Textes : Ps 137 2 Chroniques 36, v. 14 à 23Éphésiens 2, v. 4 à 10 Jean 3, v. 14 à 21Pasteur Anderson MoubitangTélécharger le document au complet
4ème dimanche du Carême
Éphésiens 2, v. 1 à 10 1 Vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, 2 dans lesquels vous marchiez autrefois, selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, de l’esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion. 3 Nous tous aussi, nous étions de leur nombre, et nous vivions autrefois selon les convoitises de notre chair, accomplissant les volontés de la chair et de nos pensées, et nous étions par nature des enfants de colère, comme les autres 4 Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, 5 nous qui étions morts par nos offenses, nous a rendus à la vie avec Christ (c’est par grâce que vous êtes sauvés) ; 6 il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ, 7 afin de montrer dans les siècles à venir l’infinie richesse de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus-Christ. 8 Car c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. 9 Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. 10 Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. PAS DE NOTES BIBLIQUES MAIS DES GENERALITES SUR LE TEXTE N.B. : Le texte proposé était Éphésiens 2/4-10. Nous y avons adjoint les v. 1-3, afin d’avoir une péricope plus homogène ; mais surtout parce le v. 10, qui conclut la péricope, a pour pendant indispensable pour la compréhension la logique interne du texte, ces trois premiers versets. A. Le texte a un arrière plan polémique et une intention pédagogique.
- L’apôtre cherche à conjurer un risque réel d’attentisme religieux, ou de fatalisme, qui découlerait de l’accent qu’il met, dans sa doctrine du salut, sur la vanité des prétentions humaines.
- En même temps, l’exposé de la doctrine a pour but de rappeler aux chrétiens d’Éphèse la nécessité pour eux de se comporter d’une manière digne de leurs convictions, « ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres ».
B. On note un continuel va-et-vient entre le « vous » et le « nous ». C’est parce que Paul se met lui-même au nombre des méprisés, pour ne pas donner le sentiment de condamner à distance. Il se déclare solidaire, dans le péché, de ses coreligionnaires, mais aussi pour souligner que nul n’est épargné par l’état de péché. Il se dissocie en cela de la pratique pharisienne, à un moment où le christianisme n’avait pas encore tout à fait rompu avec le judaïsme. C. L’apôtre parle des péchés des Éphésiens exclusivement au passé : vous étiez morts ; vous marchiez autrefois dans les offenses et les péchés ; vous viviez selon le prince de la puissance de l’air… Et à l’évocation du passé dans les v. 1- 3, le v. 10 vient opposer la situation présente, radicalement différente : Dieu nous a rendus à la vie là où nous étions morts par nos offenses ; nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ, alors que nous agissions selon le train de ce monde, selon les convoitises de notre chair. Deux remarques ici :
- Le prince de la puissance de l’air (?) : Les anciens, juifs et grecs à cette époque distinguaient trois cieux : le ciel des oiseaux, le ciel des astres, le ciel de la divinité (cf. 2 Corinthiens 12/3). Le judaïsme faisant du ciel des astres le séjour des démons.
- L’ordre de la nature s’oppose à l’ordre de la grâce.
E. Entre la situation d’autrefois, où nous étions morts, et celle actuelle, ou nous avons été rendus à la vie, Dieu, en Jésus-Christ, s’est révélé. Et Paul prêche que la vie, la vraie, commence seulement avec la connaissance de l’Évangile. C’est le sens qu’il donne à la résurrection : la régénération en Jésus-Christ. Nous sommes l’objet d’une nouvelle création, « faits » en Jésus-Christ, peut-être pas tant au moment de la naissance que de la conversion F. Le pessimisme paulinien. L’apôtre enferme l’humanité sans Évangile dans pessimisme général, sans doute pour ensuite souligner la radicalité du salut par grâce :
- c’est par grâce que vous êtes sauvés, sur votre foi ;
- cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu ;
- cela ne vient point de vos œuvres, afin que personne ne s’en vante ;
- car de lui nous sommes l’ouvrage.
G. Quand on lit le v. 7, on pourrait penser que Dieu, selon Paul, ne recherche même pas tant la reconnaissance de ceux qu’il sauve que de pouvoir prouver au monde sa bonté.
