Textes : Ps 50 Osée 6, v. 3 à 6Romains 4, v. 18 à 25 Matthieu 9, v. 9 à 13Pasteur Christian BarbéryTélécharger le document au complet
Matthieu 9, 9 à 13 : l’appel de Lévi Jésus a inauguré le Royaume des cieux, notamment par le Sermon sur la montagne. A présent, il se fait missionnaire du Royaume en s’associant des disciples. Cette partie de l’évangile qui commence au ch 8, 18 se termine au ch 12,21. Elle enchaîne 3 périodes, c’est dans la première que se situe notre récit et que l’on pourrait intituler : L’œuvre missionnaire de Jésus (Mt 8,18 à 9, 35) où Jésus agit en missionnaire du Royaume. A travers Matthieu le publicain, Jésus appelle les pécheurs. L’appel de Mt suit comme une illustration l’histoire de ce paralytique qui s’était entendu dire : « tes péchés sont pardonnés ». Les scribes avaient protesté. Les pharisiens prennent la relève dans ce nouveau drame en 3 actes : 1er acte : L’appel du publicain Matthieu ou Lévi. Mc 2, 14 et Lc 5,27 nomment Lévi le publicain appelé par Jésus, mais le personnage est absent dans leur liste des Douze qui, en revanche, connaît un Matthieu. Cela se complique quand on ajoute la mention « fils d’Alphée » (Mc2,14). Le 1er évangile veut-il identifier Lévi à Matthieu (Mt9,9) ? L’énigme persiste. Dans ce 1er acte, le verbe « suivre » montre qu’il s’agit bien de la vocation du disciple. 2ème acte : une scène de table (v 10) qui souligne un mélange impur, inadmissible pour les pharisiens : des publicains, des pécheurs, Jésus et ses disciples. 3ème acte : une controverse. Née de la scène précédente, elle comprend la question des pharisiens (v 11) et la réponse de Jésus en 3 parties : proverbe (v 12), recours à l’Écriture (v 13) et définition de la mission de Jésus : appeler les pécheurs. Publicains = ceux qui perçoivent des taxes variées pour le compte des romains. Capharnaüm est par exemple une ville frontière où droits de pêche et redevances de marchandises en transit sont perçus. Les publicains sont détestés. Ils entrent dans la catégorie des pécheurs, c’est-à-dire des milieux considérés comme impurs en raison de contacts contraires à la Loi. Par souci de pureté, les « justes » ne mangent pas avec ces pécheurs. D’où le scandale des pharisiens qui considèrent Jésus comme un juste : qu’il choisisse son camp. Mais Jésus leur répond : c’est à vous de changer de camp. Jésus invite à combler le fossé entre justes et pécheurs et à partager avec lui la sollicitude de Dieu, nourrir l’affamé. La citation de Mt 9, 13 entraîne comme lecture Osée 6, 3 à 6. « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices …»Ce passage vaut pour son interprétation juive. Au temps où écrivait Matthieu, c’est-à-dire après la ruine du Temple de Jérusalem, les scribes lisaient ainsi le message d’Osée : nous ne pouvons plus offrir les sacrifices qui nous obtenaient le pardon de Dieu. Mais ce que Dieu veut, c’est la miséricorde, c’est-à-dire les œuvres de miséricorde (vêtir celui qui est nu, nourri l’affamé, visiter les malades…) Telle est la source de la bienveillance divine. La citation d’Osée par Matthieu se comprend alors de cette manière : à cette liste des miséricordes, ajoutez votre sollicitude à l’égard des pécheurs.Le contexte est celui d’une controverse suscitée par l’appel de Lévi et reflète les attaques subies dans l’Église de la fin du 1er siècle par les chrétiens d’origine juive de la part de Juifs pieux disant : « Pourquoi accueillez-vous dans vos rangs des pécheurs notoires ? ».
