(Reprise du 30 Dec 2007

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Notes bibliques

Le texte dans le contexte de Matt. 1 – 2 

Les chapitres 1 et 2 de l’Évangile selon Matthieu forment dans son ensemble l’Évangile de l’enfance de Jésus. Selon A. Paul, qui se base sur une analyse littéraire de cet ensemble, les périscopes

– Mt 1, 18-25 (récit de la naissance),

– Mt 2, 13-15 (la fuite en Égypte) et

– Mt 2, 19-23 (le retour d’Égypte) forment une unité littéraire qui a pour but de répondre à la question de l’identité de Jésus.  

Qui est-il ? Comment est-il possible de reconnaître en Jésus de Nazareth de Galilée le Messie Jésus ? Toujours selon A. Paul, Mt 2, 1-12 (la visite des mages) ainsi que Mt 2, 16-18 (le massacre des enfants de Bethlehem) auraient été insérés dans cet ensemble tardivement pour compléter l’identité de Jésus en relation avec des nombreuses références à l’Ancien Testament. Par ces citations nombreuses Jésus est élevé au rang des grandes figures de l’Ancien Testament : Moïse, David, Israël (comme fils de Dieu), le Messie et Jérusalem comme «Cherchée de Dieu » (Es 62, 12) Cette fiche d’identité se décline de bien de manières.

D’abord Jésus est identifié par Matthieu au vrai roi d’Israël. Les titres que reçoit Jésus, « Emmanuel » (Mt 1,23), « le chef qui fera paître » (Mt 2, 6), « mon fils » (Mt 2, 15) sont des références à la royauté incomparable et messianique de David (Es 7,14 ; Mi 5, 1, 2 Sam 5,2, Ps 2, 7 et 1 R 11, 40). L’épisode qui raconte la fuite en Égypte et le retour d’Égypte (Mt 2, 13-23) témoigne de la volonté de Matthieu d’identifier Jésus à Moïse et de faire de Jésus une figure d’Israël (la comparaison entre Mt 2, 19-21 et Exode 4, 19-20 est parlante !)

Il est fort probable que Matthieu s’est servi de la tradition de Moïse pour renforcer ce lien. Comme Moïse, Jésus est menacé de mort et sauvé des mains d’un roi pharaonique (Hérode). Comme Israël devant la menace du pharaon, Jésus est nommé « fils » devant la menace d’Hérode, pour assurer la protection de Dieu. Après la mort du Pharaon, Moïse retourne en Égypte (Ex 4, 19-20). Après la mort d’Hérode, Jésus retourne en Israël. Il est à noter également que Joseph et sa famille vivent en Égypte un exil. Pour cette raison Matthieu a voulu structurer la chronologie d’Abraham à Jésus par l’évocation de l’Exil à Babylone : « Il y a donc en tout quatorze générations depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations depuis David jusqu’à l’exil à Babylone et quatorze générations depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ » (Mt 1, 17) Par ces multiples identifications, faisant référence aux situations exodique, royale et exilique d’Israël, Matthieu évoque les expériences fondatrices du peuple d’Israël pour structurer ainsi l’identité de Jésus. C’est lui, Jésus, qui récapitule l’histoire des fils d’Israël, depuis Abraham jusqu’à la déportation à Babylone. Toute l’histoire d’Israël se concentre en Lui. 

Les Proverbes et les Colossiens : la joie de la sagesse

Si effectivement Matthieu, par le récit de la fuite en Égypte, nous renvoie aux récits de l’Exode et du don de la Loi, il est compréhensible pourquoi la lecture du livre des Proverbes ainsi que celle de l’épître aux Colossiens accompagnent le récit de Mt. 2, 13-23.

