Textes : Ps 15 Deutéronome 4, v. 1 à 8Jacques 1, v. 17 à 27 Marc 7, v. 1 à 23Pasteur Christian BonnetTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Le genre littéraire de ce texte L’évangile de Marc est pauvre en discours de Jésus. Il n’en comporte que deux : un en paraboles au ch. 4 et un en style apocalyptique au ch. 13. Par contre cet évangile abonde en controverses entre Jésus et ses opposants. C’est la forme principale selon laquelle se développe l’enseignement de Jésus et bien entendu cette forme particulière souligne l’originalité et la radicale nouveauté de cet enseignement. Dans l’évangile de Marc, tout le ministère public de Jésus est encadré entre deux séries de controverses :

  • 2.1 – 3.6 : guérison un jour de sabbat, repas chez des pécheurs, discussions sur le jeûne, le sabbat
  • 11.27 – 12.37 : l’autorité de Jésus, l’impôt dû à César, la résurrection des morts, le Fils de David

Entre ces deux ensembles, on retrouve quelques controverses éparses, celle qui nous concerne au ch. 7 sur les questions de pureté (7.1-13), le mariage (10.1-12), la loi (10.17-31 et 12.28-34). Ces controverses ont pour objet de souligner que Jésus parle et agit de façon totalement nouvelle, non pas par goût de la provocation mais parce que le règne de Dieu s’est approché. Elles ont donc une portée « eschatologique », elles pointent l’irruption du règne de Dieu au milieu des hommes qui bouscule un certain nombre de croyances, de convenances et de traditions. Le contexte de ce texte Ce passage se trouve dans un ensemble que certains commentateurs ont appelé la « section des pains » : de 6.8 où Jésus recommande aux disciples de ne pas prendre de pain à 7.28 où la femme syrophénicienne demande quelques miettes de pain, en passant par les deux épisodes où Jésus distribue du pain à la foule. Cette discussion sur le pur et l’impur est placée volontairement entre les deux passages où Jésus prononce des formules eucharistiques avant de nourrir la foule, et qui font apparaître en contraste à quel point les chicaneries des rabbins sur le pur et l’impur sont complètement dépassées. Le contraste est encore plus fort avec le récit qui suit immédiatement, à savoir la visite de Jésus en territoire païen et son contact avec une femme syrophénicienne. Cette scène souligne que désormais il n’y a aucune impureté à fréquenter des non-Juifs. Jésus lui-même vit dans cet épisode une sorte de « conversion » à cause de l’intelligence et de la lucidité de cette femme. La construction de ce texte La section qui nous préoccupe est clairement découpée en deux parties :

  • v 1-13 : controverse avec les pharisiens et les scribes à propos du lavage des mains
  • v 14-23 : explications complémentaires données à la foule puis aux disciples sur le déplacement des notions de pur et d’impur.

Le thème même de la controverse nous amène à identifier dans le texte un certain nombre d’oppositions, de personnes, d’idées ou de mots qui se retrouvent en opposition : – les disciples de Jésus qui ne respectent pas les règles et le reste des Juifs religieux – les pharisiens et les scribes d’un côté et Jésus de l’autre sommé de justifier l’attitude de ses disciples – opposition dans la citation d’ésaïe 29.13 entre les lèvres (image d’une certaine superficialité dans la pratique religieuse) et le cœur (image de profondeur et d’adhésion entière) – opposition entre commandement de Dieu et tradition humaine (comme si les deux étaient en opposition) – opposition entre le discours de Moïse et l’enseignement des pharisiens et des scribes – opposition entre tradition des anciens (dans la bouche des pharisiens) et tradition des hommes (dans la bouche de Jésus) – nouvelle opposition entre parole de Dieu (qui explicite ‘commandement de Dieu’) et tradition humaine – opposition entre le dehors et le dedans de l’être humain, entre ce qui entre en lui et ce qui sort de lui – opposition entre le pur et l’impur, entre le souillé et le purifié – nouvelle opposition entre la bouche qui n’est que le début de l’organe digestif (l’autre extrémité étant moins reluisante) et le cœur (présenté comme le siège de la volonté et des bonnes ou mauvaises dispositions de caractère) Les mots-clés du texte – souillé, impur : Dans l’AT, ce mot est à entendre plutôt dans une sens rituel que moral. L’idée qui préside à cette notion d’impureté est que les adorateurs d’un Dieu saint doivent eux-mêmes se garder de toute souillure spirituelle et physique. Dans l’AT, les causes d’impureté étaient : le contact avec un cadavre ou avec du sang, la lèpre, les écoulements naturels, la consommation d’animaux réputés impurs. La législation de l’AT prévoit différents rituels de purification par lesquels celui qui est impur peut redevenir pur. L’eau joue un