Reprise 

Notes bibliques

Le récit dans l’évangile

Nous le savons tous : L’évangéliste Luc est LE grand maître de la théologie narrative. Si vous tombez sur un récit évangélique facile d’accès et inoubliable, si vous rencontrez dans un récit biblique des personnages dans lesquelles vous vous reconnaissez facilement (comme les bergers à la crèche ou le fils prodigue, une veuve sans droits ou un petit Zachée qui veut absolument rencontrer le Seigneur) – vous pouvez être sûr que c’est Luc qui en est le rédacteur (et très souvent le seul parmi les évangélistes à le présenter…).

Bien sûr, il sera prudent de rester sur nos gardes : Si Luc nous raconte de tels récits saisissants, ce n’est pas pour nous faire part de quelques faits divers de la vie de Jésus. Il fait de la théologie. Et quelle théologie ! Chaque mot est pesé à la balance d’or. Chaque détail de son récit si coloré a sa signification profonde. Ne les prenons donc pas trop rapidement au premier degré seulement. Il vaut la peine de bien situer chaque récit – et ses détails – dans le contexte de l’œuvre complète de Luc.C’est ainsi que je comprends par exemple un détail qui peut vous paraître secondaire et sans trop de signification, et qui, pourtant, peut nous surprendre : Nous n’avons dans toute la Bible grecque que deux récits dans lesquels le personnage principal disparaît miraculeusement à la fin du récit : C’est notre évangile d’aujourd’hui, et puis, quelques pages plus loin (si on ne prend que l’œuvre de Luc), dans les Actes 8, Philippe, à la suite du baptême du ministre éthiopien. Et, tout à fait par hasard, ce sont les récits de Luc qui nous présentent sa théologie de la Sainte Cène – et celle du baptême. Non, je ne crois pas que c’est un hasard. Au contraire.

Luc fait tout pour nous amener à rapprocher ces deux récits, et ne serait-ce qu’à « l’usage du dauphin », pour ainsi dire, donc pour réveiller l’intérêt des catéchumènes pour le baptême et la Cène.Je pense donc qu’il faut tout faire, aussi à travers notre prédication, pour permettre à la théologie de Luc de prendre toute sa place. Autrement dit : Ce récit nous invite à faire trois choses à la fois :

> Faire apparaître comment – aujourd’hui encore – la réalité pascale peut illuminer même la tristesse de celui qui a connu une catastrophe totale, proche de celle qu’ont rencontrée les deux disciples d’Emmaüs trois jours avant.
> Mettre en valeur « le pain rompu », c’est à dire le repas du Seigneur très concret auquel nous sommes invités (et qui devrait inévitablement couronner ce culte centré sur le récit des disciples d’Emmaüs).
> Essayer – si nous en avons le don – de faire avec ce texte biblique, autant que possible, de la théologie narrative, en suivant ce fil conducteur que nous présente Luc avec ce récit passionnant.

 

Quelques notes exégétiques

Le village d’Emmaüs doit être l’antique « Cham-vas », un village qui s’appelle aujourd’hui « Coulonje » et qui se trouve à 6km au nord-ouest de Jérusalem (la distance de 60 stades -180m x 60, donc 10,8km- est à prendre dans un sens pas trop précis, étant donné que Luc ne connaît pas la géographie d’Israël). Dans la logique du récit, je le comprends comme le village d’origine des deux hommes.Ces deux, dont l’un est nommé Cléopas, ne font pas partie du cercle des douze dont les noms nous sont connus, mais pourtant, dans notre contexte ils sont appelés « disciples ». Il y en avait donc sûrement plus de douze ! Quant à Cléopas, on a déjà pensé qu’il pourrait être ce Clopas dont la femme Marie se trouvait sous la croix, avec les autres Marie (Jean19, 25).Le fait que les deux n’arrivent pas à reconnaître Jésus qui se joint à eux, peut être comparé aux apparitions du Ressuscité que nous présente Jean (20, 14 et 21, 4). Mais dans tous les trois cas, il sera important de ne pas trop pencher vers l’idée que Jésus, après sa résurrection, avait tellement changé d’aspect extérieur que même ses disciples et amis les plus proches n’arrivaient plus à le reconnaître. J’aimerais mieux en tirer la conclusion que (aujourd’hui encore !) le Ressuscité vient à notre rencontre – mais on n’arrive jamais à le reconnaître au premier abord !

