5ème dimanche de carêmeTextes : Matthieu 18, v. 1 à 14 Psaume 130Ézéchiel 37, v. 12 à 14 Romains 8, v. 8 à 11 Jean 11, v. 1 à 45Pasteur Jean-Jacques MullerTélécharger tout le document

Ézéchiel 37, 12-14 : la vision des ossements desséchés avec le dernier oracle de Dieu : « Je vais ouvrir vos tombeaux, je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple… »Psaume 130 : « Des profondeurs, je t’appelle, Seigneur… »Romains 8, ,8-11 : La promesse de résurrection et de vie pour nos corps mortels : l’Esprit actualisera pour nous ce que Dieu a accompli en ressuscitant Jésus Christ.Jean 11, 1-45 : le récit du retour à la vie de Lazare (« retour à la vie » correspond mieux que « résurrection » au miracle que Jésus a opéré en faveur de Lazare).

Notes bibliques

1. Le récit du retour à la vie de Lazare (11, 1-45) dans l’Évangile selon JeanJean 11, 1 est le commencement d’un nouveau récit. Les personnages de Lazare et de ses deux sœurs, Marthe et Marie, apparaissent pour la première fois dans l’évangile, même s’ils sont supposés connus des lecteurs et faire partie des amis et des disciples de Jésus. Mais, malgré sa nouveauté, le récit se rattache à ce qui précède. Il rapporte le dernier des six signes opérés par Jésus. Le miracle de l’eau changée en vin aux noces de Cana (2,1-12) a ouvert la série des signes qui ont tous pour finalité de manifester la gloire de Dieu et de son Envoyé et de susciter la foi des disciples (2,11 ; 4,53 ; 5, 46 ; 6,14 ; 9,38 ; 11,4.40-41). Au début de notre récit, les disciples de Jésus rappellent aussi la menace de mort dont Jésus a été l’objet lors de son précédent séjour à Jérusalem (10,39) : revenir en Judée et à Béthanie signifie pour Jésus et ses disciples se replacer sous cette menace de mort. Ce qui précède jette donc une lumière contrastée sur le déplacement de Jésus en Judée auprès de Lazare, son ami malade. Ce déplacement est placé sous le double signe de la manifestation de la gloire de Dieu et de Jésus et de la menace de mort qui plane sur lui et ses disciples.Mais le récit du retour à la vie de Lazare contribue aussi à préparer et même à accélérer le drame qui attend Jésus à Jérusalem. Avec la mention de Marie, la sœur de Lazare, en 11,2 est évoquée l’onction qui aura lieu à Béthanie, geste prophétique annonçant l’ensevelissement de Jésus. Les bandes et le linge dont le corps de Lazare est enveloppé (11,44) préfigurent les bandelettes et le linge déposés dans le tombeau vide de Jésus (20,6s). Ces indications nous incitent à lire le récit du retour à la vie de Lazare comme une anticipation de la mort et de la résurrection imminentes de Jésus. Nous apprenons en outre à la fin du récit (11,45-54) que c’est suite au miracle du retour à la vie de Lazare que les pharisiens et les prêtres se sont réunis en conseil et ont décidé de faire périr Jésus. Depuis 7,14, Jésus séjournait à Jérusalem. La confrontation avec les autorités religieuses de la ville prenait un tour de plus en plus violent au fil des chapitres 8, 9 et 10, mais Jésus réussissait chaque fois à s’échapper de leurs mains (10,39). A la fin du chapitre 10 (10, 40), Jésus se retire de Jérusalem pour se réfugier dans la région au-delà du Jourdain. C’est à ce moment que prend place le miracle du retour à la vie de Lazare, qui fait revenir Jésus en Judée. C’est une pause dans le drame de la Passion. Mais après le signe de Béthanie et le retour de Jésus à Jérusalem (12,1ss), ce drame reprend son cours et s’achemine rapidement vers sa fin : « une pause a lieu avant que le tournant décisif se produise » (R. Bultmann). Le signe du retour à la vie de Lazare nous révèle le véritable enjeu de drame qui est le face-à-face de Jésus avec la mort. 2. Analyse de Jean 11,1-45« Quelle est donc la valeur historique du récit ? », « Que s’est-il réellement passé ? », se demande X. Léon-Dufour. Vu le caractère extraordinaire du miracle et le « réalisme massif » (U. Wilckens) avec lequel il est raconté, on ose à peine poser de telles questions et on regarde d’emblée le texte comme un récit symbolique. X. Léon-Dufour note en plus que la question de l’historicité est typiquement moderne et que les Anciens (les Pères de l’Église) ne se la posaient pas. Il faut dépasser les « faits bruts » et lire le texte « en sa profondeur signifiante ». Comme le signe de l’eau changée en vin à Cana, celui du retour à la vie de Lazare à Béthanie a un caractère « épiphanique » : il révèle Jésus comme le Fils qui, en communion avec son Père, est la vie, a la vie et donne la vie. Le signe symbolise aussi l’accession du croyant à la vie, à la vraie vie qui est au-delà de l’opposition de la vie et de la mort : « le retour à la vie de Lazare ne peut être qu’un symbole de la véritable expérience du croyant » (R. Bultmann). Il est impossible de répondre à la question de l’historicité de notre récit et cette question est sans doute elle-même inappropriée. L’histoire du retour à la vie de Lazare n’est pourtant pas une création de l’évangéliste Jean, même si elle est absente des trois autres évangiles. On devine à l’arrière-plan une source ou une tradition que Jean a utilisée et adaptée. X.Léon-Dufour a pensé à « une tradition judéenne sur un fait de retour à la vie ». R. Bultmann a postulé l’existence d’une « source de signes » dans laquelle Jean aurait puisé les récits de miracles qu’il a rapportés dans son évangile. Des aspérités dans notre récit laissent supposer que Jean a retravaillé une tradition ou un récit préexistant. On peut parler à ce propos d’un recadrage johannique, certains passages (les versets 4, 7 à 10, 16, 20 à 32 et 40 à 42) sont typiquement johanniques. Je me suis arrêté sur ce point car il déterminera ma lecture du récit, en particulier des rencontres de Jésus avec Marthe et Marie, la première relevant probablement de l’évangéliste, la seconde probablement de la tradition ou de la source. Dès le début, l’histoire reçoit sa tension dramatique et sa dynamique avec la mention de la maladie de Lazare, de l’appel à l’aide de ses deux sœurs adressé à Jésus et de l’amour qui les lie tous les trois à Jésus. Où cela va-t-il mener ? Le récit se déploie dans le temps et dans l’espace à partir de la position initiale de Jésus et de la nouvelle que Lazare est malade. A la différence d’autres récits de miracles où un discours de Jésus fait suite à son geste, nous avons ici un entrelacs de gestes et de paroles, qui tantôt font avancer le mouvement et tantôt le freinent. On peut même se demander si le dialogue entre Jésus et Marthe aux versets 21 à 27 ne constitue pas le sommet du récit, la suite (le miracle proprement dit) n’étant qu’une illustration de ce dialogue central. Mais le récit conserve sa tension jusqu’à la fin : la rencontre de Jésus avec Marie, la présence et le témoignage de Judéens (la nouvelle TOB a remplacé « Juifs » par « Judéens ») et ce qui va se passer à l’emplacement même du tombeau sont aussi importants que les célèbres paroles de Jésus et de Marthe (que nous isolons parfois) pour comprendre le sens et l’enjeu de cette histoire. Le récit, tout en formant une unité narrative, se laisse décomposer en une introduction et en quatre