rôle important dans ces rituels qui prennent souvent la forme d’ablutions. – cœur : cet organe du corps humain est souvent utilisé de façon métaphorique dans la langue hébraïque, mais beaucoup moins pour désigner les sentiments comme en français, que la volonté, l’intelligence ou l’intériorité. Pour le Nouveau Testament, c’est dans le cœur, à savoir l’intériorité de l’homme comme lieu de sa décision éthique que le Saint Esprit est à l’œuvre. – tradition : ce mot n’a pas de sens négatif en grec. Il désigne simplement ce qui est transmis, sans jugement de valeur sur le contenu. C’est donc la source de cette tradition qui la connote de façon positive ou négative. Dans ne Nouveau Testament, est jugée positive la tradition qui vient de l’apôtre Paul (1 Cor 11.2 ; 2 Thess 2.15) mais négative la tradition des pères (Gal 1.14) ou des hommes (Col 2.8). Ici dans Marc, les pharisiens parlent de tradition des anciens pour lui donner une légitimité religieuse. Si Dieu est le Dieu de nos pères. Les traditions des anciens sont donc de bonnes traditions venues de Dieu. Jésus ne suit pas ce raisonnement et préfère parler de tradition « des hommes » en opposition à parole de Dieu. Il nie radicalement l’origine divine de la tradition religieuse. – Korbân : en hébreu, ce mot est utilisé pour une offrande non sanglante faite à Dieu. Il désigne donc un don en argent ou un service mis à part pour Dieu. Par extension le mot a pu désigner le trésor sacré du temple. L’historien Flavius Josèphe rapporte que la populace de Jérusalem avait assiégé le tribunal de Ponce Pilate parce qu’il avait utilisé l’argent des offrandes, le corban, à la réalisation d’aqueducs pour amener l’eau à Jérusalem. Cet épisode indique bien le caractère sacré de ces offrandes pour ceux qui les faisaient qui ne toléraient pas de les voir utilisées même pour un objet séculier, un but social ou pour l’intérêt de tous. Pistes théologiques – la radicale nouveauté de l’Évangile prêché par Jésus par rapport à toute tradition religieuse, à commencer par celle qui a pourtant été la matrice de la foi chrétienne. – l’argumentation de Marc 7.14-23 est étonnamment proche de Héb ch. 9 et 10 : la distinction légaliste entre le pur et l’impur est incapable de transformer réellement le cœur de l’homme. Il s’agissait d’une disposition provisoire (tout comme la loi) mais l’ordre définitif voulu par Dieu a mis fin à ce qui était provisoire. – on peut aussi voir un parallèle éloquent avec le passage de Actes 10.9-23, la vision de Pierre où Dieu lui montre des nourritures impures et lui ordonne de manger, transgressant ainsi lui-même les frontières entre pur et impur. La suite du récit montre que le principe capable de transformer l’impur en pur, c’est l’Esprit Saint (Ac 10.44). – le besoin de mettre en pratique les Écritures et de ne pas se réfugier derrière une observance de façade de rituels vidés de leur signification profonde. – comment reconnaître ce qui est de l’ordre de la tradition et ce qui vient de Dieu ? Faut-il être une docteur en théologie pour pouvoir décrypter les sources de la Bible et faire un travail de « démythologisation » à la manière de Rudolph Bultmann qui mettait sa science exégétique au service d’un projet visant à débarrasser le texte biblique de tout son matériau traditionnel pour retrouver les « ipsissima verba » (les paroles authentiques) de Jésus ? Pistes d’actualisation– Qu’est-ce qui fait « autorité » dans notre vie ? A quoi accordons-nous du crédit pour y conformer notre existence ? A des traditions ? A des modes ? A des personnes que nous admirons ou que nous respectons ? Comment lisons-nous la Bible ? Quel pouvoir d’interpellation ou de transformation laissons-nous à Dieu dans notre vie ? – Où se nichent les questions de pur et d’impur aujourd’hui ? Nourriture industrielle contre produits bio ? Français de souche contre étrangers sans papier ? Travailleurs vertueux contre chômeurs fainéants ? Monogames contre adultères ? Hétérosexuels contre homosexuels ? L’irruption du règne de Dieu est-elle de nature à nous faire transgresser ces frontières ? – Quels prétextes trouvons-nous pour refuser de faire des bonnes actions ou de nous montrer généreux ? Notre pays comme la plupart des pays industrialisés a pris des engagements en faveur du développement. Aujourd’hui il est loin d’atteindre les objectifs qu’il s’était fixé. Quelle cause sacrée avons-nous inventé pour nous soustraire à nos engagements ? – Quels sont les éléments dans notre environnement qui peuvent nous souiller ? Faut-il s’en prémunir ? Comment ? – Ma vie et mes actes sont-ils en cohérence avec ce que je professe ? Que révèlent-ils de ma personnalité profonde ? Que disent-ils de ma foi ? Comment éviter cette souillure venue de l’intérieur ?

