Textes : Ps 46 Ézéchiel 47, v. 1 à 121 Corinthiens 3, v. 9 à 17 Jean 2, v. 13 à 22Pasteur Flemming Fleinert-JensenTélécharger le document au complet
Ézéchiel 47, 1-12 ; 1 Corinthiens 3, 9-17 ; Jean 2, 13-22Le temple peut être considéré comme le motif principal de ces trois textes. D’abord chez Ézéchiel, qui raconte une des visions du prophète pendant l’exil à Babylone au 6ème siècle avant notre ère : un torrent sort du temple de Jérusalem et se jette dans la Mer morte en l’assainissant de sorte que, moins salée, elle pourra dorénavant accueillir une abondance de poissons. Au bord de ce torrent, des arbres fruitiers, dont les feuilles ne flétriront pas, donneront chaque mois une nouvelle récolte – image reprise au début de l’Apocalypse ch. 22. L’ensemble fait aussi penser au jardin d’Eden tel qu’il est décrit dans la Genèse ch. 2. Ainsi un lien se dessine entre la création et l’accomplissement des temps.Dans le passage de 1 Corinthiens, le temple n’est pas le seul motif. En lien avec les versets précédents, il est d’abord question de la construction de la communauté chrétienne. Le fondement, à Corinthe posé par Paul, ne peut être que le Christ. Puis vient l’édification proprement dite, où chacun doit apporter sa pierre. Or le jour viendra, où l’œuvre de chacun sera jugée. Subsistera-t-elle ou périra-t-elle face au jugement de Dieu ? Dans le dernier cas, celui qui a voulu travailler comme « collaborateur de Dieu » (v. 9) au service de l’Église sera sauvé, « mais comme on l’est à travers le feu ». Paul pense probablement à l’effet purificateur du feu. Comme celui-ci consume tout ce qui est sec et mort, ainsi disparaîtra tout ce qui ne correspond pas au dessein de Dieu. On sait, par ailleurs, que la doctrine catholique du purgatoire prend appui sur ces quelques versets.L’idée de la construction conduit ensuite Paul à la métaphore du temple. « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ». La responsabilité de ceux qui œuvrent pour l’Église est grande, car la communauté chrétienne est comme un temple où demeure le nom de Dieu et où chaque membre est habité par l’Esprit de Dieu, cf. 1 Co 6, 19 et 2 Co 6, 16.Voilà une paraphrase des deux premiers textes. Je ne recommanderai pas de prêcher à partir d’Ézéchiel. Bien entendu, ce n’est pas impossible, mais il faudrait à ce moment-là envisager une fresque biblique allant de la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, du jardin d’Eden jusqu’à la nouvelle Jérusalem sans temple, en passant par le rôle et le destin du temple historique de Jérusalem. Un tel projet serait mieux adapté à une conférence biblique qu’à une prédication, car comment placer la parole spécifique de l’Évangile au milieu de toutes les explications nécessaires à la compréhension ?Il serait plus facile de baser une prédication sur le texte paulinien. L’Église ne se construit pas toute seule. Dieu a besoin de nous, comme Dieu a eu besoin de Paul, Apollos et bien d’autres pour construire les premières Églises locales, si fragiles et si exposées à toutes sortes de déviations morales et doctrinales. Mais quel que soit notre degré d’engagement dans la vie de l’Église, il ne faut jamais oublier que c’est Dieu qui fait croître (v. 6), que sans la présence de l’Esprit, tous nos efforts seront vains. Et puis, l’Église est comme un temple, c’est-à-dire un lieu où Dieu se rend présent, où demeure le nom de Dieu.Ceci dit, ma proposition sera de concentrer la prédication sur l’évangile du jour en l’élargissant avec l’apport du texte paulinien et en prenant l’idée du temple comme fil conducteur. v. 13 – On remarque tout de suite que Jean situe cet épisode, habituellement appelé « la purification du temple », au début de l’activité publique de Jésus, alors que les synoptiques le situent à la suite de l’arrivée de Jésus à Jérusalem quelques jours avant sa mort. Historiquement parlant, la tradition synoptique, que Jean n’a sans doute pas ignorée, paraît plus convaincante. En effet, même si l’évangile selon Jean avait raison en parlant de plusieurs séjours de Jésus à