Vu sur un plan tout à fait concret, les deux disciples rencontrent donc un inconnu qui s’associe à leur marche, comme cela se faisait tout normalement, à l’époque. Et alors, faisant chemin ensemble, on faisait ce qu’on fait aujourd’hui encore, avec une connaissance fortuite : On s’entretient. Et nos deux disciples, apparemment tristes, ne tarderont pas à partager avec l’inconnu la raison de leur tristesse.Ils parlent de leur ami et maître Jésus en termes de « prophète » : Dans le contexte de la veuve de Naïn déjà, Jésus avait été comparé aux grands prophètes de peuple de Dieu. Prenons donc cette expression dans sa juste valeur : Les deux hommes sont persuadés qu’en Jésus, la puissance et la présence de Dieu même s’étaient manifestées – mais vous verrez tout de suite que cette confiance en lui ne les avait pas empêchés d’aboutir à des idées aberrantes : Ils attendaient de lui « la délivrance d’Israël » – à l’époque la plupart de ceux qui partageaient cette attente, pensaient à une délivrance très concrète du joug romain, donc à une révolte armée contre les occupants. Vous savez sûrement que la mort sur la croix était la punition capitale réservée aux esclaves qui avaient tenté de s’enfuir (or, Jésus n’avait pas été esclave), et à ceux qui avaient tenté une insurrection contre les Romains. Il est moins connu que certains chercheurs sont persuadés, aujourd’hui, que Judas, le traître, n’avait aucune autre intention que de contraindre Jésus à se révéler comme ce libérateur du pays pour qui il le prenait.

La trahison était donc – dans les yeux du traître – un acte de fidélité qui devait permettre à Jésus de prendre enfin son règne en mains. Quel malentendu monstre – mais vous le trouvez aussi ici, dans les propos des deux disciples d’Emmaüs.Quant au « troisième jour », je n’y vois pas du tout une allusion à la résurrection attendue pour le troisième jour. Bien au contraire : à l’époque de Jésus, la croyance populaire voulait que trois jours durant l’âme du défunt n’avait pas encore totalement quitté le corps pour la demeure des morts. Elle pourrait encore revenir ou se manifester – mais avec le temps qui passe, cela devient de plus en plus improbable. Autrement dit : Maintenant, trois jours après, tout espoir d’une délivrance du peuple de Dieu s’est amenuisée…Or, l’inconnu s’avère être un bon Israélite : Il connaît sa Bible, et il connaît les traditions des pères : Votre prophète a été exécuté par les Romains ? Eh bien, ce que vous prenez pour une catastrophe, c’est, en fait, une preuve de son autorité prophétique ! Relisez les Écritures (eh oui, la Bible hébraïque !), et vous y trouverez tout le nécessaire pour comprendre le pourquoi de la passion et de la mort du vrai serviteur de l’Éternel. C’est vrai, d’ailleurs, non seulement pour les disciples d’Emmaüs, mais aussi pour nous ! Veux-tu rencontrer le Ressuscité dans ta vie à toi, alors apprête-toi à cette rencontre par une étude approfondie de ces Écritures dont Jésus avait fait son cahier de charges…Arrivés dans leur village, les deux marcheurs invitent l’inconnu à rester avec eux. Rien d’anormal. On avait fait connaissance, les deux disciples avaient été touchés par les propos de l’inconnu, et maintenant ils avaient sûrement envie de continuer cet échange qui leur faisait comprendre bien des choses. Ils se retrouvent à table pour dîner.