Comme Moïse, Jésus apporte la sagesse et l’instruction de Dieu. Le mystère de Dieu a été révélé en Christ. En Christ sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col. 2, 3). En lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité (Col. 3, 7) Le passage du livre des Proverbes renforce cette conviction paulinienne et met en avant la joie et l’allégresse de participer à la sagesse de Dieu. Par cette insistance sur le Christ comme source de Sagesse, l’apôtre Paul se tourne contre tous ceux qui cherchent à introduire dans la communauté de Colosses une sagesse prétendue supérieure à l’évangile, ramenant à des pratiques d’ascétisme populaires. Qu’il s’agisse de culte des anges (2,18), de prescriptions alimentaires, de l’observation d’un calendrier rituel (2, 16.21) ou de rigueur pour le corps (2, 23), on a affaire à une spéculation religieuse (2,8) fondée sur des commandements et des enseignements humains ( 2, 22). Paul prend le contre-pied de cette «sagesse » en s’appuyant sur la dimension universelle et cosmique de l’œuvre du Christ (Col 1, 15-20) : le Christ (et non pas toute autre spéculation) est créateur du monde invisible et de l’univers, rédempteur de toute la création, tête de l’Église. Cette confession de foi ne peut s’exprimer qu’en termes liturgiques, par un hymne, par une joie profonde. La fuite en Égypte se transforme ainsi en un appel ardent de se laisser instruire par le Christ lui-même, surtout quand les forces ténébreuses et perverses cherchent à étouffer le témoignage des fidèles, dans un contexte de violence et de rejet. Que la parole du Christ habite en vous avec toute sa richesse ; instruisez-vous et avertissez-vous en toute la sagesse, par des cantiques, des hymnes, des chants spirituels (Col. 3, 16).  

 

La structure interne de Mt 2, 13-23 

On aura tort de considérer l’épisode du massacre des enfants par Hérode comme un ajout sans importance. Même si l’épisode est plus symbolique qu’historique, nous ne pouvons pas relativiser la portée narrative et théologique.

Considéré donc comme un tout, Matthieu 2, 13-23 est une suite de trois petites scènes où l’appui sur les Écritures est prépondérant pour donner un statut scripturaire à Jésus. Jésus est, en quelque sorte, né de l’Écriture. En Lui, Dieu poursuit son Écriture. La naissance de Jésus, selon Matthieu, s’inscrit dans la Parole libératrice de Dieu. En Jésus se laisse lire la fidélité libératrice de Dieu, non seulement auprès d’Israël, mais auprès tous les humains. L’analyse structurelle montre que la structure du texte est concentrique dont le centre est occupé par le récit du massacre des enfants. Cette structure montre donc l’importance que le narrateur donne au récit de la tuerie. Loin d’être un ajout de seconde importance, le récit de Mt 2, 16-18, constitue le nœud de sens pour dire dans quelles circonstances l’enfant Jésus est né. Il est à noter également comment la géographie joue un rôle important pour structurer l’ensemble. L’enfant Jésus trace une géographie qui franchit les frontières. De l’Égypte, devenu une terre de salut et de refuge, qui met en avant le projet libérateur de Dieu, il passe en Galilée, terre d’accueil, en évitant la Judée, terre de douleurs et de rejet. La Judée qui a donné naissance à Jésus le rejette et prépare par là déjà le rejet de Jésus sous Ponce Pilate, toujours en Judée.

 

L’Égypte, terre de salut

A. 2, 13-15 Départ de Judée pour l’Égypte sous la menace

La judée, terre de douleurs

B. 2, 16-18 Bethléem et son territoire Sous la cruauté d’Hérode

La Galilée, terre d’accueil

A. 2, 19-23 Retour d’Égypte en Galilée Sous la menace Il est à noter que l’accomplissement des Écritures porte ces trois unités narratives (2, 15.18.23) pour donner sens à l’ordre et à son exécution.

L’histoire n’échappe pas à l’Écriture !

A : L’ange ordonne à Joseph de partir Joseph quitte la Judée pour l’Égypte Accomplissement des Écritures

B : Hérode ordonne de tuer tous les enfants L’exécution est implicite Accomplissement des Écritures

C : L’ange ordonne à Joseph de revenir La famille s’installe en Galilée Accomplissement des Écritures. Il est clair que l’ombre du massacre des enfants en Mt 2, 16-18, plane déjà sur la visite des Mages au roi Hérode à Jérusalem : « à cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui » (Mt 2, 4). La suite montre comment Hérode cherche à impliquer les mages dans son enquête consistant à surveiller ce nouveau roi des juifs, né à Bethlehem : « allez prendre des informations précises sur l’enfant…faites-le moi savoir » (Mt 2, 8). Les agissements d’Hérode qui suivent son enquête, en Mt. 2, 16 –18 (le massacre des enfants) racontent comment la naissance de Jésus se déroule sur une toile de menace et de violence.