 

Prédication

Lectures : Deutéronome 4.1-9 Jacques 1.19-27 Marc 7.1-23 Comment lisons-nous ou écoutons-nous la Bible ? Nous n’en retenons souvent que ce que nous avons envie d’entendre, ce qui nous plaît, ce qui nous confirme dans nos convictions, ce qui nous assure d’avoir raison, ce qui calme nos inquiétudes. En fait notre tradition, qu’elle soit consciente et assumée, ou inconsciente, nous empêche d’écouter ce qu’il y a de vraiment nouveau, mais de dérangeant, dans le message que Dieu s’efforce de nous faire passer. Pire, nous dit Jésus en substance dans ce passage, cette tradition dont vous n’arrivez pas à vous défaire, elle neutralise l’autorité de Dieu sur vous. Le chrétien qui a pris conscience de cet état de chose se trouve dans une situation bien inconfortable : il sait qu’il n’y a pas de lecture de la Bible sans tradition et il sait aussi que la tradition l’empêche de lire la Bible en vérité. Alors que peut-il croire et comment lui faut-il se comporter, s’il est un tant soit peu animé par un souci de vérité et d’authenticité ? Pour tenter de répondre à ces questions, je vous propose d’étudier tour à tour 3 oppositions qui se trouvent dans ce passage de l’évangile de Marc

  • L’opposition entre écriture et tradition
  • L’opposition entre pur et impur
  • L’opposition empruntée au prophète ésaïe entre les lèvres et le cœur

Écriture et tradition Les pharisiens questionnent Jésus sur une attitude qui les choque. Pourquoi tes disciples ne se lavent-ils pas les mains avant de manger ? Cette question de la pureté rituelle était de toute première importance dans le judaïsme de l’époque. Comme il le fait souvent, Jésus déplace le problème et répond à une autre question cachée sous la première : « Quelle autorité reconnaissons-nous vraiment dans nos vies ? » J’imagine qu’il n’y a dans cette assemblée aujourd’hui que des personnes qui, peu ou prou, reconnaissent l’autorité de Dieu, ou en tout cas la recherchent. Mais qu’est-ce que veut dire « l’autorité de Dieu » ? Les pharisiens aussi se réclamaient de l’autorité de Dieu et ils étaient même scandalisés que Jésus ne s’y conforme pas. En réponse, Jésus les traite d’ « hypocrites ». En grec, ce mot désigne l’acteur de théâtre qui porte un masque. En effet, ce qui compte pour ces pharisiens, ce n’est plus ce qu’ils sont en réalité, mais la façon dont les autres les perçoivent. L’important pour eux, c’est ce qui se voit. C’est pour cela que Jésus leur a reproché à une autre occasion de nettoyer l’extérieur du plat, mais de ne pas être aussi exigeants pour ce qui est de l’intérieur. Les pharisiens veulent mettre strictement en application l’enseignement des maîtres de la loi. Ces spécialistes ont la charge d’expliquer comment les commandements de la Loi de Moïse doivent être mis en pratique et ils sont devenus les experts en volonté de Dieu. Comme les Écritures ne répondent pas clairement à toutes les questions que les commandements posent dans leur application, ces savants ont longuement débattu de ces questions, ont proposé des interprétations qui ont peu à peu été mises par écrit et qui sont devenues le Talmud. Dans le judaïsme, la tradition des anciens est un passage obligé pour toute interprétation des Écritures. Cette forme de piété est plutôt tournée vers le passé : Dieu a parlé jadis, on ne se préoccupe plus de savoir dans quelles circonstances, ce qu’il a dit est sacré et est devenu quelque chose d’intemporel, applicable quels que soient les personnes et les lieux. Face à cette rigidité, la liberté de ton de Jésus est stupéfiante. Il se réclame de l’Écriture pour dénoncer le piège de la tradition : Moïse a dit, et chacun sait que Moïse est reconnu comme le porte-parole de Dieu, Honore ton père et ta mère, mais vous vous dites… Jésus aggrave encore la provocation, car il lui arrive de traiter l’Écriture elle-même comme une tradition. Quand il affirme un peu plus tard : rien de ce qui pénètre en l’homme ne le rend impur, il prend