Là encore, rien d’étonnant. Chaque enfant connaît par cœur, aujourd’hui encore en Israël, la « berâkâh » la bénédiction avec laquelle le père de famille commence le repas : On bénit l’Eternel qui fait pousser le froment de la terre et qui donne toute nourriture, et ensuite, le père rompt le pain et en donne à tous les convives. Et aujourd’hui encore, il est un signe de très grand estime si le père de famille cède ce rite à l’invité pour approfondir encore ce signe de communion – matérielle et spirituelle à la fois. A priori donc aussi dans ce geste traditionnel, rien de nouveau, rien d’étonnant. Or, comme au début avec l’enfant de gens pauvres, couché dans la mangeoire, maintenant encore : Le tout nouveau, l’inattendu, l’insoupçonné se passe DANS le cours habituel et normal de la vie de tous les jours. Dans ce geste courant du pain rompu à Emmaüs, tout comme dans la banalité d’un culte dominical. Pas d’extase et point d’intervention divine, aucune manifestation surnaturelle n’est nécessaire pour souligner l’apparition du Vivant. Il vit, il vient, il devient présent – aussi pour nous. Il suffit de ne pas passer à côté au moment où il veut te rencontrer, où il veut faire route avec toi, ou il vient pour partager ton pain…

 

Prédication

Un tel récit peut nous amener -même si notre foi est fervente et profonde- à nous poser des questions.

Tout cela s’est-il vraiment passé de cette manière ?

Le Christ ressuscité a-t-il réellement rejoint en personne deux des siens, pour les accompagner sur ce chemin de Jérusalem en direction du nord-ouest, vers le « Tell Cham-vas » dont le nom, à l’époque, se transcrivait en grec par « Emmaüs » ?

A-t-il vraiment fait route avec eux ? Était-ce vraiment lui, le Christ ressuscité, qui discutait, qui réfléchissait avec ses amis ?

Et pourquoi, si tel était le cas, ne l’ont-ils pas reconnu ? Avait-il à ce point changé d’apparence après sa résurrection ? Ou s’était-il déguisé ?

Tant de questions qui restent sans réponse. Parce que nous sommes, aujourd’hui, exactement comme les disciples de l’époque. Nos yeux « sont tenus », nous sommes incapables de reconnaître le Seigneur quand il vient à notre rencontre. Normalement, ce n’est qu’après qu’on s’en rend vraiment compte. Et là encore, il reste toujours une part de mystère.

Et, même si vous arriviez à croire fermement que cela s’est produit de telle manière, en l’an de grâce 29 au « Tell Cham-vas », que dire de notre présent à nous ??? Pourquoi Jésus ne se fait-il plus voir aujourd’hui ? Jésus est-il apparu seulement à ses amis à cette époque qui, depuis longtemps, est révolue pour nous ?

Pourquoi aujourd’hui le Ressuscité ne se présente-t-il plus si concrètement à celles et à ceux qui croient en lui ?

Pourquoi ne répond-il pas aux attentes ferventes – et compréhensibles – de tant de croyants ?

Arrivez-vous à vous imaginer comment cela pourrait encourager notre foi si le Ressuscité se présentait à nous, aujourd’hui, pour faire route avec nous, pour nous ouvrir l’accès à la Parole de Dieu ?

Vous figurez-vous comment la foi pascale pourrait reprendre de la vigueur, comment notre foi à nous pourrait développer une dynamique toute nouvelle ?