Matthieu tient à mettre en avant que Jésus est né dans un monde cruel. La Judée d’Hérode prépare déjà celle de Pilate. L’implication de Jérusalem dans les manipulations d’Hérode nous renvoie déjà à sa passion à Jérusalem. L’envoi en exil, la fuite en Égypte, évoque déjà l’exil de Dieu sur la croix. L’Évangile de Jean résume cette situation ainsi : « elle (la Parole) était dans le monde et le monde est venu à l’existence par elle, mais le monde ne l’a jamais connue. Elle est venue chez elle, et les siens ne l’ont pas accueillie » (Jean 1, 10-11).  

Décidément, quand Joseph et sa famille reviennent d’Égypte, la Judée sous Archélaüs ne peut pas accueillir l’enfant. Ni Jérusalem, ni la Judée n’ouvrent leurs portes pour faire entrer les exilés. Ce n’est pas la Judée mais la Galilée qui accueille la famille. La terre d’Israël comme terre d’accueil du fils exilé n’est pas la Judée qui rejette son Sauveur dès sa naissance. Le Messie n’est ni judéen, ni jérusalémite, il est galiléen et nazaréen. 

 

Bibliographie
  • Alain Buehlman, Sagesse, dans Thomas Römer, Introduction à l’Ancien Testament, Labor et Fides, 2004, pp 511-523
  • Bonnard Pierre, L’évangile selon Saint Matthieu, Commentaire du Nouveau testament 1, deuxième série, Genève, labor et Fides, 1982
  • Paul André, L’Évangile de l’enfance selon saint Matthieu, Lire la Bible 17 bis, Paris, Cerf, 1986
  • Zumstein Jean, Matthieu le théologien, CaEv 58, Paris, Cerf, 1986
  • Lire et dire, N° 49, 2001/3

Prédication

1. Aller-retour ?  La tentation est forte de camoufler l’épisode de la tuerie des enfants de Bethléem, en ce dimanche qui suit la Fête de Noël. Effectivement on pourrait sans aucun problème limiter notre lecture biblique à cet aller-retour Judée-Égypte sans s’occuper de ce qui est au cœur de ces voyages, à savoir : le massacre des enfants de Bethléem.

L’histoire de la fuite en Égypte et de son retour est tout à fait compréhensible sans l’épisode de la tuerie. On n’a pas besoin des versets 16 à 19 pour comprendre. La ligne narrative reste conservée. La fuite en Égypte et le retour peuvent en effet se passer de cet arrêt sanglant sur Bethléem.

Pourquoi vouloir évoquer la morts des enfants à Bethléem ? Luc n’en parle pas. Ne pouvons-nous pas rester encore un peu sur une image calme et paisible de Noël, surtout en cette fin de l’année 2007, qui a déjà connu assez de cruautés, de violences, d’exilés, d’immigrés ? Oui, on pourrait. Ce que « Parole pour tous » nous propose d’ailleurs ainsi que de multiples commentaires qui cherchent à relativiser cet épisode à Bethléem ou de le considérer comme second. Selon eux, les versets 16-19 ne sont que des ajouts tardifs qui ne méritent pas trop d’attention. Pourquoi cette tentation ? A-t-elle pour but de nous empêcher de nous poser des questions embarrassantes ? C’est vrai, l’histoire du massacre nous choque profondément. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas envoyé d’autres « anges-protecteurs » à d’autres familles ayant des jeunes enfants, afin de les sauver ? Pourquoi Matthieu a-t-il raconté cette histoire, pourquoi l’a-t-il insérée dans cet aller-retour Judée-Égypte ?

 

2. Carnet de voyage Le carnet de voyage de l’enfant Jésus est chargé. Dès sa naissance l’enfant doit voyager, se déplacer. Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme aura-t-il où poser la tête ?[1]

Poussé par la menace d’Hérode et averti par un ange Joseph quitte la Judée pour l’Égypte. Malgré la puissance tyrannique et pharaonique du roi Hérode, Dieu dispose de l’histoire et sauve la vie de l’enfant Jésus en faisant de lui un exilé. Par l’intermédiaire d’un songe à Joseph, Dieu s’oppose et résiste au projet d’Hérode le Grand. Et c’est ainsi que l’Égypte devient une terre de salut et de refuge, comme au temps d’un autre Joseph[2], fils de Jacob, appelé Israël.