Personne ne peut se prévaloir de son salut : c’est par grâce que nous sommes sauvés, en fonction de notre foi ; et cela ne vient pas de nous, c’est un don de Dieu. En tant que protestants, nous sommes particulièrement accoutumés à cette doctrine de Paul sur le salut par la grâce seule. N’est-elle pas une des règles fondamentales du protestantisme ? L’apôtre y défend l’idée que l’homme ne peut pas se sauver par les œuvres, c’est-à-dire les actions accomplies par ses seules forces, sans que Dieu intervienne ; qu’il ne peut conquérir de lui-même son salut spirituel, mais Dieu, qui est miséricorde et amour, lui en fait don. On trouve dans l’Évangile de Jean 8 une situation qui illustre par bien des traits ce que signifie être sauvé par grâce : une femme est prise en flagrant délit d’adultère et l’on va, conformément à la loi en vigueur, la lapider jusqu’à ce que mort s’en suive. A vue humaine les dés sont d’ores et déjà jetés : cette femme est perdue, c’est sûr ; son inconduite la condamne. Mais, alors que sa perte s’annonce inéluctable, et qu’elle voit la mort fondre sur elle, tout à coup elle va trouver une main protectrice, un secours inattendu ; et ce qui devait arriver n’arriva pas… Que se passe-t-il ? En Jésus, Dieu va intervenir et tirer cette femme du pétrin dans lequel elle s’était mise par sa faute. Elle est ainsi sauvée de l’inéluctable car quelqu’un qui ne la juge pas se lève du milieu de la foule, prend sa défense, la tire de l’embarras, puis lui fait don d’une parole de grâce qui la met debout et lui ouvre un chemin nouveau : « Va, et ne pèche plus ». Le salut par grâce c’est cela : rien de l’homme, tout de Dieu. Mais cette affirmation pose une question essentielle en lien avec le péché de l’homme. En effet, si le salut relève de la seule initiative divine, si l’homme ne peut y contribuer d’aucune façon, peut-on, dans ces conditions, lui imputer la responsabilité de ses égarements, de ses errances, alors que de lui-même ne peut faire autrement ? Imaginez, pour bien comprendre les choses, que vous ne possédiez pas la clé qui ouvre la porte d’entrée d’une maison. Pensez-vous qu’il soit juste et raisonnable que l’on vous rende responsable de ce que vous ne pouvez pas entrer, et que vous continuez ainsi à vagabonder à l’extérieur ? Si vous pensez que ce ne serait pas juste et raisonnable, et bien, sachez que l’apôtre Paul pense comme vous. Pour lui, en effet, l’homme ne peut pas être rendu responsable de ses écarts, de son impiété, bref de son état de rupture avec Dieu. Il emploie, pour soutenir son propos, l’expression « Fils de la rébellion », afin de souligner que les impies dans leur ensemble ne sont pas seulement rebelles, mais également des victimes, car que dès leur arrivée dans ce monde, ils sont déjà pris dans un état de chose qui leur préexiste, qui dépasse leur propre responsabilité, et qui les conduit naturellement au péché. « Fils de », « Enfants de » sont des expressions familières aux injures orientales. Mais elles sont reprises ici par l’apôtre pour souligner un état héréditaire et quasi irrécupérable. C’est vrai que Paul déclare aux Éphésiens : « Vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés », semblant ainsi les incriminer. Mais, en fait, il parle d’une culpabilité dont ceux-ci sont supposés n’être conscients que maintenant qu’ils connaissent l’Évangile. En somme l’apôtre prêche que la vie, la vraie vie, apparaît avec la connaissance du Christ. Tout avant cette connaissance n’est qu’enlisement dans une suite d’égarements et de mauvais calculs. Et c’est Calvin qui, sur ce point, dit les choses de façon encore plus saisissante, plus explicite quand il écrit : « Nous naissons tous morts et nous vivons morts, jusqu’à ce que nous soyons faits participants de la vie du Christ ». Il y a donc pour nous, chrétiens, un avant et un après l’Évangile. Avant, -et pour parler comme Paul dans sa lettre aux Colossiens-, tous nous étions étrangers à la vie de Dieu, hostiles aux réalités de la foi, en deçà de cette