étapes.L’introduction (v. 1 à 6)Le lecteur, même avant Jésus, est informé de la maladie de Lazare (mais non pas sur la nature et la gravité de sa maladie). Des informations complémentaires, importantes pour comprendre la suite, sont fournies : le village de Lazare (Béthanie se trouve près de Jérusalem, sur le versant est du Mont des Oliviers) et ses deux sœurs, Marthe et Marie. En lien avec Marie est évoquée l’onction (future) à Béthanie. L’information, en fait un appel au secours, que les deux sœurs font parvenir à Jésus (« Seigneur, celui que tu aimes est malade. ») suscite le suspens : que va faire Jésus ? Le v. 4 (une parenthèse) est une parole de révélation de Jésus. A ce propos, X. Léon-Dufour écrit : « L’horizon s’ouvre ainsi sur l’absolu qu’est la « gloire de Dieu », expression qui, selon son emploi en 7,18, évoque le plein accomplissement du dessein du Père. Celui-ci se réalise par la glorification du fils, c’est-à-dire dans l’union définitive du Fils avec les croyants. La maladie de Lazare aboutira à la manifestation de ce dessein de vie, donc à l’inverse de son issue prévisible ». X. Léon-Dufour cite aussi la phrase d’Irénée de Lyon : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » (AH IV, 20, 7). Il y a un contraste entre le v. 5 et le v. 6. Malgré la maladie de Lazare et l’amour qui lie Jésus à Lazare, Jésus reste encore deux jours à l’endroit où il se trouve. Il reste immobile, alors que les sœurs lui ont fait parvenir un appel urgent. Quant aux deux jours, X. Léon-Dufour pense que, comme à Cana, le 3e jour est celui qui révèle la gloire de Jésus.Première étape : Jésus et ses disciples (v. 7 à16)Jésus se met (enfin) en route avec ses disciples (qui avaient disparu depuis 9,2) pour rejoindre Lazare. Au double « allons » de Jésus (v. 7 et 15) fait écho celui de Thomas (v.16). Protestation et incompréhension des disciples : aller en Judée, c’est aller à la mort. Jésus leur répond par une parabole : il peut et doit agir pendant le temps limité que Dieu lui donne sur la terre. R. Bultmann : « il doit mettre à profit le peu de temps qu’il lui reste à vivre sur terre ». Pendant ce temps, Jésus est la lumière du monde et de ceux qui croient en lui (8,12 ; 9,4-5). Après avoir parlé de manière imagée à ses disciples de la mort de Lazare, Jésus leur en parle ouvertement. La mort de Lazare, en manifestant la gloire de Dieu et de Jésus, conduira aussi les disciples à la foi. Jésus fait sans doute allusion ici à sa propre mort. Pourtant, c’est moins la foi que la résignation qui met Thomas et les autres disciples en route vers la Judée, ils voient la mort de Jésus et la leur comme une fatalité.Deuxième étape : Jésus et Marthe (v. 17-27)Jésus s’approche de Béthanie. Les disciples disparaissent (définitivement) de la scène. Y apparaissent des Judéens venus de Jérusalem pour consoler les deux sœurs. Marthe sort à la rencontre de Jésus avant qu’il entre au village, alors que sa sœur Marie reste assise à la maison, entourée de ses amis judéens et prostrée dans son chagrin. Un dialogue bref mais intense, en cinq répliques, s’engage entre Marthe et Jésus. Tout en regrettant que Jésus n’était pas là quand Lazare est mort, Marthe lui redit toute sa confiance. Il reste quoi qu’il arrive l’intercesseur que Dieu exauce toujours. Jésus lui rappelle que, conformément à la foi juive, Lazare ressuscitera lors de la résurrection générale et finale des morts. Marthe confirme : « Je sais », dit-elle. Dans un style typiquement johannique, Jésus fait alors cette auto-proclamation : « Moi, je suis la résurrection et la vie ». Il la complète par un appel à la foi et une promesse qui comportent deux affirmations parallèles : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » et « Quiconque vit et croit en moi en moi ne mourra jamais. Nous avons ici la structure caractéristique des paroles de Jésus « Moi, je suis… » dans l’Évangile selon Jean : à l’auto-proclamation de Jésus font suite un appel à la foi et une promesse (6,35 ; 8,12 ; 15,5). Nous avons aussi ici une radicalisation de la foi chrétienne primitive selon laquelle Dieu a ressuscité Jésus (cf. Actes 2,32ss ; 1Thessaloniciens 4,14). Jésus, chez Jean, est, dans l’union avec son Père, la résurrection et la vie ; la mort n’a pas d’emprise sur lui. Celui qui croit en lui est mis au bénéfice de sa vie, dans la communion du Père et du Fils (5,21). A la question de Jésus, « crois-tu cela ? », Marthe répond par une triple confession christologique : J’ai la foi (c’est ainsi que X. Léon-Dufour traduit le verbe « croire « qui est au parfait et non au présent) que tu es le Christ, le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde ». Ce dernier titre est un terme juif pour désigner le messie qui vient pour exaucer l’attente d’Israël (Jean 1,9 ; 6,14 ; Matthieu 11,3 et par.). X. Léon-dufour : « En trois répliques, Marthe est passée de la conviction d’un lien privilégié de Jésus avec Dieu à la reconnaissance de l’Envoyé eschatologique par qui le Règne de Dieu s’est approché, et donc de la foi juive à une foi proprement chrétienne ».Troisième étape : Jésus, Marie et des Judéens (v. 27-37)Alors que Jésus reste là où il est, à l’entrée du village, Marthe retourne à la maison et, en aparté, appelle Marie qui cette fois-ci se lève et va à la rencontre de Jésus, elle est accompagnée de ses amis judéens. Marie dit à Jésus les mêmes paroles de regret que sa sœur. Mais elle tombe aux pieds de Jésus et s’effondre en larmes. Jésus est là et voit, mais ne parle pas. Il est saisi d’un frémissement de colère et d’indignation, il est troublé intérieurement et, lorsqu’il se met en marche vers le tombeau, il pleure à son tour. La colère de Jésus est-elle suscitée par l’incrédulité de Marie et des Judéens ? Elle est sans doute plutôt l’effet de « la présence tragique de la mort » (X. Léon-Dufour), elle est un sentiment de révolte face à la misère humaine (Calvin).Quatrième étape : Jésus et le mort (v.38-44) S’étant remis en marche, Jésus arrive au tombeau. Il ordonne d’enlever la pierre de dessus la grotte qui fait office de tombeau. Devant le tombeau qui contient le corps déjà en décomposition de son frère, Marthe a une réaction de recul et d’effroi. Jésus lui rappelle leur dialogue, mais ses paroles s’adressent aussi aux lecteurs qui ont entendu sa déclaration au début du récit (v.4) : « Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? ». Il prononce une prière d’action de grâce qui atteste sa communion avec son Père et dont le but est de susciter la foi des témoins. Le miracle même est raconté sobrement en deux versets. D’une voix forte et souveraine, Jésus ordonne à Lazare de sortir du tombeau et d’aller vers lui. Ses pieds et ses mains sont enveloppés de bandes et son visage est couvert d’un linge. Jésus demande qu’on le délie et qu’on le laisse s’en aller. Aucune réaction (enthousiaste) des témoins n’est mentionnée, si ce n’est la foi de certains Judéens présents, tandis que d’autres vont informer les pharisiens (v.45ss).J’ai consulté les commentaires sur l’Évangile selon Jean de Rudolf Bultmann(1941), de Xavier Léon-Dufour (tome 2, 1990) et d’Ulrich Wilckens (2000).

