Textes : Ps 33 Ésaïe 53, v. 10 & 11Hébreux 4, v. 14 à 16 Marc 10, v. 35 à 45Pasteur Ariane MassotTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Ésaïe : Les deux versets sélectionnés pour ce dimanche font partie de ce qu’est parfois appelé le quatrième chant du serviteur. Les chapitres 40 à 55, appelés Second ésaïe, sont destinés à consoler les Judéens installés à Babylone depuis la chute de Jérusalem en 587/6 avant J.-C. Quatre poèmes de cet ensemble ont depuis la mort de Jésus attiré l’attention des chrétiens. On les appelle les « Chants du Serviteur ». Le serviteur mystérieux décrit dans ces poèmes partage de multiples traits avec Jésus, notamment sa souffrance et l’injustice qu’il subit. La citation d’ésaïe 53, 10-11 aujourd’hui a pour objectif de souligner que le chemin par la mort vers la vie pour tous, accompli par Jésus, est le chemin du Messie attendu. Ces versets ont certainement orienté les premiers chrétiens dans leur interprétation des évènements de Pâques. Hébreux : L’épître aux Hébreux est un traité sur le sens de la mort de Jésus et sur son rôle dans l’existence des croyants. La tradition n’a pas retenu un nom d’auteur, mais c’est une voix qui fait partie incontestablement de l’expression plurielle de la foi des premiers chrétiens. Le passage d’aujourd’hui, chapitre 4 vs 14 à 16, est emblématique pour tout l’épître : Jésus est le grand prêtre souverain qui en se livrant lui-même en sacrifice innocent rend obsolète tout autre forme de prêtrise. Pour éclairer ce petit passage, vous pouvez poursuivre la lecture jusqu’au chapitre 5, vs 10, ou lire encore le chapitre 8. Psaume 33 : Ce psaume mise en rime fait partie du cœur du répertoire « Réformé », la première strophe est pure louange. Pour une lecture en lien avec les autres textes de ce jour, je vois un intérêt particulier à citer les vss 16-17 « Le salut d’un roi n’est pas dans son armée, ni la victoire d’un guerrier dans sa force. Illusion que des chevaux pour la victoire : une armée ne donne pas le salut. » (traduction par l’équipe de la TOB, texte œcuménique, version liturgique). Le Serviteur souffrant, comme Jésus se sacrifiant, sera victorieux en vertu d’une autre logique que celle de ceux qui dominent les nations. Marc : Dimanche après dimanche, l’Évangile selon Marc se déroule devant nous. Le passage d’aujourd’hui suit immédiatement une annonce par Jésus de sa mort et de sa résurrection, passage qui ne fait pas partie de la lecture suivi de l’évangile de Marc. Dimanche dernier, la lecture prévue parla de l’homme riche qui voulait hériter la vie éternelle. La demande des fils de Zébédée peut être comprise comme une autre forme de la demande de l’homme riche. Les disciples ont déjà quitté toute leur richesse matérielle, mais nous voyons que cela ne les empêche pas de nourrir encore des ambitions mondaines pour le Royaume dont ils rêvent. Si Jean et Jacques s’expriment avec une franchise naïve, les dix autres sont prompts à s’imaginer supérieur à eux, ce qui oblige Jésus à s’expliquer encore d’avantage. Résumé de ce passage : le disciple subira le même sort que son Maître, les disciples devront prendre exemple sur lui dans leur manière d’être en relation avec d’autres, mais sur l’hiérarchie du Royaume, la seule chose sûre est que ce ne sera pas comme ici-bas. Les passages de Hébreux et d’ésaïe nous poussent à nous pencher maintenant plus particulièrement sur Marc 10, vs 45, la conclusion de Marc à cet échange entre Jésus et les Douze. Jésus est venu pour servir, d’où le rapprochement avec les chants du Serviteur en général. Puis il est venu pour donner sa vie en rançon pour beaucoup : il accomplit Es 53, 10 : « Tu as fait de lui un sacrifice de réparation » (NBS) « Daigne faire de lui un sacrifice d’expiation » (TOB). La grande question qui divise les théologiens est de savoir à qui la rançon a été payée. Une bonne introduction à la question du sacrifice se trouve dans les notes de la TOB à propos de l’épître aux Romains chapitre 3, vs 24-25. Davies et Allisson (Matthew, Volume III, ICC, T&T Clark, Edinburg 1997, p.100) repèrent les opinions suivantes au sujet du payement de la rançon :

  • payement à Dieu, selon Jean Damascène et Calvin,
  • payement au diable, selon Origène et Grégoire de Nysse,
  • payement à personne, donc en pure perte, selon Grégoire de Naziance et Abelard.