circoncision spirituelle qu’est le baptême. Nous étions un peu comme des zombies : vivants, mais morts à la vie véritable, c’est-à-dire la vie avec Dieu, la vie en Dieu. Et l’apôtre de dire : vous étiez coupables mais certainement pas responsables, vous n’aviez que la conduite de tous, vous étiez victimes de l’ambiance, vous marchiez selon le train de ce monde, vous étiez par nature des enfants de colère, vous ne pouviez de toute façon pas vivre une vie qui ne vous avait pas encore été révélé. Ainsi donc si nul ne peut se prévaloir de son salut, car Dieu seul sauve, personne non plus ne peut être rendu responsable de son impiété : elle est propre à l’homme. Il faut donc la grâce régénératrice de Dieu pour pouvoir sortir d’un état naturel qui prédispose au péché. Et nous voyons que la proclamation par Paul du salut par la grâce contient en même temps l’annonce de la non-culpabilité humaine devant Dieu. Conséquence, le chrétien est doublement libéré. Premièrement, il est libéré du souci angoissant de faire lui-même son salut, et donc aussi de la peur de ne pouvoir jamais y arriver ; deuxièmement, il n’a pas à porter sur ses épaules le poids d’une culpabilité passée, dont il ne prend pleinement conscience qu’au moment de sa rencontre avec l’Évangile. Mais, bien que doublement libératrices, ces affirmations comportent cependant deux risques majeurs pour la vie du chrétien. Le premier risque c’est de faire à Dieu, qui seul peut sauver, le reproche d’avoir laissé si longtemps, et de continuer de laisser le monde s’enliser dans ses erreurs, en lui refusant les lumières de l’Évangile. Mais sur ce point, nous l’avons dit, pour l’apôtre le monde ne saurait être tenu responsable de son ignorance de Dieu. L’autre risque, et très certainement le plus pernicieux, serait de ne retenir des propos de l’apôtre que son insistance sur la vanité des efforts humains, ce qui les rendrait les chrétiens (qui sait ?) un brin fatalistes et attentistes. C’est pourquoi l’exposé de la doctrine veut rappeler la nécessité pour les chrétiens de se conduire d’une manière digne de leurs convictions. Et c’est sans doute pour palier à des dérives dans ce sens que l’apôtre introduit au v. 10 des considérations éthiques, comme s’il s’agissait de bien préciser la position des chrétiens vis-à-vis de la morale. Il est vrai que le salut est une affaire de grâce, un don, et cela ne vient pas de l’homme, mais de Dieu seul. Mais ce n’est pas pour autant que la conduite morale, les efforts pour surmonter les mauvaises tendances, les multiples devoirs envers autrui, ne soient plus de mise, au contraire. Certes, toutes ces choses ne comptent pour rien dans le don du salut, mais elles n’en sont pas moins la conséquence. En effet la vie morale, avec ses luttes, ses efforts, ses victoires, doit être préservée. Mais avec ceci de particulier que ce n’est pas au croyant, ni à une quelconque autorité humaine de déterminer le bien, mais à Dieu. A lui seul revient, parmi les œuvres, de qualifier celles qui sont bonnes : elles seront le résultat naturel de la conversion, et non plus livrées à l’initiative humaine. Il s’agit donc, pour le chrétien, de faire les œuvres bonnes non pour être sauvé, mais parce qu’il est sauvé. Autrefois, c’est-à-dire avant la révélation de l’Évangile, et parce que fils de la rébellion, il marchait selon le train de ce monde. Désormais, il est l’ouvrage de Dieu, ayant été créé en Jésus-Christ, non pas tant au moment de la naissance que de la conversion, pour de bonnes œuvres, au milieu desquelles il lui est fait l’invite, et le devoir, de marcher.. Oui, personne ne peut se prévaloir de son salut : c’est par grâce que nous sommes sauvés, en fonction de notre foi ; et cela ne vient pas de nous, c’est un don de Dieu. Cependant, l’apôtre Paul, et les réformateurs à sa suite parient sur le fait que la conscience qu’à le chrétien de l’amour inconditionnel de Dieu pour l’homme rendra ce dernier capable d’aimer lui aussi, inconditionnellement. Leur donnerons-nous tort ?