Si l’Égypte est devenue la terre de refuge, la Judée, en revanche, sombre dans des douleurs et des menaces. La Judée, avec Bethléem comme lieu de naissance, est déjà un lieu de mort. La Judée d’Hérode ressemble à celle d’Archélaüs, le fils d’Hérode, et ressemblera à celle de Ponce Pilate. Personne n’est capable d’accueillir Jésus, le Christ.

L’Évangile selon Jean l’affirme : la Parole était dans le monde et le monde est venu à l’existence par elle, mais le monde ne l’a jamais connue. Elle est venue chez elle, et les siens ne l’ont pas accueillie[3].

Finalement ce sera la Galilée, pays des païens, qui accueillera l’enfant Jésus. L’ange envoie Joseph et sa famille en songe en Galilée. C’est elle qui le porte et l’adopte. Jésus est devenu le « Galiléen »[4]. C’est là qu’il prononcera les Béatitudes, c’est là qu’il commencera son ministère et ce sera là encore, en Galilée, que ses disciples le rencontreront comme le ressuscité. Ainsi le Fils de Dieu trace une histoire dans l’histoire des hommes. L’enfant Jésus trace une géographie qui franchit les frontières. Ni juif, ni grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme, tous et toutes seront désormais reliés à Lui[5].

L’Évangile traverse le monde. Personne n’en est propriétaire. Aucune terre ne peut l’emprisonner. La Parole de Dieu, la Parole du Christ, le Christ lui-même peut s’enraciner dans toutes les terres, dans toutes les histoires humaines, dans toute vie, dans la tienne et dans la mienne. Accueillons cette Parole exilée. Soyons une terre d’accueil pour que la Parole du Christ, le Christ lui-même, puisse y prendre sa demeure. Par cette trajectoire, les Écritures s’accomplissent. Jésus reçoit un statut scripturaire, ce qui nous permet d’interpréter et de récapituler l’histoire d’Égypte depuis l’Égypte jusqu’à l’Exil. En Lui, toute histoire est récapitulée et trouve son sens, même quand il y a pour nous absence de sens ou quand il n’y a que ténèbres, violence et mort.

 

3. Carnet d’Espérance Et là nous avons touché le cœur du récit de Matthieu. Au cœur de la trajectoire il y a cette cruauté d’Hérode qui massacre les enfants de Bethléem. L’autre histoire de Bethléem est devenue cruellement familière. Elle récapitule toute histoire de violence sur cette terre, dans ce monde qui est le nôtre. Elle nous met sans cesse devant cette interrogation du pourquoi.

Pourquoi Dieu n’est-il pas intervenu pour sauver d’autres enfants, d’autres innocents, d’autres victimes de la violence ? Peut-être faut-il d’abord nous dire ce matin que Dieu ne vient pas tout combler. Des questions, des « pourquoi » demeurent, ils sont inhérents à la foi en Christ. Rachel reste inconsolable. Il y a des creux que nous ne pouvons pas combler de nos explications, de nos justifications.

Dieu dans son projet libérateur garde une part d’incompréhensible et de mystère. Il y a des moments dans la vie personnelle et dans l’histoire des peuples, dans lesquels le silence de Dieu fait mal et se fait terriblement lourd. Matthieu le sait et l’a mis au cœur du récit de la fuite. Le mal n’est pas nié pour sauver un Noël sucré, ni arrêté… Toutefois, Dieu reste le visiteur de notre histoire. Devant un tyran comme Hérode, devant la puissance du mal, il assume le mal et le déjoue. En dernière instance, c’est l’enfant Jésus qui l’emportera sur la violence du roi Hérode. La parole exilée sera plus forte que la parole la plus puissante des hommes. La faiblesse de Dieu plus puissante que les puissances humaines[6]. Le Dieu de l’enfant exilé, cette parole exilée est sans cesse opposée au mal, pour faire demeurer sa puissance d’amour dans les situations extrêmes et hors compréhension. Que notre histoire reste éclairée et instruite par cet enfant exilé, il témoigne que rien ne peut arrêter la volonté de Dieu de sauver la vie et d’illuminer tous les humains dans les ténèbres les plus profondes. Amen.  

 

 

[1] Mt 8,20

[2] Gen, 35-50

[3] Jean 1, 10-11

[4] Mt. 26, 69

[5] Gal. 3, 28

[6] 2Cor. 13, 1-10

 

Thématique : Jésus/Carnet de voyage/Puissance de l’amours Vs puissance du mal/