on n’est pas dérangé par des futilités. Tout ça pour se faire remonter les bretelles, et pour entendre un discours…. Fascinant, certes, mais bien en décalage avec ce qu’il attendait. Le mieux c’est peut-être de laisser Nicodème lui-même nous dire ce qu’il a compris des paroles de Jésus.« Pourquoi je suis là, devant ce tombeau vide, mes amis ? C’est vrai, il n’y a plus rien à voir ici, circulez, vous avez raison. Ce tombeau, il y a trois jours, j’y étais aussi, avec mon ami Joseph d’Arimathée. Je l’ai aidé ce jour-là à enterrer un homme, qu’on appelait Jésus. J’avais même porté cent livres de myrrhe et de nard pour l’embaumer. J’ai aidé à l’envelopper dans le linceul. J’ai aidé à le porter, à le déposer ici, dans cette tombe toute neuve, au milieu du jardin. Un endroit paisible, où enfin cet homme torturé, malmené, tué à tort, pourrait trouver la paix. Et voici que la tombe est vide. Cela ne m’étonne en fait qu’à moitié, même si tout comme vous j’aimerais bien savoir ce que ça veut dire « ressusciter ». Comment est-ce possible ?Mais si je repense à cette conversation qu’on a eue, lui et moi, il y a trois ans presque jour pour jour, je me dis que déjà là il m’avait donné une réponse à ce mystère. C’est cette conversation qui a tout déclenché et qui a changé ma vie.Vous le savez : je suis Pharisien, homme de loi, un savant quoi. Rien de plus palpitant pour moi que d’avoir une bonne controverse avec un collègue, pour qu’on avance dans notre compréhension de la Torah.C’est pour cette raison que je suis allé le rencontrer, Jésus.Je n’ai pas été déçu, la preuve, je suis là aujourd’hui. Mais alors, dérangé et bousculé à un point, vous ne pouvez pas vous imaginer !Au lieu de la bonne vieille controverse voilà un homme qui répond de côté à tes questions, qui tout à coup fait des digressions sur des choses qu’on ne s’imaginait même pas, vertigineuses.En même temps ses paroles brûlent comme un feu et jusqu’à aujourd’hui, elles m’aident à vivre, à avoir moins peur du qu’en dira-t-on, à être un meilleur Pharisien, à avancer dans la vie quoi. C’est bien pourquoi je suis là, aujourd’hui. « C’était donc il y a trois ans, la nuit de la Pâque, cette nuit où nous nous rappelons comment Dieu nous a libérés, en nous sauvant de l’esclavage en Égypte. Je savais que Jésus était en ville pour la fête, on en parlait déjà assez à l’époque. Moi j’aime la nuit, elle aide à réfléchir ; et comme en plus je ne voulais pas que ça se sache trop, ça m’arrangeait qu’il fasse noir lorsque je suis allé lui rendre hommage. Lui dire que je l’admirais, il me semble même lui avoir dit d’emblée à quel point il me faisait penser aux prophètes d’autrefois, à Esaïe surtout. Rendre la vue à des aveugles, faire se lever des paralysés, libérer de leur peur et de leur enfermement les lépreux et les pécheurs… Ésaïe l’avait annoncé, ce temps où Dieu rendrait présent son Royaume !Et je sentais bien, moi, que Jésus, à travers ce qu’il faisait comme signes, à travers ce qu’il disait, nous rendait présent cet amour infini de Dieu pour le monde ! Je voulais lui dire que je l’admirais et que je voulais apprendre de lui tout ce que je pouvais.« Eh bien, cette discussion que j’ai pu avoir avec Jésus, ça n’a pas été facile. J’ai commencé donc par lui dire tout le bien que je pensais de lui. Et lui il me répond que je dois naître de nouveau si je veux réellement voir le Royaume de Dieu ! Il suffit de lire la Torah, non, pour savoir ce que signifie le Royaume de Dieu ! Et ça, je le fais tous les jours. C’est bien pour cela que je suis devenu pharisien. Mais naître de nouveau ? Qu’est-ce que cela veut bien dire ?Je sais bien qu’on ne peut plus revenir dans le ventre de sa mère, c’était une boutade de lui dire cela, mais honnêtement : on ne peut pas remonter le temps, ce qui est fait est fait, on traîne notre passé avec nous, qu’on le veuille ou non. Recommencer tout à zéro, c’est de l’ordre du rêve, du moins c’est ce que je pensais. Ça m’a perturbé, cette histoire de renaître. Le chaos dans ma tête, je ne savais plus quoi penser. « Et le voilà qui continue, Jésus : il faut naître d’eau et d’esprit pour entrer dans le Royaume de Dieu. Et ça, je ne sais pas comment, mais ça a touché quelque chose en moi. L’eau et l’esprit… je lisais ça régulièrement dans la Torah, puisque c’est pratiquement la première phrase : La terre était un chaos, elle était vide ; il y avait des ténèbres