Les passages bibliques parlant du sacrifice du Christ ne permettent pas de trancher une fois pour toutes. Ce seront donc des critères pastoraux qui devront prendre le relais. Le Dieu qui exige une mort atroce de son Fils pour ensuite le réhabiliter en a dégouté plus d’un de la foi chrétienne, vous ferez probablement plus de mal que de bien en défendant cette image de Dieu dans votre prédication. L’idée de rançon pour beaucoup fait penser au prix à payer pour libérer des otages ou des esclaves. Si l’on veut libérer les esclaves du péché, il n’est pas sans logique d’imaginer que la rançon doit être payée au diable, mais le payement au diable suppose que le diable peut avoir une exigence auquel Dieu serait obligé de répondre, ce qui lui donne un statut au-dessus de Dieu, thèse pas très constructive. Reste le payement en pure perte, qui correspond probablement le mieux à la folie de la croix. On tire ainsi l’idée de rançon vers le registre sacrificiel, ce qui correspond bien au message de l’épître aux Hébreux. Le prédicateur va devoir concilier l’invitation de Jésus à suivre son exemple et l’affirmation de son statut de grand prêtre universel et inégalable. Il faut le suivre, mais pas pour s’imaginer siégeant à sa droite ni à sa gauche. Pour rester dans la lignée de Grégoire de Naziance (Cappadoce, 330 – 390), voici un hymne d’après lui, tiré du livre d’heurs d’En-Calcat, texte qui peut bien servir de prière de louange.O Christ, nous te bénissons, Verbe de Dieu, Lumière née de la Lumière ;tu es l’intendant fidèle qui nous donne l’Esprit sans mesure.Tu as façonné le visage du monde et la forme de sa beauté,tu as éclairé l’esprit de l’homme en lui donnant part à ta Sagesse.Tu as fait resplendir en notre cœur de chair l’image de ta clarté céleste ;tu veux que nous cherchions la splendeur de ta face, afin qu’en ta lumière nous voyons la lumière. A nous qui fuyons les ténèbres de la mort et qui marchons vers ta lumière,accorde nous de parvenir un jour à la clarté de ton Royaume.Bon dimanche !