Prédication

Le long texte que nous venons d’écouter, nous l’appelons habituellement le récit de la résurrection de Lazare. C’est le dernier et le plus extraordinaire des six miracles de Jésus rapportés dans l’Évangile selon Jean. Mais au lieu de la résurrection de Lazare, il serait sans doute plus juste de parler de son retour à la vie. Lazare est ramené par Jésus à sa vie terrestre, à sa vie antérieure, à une vie qui est toujours limitée et dominée par la mort. Par résurrection, surtout lorsqu’il parle de la résurrection de Jésus, le Nouveau Testament entend une victoire définitive sur la mort et l’accession à une vie différente de la vie terrestre, dont le terme reste la mort. Mais il serait sans doute plus juste encore, car plus conforme à son contenu et à l’intention de son auteur, l’évangéliste Jean, d’appeler notre texte le récit de la manifestation de la gloire de Dieu et de Jésus en tant que Fils et Envoyé de Dieu dans le monde. Cette manifestation se fait au travers du signe qu’est le retour à la vie de Lazare par Jésus. Dès le début, Jésus place l’événement qui va se produire dans cette lumière ; il dit à propos de la maladie de Lazare : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira la gloire de Dieu : c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié ». Le mot « épiphanie », qui signifie manifestation, révélation, conviendrait bien à notre récit ; il y va comme dans le premier signe opéré par Jésus –l’eau changée en vin aux noces de Cana (Jean 2,1-12)- de la manifestation de la gloire de Jésus et de la foi de ses disciples. Mais, avec le retour à la vie de Lazare, c’est la manifestation plénière de la gloire Jésus ; il se manifeste comme la résurrection et la vie, que seule la foi pascale de la communauté chrétienne peut reconnaître, confesser et accueillir. Dans le déroulement de l’histoire de Jésus, telle que l’Évangile selon Jean nous la raconte, le signe du retour à la vie de Lazare représente une pause, une parenthèse, avant le dénouement du drame, mais en même temps un événement qui accélère ce drame et hâte sa fin. Après une confrontation violente avec les autorités de Jérusalem, Jésus avait quitté la ville pour aller se réfugier dans la région située au-delà du Jourdain. C’est là que Jean-Baptiste baptisait et que Jésus, lui-même, avait commencé son activité publique. C’est là, dans ce lieu à la fois de ressourcement et de refuge où le danger semble écarté, que le rejoint l’appel des deux sœurs : « Seigneur, celui que tu aimes est malade ». Malgré l’urgence de la situation, Jésus reste encore deux jours là où il est, avant de dire à ses disciples un « allons » lourd de sens et de conséquences. Les disciples comprennent cet « allons » de Jésus comme une mise en marche vers une mort certaine, vers un lieu où règne la mort ; Béthanie, le village de Lazare, est à trois kilomètres de Jérusalem : la confrontation sera inévitable. La mort de Lazare, la mort de Jésus et leur propre mort avec lui sont comme confondues dans l’esprit des disciples qui suivent Jésus avec résignation et fatalisme. Thomas est leur porte-parole : « Allons -dit-il, nous aussi, et nous mourrons avec lui ». Les disciples sont à cent lieues de la gloire dont parlait Jésus et de la foi qui reconnaît cette gloire. Leur temps est celui de l’affrontement avec la mort. Si l’histoire du retour à la vie de Lazare nous est racontée à partir du temps de la foi pascale de la communauté chrétienne, nous ne pouvons que mesurer la distance qui sépare encore les disciples de Jésus de ce temps où la communauté peut confesser : « nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et vérité, il tient du Père » (Jean1, 14). Pourtant, dans notre récit, les deux temps, celui des disciples incrédules confrontés à la mort et celui de la communauté qui voit et confesse la gloire de Jésus, Fils de Dieu, sont mis en tension, si bien que dans la mort de Jésus que voient ses disciples transparaît déjà sa gloire. Et derrière la résignation de Thomas et des disciples, face à la mort, se profile déjà la foi de Pâques. La parole de Jésus « afin que vous croyiez » ouvre sur un possible, là où pour ses disciples il n’y a plus de possible. L’évangéliste Jean a probablement eu recours à une tradition judéenne qui rapportait un miracle de retour à la vie opéré par Jésus, il a retravaillé cette tradition en fonction de sa pensée relative à la personne et à l’œuvre de Jésus. Il a fait de Jésus la figure centrale de l’histoire, reléguant celle de Lazare à la périphérie. Lazare reste, en effet, une figure assez pâle tout au long du récit. On parle certes de lui, mais lui-même ne parle jamais. Nous apprenons certaines choses à son sujet, mais nous ne savons rien de ce qu’il vit et éprouve, de ce qu’il pense et