au-dessus de l’abîme, et le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux. Du coup ce mot « renaître » a pris un autre sens ; il ne voulait pas dire naître à nouveau, biologiquement, mais naître d’en haut, c’est-à-dire laisser Dieu travailler en nous, laisser son Esprit calmer le chaos dans notre vie. Séparer comme au début la nuit et le jour, le sec et le mouillé, le haut et le bas, pour rendre notre vie habitable. Pour nous rendre à notre humanité vraie et authentique. Et lorsque j’ai compris cela, j’ai pu continuer ma réflexion : cela veut donc dire que Dieu n’a pas juste crée autrefois, au commencement et puis s’est reposé à jamais sans plus toucher à sa création. Ça veut dire que tous les jours, inlassablement, il reprend sa création ! Et ça, ça veut dire que moi, chaque jour à nouveau, de la même façon, je peux recommencer, que rien n’est jamais déterminé et fini à jamais. Et c’est bien ce qu’il faisait, Jésus : dans ces situations où tout semblait aller vers la mort, ces situations inextricables de gens enfermés dans leur maladie, leur souffrance, leur péché, il est venu remettre la vie. « Que lui, Jésus, soit ainsi le Fils de Dieu, j’ai fini par le comprendre et par le croire. Mais moi, mais vous, comment pouvons-nous renaître, nous ? Ça m’a travaillé, à tel point que je n’ai même pas entendu la suite de ce que Jésus a dit. Trop occupé à mouliner tout ça. Mais il en a dit, des choses! Pendant des jours ça m’a trotté dans la tête : naître d’eau et d’esprit. Cela ne voulait quand même pas dire qu’il n’y en avait que très peu de gens qui y arriveraient, des élus en quelque sorte, fiers de leur capacité de sentir le vent de l’Esprit souffler sur eux ? Parmi les Pharisiens, comme partout, il y en a qui sont comme ça, qui pensent qu’ils ont un lien privilégié avec Dieu, qu’Il leur aurait fait un petit geste spécialement à eux, et pas aux autres. Mais Jésus s’adressait à tous sans exception, il les guérissait sans d’abord demander leur appartenance religieuse ou le degré de leur foi. Alors, comment renaître ?« Et là, je me suis rappelé les paroles du prophète Ézéchiel ! « Je verserai sur vous une eau pure… je mettrai en vous un esprit nouveau ». Dieu avait promis cela il y a longtemps déjà, qu’il donnerait, qu’il offrirait à tous ceux qui demanderaient, sans exception, son Esprit, sa paix, sa joie ! Donner, offrir, gratuitement, sans qu’on ait à faire des choses exceptionnelles ! Jamais je n’avais ainsi compris ces paroles ! En bon Pharisien j’ai toujours cru qu’il fallait suivre à la lettre tous les préceptes de la Loi pour être jugé suffisamment bon par Dieu pour avoir la vie éternelle. Toute ma vie je m’étais efforcé à correspondre à ce que je pensais devoir être.J’ai tellement été bouleversé par ma découverte, par cette idée que Dieu nous donne gratuitement, que c’est sa grâce qui nous sauve et pas nos actes, que j’ai eu beaucoup de mal à entendre ce que Jésus disait encore.« Et il en disait encore, des choses !J’ai vaguement entendu encore qu’il disait : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, et aussi : celui qui croit en lui aura la vie éternelle….Je vous dis, mes amis, que j’en ai pour le restant de mes jours à réfléchir à tout cela.Mais c’est bien pour ça que je suis ici aujourd’hui, devant ce tombeau vide et que je ne suis qu’à moitié étonné. Cet homme-là était vraiment le Fils de Dieu, ça j’en suis sûr. Il est venu nous libérer, de nos peurs et nos enfermements, de notre mesquinerie et de nos jugements hâtifs. Il est venu nous parler de la lumière de Dieu qui peut inonder notre vie et la transformer. Et s’il y a une seule chose que je peux vous dire aujourd’hui c’est bien cela : sa lumière brille dans nos ténèbres, elle a éclairé ma vie. Alors aujourd’hui, je ne viens plus de nuit, je ne me cache plus, je n’ai plus peur que les autres voient mes défauts et mes manques. C’est la dernière fois sans doute que je viens ici, devant ce tombeau. Je sais maintenant où aller, que faire de ma vie : je vais en Galilée pour le suivre !Bibliographie :Xavier Léon-Dufour, Lecture de l’Evangile selon Jean, tome I, Paris, Seuil, collection « Parole de Dieu », 1987Edouard Cothenet, La chaîne des témoins dans l’Évangile de Jean ; de Jean-Baptiste au disciple bien-aimé, Paris, Cerf, collection Lire la Bible, 2005Alain Marchadour, L’Évangile de Jean, Paris, Centurion, série Commentaires, 1992