PâquesTextes : Matthieu 28, v. 1 à 10 Psaume 118, v. 1 à 20Actes 10, v. 34 à 43 Colossiens 3, v. 1 à 4 Jean 20, v. 1 à 9Pasteur Flemming Fleinert-JensenTélécharger tout le document
PâquesTextes : Matthieu 28, v. 1 à 10 Psaume 118, v. 1 à 20Actes 10, v. 34 à 43 Colossiens 3, v. 1 à 4 Jean 20, v. 1 à 9Pasteur Flemming Fleinert-JensenTélécharger tout le document
Actes 10, 34-43 Colossiens 3, 1-4 Jean 20, 1-9 Le témoignage le plus ancien de la foi en Christ ressuscité se trouve au premier chapitre de la première lettre aux Thessaloniciens où Paul parle de Dieu qui a ressuscité son Fils (v. 10). On considère ordinairement que cette lettre a été rédigée en l’an 50 ou 51, donc une vingtaine d’années après la mort de Jésus. Ce temps entre l’événement inaugural et sa première attestation est extrêmement court et il devient encore plus court si l’on tient compte du fait qu’avant de devenir apôtre, Paul a été catéchumène ayant dès le début appris l’importance capitale du message pascal. Les évangiles ont tous été rédigés plus tard, probablement à partir du début des années 70 (Marc) et jusqu’à la fin du siècle (Jean). Il est souvent dit qu’au fur et à mesure qu’on s’éloigne dans le temps, les auteurs ont tendance à ajouter des détails plus ou moins convaincants aux récits d’origine. Ce n’est pas faux (les évangiles apocryphes en témoignent), mais cela n’exclut pas que l’évangile de Jean a pu transmettre des traditions bien plus anciennes (surtout hiérosolymitaines, c’est-à-dire de Jérusalem) que les autres évangiles n’ont pas retenues, voire connues. Le récit qui ouvre le dernier chapitre de l’évangile originel en est un exemple. On y trouve trois acteurs : Marie de Magdala, village au bord occidental du lac de Tibériade, Pierre de Bethsaïda, village au bord septentrional du lac, et le disciple anonyme « que Jésus aimait » (que la tradition, à tort ou à raison, a identifié à Jean, le fils de Zébédée, et pécheur comme Pierre). Parmi ces trois, seule Marie parle : « Ils ont enlevé du tombeau le Seigneur et nous ne savons pas où ils l’ont mis » (v. 2) – pratiquement la même phrase qu’au verset 13, à la différence près que cette dernière est à la première personne du singulier. Le « nous » du verset 2 témoigne d’une tradition qui, comme c’est le cas chez les synoptiques, parle de la présence de plusieurs femmes au tombeau. « Ils », sans autre précision, renvoie probablement aux ennemis de Jésus. On voit mal pour quel motif des personnes de l’entourage de Jésus, à l’abri de la nuit, auraient violé le tombeau. Cette supercherie aurait été découverte tôt ou tard. De plus, après la mort de Jésus, les disciples, au sens large du terme, étaient trop abattus pour nourrir un quelconque espoir d’une résurrection trois jours plus tard. Et si Jésus, conscient du risque qu’il courait en allant à Jérusalem, avait parlé d’avance de sa mort possible, est-ce qu’il avait aussi prévu de manière nette sa résurrection, comme les évangiles le suggèrent ? Aux premières lueurs du jour, Marie se rend compte que la pierre du tombeau a été enlevée (précédemment aucune mention d’une pierre tombale) et retourne en courant à la maison où se trouvent les deux disciples. Ensuite, ce sont eux qui accourent (dans ce texte tout le monde court !) et vu la suite (v. 11-18), on peut imaginer que Marie s’est jointe à eux, toujours en courant. Certains détails étonnent. Pourquoi mentionner que l’autre disciple arrivait le premier au tombeau ? Signe de la force de la jeunesse ? Ou reflet d’une sorte de concurrence ultérieure entre les milieux pétrinien et johannique (au chapitre 21, c’est Pierre qui est le personnage principal) ? Toujours est-il qu’il n’entre pas tout de suite dans le tombeau. Il cède la place à Pierre, haletant après la course matinale. Pierre constate alors ce que l’autre a seulement vu de l’extérieur : le tissu qui avait enveloppé le corps de Jésus, le linceul, ainsi que le linge qui avait couvert son visage étaient posés à deux endroits différents. Pourquoi cette précision ? Peut-être pour remarquer que si le corps avait été volé, on aurait tout emporté, y compris les vêtements funéraires ; mais puisque ceux-ci étaient encore là, l’absence du corps avait une autre raison. L’autre disciple ose enfin entrer dans l’obscurité et la fraîcheur du tombeau et « il vit et il crut » (quatre fois, avec trois verbes différents, le texte parle de « voir »). Cela fait penser aux dernières paroles du chapitre 20 où le Ressuscité dit à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu as cru : bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru ». L’autre disciple est donc passé du voir au croire, alors que Pierre en est resté au voir. Mais ce disciple qu’a-t-il vu ? Les bandelettes, certes, mais sinon rien. Qu’a-t-il cru ? Le texte ne le dit pas, mais il sous-entend bien sûr que l’objet de la foi est le Jésus ressuscité. D’après le récit, cette foi est donc fondée sur une absence. Mais vite cette absence ne compte plus. Nous n’avons aucune trace d’une sanctuarisation de ce lieu (Paul, par exemple, ne parle jamais du tombeau vide). Ce sont deux autres facteurs qui ont corroboré la foi pascale : d’abord, les apparitions (cf. le résumé dans Actes 10, 40-41, l’autre texte proposé pour aujourd’hui), ensuite l’étude des Écritures, c’est-à-dire de la Bible hébraïque, selon lesquelles « Jésus devait se relever d’entre les morts » (v. 9). Ensuite, les deux hommes quittent les lieux en laissant Marie Madeleine seule près du tombeau.