Jérusalem (2, 13 ; 5, 1 ; 7, 11 ; 12, 12), il serait étonnant que Jésus, dès son premier passage dans la ville, ait commis un acte si provocant (on sait que les synoptiques ne parlent que d’un seul séjour à Jérusalem – à moins qu’on y ajoute la présentation de Jésus au temple et sa présence au même endroit à l’âge de douze ans, Lc 2). Par ailleurs, si Jean se trompe de chronologie, il peut l’avoir fait consciemment pour des raisons théologiques, voulant montrer que dès le début, la mort et la résurrection de Jésus sont présentes en filigrane. Notons aussi que les quatre évangiles mettent tous cet épisode en relation avec la Pâque juive.v. 14 – La présence de marchands dans la cour extérieure du temple n’avait en principe rien de choquant. Elle était liée aux sacrifices payés par les particuliers, et ceux parmi eux qui venaient d’autres pays avaient besoin de comptoirs de change. C’est d’ailleurs dans ce contexte que Luc parle d’un couple de tourterelles ou de deux petits pigeons que Joseph et Marie offrirent au temple pour la purification de Marie après son accouchement (Lc 2, 24).v. 15-16 – C’est la seule fois que les évangiles rapportent un comportement violent de la part de Jésus. Le récit de Luc est le plus modéré, celui de Jean le plus sévère, puisque Jésus chasse tout le monde du temple, y compris le bétail, à l’aide d’un fouet avec des cordes (cela paraît dramatique, mais il s’agit peut-être tout simplement du fouet qu’utilisaient les bergers pour faire avancer le troupeau). L’action de Jésus a cependant plutôt un sens symbolique, car ces gens ont sans doute vite regagné leurs stades, étant donné que dans tous les lieux de pèlerinage de tous pays et de tous temps, les « marchands du temple » ont toujours fait leurs affaires. Quel est ce sens symbolique ? Jésus a-t-il voulu préserver le caractère sacré du temple et le purifier de toute intrusion profane ? Ou au contraire, a-t-il posé un acte qui, indirectement, visait à supprimer les sacrifices sanglants ? Les paroles adressées aux marchands : « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic » (les synoptiques, se référant à Es 56, 7, parlent de « ma maison comme une maison de prière ») font pencher plutôt pour la première hypothèse. A ce propos on peut aussi se souvenir des dernières lignes du livre de Zacharie se rapportant à l’instauration définitive du règne de Dieu : « Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur le tout-puissant, en ce jour-là ». La réponse de Jésus aux Juifs, v. 19, étaye plutôt la seconde hypothèse, quoique dans son enseignement Jésus ne semble pas avoir polémiqué plus particulièrement contre les sacrifices du temple.v. 17 – Remarque rédactionnelle qui interrompt l’action. – « Le zèle de ta maison me dévorera », citation littérale du Ps 69, 10 dans la LXX, sauf que le texte grec dit « me dévorait ». En utilisant le futur, Jean donne une interprétation messianique de ce verset, dont le contexte est marqué par la plainte du psalmiste de ce qu’il souffre à cause de sa fidélité au Seigneur.v. 18 – Il n’est plus question des vendeurs, mais des « Juifs », probablement des responsables du temple. Selon Marc, les chefs religieux demandent à Jésus : « En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? » (Mc 11, 28). Jean parle de « signe » au lieu d’ « autorité », cf. Mc 8, 11, et surtout Mt 12, 38s = Lc 11, 29 où le seul signe que donne Jésus est celui de Jonas, allusion à la résurrection le troisième jour.v. 19 – La suite, propre à Jean, confirme cette allusion à la résurrection. Jésus parle d’abord de la destruction du temple (en fait survenue en l’an 70), comme c’est le cas en Mc 13, 2 par, cf. Ac 6, 14. Ensuite il ajoute qu’il le relèvera en trois jours, affirmation répétée par des témoins lors de son procès : « Moi, je détruirai ce sanctuaire fait de main d’homme et, en trois jours, j’en bâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme » (Mc 14, 58, cf. 15, 29).v. 20 – Que ces accusations soient vraies ou fausses, elles étaient explosives, mais en l’occurrence les Juifs ne