Textes : Ps 86 Ésaïe 44, v. 6 à 8Romains 8, v. 26 & 27 Matthieu 13, v. 24 à 43Pasteur Olivier Raoul-DuvalTélécharger le document au complet
Dans ce long passage de l’évangile selon Matthieu 13, je choisis le texte de la parabole dite du bon grain et de l’ivraie : versets 24 à 30 Quelques remarques sur le texte, d’après le commentaire de l’évangile selon Matthieu de Pierre Bonnard : 1) Ce passage est propre à l’évangile selon Matthieu, pas de parallèle ni chez Marc, ni chez Luc. 2) Cette parabole est bien à lire dans la suite du texte précédent : celle dite du semeur, Mt 13, 18 – 23. En effet cette dernière parle de la difficulté qu’il y a à voir la semence pousser : il y a des échecs, alors patience. La nôtre, celle retenue, parle de la volonté de faire, de ne pas attendre le moment fixé par Dieu pour trier ; alors patience aussi.3) Cette parabole se passe dans un décor typique de la Palestine. Un propriétaire qui laisse sa propriété à des fermiers pour sa gestion.4) L’étonnement des ouvriers vient beaucoup plus du fait de la venue du Messie que du fait que de lamauvaise herbe soit apparue(ce phénomène est tout à fait normal).5) La réponse du propriétaire souligne que le mal n’est pas lié d’abord au monde ou à l’humanité dans son imperfection naturelle, mais apparaît bien comme un « ennemi » venu de l’extérieur, pour saboter le travail. On peut faire la même remarque dans la parabole du semeur, aux versets précédents.Il faut noter que rien n’est dit sur la nature de l’œuvre de l’ennemi. Est-ce le mal en général, au sein du peuple, dans le monde, dans la communauté ? … On peut suivre toutes ces pistes et même d’autres. Rien n’est précisé, ce qui est intéressant, cela nous évite à priori de pointer du doigt, un peu trop facilement, tel ou tel mal.6) La victoire finale du maître ne fait aucun doute. Le propriétaire seul est autorisé à moissonner, et surtout à faire le tri. L’heure n’est pas encore venue, mais elle viendra, c’est sûr.
Je sais que ce n’est pas dans la tradition protestante de parler des saints, ni de leur vouer un culte, mais je vais vous raconter une cette histoire qui me paraît illustrer ce texte de Matthieu. C’est une histoire fondée sur un mythe du Moyen Âge. Toute l’histoire se passe à cette période où l’on aimait bien utiliser des images et des histoires pour raconter les grandes peurs et les grandes calamités qui frappaient l’humanité. C’est l’histoire de Lucifer. Car Lucifer est un saint et le premier d’entre eux, le meilleur, le plus serviable de tous les anges de Dieu. Il y eut même un Saint Lucifer qui fut évêque de Cagliari en Sardaigne dans la première moitié du IVème siècle (avant 354). Mais un jour, Dieu a créé le monde et les hommes. Et ce jour-là, Lucifer s’est révolté. Car comme il était le plus intelligent de tous il avait tout de suite compris et deviné tout le mal et toute la souffrance qui allaient découler de cette création. Il a prévenu Dieu de l’erreur qu’il était en train de commettre, puis il a décidé de venir lui-même extirper le mal partout où il le pourrait. Et depuis, il ne fait que provoquer des catastrophes et engendrer des calamités. Lui qui est venu extirper le mal du monde en fait il ne fait qu’en provoquer de pire. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Certes, vous me direz que bien des maux sont au fond de notre cœur et voient le jour par négligence, bêtise ou intention délibérée de faire souffrir. Mais il me semble que dans l’histoire de l’humanité, rien ne s’est révélé plus désastreux, voire démoniaque que le fantasme de ceux qui ont voulu, en toute bonne foi, faire le ménage à fond. Ménage de l’Histoire, de la nature humaine, de la société voire encore de l’Église. Faire le ménage pour enlever toute part d’ombre, tout aspect négatif, tout fléau, toute mauvaise herbe, toute ivraie. Tous ces gens, peut-être comme vous et moi, qui avec la meilleure volonté du monde, ont voulu être des ouvriers zélés, s’étonnant d’abord : « Seigneur, n’as-tu pas semé de la bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y ait de la maison herbe ? » Puis se proposant de jardiner : « Veux-tu que nous allions l’arracher ? » Sauf, qu’en général, les ouvriers exemplaires n’attendent pas la réponse du Seigneur et se mettent au travail immédiatement, utilisant pelle, bêche, outil pour biner, élaguer… C’est à tous ces ouvriers zélés que nous devons les sanglantes révolutions, les guerres saintes, les expéditions punitives, les exterminations, les destructions massives,… C’est toujours au nom de Dieu, de la pureté que sévissent toutes les inquisitions, les goulags, les dragonnades et les djihads. Il s’agit d’extirper de force la mauvaise herbe qui est dans le champ et qui, forcément, ou en tous cas c’est vécu comme tel, va empêcher le bon grain de pousser. Et c’est la technique du bouc émissaire, qui nous permet toujours de trouver une mauvaise graine responsable de notre malheur. Les protestants à une époque, les femmes à une autre, les juifs et les étrangers de façon récurrente. Cela varie selon les époques, mais c’est toujours le même but qui est recherché : séparer le bon grain de l’ivraie. Voire séparer Dieu de l’être humain. Séparer