fait, rien de ses joies, de ses espoirs, de ses peurs et de ses souffrances. Son nom « Lazare », qui signifie « à qui Dieu vient en aide », accentue encore sa passivité. Il est l’être humain dans sa faiblesse et sa vulnérabilité, qui dépend entièrement de Dieu. La figure de Lazare renvoie d’une certaine manière à Jésus, vivant et partageant notre humanité, mais elle renvoie avant tout à chacun de nous, à la fois dans sa fragilité face à la maladie et à la mort et dans sa dépendance totale à l’égard de Dieu. Nous sommes tous, comme le disait Origène, des « Lazare », mais des « Lazare » aimés de Dieu et de Jésus. Si Lazare reste une figure en retrait, ses deux sœurs par contre ont plus de relief et de couleurs. En contrepoint aux disciples incrédules, elles sont deux figures de la foi, mais deux figures bien contrastées. Elles ont en commun un certain nombre de choses, en particulier un frère malade et l’amitié de Jésus. Elles se tournent vers lui dans leur inquiétude pour leur frère. Leurs différences apparaissent dans leur attitude à l’arrivée de Jésus, après la mort de Lazare. Marthe va à sa rencontre, laissant Marie à la maison, figée et enfermée dans son chagrin. L’échange entre Marthe et Jésus est bref : des paroles et des pensées, mais peu d’émotion, juste un peu dans sa première réaction : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Marthe maîtrise son émotion ; « Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera », dit-elle. Marthe est prête à accueillir avec foi la parole que Jésus va lui dire et à évoluer dans sa propre foi. D’une foi traditionnelle dans la résurrection finale des morts, elle passe à une foi plus radicale centrée sur la personne et la parole de Jésus. Lorsque Jésus déclare : Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais », elle peut répondre sans hésiter : « J’ai la foi », et confesser Jésus comme le Messie qui accomplit l’attente d’Israël et comme le Fils qui révèle le Père et fait son œuvre.Comparé à l’échange très dense en paroles et en pensées entre Jésus et Marthe, celui entre Jésus et Marie se réduit à des balbutiements, des gestes et des émotions, même s’il commence avec les mêmes paroles : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Mais ces paroles n’ouvrent pas sur d’autres paroles. Marie, après être tombée aux pieds de Jésus, s’effondre en larmes. Jésus non plus ne parle pas ; il frémit intérieurement de colère ou d’indignation, il est troublé, il pleure à son tour. Le Jésus majestueux qui avait parlé à Marthe fait place à un être humain en proie à une forte émotion et qui se rend au tombeau de son ami Lazare. Mais voyant l’effroi de Marthe devant le tombeau contenant le corps déjà en décomposition de son frère, Jésus non seulement invite celle-ci à se ressaisir, lui disant : « Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? », mais semble encore se ressaisir lui-même. Sa prière est l’action de grâce que le Fils adresse au Père et son cri « Lazare, sors » est suivi de la sortie de Lazare du tombeau. Jésus aurait-il eu, entre le dialogue avec Marthe et sa venue au tombeau de Lazare, un moment de faiblesse tout humaine, causée par l’attitude émue de Marie ?Tout en étant le récit de la manifestation de la gloire de Dieu et de Jésus, son Fils et son Envoyé, le récit du retour à la vie de Lazare est traversé de tensions. Il y a, d’une part, la tension entre le temps de l’incrédulité des disciples confrontés à la mort et le temps de la foi pascale de la communauté chrétienne, représentée par Marthe, confessant la gloire de Jésus. Et, de l’autre, de la tension entre Marthe et Marie, entre la foi triomphante et la foi blessée, qui déteint profondément sur l’attitude de Jésus. Si l’évangéliste Jean nous invite à lire le récit du retour à la vie de Lazare comme une « épiphanie », c’est-à-dire comme une manifestation de la gloire de Jésus qui appelle la foi, ce sont aussi les tensions qui traversent ce récit qui lui donnent sa force et sa saveur, à la fois théologiques et humaines.

5ème dimanche de carêmeTextes : Matthieu 18, v. 1 à 14 Psaume 130Ézéchiel 37, v. 12 à 14 Romains 8, v. 8 à 11 Jean 11, v. 1 à 45Pasteur Jean-Jacques MullerTélécharger tout le document

Ézéchiel 37, 12-14 : la vision des ossements desséchés avec le dernier oracle de Dieu : « Je vais ouvrir vos tombeaux, je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple… »Psaume 130 : « Des profondeurs, je t’appelle, Seigneur… »Romains 8, ,8-11 : La promesse de résurrection et de vie pour nos corps mortels : l’Esprit actualisera pour nous ce que Dieu a accompli en ressuscitant Jésus Christ.Jean 11, 1-45 : le récit du retour à la vie de Lazare (« retour à la vie » correspond mieux que « résurrection » au miracle que Jésus a opéré en faveur de Lazare).