Je suis persuadé que de telles questions ne sont pas du tout éloignées du message pascal. Il serait faux de se contenter du constat que le Ressuscité ne s’est montré qu’aux disciples de son époque, il y a près de 2000 ans. Cela reviendrait à dire que la foi, le salut, la dynamique de la Résurrection se réduisent aujourd’hui à un souvenir heureux, à quelques « faits divers » d’un passé très, très lointain… Or, la foi chrétienne nous ouvre, tout au contraire, l’horizon d’un présent bouleversant. Notre foi n’est pas orientée vers un passé lointain, mais vers notre présent, et vers un avenir plein de vie et passionnant ! Puisque -vous le voyez bien- le Ressuscité vient à notre rencontre aussi, pour marquer et pour transformer notre existence. Je suis persuadé que la rencontre des disciples d’Emmaüs avec le Ressuscité nous est transmise pour cette seule et unique raison qu’elle peut et doit se passer aujourd’hui encore ! Je vous invite donc à voir ce récit pascal comme si cette rencontre s’était passée il y a quelques jours seulement. Pour cela, il importe de nous insérer nous-mêmes dans le déroulement du récit. Imaginons donc que nous sommes nous-mêmes ces disciples en route vers Emmaüs – disciples qui, vous l’avez bien retenu, n’ont point reconnu l’étranger qui s’associait à leur marche. Ils l’ont pris pour un étranger, pour un simple voyageur, en route comme eux. Or, les deux étaient en train de rentrer chez eux, le premier jour de la semaine après la fête de la pâque juive.

Bien des gens retournaient alors de la fête de la pâque qu’ils avaient passée à Jérusalem. Les deux amis n’étaient pas partis au petit matin, au moment du départ habituel. Ils auraient pu éviter la grande chaleur et le soleil brûlant de midi, mais ils ont préféré attendre l’après-midi, peut-être par peur, mais surtout pour ne pas être vus et reconnus par trop de monde. On ne pouvait pas être sûr de voyager tranquillement, faisant partie des amis de celui qui avait été tué, le vendredi passé, pour avoir préparé une insurrection contre l’oppresseur romain… Faisant route ensemble, ils s’entretiennent, ils passent en revue les événements des jours passés. Ils parlent de tout ce qui leur alourdit le cœur, de tout ce qui les a choqués, de tout ce qui, pour eux, est toujours source de souffrance, de deuil, de chagrin, et aussi de peur. Leur ami Jésus, ce rabbin itinérant à la parole puissante et aux actes salutaires, ce messager extraordinaire de Dieu tant apprécié, cet homme serviable, tant aimé par les pauvres et les démunis, s’était rendu à Jérusalem, pour y être arrêté et torturé, pour être traîné devant un tribunal plutôt douteux, et pour finir comme un malfaiteur sur une croix. Il a été suspendu à une croix, suite à l’accusation d’avoir préparé une insurrection contre les occupants romains. Or, une connaissance même superficielle de son message aurait permis de savoir que ce Jésus était loin d’un tel acte politique, terroriste. Mais hélas, certains, même parmi ses amis, l’auraient aimé voir dans ce rôle. Il y en avait qui le prenaient pour le Messie, un Messie puissant qui délivrerait Israël de ses ennemis, l’arme à la main… Une raison de plus pour les deux amis de Jésus d’être déçus et terrifiés par la mort de leur maître. Maintenant, ils redoutent que la répression, la persécution se tourne contre tous les disciples qui ont suivi le Nazaréen. C’est ainsi que ces deux disciples, résignés, mûs par la peur, à bout de tout espoir, se hâtent de quitter Jérusalem, le lieu où leur ami a trouvé la mort. Or en route, ils ne restent pas seuls.