bel et bien le contre pied, non pas de la tradition, mais de l’Écriture elle-même qui détaille les règles qui distinguent les nourritures pures, c’est à dire permises et les nourritures impures, donc interdites. Souvenez-vous que Jésus a adopté exactement la même position critique à propos du sabbat. Jésus se permet de remettre en question l’Écriture au nom d’une instance supérieure qui est la parole de Dieu, le véritable projet de Dieu pour l’humanité. Si l’on suit Jésus dans sa démarche, il faut bien se rendre à l’évidence : Dieu a confié son message à des humains, avec tous les risques que cela comporte, en particulier le risque qu’ils mélangent leurs propres idées ou conceptions avec le message de Dieu dont ils sont les porteurs. Cette « incarnation » du message de Dieu vaut pour les auteurs de la Bible autant que pour nous, lorsque nous témoignons de notre foi. On ne s’étonnera pas dès lors qu’il puisse y avoir conflit entre deux prescriptions, par exemple entre le cinquième commandement du décalogue et cette prescription du livre des nombres : Quand quelqu’un aura fait un vœu au Seigneur, il considérera cette parole comme sacrée. Pour les Pharisiens, Dieu est saint, il doit passer avant tout le reste, même avant les humains. Pour Jésus, cette attitude doctrinale révèle qu’on ignore complètement qui est Dieu et quelle est sa volonté. Car Dieu aime chaque être humain au point de se sacrifier lui-même pour eux. Pour Jésus, on le sait, les deux plus grands commandements sont inséparables : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Dieu est d’abord et avant tout celui qui aime. Tout mouvement, tout commandement, toute prescription qui, sous couvert d’honorer Dieu, conduit à mépriser les hommes et à ne pas leur porter assistance, doit donc être considéré comme suspect. En réalité de tels mouvements honorent un dieu qui n’est pas celui de Jésus-Christ et qui n’est donc pas celui que nous voulons servir. Comment s’y retrouver ? Dans cette controverse avec les pharisiens, Jésus nous donne un moyen simple et clair pour distinguer un commandement venu de Dieu : est parole de Dieu, ce qui me met en route pour servir le prochain. 2- Le pur et l’impur Dans le judaïsme du premier siècle, la pureté obéit à deux sortes de règles : en premier lieu il faut se purifier des souillures éventuelles que l’on a pu contracter dans la vie quotidienne, entre autre si on a eu des contacts avec des non-Juifs, il faut se laver de ces souillures par des ablutions, ensuite il y a des règles très précises concernant la nourriture, mais nous n’avons pas le temps d’entrer maintenant dans le détail de ces prescriptions. Selon le Premier Testament, les rites de purifications ne concernaient que les prêtres d’Israël, au moment où ils étaient appelés à prendre leur service dans le tabernacle ou dans le temple. Il s’agissait de se présenter devant Dieu débarrassés de tout ce qui était indigne de lui, de tout ce qui n’était pas sacré. Mais les pharisiens ont pensé que Dieu serait encore mieux honoré si l’on appliquait ces règles de pureté non pas aux seuls prêtres, mais à tous les membres du peuple de Dieu dans tous les domaines de la vie quotidienne. Il faut reconnaître que cela partait d’une intention tout à fait honorable, à savoir que Dieu soit honoré au maximum et par l’ensemble de son peuple. Mais est-ce bien cela qu’attend de nous le Dieu de la Bible, celui dont Jésus est l’ambassadeur ? A entendre certains prophètes de l’Ancien Testament et surtout à voir comment Jésus s’est comporté à l’égard des personnes considérées comme impures, on a de fortes raisons d’en douter. Dieu ne réclame rien pour lui-même. Il ne demande pas qu’on lui apporte des offrandes dignes de lui, encore moins qu’on lui offre nos souffrances comme certains le proposent. Il n’attend pas de nous que nous lui présentions des sacrifices. En un mot Dieu ne fait valoir aucun des droits auxquels il pourrait prétendre sur ses sujets, comme les