Notes bibliques

1. Le récit du retour à la vie de Lazare (11, 1-45) dans l’Évangile selon JeanJean 11, 1 est le commencement d’un nouveau récit. Les personnages de Lazare et de ses deux sœurs, Marthe et Marie, apparaissent pour la première fois dans l’évangile, même s’ils sont supposés connus des lecteurs et faire partie des amis et des disciples de Jésus. Mais, malgré sa nouveauté, le récit se rattache à ce qui précède. Il rapporte le dernier des six signes opérés par Jésus. Le miracle de l’eau changée en vin aux noces de Cana (2,1-12) a ouvert la série des signes qui ont tous pour finalité de manifester la gloire de Dieu et de son Envoyé et de susciter la foi des disciples (2,11 ; 4,53 ; 5, 46 ; 6,14 ; 9,38 ; 11,4.40-41). Au début de notre récit, les disciples de Jésus rappellent aussi la menace de mort dont Jésus a été l’objet lors de son précédent séjour à Jérusalem (10,39) : revenir en Judée et à Béthanie signifie pour Jésus et ses disciples se replacer sous cette menace de mort. Ce qui précède jette donc une lumière contrastée sur le déplacement de Jésus en Judée auprès de Lazare, son ami malade. Ce déplacement est placé sous le double signe de la manifestation de la gloire de Dieu et de Jésus et de la menace de mort qui plane sur lui et ses disciples.Mais le récit du retour à la vie de Lazare contribue aussi à préparer et même à accélérer le drame qui attend Jésus à Jérusalem. Avec la mention de Marie, la sœur de Lazare, en 11,2 est évoquée l’onction qui aura lieu à Béthanie, geste prophétique annonçant l’ensevelissement de Jésus. Les bandes et le linge dont le corps de Lazare est enveloppé (11,44) préfigurent les bandelettes et le linge déposés dans le tombeau vide de Jésus (20,6s). Ces indications nous incitent à lire le récit du retour à la vie de Lazare comme une anticipation de la mort et de la résurrection imminentes de Jésus. Nous apprenons en outre à la fin du récit (11,45-54) que c’est suite au miracle du retour à la vie de Lazare que les pharisiens et les prêtres se sont réunis en conseil et ont décidé de faire périr Jésus. Depuis 7,14, Jésus séjournait à Jérusalem. La confrontation avec les autorités religieuses de la ville prenait un tour de plus en plus violent au fil des chapitres 8, 9 et 10, mais Jésus réussissait chaque fois à s’échapper de leurs mains (10,39). A la fin du chapitre 10 (10, 40), Jésus se retire de Jérusalem pour se réfugier dans la région au-delà du Jourdain. C’est à ce moment que prend place le miracle du retour à la vie de Lazare, qui fait revenir Jésus en Judée. C’est une pause dans le drame de la Passion. Mais après le signe de Béthanie et le retour de Jésus à Jérusalem (12,1ss), ce drame reprend son cours et s’achemine rapidement vers sa fin : « une pause a lieu avant que le tournant décisif se produise » (R. Bultmann). Le signe du retour à la vie de Lazare nous révèle le véritable enjeu de drame qui est le face-à-face de Jésus avec la mort. 2. Analyse de Jean 11,1-45« Quelle est donc la valeur historique du récit ? », « Que s’est-il réellement passé ? », se demande X. Léon-Dufour. Vu le caractère extraordinaire du miracle et le « réalisme massif » (U. Wilckens) avec lequel il est raconté, on ose à peine poser de telles questions et on regarde d’emblée le texte comme un récit symbolique. X. Léon-Dufour note en plus que la question de l’historicité est typiquement moderne et que les Anciens (les Pères de l’Église) ne se la posaient pas. Il faut dépasser les « faits bruts » et lire le texte « en sa profondeur signifiante ». Comme le signe de l’eau changée en vin à Cana, celui du retour à la vie de Lazare à Béthanie a un caractère « épiphanique » : il révèle Jésus comme le Fils qui, en communion avec son Père, est la vie, a la vie et donne la vie. Le signe symbolise aussi l’accession du croyant à la vie, à la vraie vie qui est au-delà de l’opposition de la vie et de la mort : « le retour à la vie de Lazare ne peut être qu’un symbole de la véritable expérience du croyant » (R. Bultmann). Il est impossible de répondre à la question de l’historicité de notre récit et cette question est sans doute elle-même inappropriée. L’histoire du retour à la vie de Lazare n’est pourtant pas une création de l’évangéliste Jean, même si elle est absente des trois autres évangiles. On devine à l’arrière-plan une source ou une tradition que Jean a utilisée et adaptée. X.Léon-Dufour a pensé à « une tradition judéenne sur un fait de retour à la vie ». R. Bultmann a postulé l’existence d’une « source de signes » dans laquelle Jean aurait puisé les récits de miracles qu’il a rapportés dans son évangile. Des aspérités dans notre récit laissent supposer que Jean a retravaillé une tradition ou un récit préexistant. On peut parler à ce propos d’un recadrage johannique, certains passages (les versets 4, 7 à 10, 16, 20 à 32 et 40 à 42) sont typiquement johanniques. Je me suis arrêté sur ce point car il déterminera ma lecture du récit, en particulier des rencontres de Jésus avec Marthe et Marie, la première relevant probablement de l’évangéliste, la seconde probablement de la tradition ou de la source. Dès le début, l’histoire reçoit sa tension dramatique et sa dynamique avec la mention de la maladie de Lazare, de l’appel à l’aide de ses deux sœurs adressé à Jésus et de l’amour qui les lie tous les trois à Jésus. Où cela va-t-il mener ? Le récit se déploie dans le temps et dans l’espace à partir de la position initiale de Jésus et de la nouvelle que Lazare est malade. A la différence d’autres récits de miracles où un discours de Jésus fait suite à son geste, nous avons ici un entrelacs de gestes et de paroles, qui tantôt font avancer le mouvement et tantôt le freinent. On peut même se demander si le dialogue entre Jésus et Marthe aux versets 21 à 27 ne constitue pas le sommet du récit, la suite (le miracle proprement dit) n’étant qu’une illustration de ce dialogue central. Mais le récit conserve sa tension jusqu’à la fin : la rencontre de Jésus avec Marie, la présence et le témoignage de Judéens (la nouvelle TOB a remplacé « Juifs » par « Judéens ») et ce qui va se passer à l’emplacement même du tombeau sont aussi importants que les célèbres paroles de Jésus et de Marthe (que nous isolons parfois) pour comprendre le sens et l’enjeu de cette histoire. Le récit, tout en formant une unité narrative, se laisse décomposer en une introduction et en quatre étapes.L’introduction (v. 1 à 6)Le lecteur, même avant Jésus, est informé de la maladie de Lazare (mais non pas sur la nature et la gravité de sa maladie). Des informations complémentaires, importantes pour comprendre la suite, sont fournies : le village de Lazare (Béthanie se trouve près de Jérusalem, sur le versant est du Mont des Oliviers) et ses deux sœurs, Marthe et