On avait l’habitude, à l’époque, de faire route ensemble, non seulement pour pouvoir s’entretenir, tout au long du chemin. Il y avait aussi des raisons très pratiques : Plus on était nombreux, mieux on pouvait faire face aux nombreux dangers du voyage, aux intempéries, aux animaux sauvages, aux contrôles militaires, aux brigands… On était donc en route ensemble, et on arrivait à faire connaissance, un peu comme, autrefois, pendant les voyages en train. (Je me rappelle le ravissement avec lequel nous autres enfants avons aimé les récits que mon père nous faisait de ses rencontres invraisemblables, lorsqu’il revenait d’un de ses trajets en train – même si, aujourd’hui, je pense que la plupart de ces rencontres n’ont eu lieu que dans son imagination… ) Le compagnon de route que trouvent nos deux disciples, c’est un étranger. Bien que rentrant de Jérusalem, il n’est pas au courant de ce qui s’est passé à la ville sainte, ces jours-ci. Il s’étonne de leur tristesse apparente. Il pose des questions. Et les deux font confiance et lui confient leur chagrin, leur deuil : Ils parlent de leur maître, du rabbin de Nazareth, qui était un messager tout à fait unique de l’Éternel. Pour nous, pour ses disciples, il était incontestablement ce messager particulier que le peuple de Dieu attendait depuis des siècles. Et voilà, au lieu de nous libérer, il a échoué, il a été arrêté, torturé, bafoué et cloué sur une croix… Et voici que ce compagnon de route, après les avoir écoutés attentivement, s’avère être un homme de foi, un homme qui connaît et aime profondément les Écritures. Le dialogue s’établit. Les trois hommes partagent leurs questions et leurs attentes. L’étranger leur parle des Écritures, telles qu’il les connaît et les comprend. Il parle de Moïse, de cet homme de Dieu qui, au lieu de devenir roi en terre promise, a dû mourir loin d’elle, sur une montagne, au désert. Il leur parle des prophètes qui, presque tous, au lieu de partager la gloire et les richesses du monde, ont été exposés à tant d’épreuves, sont passés à travers des souffrances, ont connu les persécutions et même la mort à cause de leur ministère. Les Écritures disent ouvertement à quel point ils ont été rejetés, pourchassés, tués…

Le voyageur inconnu parle donc aux deux disciples de la foi. Il parle de tout ce qu’on peut en apprendre par les Écritures. Il leur parle du salut, et il évoque le serviteur de Dieu qui, justement par la souffrance qu’il a prise sur lui, a été, en fait, le serviteur de Dieu ! Ce qui, à première vue, se présente comme un échec, s’avère être, en effet, la souffrance salutaire pour le monde entier. Les deux amis de Jésus, jusque-là, étaient persuadés que leur maître ne pouvait prouver sa qualité de Messie que par son triomphe, par une action de puissance qu’il avait toujours refusé sa vie durant, par une victoire politique. Or, l’inconnu leur montre, appuyé sur les Écritures, leur erreur. Le domaine de Dieu, son Royaume, n’est point de ce monde. Ce n’est que dans la foi que vous allez le découvrir. Et ainsi vous découvrirez même le sens de ses souffrances et de sa mort à la croix. Oui, la main de l’Éternel a été à l’œuvre et sa présence s’est manifestée dans ce qui, à première vue, a été pris pour une défaite. L’étranger permet donc aux deux amis de comprendre ce qu’ils ont vécu. Par sa manière de leur ouvrir les Écritures, au milieu du chaos de leur détresse, il leur ouvre un accès inattendu à la foi. Il leur montre comment faire le deuil des attentes humaines pour accéder à l’espérance. Vous voyez donc les trois compagnons de route, sur leur chemin commun, en pleine réflexion sur la foi : les disciples qui, dans leur état actuel, ne peuvent penser qu’à la catastrophe qu’ils ont vécue, ne voient que l’échec, rien que la mort atroce de leur ami, mais qui font la connaissance de cet inconnu, de cet étranger dont les paroles sont comme une source débordante de salut, comme une ligne de force redonnant sens à la vie, comme un germe porteur d’une bénédiction inattendue.