semblent pas trop s’en offusquer. Tout au moins ils s’étonnent, car il paraît absurde de vouloir d’abord détruire et ensuite rebâtir le temple en un temps record, trois jours, puisque au bout de quarante-six ans il était encore en chantier (sur les dates, cf. la note de la TOB).v. 21-22 – On sait que Jean affectionne les quiproquos. Ainsi, sans le dire, Jésus a en réalité donné une nouvelle interprétation du temple en pensant à son corps et à sa résurrection. On peut se poser des questions sur l’historicité de ce propos, mais ce qui est sûr, c’est que le milieu johannique, après la chute du temple, a adopté cette interprétation qui est de la même veine que les propos de Paul sur les chrétiens comme le temple de Dieu ou de l’Esprit.
Qu’évoque le mot temple à un contemporain ? Dans un premier temps, il fera probablement penser aux temples gréco-romains ou aux temples d’Égypte, donc au paganisme. Dans un deuxième temps, il sera peut-être associé au temple de Jérusalem ou plutôt aux temples de Jérusalem, puisqu’il y en a eu deux : le premier construit sous le règne du roi Salomon, au 10ème siècle, et détruit au début du 6ème siècle par les Babyloniens ; le deuxième érigé à la fin du 6ème siècle, après le retour difficile de la captivité babylonienne, et ensuite élargi et embelli à partir de l’an 20 avant notre ère par le roi Hérode. C’est ce temple que Jésus a connu, mais il n’a été définitivement achevé qu’après sa mort. Et quelques années plus tard, en l’an 70, il fut détruit par les soldats romains. Aujourd’hui, il n’en reste pratiquement rien, sauf le fameux mur des Lamentations. Puis, il y a les temples réformés ! Cette appellation est une spécialité notamment française qui, au début, étonne un non réformé, mais à laquelle on finit par s’habituer. Elle s’explique en partie par l’histoire religieuse mouvementée en France, par le souci des protestants français de se distinguer des catholiques et de leurs églises, même s’il semble qu’aux 16ème et 17ème siècles, le mot temple pût tout aussi bien désigner un sanctuaire catholique. Les protestants faisaient aussi valoir que dans la Bible, temple désigne un sanctuaire, contrairement à église qui désigne non pas un édifice, mais la communauté chrétienne. Or il est moins connu que l’idée du temple subit des transformations dans le Nouveau Testament. La première est visible dans les évangiles, la deuxième se manifeste surtout chez saint Paul. Première transformation – Celle-ci est présente dans l’évangile pour aujourd’hui. Souvenons-nous que l’évangile selon Jean a été rédigé quelques décennies après la chute du temple de Jérusalem, événement qui provoqua une onde de choc au sein du judaïsme. Ce fut l’arrêt définitif des offrandes et des sacrifices sanglants, plus de Grands Prêtres ni prêtres ni lévites pour expier les péchés d’Israël. Or ce qui aurait pu être une catastrophe ne le fut finalement pas, car les synagogues dispersées partout où se rassemblaient les Juifs, de Babylone à Rome, de Corinthe à Alexandrie, assurèrent la relève. Dans les synagogues, le nom de Dieu ne cessa d’être prononcé, la parole de Dieu, représentée par la Torah, ne cessa d’être récitée, et c’est ainsi que le judaïsme a survécu. La présence de Dieu ne fut plus liée à un endroit spécifique, elle fut désormais attachée à la libre circulation de la parole divine. Les chrétiens d’origine juive furent aussi secoués par la chute du temple et ils essayaient de comprendre cet événement en réfléchissant sur telle ou telle parole de Jésus. Ainsi, selon Marc, Jésus aurait dit à ses disciples, impressionnés par la grandeur du temple : « Il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit » (Mc 13, 2), et pendant l’interrogatoire chez le Grand Prêtre, des témoins affirmaient avoir entendu Jésus dire qu’il détruirait ce sanctuaire fait de main d’homme et qu’il en bâtirait un autre qui ne serait pas fait de main d’homme (cf. Mc 14, 58). De telles paroles ne sont certainement pas dépourvues de fondement historique, et les dernières surtout résonnent dans la parole que