Marie. En lien avec Marie est évoquée l’onction (future) à Béthanie. L’information, en fait un appel au secours, que les deux sœurs font parvenir à Jésus (« Seigneur, celui que tu aimes est malade. ») suscite le suspens : que va faire Jésus ? Le v. 4 (une parenthèse) est une parole de révélation de Jésus. A ce propos, X. Léon-Dufour écrit : « L’horizon s’ouvre ainsi sur l’absolu qu’est la « gloire de Dieu », expression qui, selon son emploi en 7,18, évoque le plein accomplissement du dessein du Père. Celui-ci se réalise par la glorification du fils, c’est-à-dire dans l’union définitive du Fils avec les croyants. La maladie de Lazare aboutira à la manifestation de ce dessein de vie, donc à l’inverse de son issue prévisible ». X. Léon-Dufour cite aussi la phrase d’Irénée de Lyon : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » (AH IV, 20, 7). Il y a un contraste entre le v. 5 et le v. 6. Malgré la maladie de Lazare et l’amour qui lie Jésus à Lazare, Jésus reste encore deux jours à l’endroit où il se trouve. Il reste immobile, alors que les sœurs lui ont fait parvenir un appel urgent. Quant aux deux jours, X. Léon-Dufour pense que, comme à Cana, le 3e jour est celui qui révèle la gloire de Jésus.Première étape : Jésus et ses disciples (v. 7 à16)Jésus se met (enfin) en route avec ses disciples (qui avaient disparu depuis 9,2) pour rejoindre Lazare. Au double « allons » de Jésus (v. 7 et 15) fait écho celui de Thomas (v.16). Protestation et incompréhension des disciples : aller en Judée, c’est aller à la mort. Jésus leur répond par une parabole : il peut et doit agir pendant le temps limité que Dieu lui donne sur la terre. R. Bultmann : « il doit mettre à profit le peu de temps qu’il lui reste à vivre sur terre ». Pendant ce temps, Jésus est la lumière du monde et de ceux qui croient en lui (8,12 ; 9,4-5). Après avoir parlé de manière imagée à ses disciples de la mort de Lazare, Jésus leur en parle ouvertement. La mort de Lazare, en manifestant la gloire de Dieu et de Jésus, conduira aussi les disciples à la foi. Jésus fait sans doute allusion ici à sa propre mort. Pourtant, c’est moins la foi que la résignation qui met Thomas et les autres disciples en route vers la Judée, ils voient la mort de Jésus et la leur comme une fatalité.Deuxième étape : Jésus et Marthe (v. 17-27)Jésus s’approche de Béthanie. Les disciples disparaissent (définitivement) de la scène. Y apparaissent des Judéens venus de Jérusalem pour consoler les deux sœurs. Marthe sort à la rencontre de Jésus avant qu’il entre au village, alors que sa sœur Marie reste assise à la maison, entourée de ses amis judéens et prostrée dans son chagrin. Un dialogue bref mais intense, en cinq répliques, s’engage entre Marthe et Jésus. Tout en regrettant que Jésus n’était pas là quand Lazare est mort, Marthe lui redit toute sa confiance. Il reste quoi qu’il arrive l’intercesseur que Dieu exauce toujours. Jésus lui rappelle que, conformément à la foi juive, Lazare ressuscitera lors de la résurrection générale et finale des morts. Marthe confirme : « Je sais », dit-elle. Dans un style typiquement johannique, Jésus fait alors cette auto-proclamation : « Moi, je suis la résurrection et la vie ». Il la complète par un appel à la foi et une promesse qui comportent deux affirmations parallèles : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » et « Quiconque vit et croit en moi en moi ne mourra jamais. Nous avons ici la structure caractéristique des paroles de Jésus « Moi, je suis… » dans l’Évangile selon Jean : à l’auto-proclamation de Jésus font suite un appel à la foi et une promesse (6,35 ; 8,12 ; 15,5). Nous avons aussi ici une radicalisation de la foi chrétienne primitive selon laquelle Dieu a ressuscité Jésus (cf. Actes 2,32ss ; 1Thessaloniciens 4,14). Jésus, chez Jean, est, dans l’union avec son Père, la résurrection et la vie ; la mort n’a pas d’emprise sur lui. Celui qui croit en lui est mis au bénéfice de sa vie, dans la communion du Père et du Fils (5,21). A la question de Jésus, « crois-tu cela ? », Marthe répond par une triple confession christologique : J’ai la foi (c’est ainsi que X. Léon-Dufour traduit le verbe « croire « qui est au parfait et non au présent) que tu es le Christ, le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde ». Ce dernier titre est un terme juif pour désigner le messie qui vient pour exaucer l’attente d’Israël (Jean 1,9 ; 6,14 ; Matthieu 11,3 et par.). X. Léon-dufour : « En trois répliques, Marthe est passée de la conviction d’un lien privilégié de Jésus avec Dieu à la reconnaissance de l’Envoyé eschatologique par qui le Règne de Dieu s’est approché, et donc de la foi juive à une foi proprement chrétienne ».Troisième étape : Jésus, Marie et des Judéens (v. 27-37)Alors que Jésus reste là où il est, à l’entrée du village, Marthe retourne à la maison et, en aparté, appelle Marie qui cette fois-ci se lève et va à la rencontre de Jésus, elle est accompagnée de ses amis judéens. Marie dit à Jésus les mêmes paroles de regret que sa sœur. Mais elle tombe aux pieds de Jésus et s’effondre en larmes. Jésus est là et voit, mais ne parle pas. Il est saisi d’un frémissement de colère et d’indignation, il est troublé intérieurement et, lorsqu’il se met en marche vers le tombeau, il pleure à son tour. La colère de Jésus est-elle suscitée par l’incrédulité de Marie et des Judéens ? Elle est sans doute plutôt l’effet de « la présence tragique de la mort » (X. Léon-Dufour), elle est un sentiment de révolte face à la misère humaine (Calvin).Quatrième étape : Jésus et le mort (v.38-44) S’étant remis en marche, Jésus arrive au tombeau. Il ordonne d’enlever la pierre de dessus la grotte qui fait office de tombeau. Devant le tombeau qui contient le corps déjà en décomposition de son frère, Marthe a une réaction de recul et d’effroi. Jésus lui rappelle leur dialogue, mais ses paroles s’adressent aussi aux lecteurs qui ont entendu sa déclaration au début du récit (v.4) : « Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? ». Il prononce une prière d’action de grâce qui atteste sa communion avec son Père et dont le but est de susciter la foi des témoins. Le miracle même est raconté sobrement en deux versets. D’une voix forte et souveraine, Jésus ordonne à Lazare de sortir du tombeau et d’aller vers lui. Ses pieds et ses mains sont enveloppés de bandes et son visage est couvert d’un linge. Jésus demande qu’on le délie et qu’on le laisse s’en aller. Aucune réaction (enthousiaste) des témoins n’est mentionnée, si ce n’est la foi de certains Judéens présents, tandis que d’autres vont informer les pharisiens (v.45ss).J’ai consulté les commentaires sur l’Évangile selon Jean de Rudolf Bultmann(1941), de Xavier Léon-Dufour (tome 2, 1990) et d’Ulrich Wilckens (2000).