(ou méditation à partir du thème de la suivance chez Dietrich Bonhoeffer) Luther disait : « le plus important quand je lis la Bible c ‘est que le texte me parle » ! Il voulait dire que quand je lis ma Bible, l’important n’est pas tant d’expliquer le texte, d’en connaître les détails historiques, géographiques, culturels, mais d’être interpellé par une parole. Grégoire le Grand qui était un pape vers l’an 600 avait cette formule « l’Écriture grandit avec ses lecteurs ». Si plus personne ne lisait la Bible, elle resterait lettre morte. C’est pourquoi elle a besoin de respirer et c’est nous qui la faisons respirer en la lisant, en l’écoutant, en la commentant. Mais pour que le message de la Bible respire en moi, pour qu’il me réveille, il faudra encore une chose : il faudra le souffle invisible de Dieu. Sinon ce message reste certes intéressant mais sans importance pour l’orientation de ma vie. Cette logique peut être illustrée par le récit de l’appel du publicain Matthieu ou Lévi. Nous pouvons nous tenir très près du texte et l’analyser dans ses détails mais le risque est de rester au bord du lac de Tibériade et de ne jamais arriver chez nous ici. L’enjeu par conséquent devient de dégager du texte écrit une parole susceptible de changer quelque chose en moi. Car j’ai beau lire et relire la Bible, si ce message n’a aucune conséquence sur ma vie, je ne l’aurai pas vraiment compris. Du coup la question est la suivante : moi qui suis chrétien, suis-je vraiment chrétien ? Dans mes convictions, mes actions, dans l’ensemble de ma vie ? Si je devais dire en un seul mot ce qui caractérise une vie chrétienne, je le résumerais par un seul mot qui n’est pas très à la mode d’ailleurs : le verbe suivre ! En effet, suivre n’est pas à la mode. Chacun veut être ce qu’il est et faire ce qu’il veut. Se réaliser soi-même est le slogan des années 2000. Mais je pose la question : imaginons un Saint François d’Assise, un Abbé Pierre ou un Martin Luther King se réaliser eux-mêmes. Non, l’existence chrétienne, c’est autre chose. C’est suivre un appel, suivre JC. Suivre JC, ce n’est pas une possibilité offerte parmi d’autres pour nous aider à réaliser notre vie, suivre un autre, ce n’est pas une possibilité. Ce n’est pas un choix. Dans des situations décisives de notre existence, nous ne choisissons pas. Nous ne choisissons pas par exemple le deuil, la foi, la joie et même notre conjoint contrairement à ce que l’on pense. Il y en a tant, imaginez quelle tâche infinie. Non, dans notre existence, on ne choisit pas toujours. Qui a choisit la maladie ? Et pourtant elle nous accompagne. On ne choisit pas la mort,, et pourtant elle va être la nôtre. On ne choisit pas la naissance ni la responsabilité à l’égard d’autrui. Suivre un autre n’est pas une possibilité. Et suivre JC cela ne veut pas seulement dire « marcher à sa suite », c’est plus compliqué que cela. Pour comprendre ce que cela signifie, il faut relire l’appel de Lévi. . EN passant, Jésus vit Lévi, fils d’Alphée, assis au bureau des péages. Il lui dit : Suis-moi. Lévi se leva et le suivit. L’appel est lancé et sans autre intermédiaire, l’acte d’obéissance suit de la part de celui qui a été appelé. Comment ce vis-à-vis immédiat d’appel et d’obéissance est-il possible ? C’est la grande question que pose ce texte. Et ce n’est pas une question théorique, c’est la question de la foi elle-même. On a cherché des réponses à cette question. On a dit : il doit y avoir une médiation quelconque pour que Lévi ait répondu sans se poser de questions. On a dit qu’il il y a ici des éléments psychologiques : la fascination du Maître qui appelle et l’enthousiasme de l’adhérent. Il y a des raisons historiques : on trouve à l’époque des mouvements de suivance comparables. Il y a des raisons philosophiques : l’enseignement de Jésus est convaincant et répond à une attente. Peut-être des raisons éthiques. Mais chers amis, à