rois de jadis. Ce qui préoccupe le Dieu de Jésus, ce n’est pas lui même, c’est l’humanité. S’il se fait du souci, ce n’est pas pour lui-même, pour ce qui manquerait à sa gloire ou à son honneur, c’est pour nous les humains. S’il doit donc se passer quelque chose entre Dieu et nous, ce n’est pas par des rites, ni par ce que nous prétendons faire pour lui. C’est exactement le mouvement inverse : c’est lui qui nous appelle, lui qui nous adresse sa parole et qui espère que nous allons enfin l’écouter et la mettre en pratique dans nos relations avec les autres humains. Le reste, ce qui va de nous vers Dieu, ce sont des traditions humaines, comme dit Jésus. Et ces traditions sont quelquefois notre prétexte pour ne pas avoir à écouter l’appel de Dieu et pour ne pas nous laisser déranger dans nos habitudes de penser et de faire. Le pur dans la religion juive, c’est qui est censé être compatible avec la sainteté de Dieu, tandis que l’impur est incompatible. Dans cette perspective, aucune relation avec Dieu n’est possible pour la personne qui se trouve en état d’impureté. Elle ne peut pas aller au temple, elle ne peut pas prier, elle ne peut pas être sauvée. Jésus voit les choses tout autrement. Selon lui, ce qui rend les humains impurs, ce qui compromet leur relation avec Dieu, ce ne sont pas les éléments extérieurs comme le contact avec un païen, ou un malade, ou avec le sang, ou avec un cadavre, ce n’est pas non plus de manger telle ou telle nourriture. Ce qui nous rend vraiment impurs c’est ce que nous avons au fond de nous-mêmes et qui conditionne tout ce qui s’exprime de nous : les pensées, les gestes, les attitudes, la relation aux autres. Jésus dresse une longue liste de ce que lui considère comme des impuretés : intentions malveillantes, inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidité, etc. Vous remarquerez que toutes ces attitudes ne lèsent pas Dieu d’abord, mais les autres, ceux que la Bible appelle nos prochains. Les relations que nous avons avec les autres, des relations perverties par le mensonge, par la convoitise ou par la violence, voilà ce qui nous ferme la porte de Dieu. Cette opinion de Jésus prend le contre-pied de l’opinion officielle véhiculée par les religieux de son temps. Mais je suis tenté d’actualiser les propos de Jésus en les comparants au discours sécuritaire et xénophobe que certains tiennent aujourd’hui. Non ce ne sont pas les immigrés qui viennent de l’extérieur, quelle que soit leur provenance et quelle que soit la couleur de leur peau qui rendent une nation impure. Ce n’est même pas la présence de nouvelles minorités religieuses fussent-elles intégristes qui peut en soi la corrompre. Ce qui rend une nation impure, c’est la vision du monde qu’elle cherche à imposer aux autres, c’est le rapport de force économique dans lequel elle écrase les plus faible, c’est l’ingéniosité qu’elle déploie pour rendre les autres dépendante de sa technologie et pour s’assurer une rente pour l’avenir, c’est sa complaisance à maintenir des relations inégalitaires, c’est son refus de partager autre chose que quelques miettes tombées de son abondance. Jésus se refuse à établir une coupure entre pur et impur qui aboutit à diviser les humains dans des catégories étanches et à les couper de Dieu. Jésus veut rétablir tous les liens rompus. Il affirme qu’il n’y a pas de vraie relation avec Dieu si nos relations sont inexistantes avec les autres humains. Il n’y a pas d’amour de Dieu sans amour du prochain et cet amour ne peut pas être théorique : il passe inévitablement par des gestes concrets de partage et de solidarité. 