Prédication

Le long texte que nous venons d’écouter, nous l’appelons habituellement le récit de la résurrection de Lazare. C’est le dernier et le plus extraordinaire des six miracles de Jésus rapportés dans l’Évangile selon Jean. Mais au lieu de la résurrection de Lazare, il serait sans doute plus juste de parler de son retour à la vie. Lazare est ramené par Jésus à sa vie terrestre, à sa vie antérieure, à une vie qui est toujours limitée et dominée par la mort. Par résurrection, surtout lorsqu’il parle de la résurrection de Jésus, le Nouveau Testament entend une victoire définitive sur la mort et l’accession à une vie différente de la vie terrestre, dont le terme reste la mort. Mais il serait sans doute plus juste encore, car plus conforme à son contenu et à l’intention de son auteur, l’évangéliste Jean, d’appeler notre texte le récit de la manifestation de la gloire de Dieu et de Jésus en tant que Fils et Envoyé de Dieu dans le monde. Cette manifestation se fait au travers du signe qu’est le retour à la vie de Lazare par Jésus. Dès le début, Jésus place l’événement qui va se produire dans cette lumière ; il dit à propos de la maladie de Lazare : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira la gloire de Dieu : c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié ». Le mot « épiphanie », qui signifie manifestation, révélation, conviendrait bien à notre récit ; il y va comme dans le premier signe opéré par Jésus –l’eau changée en vin aux noces de Cana (Jean 2,1-12)- de la manifestation de la gloire de Jésus et de la foi de ses disciples. Mais, avec le retour à la vie de Lazare, c’est la manifestation plénière de la gloire Jésus ; il se manifeste comme la résurrection et la vie, que seule la foi pascale de la communauté chrétienne peut reconnaître, confesser et accueillir. Dans le déroulement de l’histoire de Jésus, telle que l’Évangile selon Jean nous la raconte, le signe du retour à la vie de Lazare représente une pause, une parenthèse, avant le dénouement du drame, mais en même temps un événement qui accélère ce drame et hâte sa fin. Après une confrontation violente avec les autorités de Jérusalem, Jésus avait quitté la ville pour aller se réfugier dans la région située au-delà du Jourdain. C’est là que Jean-Baptiste baptisait et que Jésus, lui-même, avait commencé son activité publique. C’est là, dans ce lieu à la fois de ressourcement et de refuge où le danger semble écarté, que le rejoint l’appel des deux sœurs : « Seigneur, celui que tu aimes est malade ». Malgré l’urgence de la situation, Jésus reste encore deux jours là où il est, avant de dire à ses disciples un « allons » lourd de sens et de conséquences. Les disciples comprennent cet « allons » de Jésus comme une mise en marche vers une mort certaine, vers un lieu où règne la mort ; Béthanie, le village de Lazare, est à trois kilomètres de Jérusalem : la confrontation sera inévitable. La mort de Lazare, la mort de Jésus et leur propre mort avec lui sont comme confondues dans l’esprit des disciples qui suivent Jésus avec résignation et fatalisme. Thomas est leur porte-parole : « Allons -dit-il, nous aussi, et nous mourrons avec lui ». Les disciples sont à cent lieues de la gloire dont parlait Jésus et de la foi qui reconnaît cette gloire. Leur temps est celui de l’affrontement avec la mort. Si l’histoire du retour à la vie de Lazare nous est racontée à partir du temps de la foi pascale de la communauté chrétienne, nous ne pouvons que mesurer la distance qui sépare encore les disciples de Jésus de ce temps où la communauté peut confesser : « nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et vérité, il tient du Père » (Jean1, 14). Pourtant, dans notre récit, les deux temps, celui des disciples incrédules confrontés à la mort et celui de la communauté qui voit et confesse la gloire de Jésus, Fils de Dieu, sont mis en tension, si bien que dans la mort de Jésus que voient ses disciples transparaît déjà sa gloire. Et derrière la résignation de Thomas et des disciples, face à la mort, se profile déjà la foi de Pâques. La parole de Jésus « afin que vous croyiez » ouvre sur un possible, là où pour ses disciples il n’y a plus de possible. L’évangéliste Jean a probablement eu recours à une tradition judéenne qui rapportait un miracle de retour à la vie opéré par Jésus, il a retravaillé cette tradition en fonction de sa pensée relative à la personne et à l’œuvre de Jésus. Il a fait de Jésus la figure centrale de l’histoire, reléguant celle de Lazare à la périphérie. Lazare reste, en effet, une figure assez pâle tout au long du récit. On parle certes de lui, mais lui-même ne parle jamais. Nous apprenons certaines choses à son sujet, mais nous ne savons rien de ce qu’il vit et éprouve, de ce qu’il pense et fait, rien de ses joies, de ses espoirs, de ses peurs et de ses souffrances. Son nom « Lazare », qui signifie « à qui Dieu vient en aide », accentue encore sa passivité. Il est l’être humain dans sa faiblesse et sa vulnérabilité, qui dépend entièrement de Dieu. La figure de Lazare renvoie d’une certaine manière à Jésus, vivant et partageant notre humanité, mais elle renvoie avant tout à chacun de nous, à la fois dans sa fragilité face à la maladie et à la mort et dans sa dépendance totale à l’égard de Dieu. Nous sommes tous, comme le disait Origène, des « Lazare », mais des « Lazare » aimés de Dieu et de Jésus. Si Lazare reste une figure en retrait, ses deux sœurs par contre ont plus de relief et de couleurs. En contrepoint aux disciples incrédules, elles sont deux figures de la foi, mais deux figures bien contrastées. Elles ont en commun un certain nombre de choses, en particulier un frère malade et l’amitié de Jésus. Elles se tournent vers lui dans leur inquiétude pour leur frère. Leurs différences apparaissent dans leur attitude à l’arrivée de Jésus, après la mort de Lazare. Marthe va à sa rencontre, laissant Marie à la maison, figée et enfermée dans son chagrin. L’échange entre Marthe et Jésus est bref : des paroles et des pensées, mais peu d’émotion, juste un peu dans sa première réaction : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Marthe maîtrise son émotion ; « Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera », dit-elle. Marthe est prête à accueillir avec foi la parole que Jésus va lui dire et à évoluer dans sa propre foi. D’une foi traditionnelle dans la résurrection finale des morts, elle passe à une foi plus radicale centrée sur la personne et la parole de Jésus. Lorsque Jésus déclare : Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais », elle peut répondre sans hésiter : « J’ai la foi », et confesser Jésus comme le Messie qui accomplit l’attente d’Israël et comme le Fils qui révèle le Père et fait son œuvre.Comparé à l’échange très dense en paroles et en pensées entre Jésus et Marthe, celui entre Jésus et Marie se réduit à des balbutiements, des gestes et des émotions, même s’il commence avec les mêmes paroles : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Mais ces paroles n’ouvrent pas sur d’autres paroles. Marie, après être tombée aux pieds de Jésus, s’effondre en larmes. Jésus non plus ne parle pas ; il frémit intérieurement de colère ou d’indignation, il est troublé, il pleure à son tour. Le Jésus majestueux qui avait parlé à Marthe fait place à un être humain en proie à une forte émotion et qui se rend au tombeau de son ami Lazare. Mais voyant l’effroi de Marthe devant le tombeau contenant le corps déjà en décomposition de son frère, Jésus non seulement invite celle-ci à se ressaisir, lui disant : « Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? », mais semble encore se ressaisir lui-même. Sa prière est l’action de grâce que le Fils adresse au Père et son cri « Lazare, sors » est suivi de la sortie de Lazare du tombeau. Jésus aurait-il eu, entre le dialogue avec Marthe et sa venue au tombeau de Lazare, un moment de faiblesse tout humaine, causée par l’attitude émue de Marie ?Tout en étant le récit de la manifestation de la gloire de Dieu et de Jésus, son Fils et son Envoyé, le récit du retour à la vie de Lazare est traversé de tensions. Il y a, d’une part, la tension entre le temps de l’incrédulité des disciples confrontés à la mort et le temps de la foi pascale de la communauté chrétienne, représentée par Marthe, confessant la gloire de Jésus. Et, de l’autre, de la tension entre Marthe et Marie, entre la foi triomphante et la foi blessée, qui déteint profondément sur l’attitude de Jésus. Si l’évangéliste Jean nous invite à lire le récit du retour à la vie de Lazare comme une « épiphanie », c’est-à-dire comme une manifestation de la gloire de Jésus qui appelle la foi, ce sont aussi les tensions qui traversent ce récit qui lui donnent sa force et sa saveur, à la fois théologiques et humaines.