le texte attribue à Jésus tout au début de son ministère : « Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai », propos énigmatique qui a généré une nouvelle interprétation du temple comme désignant le corps du Christ, sa mort et sa résurrection. Pour bien comprendre, il faut se rappeler qu’en Israël, le temple était le lieu où demeurait le nom de Dieu. Dans la tradition rabbinique, cette présence était appelée la schekinah, mot hébreu qui vient d’un verbe qui veut dire séjourner. Elle était située dans l’espace vide au-dessus du propitiatoire, entre les deux chérubins placés sur l’arche de l’alliance. Présence invisible et insaisissable. Une fois le temple disparu, les chrétiens ont réinterprété cette présence en disant que le vrai temple n’est plus un édifice, mais un être vivant. Dans cette perspective on peut dire que le Christ fut compris comme le lieu de Dieu par excellence. Quand Jean écrit que « le Verbe fut chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14), le mot grec pour habiter veut initialement dire « dresser sa tente », ce qui rappelle la tente de l’ancienne alliance et, justement, la présence de Dieu dans le Saint des Saints. Le parallèle est frappant. En Jésus, Dieu a dressé sa tente au milieu de nous, Dieu a trouvé lieu dans notre monde, et celui qui cherche Dieu – quaerere Deum, comme le disait récemment Benoît XVI au Collège des Bernardins à Paris – doit passer par le Christ, dont le corps terrestre n’existe plus, mais qui, en tant que le Ressuscité, vit devant Dieu, comme il vit devant nous par sa Parole et son Esprit. Deuxième transformation – Celle-ci se trouve chez l’apôtre Paul et prolonge en quelque sorte la première. Le Jésus historique est mort, son corps n’est plus là, mais il a été remplacé par un autre corps, à savoir l’Église. C’est une idée qui, curieusement, est moins présente dans la tradition protestante que dans la tradition catholique qui, il est vrai, associe étroitement l’Église en tant que corps du Christ avec la célébration eucharistique où les fidèles reçoivent le corps du Christ. Il y a donc deux acceptions différentes, mais très liées, de la même expression. Si Paul parle de l’Église comme un seul corps, par ex. Rm 12 et 1 Co 12, il peut aussi dire que ceux qui forment l’Église représentent le temple de Dieu. Jésus comme le temple terrestre de Dieu n’existe plus – mais son Église est là et c’est elle qui est devenue le lieu de Dieu le plus visible, car c’est en son sein que circulent la parole et l’Esprit de Dieu comme le sang circule dans le corps et lui donne la vie. Or puisque l’Église est composée d’hommes et de femmes qui croient en Christ, chaque chrétien peut être considéré comme le lieu de Dieu. « Vous êtes le temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en vous » (1 Co 3, 16). Cette idée paraît peut-être inhabituelle. Que moi, avec mes hésitations, mes imperfections, mes limites, mes incertitudes, puisse être appelé temple de Dieu ! Certes, cette qualification ne provient pas de mes qualités ou de mon manque de qualités. Elle est due à l’Esprit de Dieu qui me traverse et qui sème ce petit grain de foi que Dieu regarde au lieu de regarder mes imperfections. Avec tous ceux qui acceptent de porter le nom du Christ, je suis, comme dit Paul, « le champ que Dieu cultive ». D’autres ont planté – l’Église est là avant moi ; d’autres ont arrosé – je suis tributaire du travail de tant d’autres ; mais c’est Dieu qui fait croître et qui préserve le grain de foi jeté dans mon cœur. Moi ! Non pas que le moi soit haïssable, mais il y a aussi le toi. Comme il est facile d’oublier que mon vis-à-vis dans l’Église est aussi le temple de Dieu, est aussi le lieu où Dieu passe. C’est cela qui, finalement, donne à l’autre son caractère sacré. Si je le blesse, c’est Dieu que je blesse. Si je l’oublie, c’est Dieu que j’oublie. La présence de Dieu est inséparable de la présence de l’autre, de l’autre en général, mais avant tout de celui avec qui je rends un culte à ce Dieu qui m’a choisi comme lieu de son passage dans le monde.