Et voilà que se produit l’essentiel, ce qui, aujourd’hui encore, est le centre même de tout enseignement chrétien, et aussi la raison d’être de la prédication : au cours de cette réflexion commune, les deux voyageurs résignés, fatigués, plongés dans leur amertume, se trouvant dans l’obscurité spirituelle la plus totale, recouvrent la vue de la foi. Ils retrouvent une espérance nouvelle. Un chemin nouveau s’ouvre devant eux, un chemin qui, dans l’immédiat, coïncide avec cette rencontre inattendue. Sur ce chemin, ils profitent de l’accompagnement inattendu de l’inconnu. Évidemment, ils ne veulent pas le laisser partir, le soir étant venu. Ils l’invitent à rester avec eux. Ils lui demandent de partager leur repas du soir et le logis de la nuit. L’étranger accepte. Il reste avec eux. C’est ainsi qu’il est invité à faire ce qui, entre Juifs, était le geste le plus normal, à l’époque. On avait l’habitude de demander à l’invité, pour lui manifester une sympathie toute spéciale, de faire la bénédiction du repas (comme cela se pratique, assez souvent, dans nos familles parpaillotes, aujourd’hui encore – au moins si le pasteur est invité…). Selon la tradition juive, il y a d’abord la berâkâh du pain, au début du repas. L’inconnu prend donc le pain et le bénit. Il rompt le pain, et c’est à ce moment-là que l’essentiel a lieu. Je pense qu’ils n’ont compris que plus tard : ce n’était pas l’entretien sur la foi qui a produit l’étincelle, ni le chemin parcouru ensemble. C’était la communion dans la prière, c’était ce geste de bénédiction ô combien familier et courant qui nous a fait découvrir la communion, dans la foi, avec le Fils de Dieu, qui nous a introduits dans la réalité de son Royaume, de ce Royaume qui nous est donné et dont la réalité continue à nous être proche, même par-delà la mort du maître tant vénéré. Oui, nous aussi, nous sommes accompagnés par celui qui nous aime et qui nous comprend, par celui qui nous devient proche, contre et malgré toute notre résignation. Oui, Dieu nous accorde la proximité de son Fils. Il nous encourage et nous fortifie, il nous remet en route – et ceci à travers des moments vécus ensemble, des moments où l’on fait route ensemble. A première vue, tout cela ne présente pas le moindre élément miraculeux.

La proximité du Christ, la rencontre avec le Ressuscité se produit dans l’expérience la plus banale et la plus normale de notre vie de tous les jours, à des moments où nos yeux sont « tenus », où nous sommes aveugles, où seul le regard de la foi parvient à cerner l’essentiel. Et l’essentiel, c’est ce fait bouleversant que le Christ, aujourd’hui encore, vient à notre rencontre pour nous rendre la foi et l’espérance, dans l’amour. C’est alors que nous allons vivre, nous aussi, la réalité de la Résurrection.

Amen

 

Prière d’intercession

Seigneur éternel,
tu ne veux pas que nous nous perdions dans nos détresses,
dans nos résignations, dans les déceptions qui nous accablent.
Tu nous envoies des compagnons de route
qui nous font redécouvrir le sens de ta Parole et aussi le sens de nos vies.
C’est par eux que nous trouverons l’orientation actuelle
par laquelle tu veux nous permettre de retrouver le chemin de la vie.
Ne nous permets pas de rester aveugles, insensibles
en face de celles et de ceux que tu nous envoies
pour nous atteindre, pour nous faire vivre ton amour.
Et ne nous permets surtout pas de nous enfermer en nous-mêmes
aux moments où tu veux nous laisser découvrir ta proximité
à travers celles et ceux qui ont besoin de nous,
qui sollicitent notre temps, et nos forces,
qui veulent de notre encouragement, de notre créativité –
et qui ont besoin, aussi, de notre argent…
Laisse-nous partager la réalité pascale,
accorde-nous des rencontres toujours renouvelées avec le Ressuscité – et avec celles et avec ceux
qui le rendent présent.
Et permets-nous aussi de témoigner de ta présence
dans la réalité de l’amour partagé
d’une manière si encourageante, si vivifiante que ton amour nous mettra en route, tous ensemble,
vers ton Royaume qui approche. Amen.

 

Proposition de cantiques

AEC 475, NCTC 212, Alléluia 34-15 : Mon Rédempteur est vivant (Toutes les strophes)
AEC 484, Alléluia 36-07 : Seigneur en ta victoire (Toutes les strophes)
AEC 485, Alléluia 34-26 : Christ est vraiment ressuscité (Toutes les strophes)