ce qui est bon de ce qui est mauvais, ce qui est juste de ce qui est injuste, ce qui est bien de ce qui est mal, le bon grain de l’ivraie est tellement bien intégré dans nos façons de penser que c’est d’ailleurs le contenu principal et nécessaire que nous attribuons à l’éducation de nos enfants. Apprendre dès le plus jeune âge ce qui est bien et ce qui est mal, n’est-ce pas ce qui est capital pour bien se tirer d’affaires dans la vie ? Oui,…, en théorie. Oui, il faut distinguer le bien du mal et en particulier pour l’éducation des enfants. Mais en pratique cela fait quand même un certain temps que l’on se rend compte des dégâts causés par les moralisateurs de tous poils, champions du désherbage. Refusant d’ailleurs souvent pour eux-mêmes ce qu’ils veulent imposer aux autres. Si l’on va trop loin dans ce sens, à force de vouloir désherber, séparer le bon grain de l’ivraie, dire ce qui est bien et ce qui est mal, on en finit par ne plus vivre, arrachant même ce qu’il y a de bon grain dans le champ, croyant arracher de l’ivraie. À tous ceux-là, à tous les ouvriers zélés, à chacun d’entre nous, Jésus propose autre chose : « Non, dit-il, de peur qu’en arrachant la mauvaise herbe, vous ne déraciniez le blé en même temps. Laissez croître ensemble l’un et l’autre. » Laisser pousser, croître, grandir, vieillir, mûrir, jusqu’aux temps de la moisson. Que cette réponse est surprenante. Que cette parabole est dérangeante. Laisser faire le temps, voilà qui n’est pas forcément dans nos habitudes. Refuser d’agir, ne pas prendre parti, ne pas s’engager en disant : « Ici est le bon grain et là l’ivraie. » Voilà qui est contraire à tous les principes de ce monde, qui vit dans l’urgence. Laisser faire le temps et ne pas s’occuper de ce qui ne nous regarde pas. Ce n’est pas à nous de trier. Cette réponse de Jésus nous coupe en plein dans notre élan. Alors, me direz-vous, que faut-il faire ? Sommes nous condamnés au désintéressement et à l’attentisme, nous abritant derrière un « ce n’est pas notre affaire » qui coupe court à toute velléité d’interpellation ? Et bien, je dois vous avouer que je suis bien embêté pour répondre à cette question. Car je ne crois pas que le rôle de l’Église est de répondre et encore moins de penser à la place des personnes. À bien y réfléchir, je ne crois pas que Jésus nous invite à ne rien faire, mais je ne crois pas non plus qu’il nous charge de faire le tri nous-mêmes entre le bon grain et l’ivraie. À savoir : il nous invite là où nous sommes à entrer dans une démarche de foi, que l’on peut résumer en deux mots : patience et confiance. L’engagement de celui qui croit est peut-être dans l’exercice de la patience. Oh non pas une attente désabusée et passive, sans rien faire, mais, au contraire, être des témoins de l’importance de laisser du temps aux choses et aux gens pour qu’ils grandissant, vieillissent, mûrissent. Refuser de réagir au quart de tour, dans la minute qui suit la découverte ou le surgissement d’un évènement, qui forcément est menaçant puisqu’il est inconnu. Refuser d’agir comme si nous savions d’emblée ce qui est juste et faux, bien et mal, saint ou corrompu. Prendre le risque de la patience quand tout autour de nous se précipite. Prendre le risque de se taire, quand tout autour de nous parle et même fait du bruit. L’exemple des Cercles de silence de frères Franciscains ou d’autres protestants contre le sort réservé aux personnes en situation irrégulière dans les centres de rétention en France est à cet égard très… parlant. Mais je crois que cette patience n’est possible que si elle s’enracine dans la confiance. Pourquoi patienter, si ce n’est parce que nous sommes persuadés qu’il y a aussi du bon grain qui a été semé et qui a besoin de temps pour germer et se multiplier ? Où trouver la force d’être des fabricants de patience, des gens qui habitent pleinement le temps qui passe en attendant la moisson qui aura lieu un jour ailleurs, autrement, mais dont nous avons la conviction intime qu’elle engrangera ce qu’il y a de meilleur en nous ? Frères et sœurs, quelle liberté ! Ce n’est pas à nous de trier, de séparer le bon grain de l’ivraie. Nous savons qu’au dernier jour, quand tout pour nous aura sombré dans le néant, il ne subsistera de ce que nous avons été dans la mémoire de Dieu que le bon grain. Quelle liberté ! Dans un monde qui sans cesse a peur de se faire étouffer par une ivraie réelle ou fantasmée qui aurait été plantée là à son insu, le Christ nous libère de l’obsession de la pureté. Ce n’est plus à nous de juger. Quelle liberté ! C’est dans ce monde-là que notre foi nous pousse à témoigner : oui le Seigneur continue à semer. Patience, confiance. Oui des choses bonnes vont aussi pousser. Ne nous laissons pas stresser par tous les angoissés : non le Seigneur ne nous demande pas de trier, mais maintenant de germer et de porter du fruit. De laisser naître, grandir, mûrir ce qui fait la vie et l’espérance. Car s’il est une certitude, c’est celle que Dieu sème dans ce monde et qu’il continuera à le faire, pour nous. Cantiques : Psaume 65 : Vers toi, Seigneur AEC 605, Alléluia 36-32 : Sur les chemins du monde AEC 232, Alléluia 22-08 : Comme un souffle fragile