Dans presque toutes les religions, il existe des évocations d’un au-delà qui attend l’homme après sa mort. Évocations extrêmement variées allant d’une docte ignorance aux descriptions plus ou moins pittoresques. Chez les Hébreux, l’au-delà était pensé comme un lieu ténébreux, le sheol, où règne un silence assourdissant, car personne ne prononce le nom de Dieu, personne ne parle des bienfaits de Dieu. Et là où le nom de Dieu n’est plus prononcé, Dieu n’est plus, car Dieu habite parmi les hommes par son nom. Dans ce pays de l’oubli, les morts sont coupés de Dieu, ils ne sont même plus présents dans la mémoire de Dieu. Cela vous étonne peut-être, mais dans le Premier Testament il n’y a pas d’espérance par delà la mort. L’espérance porte sur la vie terrestre et sur le désir d’échapper à la mort. Cette vision des choses commença à changer au deuxième siècle avant notre ère où l’idée de la résurrection est apparue. A l’origine, semble-t-il, se trouve le scandale que souvent les justes et les bons subissent des malheurs, alors que les injustes et les méchants vivent heureux. Cette iniquité, déjà évoquée dans le Premier Testament, paraissait de moins en moins acceptable et pour y remédier, l’idée d’une juste rétribution après la mort a progressivement fait son chemin. Nos sources historiques ne sont pas très nombreuses, mais écoutons cette citation du livre d’Henoch, écrit juif de facture apocalyptique qui date environ de l’an 70 avant notre ère : « Aux justes, le Seigneur donnera la paix, et il gardera les élus : sur eux reposera la clémence, ils seront tous de Dieu, et ils seront heureux, et ils seront bénis et c’est pour eux que brillera la lumière de Dieu […] Il anéantira les impies, et il châtiera tout ce qui est chair, pout tout ce qu’ont fait et commis contre lui les pécheurs et les impies ». La résurrection des morts est donc liée à l’idée du jugement dernier : à la fin des temps, Dieu jugera les humains et séparera les justes des injustes. Les premiers seront sauvés, les derniers perdus. Cette croyance fut propagée avant tout par les pharisiens, parti religieux qui émerge justement au deuxième siècle avant notre ère, qui joue un rôle éminent dans les évangiles comme interlocuteur critique de Jésus et qui se transforme en rabbinisme après la chute du Temple de Jérusalem en l’an 70 de notre ère. A l’époque de Jésus, le thème de la résurrection des morts était si bien passé dans le public que Marthe, la sœur de Lazare, répond spontanément à Jésus : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour » (Jean 11, 24). Et Paul, à la fois pharisien de formation et apôtre de vocation, écrit aux Corinthiens sceptiques que si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Autrement dit, l’apôtre présuppose une espérance qu’il a partagée avec la plupart des Juifs de son époque et qui est restée vivante dans le judaïsme encore aujourd’hui. La résurrection du Christ n’a donc pas engendré cette espérance. Par contre, pour Paul et les premiers chrétiens, la résurrection du Christ a confirmé cette espérance une fois pour toutes, si bien que le Christ est devenu « prémices de ceux qui sont morts » (1 Co 15, 20) et qui attendent encore le jour de la résurrection. Jésus et ses disciples ont sans doute adhéré à l’idée de la résurrection des morts et du jugement dernier. Le contraire aurait été étonnant. Mais dans son enseignement, Jésus reste très discret sur le destin des morts. Ce qui lui importe est l’annonce de la venue imminente du règne sans partage de Dieu. Dieu régnera et il faut s’y préparer. Lui-même s’y est préparé, non seulement en racontant des paraboles sur le royaume de Dieu, non seulement en faisant du bien à ceux qui étaient dans la détresse physique et morale, mais aussi, à la fin, en se rendant à Jérusalem pour l’ultime vérification de son message, pour l’ultime épreuve qui montrerait s’il s’était trompé ou s’il avait parlé vrai. A vue humaine il s’était trompé, puisque son projet a échoué. Il fut cloué avec lui sur une croix destinée à un terroriste nommé Barabbas. On sait aussi l’affliction et le désarroi total de ses proches après cet événement, ce qui explique