5ème dimanche de carêmeTextes : Matthieu 18, v. 1 à 14 Psaume 130Ézéchiel 37, v. 12 à 14 Romains 8, v. 8 à 11 Jean 11, v. 1 à 45Pasteur Jean-Jacques MullerTélécharger tout le document

Ézéchiel 37, 12-14 : la vision des ossements desséchés avec le dernier oracle de Dieu : « Je vais ouvrir vos tombeaux, je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple… »Psaume 130 : « Des profondeurs, je t’appelle, Seigneur… »Romains 8, ,8-11 : La promesse de résurrection et de vie pour nos corps mortels : l’Esprit actualisera pour nous ce que Dieu a accompli en ressuscitant Jésus Christ.Jean 11, 1-45 : le récit du retour à la vie de Lazare (« retour à la vie » correspond mieux que « résurrection » au miracle que Jésus a opéré en faveur de Lazare).

Notes bibliques

1. Le récit du retour à la vie de Lazare (11, 1-45) dans l’Évangile selon JeanJean 11, 1 est le commencement d’un nouveau récit. Les personnages de Lazare et de ses deux sœurs, Marthe et Marie, apparaissent pour la première fois dans l’évangile, même s’ils sont supposés connus des lecteurs et faire partie des amis et des disciples de Jésus. Mais, malgré sa nouveauté, le récit se rattache à ce qui précède. Il rapporte le dernier des six signes opérés par Jésus. Le miracle de l’eau changée en vin aux noces de Cana (2,1-12) a ouvert la série des signes qui ont tous pour finalité de manifester la gloire de Dieu et de son Envoyé et de susciter la foi des disciples (2,11 ; 4,53 ; 5, 46 ; 6,14 ; 9,38 ; 11,4.40-41). Au début de notre récit, les disciples de Jésus rappellent aussi la menace de mort dont Jésus a été l’objet lors de son précédent séjour à Jérusalem (10,39) : revenir en Judée et à Béthanie signifie pour Jésus et ses disciples se replacer sous cette menace de mort. Ce qui précède jette donc une lumière contrastée sur le déplacement de Jésus en Judée auprès de Lazare, son ami malade. Ce déplacement est placé sous le double signe de la manifestation de la gloire de Dieu et de Jésus et de la menace de mort qui plane sur lui et ses disciples.Mais le récit du retour à la vie de Lazare contribue aussi à préparer et même à accélérer le drame qui attend Jésus à Jérusalem. Avec la mention de Marie, la sœur de Lazare, en 11,2 est évoquée l’onction qui aura lieu à Béthanie, geste prophétique annonçant l’ensevelissement de Jésus. Les bandes et le linge dont le corps de Lazare est enveloppé (11,44) préfigurent les bandelettes et le linge déposés dans le tombeau vide de Jésus (20,6s). Ces indications nous incitent à lire le récit du retour à la vie de Lazare comme une anticipation de la mort et de la résurrection imminentes de Jésus. Nous apprenons en outre à la fin du r&eacute