3- Les lèvres et le cœur La troisième opposition que je relève dans ce récit et qui peut nous aider à vivre une vie chrétienne plus authentique est l’opposition entre les lèvres et le cœur. Elle se trouve dans la citation que Jésus fait des Écritures, tirée du très beau chapitre 29 d’Ésaïe. Les prophètes de la Bible, de même que les sages qui ont écrit le livre des Psaumes ou le livre des Proverbes, ont souvent dénoncé la forme de duplicité et même de méchanceté qu’il y a à tenir un discours qui ne correspond pas à ses pensées profondes. Ainsi le Ps 12 démasque « ceux qui ne prononcent que des calomnies, ceux dont les lèvres flattent, mais dont le cœur joue double jeu ». Le « cœur » dans la Bible n’est pas, comme dans notre compréhension actuelle, le siège des sentiments, mais plutôt celui de la personnalité profonde de l’être humain, là où réside son ambition, sa volonté, là où il prend ses décisions. Dans la Bible, on pourrait souvent traduire le mot « cœur » par « intelligence ». Le fait d’avoir un discours qui ne soit pas conforme avec ses pensées est déjà grave pour les prophètes lorsqu’il s’agit des relations humaines. A plus forte raison, dénoncent-ils cette duplicité lorsqu’il s’agit de la relation à Dieu. Le prophète Jérémie va exactement dans le même sens qu’Ésaïe et se plaint devant Dieu de l’attitude hypocrite de certains croyants : « Pourquoi le chemin des méchants les mène-t-il au succès ? Ton nom est toujours sur leurs lèvres, mais leur cœur est loin de toi. » (Jér 12.2) Du coup, le prophète Sophonie décrit le salut comme « le jour ou Dieu transformera les peuples, purifiera leurs lèvres : pour qu’ils puissent prier le Seigneur et lui rendre un culte d’un cœur unanime ». (Soph 3.9) Jésus va même plus loin que les prophètes de l’Ancien Testament en demandant carrément à ses disciples de se méfier de tous les signes extérieurs de religion. Vous vous souvenez, je pense, de son discours sur la montagne : « quand tu pries, va dans ta chambre ! Quand tu jeûnes, parfume ta tête et ne le fais pas savoir ! » Jésus place la barre très haut et formule une exigence très forte pour tous ceux qui veulent le suivre : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : ‹Seigneur, Seigneur›, qui entreront dans le Royaume des cieux, mais seulement ceux qui font ce que veut mon Père qui est dans les cieux. » Nous avons lu un extrait de la lettre de Jacques tout à l’heure. La tradition rapporte que Jacques était un frère de Jésus. Si c’est vrai qu’ils ont grandi sous le même toit, il est d’autant plus intéressant de constater à quel point Jacques se fait l’écho de l’exigence de Jésus. Dire que l’on croit en Dieu sans immédiatement mettre en pratique sa foi dans des gestes concrets de solidarité avec les plus faibles est une véritable insulte faite à Dieu. La religion pure et authentique ? Elle n’a rien à voir avec des interdits, elle n’a rien à voir avec la façon de prier, elle n’a rien à voir avec des renoncements ou des sacrifices : elle consiste pour Jacques à prendre soin des veuves et des orphelins. Vous trouvez cela trop banal, à la limite du trivial ? Vous auriez envie de sauter cette étape du prochain pour vous retrouver plus vite entre les bras du Seigneur ? Vous préféreriez d’autres critères pour mesurer l’authenticité de votre foi ? Je suis désolé, mes amis, mais sachez que le Dieu de Jésus-Christ ne peut pas être trouvé en dehors du prochain. Si, comme nous le montre Jésus, Dieu s’intéresse en priorité au sort des humains, alors il n’y a de religion authentique que celle qui consiste à changer de mentalité, à se laisser transformer par l’Esprit de Dieu et à traiter les humains comme Dieu le fait lui-même : avec droiture, en respectant leur liberté, leurs besoins, leur dignité, leur vie. Le Dieu de Jésus-Christ ne peut pas non plus être annoncé de façon authentique en dehors d’un réel souci pour le prochain. C’est pourquoi nous devons veiller à ce que notre témoignage chrétien passe aussi bien par les lèvres que par le cœur, par le témoignage et la prédication aussi bien que par l’engagement concret pour la guérison des blessés de la vie. Le Christ nous a fait l’honneur de nous appeler à le suivre sur un chemin de vérité et d’authenticité. Que sa parole et son Esprit nous gardent sur ce chemin étroit qui n’est pas le plus facile. Amen.