leur incrédulité quand, le surlendemain, la rumeur du tombeau vide s’est répandue. Selon les évangiles, quelques femmes étaient à l’origine de cette rumeur (l’évangile de Jean ne parle que de Marie de Magdala), ce qui ne la rendait pas plus crédible, puisque, dans la tradition juive, le témoignage d’une femme n’était pas spécialement fiable. Est-ce que c’est pour cela que les évangiles ne s’intéressent pas tellement au tombeau vide ? Matthieu et Marc ne mentionnent même pas que les disciples ont fait une visite sur place pour vérifier le message des femmes. Luc raconte brièvement que Pierre s’est déplacé et « qu’il s’est étonne de ce qui était arrivé » – on veut bien le croire ! C’est finalement Jean qui donne plus de détails en introduisant Pierre et ce mystérieux disciple « que Jésus aimait » et que la tradition, à tort ou à raison, a rapproché de Jean, le disciple et le possible inspirateur de l’évangile qui porte son nom. Toujours est-il que ces récits ne sont pas des reportages journalistiques et quand le texte dit que cet autre disciple crut après s’être aventuré dans l’obscurité du tombeau vide, il faut prendre cette affirmation avec un grain de sel, car la foi en Christ ressuscité n’a pas été engendrée par l’absence d’un mort, mais par la présence d’un vivant. C’est pourquoi la foi a toujours été insensible à l’argument bien connu selon lequel le corps de Jésus aurait été enlevé dans la nuit qui a suivi le sabbat. Même si c’était vrai, cela ne changerait rien pour ceux qui partagent la conviction des apôtres : que le Christ est vivant. Personne ne pourra jamais rien prouver au sujet de la résurrection, car personne n’y a assisté. La seule chose qu’on puisse prouver avec une certitude absolue, c’est cette conviction des apôtres que le Christ est vivant. Conviction née d’une rencontre complètement inattendue avec celui qu’ils connaissaient sans pouvoir toujours le reconnaître tout de suite. Quant à nous, il en est de même. Pour nous non plus, il n’est pas évident de le reconnaître. On n’accède pas de but en blanc à la foi au Christ ressuscité. Si tu n’as pas déjà été saisi par la personne de Jésus de Nazareth, si tu n’as pas déjà voulu suivre la direction qu’il a indiquée pour ta vie, si tu as laissé tomber le nom de chrétien que tu as reçu dans le baptême – en somme, si tu as refusé de reconnaître Jésus de son vivant, comment le reconnaître en tant que ressuscité ? Remarquez aussi que le Christ n’est apparu à aucun de ceux qui n’avaient pas voulu l’entendre avant sa mort : ni aux pharisiens, ni aux prêtres, ni à Ponce Pilate, aucune manifestation publique – ou médiatique comme on dirait aujourd’hui. Mais si j’admets que l’expérience des apôtres après Pâques signifie une fente dans notre condition mortelle et une entrée dans le monde propre de Dieu, qu’est-ce que cela change dans ma vie ? Cela change mon regard. D’abord, je ne regarderai plus le monde de la même manière, car je vois qu’il n’est pas définitivement clos sur lui-même, mais secrètement ouvert à la liberté de Dieu, le Créateur du ciel et de la terre. Ensuite, je ne considérerai plus la mort de la même manière. Mon espérance ne dépendra pas d’une doctrine concernant la résurrection des morts à la fin des temps, mais sera liée au nom d’une personne, le Christ, qui, comme le dit saint Paul, « a été crucifié dans la faiblesse, mais est vivant par la puissance de Dieu » (2 Co 13, 4). Sa résurrection, cachée, mais vraie, est la promesse de la nôtre. Lorsque je me trouve devant la mort inexplicable, voire même injustifiable, mon désarroi ne disparaît pas, mon angoisse ou ma douleur ne s’éclipse pas comme par miracle, mais au fond de moi-même je garde cette confiance que la communion avec Dieu ne sera pas brisée malgré la rupture avec la vie de ce monde. Dans cette perspective, la résurrection du Christ est l’insurrection définitive contre la mort. Ce n’est plus la mort, mais Dieu qui est la fin de la vie, de la mienne, de la tienne. Jésus de Nazareth l’a montré dans ce qu’il a dit et fait, et le message de sa résurrection lui a donné raison. C’est pourquoi nous pouvons nous dire encore cette année : Joyeuses Pâques !