regarder le texte de près, il n’y a rien de tout cela. Pour comprendre ce qui se passe ici, il faut avouer que non seulement le texte ne parle pas de cela, mais aussi qu’en arrière-fond il n’y a rien qui indiquerait de tels présupposés : Jésus n’est pas particulièrement fascinant : ce qu’il promet à ceux qui le suivent n’est pas très séduisant ; Lévi n’est pas un enthousiaste, il en est le contraire, il est simple : de la philosophie, il n’y en a pas dans ce texte et pas d’éthique non plus. Jésus ne propose pas un programme social ou moral. Il ne propose rien. Il n’invite pas, il n’exige rien. Il appelle. Rien de plus. En d’autres termes, le texte biblique fait tout pour éviter de parler de médiation. Même le contenu de l’appel n’en est pas un. « Suis-moi », n’est pas un contenu. Suivre quelqu’un pour faire ceci ou cela serait oui un contenu. Suivre quelqu’un pour marcher derrière lui n’en est pas un. Il n’y a pas de buts, pas de raisons, pas de contenu. Voilà l’étrangeté du récit qui en fait un récit à part, unique dans l’histoire des religions. L’appel est lancé, voilà l’important, sans autre intermédiaire l’acte d’obéissance suit de la part de celui qui a été appelé. A l’appel du Christ correspond donc l’obéissance simple. Il n’y a que l’appel et notre écoute. Entre l’appel et nous, il n’y a rien. Grâce au Christ, l’appel nous trouve, nous heurt, nous appelle au plus profond de nous-mêmes. Voilà ce qui s’est passé pour Lévi. Il se sentit tout à coup touché par une parole qui ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Ainsi nous apprenons une chose sur la foi chrétienne c’est qu’elle n’est pas d’abord un système de dogmes, mais un chemin. Pas forcément un chemin facile car il y aura des hauts et des bas, des joies et des découragements, néanmoins l’appel reste le même : « suis-moi » dit Jésus. Notons au passage que dans le verbe « suivre » en grec se cache un substantif qui justement veut dire « chemin », route, trajet. Quand on va sur un chemin avec un autre, on l’accompagne, on fait route avec lui. C’est cela la signification première de suivre, ensuite elle a pris le sens de marcher derrière quelqu’un mais à l’origine SUIVRE Jésus veut dire aller avec lui, à côté de lui, lui restant à côté de moi dans un compagnonnage invisible mais bien réel. C’est pourquoi on appelait les premiers chrétiens les gens de la Voie. Ils se savaient en chemin accompagnés par un autre qu’ils appelaient leur Seigneur. Mais qu’est-ce que cela veut dire « suivre Jésus Christ » aujourd’hui ? En fait, la réponse tient dans cette autre question : à qui appartenons-nous ? Qui suivons-nous dans notre vie ? Est-ce que nous appartenons à nous-mêmes ou à un autre ? Dietrich Bonhoeffer dit à propos des disciples de Jésus : avant l’appel, ils étaient comme tout le monde. Depuis, ils appartiennent à Jésus et maintenant ils marchent avec lui, vivent avec lui, le suivent où qu’ils les conduisent. Cette suivance est radicale. Cette radicalité on la retrouve dan le Sermon sur la montagne : « vous avez appris que… mais moi je vous dis ». Vous avez appris… et moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Un changement. Voilà ce qu’apporte le Christ. Non seulement d’autres idées, une autre morale, mais une autre vie. Alors la question finale est la suivante : voulons-nous accepter de vivre non seulement ce changement de paradigme, mais ce changement de Seigneur ? OU plutôt voulons-nous accepter ce Seigneur au lieu de nous-mêmes ? Les disciples ont tout laissé pour le suivre. Ils sont devenus des pauvres en ce sens. Oui, ils ont tout perdu mais ils ont aussi gagnés quelque chose : ils le suivent là où il va. Ils ont tout gagné et il y a un mot pour résumer ce qu’ils ont gagnés c’est le mot liberté. Ils ont gagné la liberté des enfants de Dieu, la liberté de ceux qui lui appartiennent. C’est à la liberté que vous avez été appelés, dit Paul. Amen.