Prédication

Quelle idée de vouloir siéger à la droite et à la gauche de Jésus dans sa gloire ! Alors, mais quelle idée ! Selon Marc, les deux frères ont fait leur demande ensemble. Selon Matthieu, c’est leur maman qui est venu voir Jésus pour lui demander cette faveur. Ambition personnelle des frères, ambition maternelle…ambition maternelle intériorisé par les fils ? En tout cas, leur demande est impossible. Juste avant le passage que nous venons de lire, Jésus disait : « Amen je vous les dis, il n’est personne qui n’ait quitté, à cause de moi et de l’Évangile, maisons, frères, sœurs, mère, père, enfants ou terres, et qui ne reçoive au centuple, dans le temps présent, maison, frères, sœurs, mères, enfants et terres – avec des persécutions – et, dans le monde qui vient, la vie éternelle. Beaucoup de premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers. » Marc 10, 29-31. Suit encore une annonce de sa mort et de sa résurrection, et voilà que deux disciples demandent de pouvoir occuper les places deux et trois, à côté des Celui qui est le premier et le dernier, l’Alpha et l’Omega tout en un. Voilà que les deux frères, Jacques et Jean, pensent déjà à l’après-résurrection, quand le Maître viendra dans sa gloire. Ils étaient bien naïfs, mais si l’histoire est rapportée, c’est aussi pour que les générations suivantes sachent en quoi on se lance, quand on met ses pas dans ceux de Jésus. Les persécutions qui accompagnent l’entrée du chrétien dans une nouvelle famille seront maintenant explicités : vous boirez la coupe que moi je bois. La vie éternelle dans le monde à venir ne suffit pas à l’ambition des fils de Zébédée, ils veulent avoir ce qu’ils croient être les meilleures places. Les motivations pour suivre Jésus ont pu être multiples chez chacun des ses disciples, mais ici nous voyons que suivre Jésus pour assouvir une ambition sociale a existé depuis le début de son ministère. Et cela n’a pas empêché Jésus de les accueillir comme disciples, lui qui connait les cœurs et sonde les reins. Jésus travaille avec les gens tels qu’ils sont, pour les emmener plus loin – heureusement pour nous. Sur qui va occuper quelle place dans le monde à venir, l’homme n’a aucune prise. Il n’y a pas lieu d’avoir des ambitions ni des rivalités : toi suis moi, et basta. Les deux frères évoluent dans un environnement fraternel. A la suite de Jésus ils ont reçu dix autres frères qui vont aussi réagir sur leur ambition : ils s’indignèrent. Qui sont-ils pour croire qu’ils sont les meilleurs parmi les Douze ? Bien sûr que ce ne soit pas eux, puisqu’ils manquent d’humilité ! C’est une perversion de l’humilité que de se croire supérieur car plus humble, ou moins ambitieux. Jésus coupe court à la rivalité entre disciples, comme il le fera à plusieurs reprises, selon les Évangiles. La rivalité entre frères est aussi vieux que l’histoire, pensez à Caïn et Abel, et je suppose que vous avez pu en faire l’expérience dans votre vie. Que ce soit pour avoir les faveurs de la maman ou de la maîtresse de maternelle, chaque enfant développe sa propre stratégie avec plus ou moins de succès, et même si on laisse la préférence à l’autre, cela peut encore être une stratégie pour obtenir un bénéfice moral. Devenir véritablement équitable est un long chemin. Accéder à l’humilité véritable, accéder à une fierté sans orgueil, est le travail de tout une vie : travail de l’Esprit Saint en nous, mais qui demande notre bonne volonté. Que ce soit pour nous opposer à nos parents ou pour les plaire, l’entrée en Église est encore aujourd’hui souvent marquée par l’histoire de notre famille. Dans certaines familles il est bien vu de participer à la vie de l’Église, dans d’autres on y voit une tentative de chercher à occuper une bonne place dans le monde à venir. On accepte une appartenance sociologique, mais on condamne une implication personnelle dans le témoignage de la foi. D’autres familles encore se sentent trahis par le fils ou la fille qui s’écarte de la tradition familiale. Il faut du courage pour faire face au mépris de ces proches pour un engagement explicite à la suite de Jésus. Jésus sait que ce n’est pas simple, il a vécu lui-même la tension entre le commandement d’honorer son père et sa mère et l’impossibilité de plaire en tout à ses proches quand on veut suivre sa vocation. Et pourquoi donc risquer sa vie familiale et sociale à la suite de Jésus ? Jésus a donné sa vie en rançon pour une multitude, pour beaucoup, voire pour tous. La multitude est libérée des chaînes du péché à cause du sacrifice d’un seul. A cause du Serviteur unique, l’Innocent qui s’est livré lui-même, nous avons libre accès auprès de Dieu. La mort est venue dans le monde à cause du péché d’Adam, le salut cosmique annoncé par Ésaïe est advenu à cause du don de lui-même du nouvel Adam, Fils de l’Homme, fils du ciel et de la terre. En Jésus, le monde à venir est advenu. C’est vrai et il n’y pas à en douter. La question qui demeure est : comment le rejoindre, lui et ce monde ? Comment accéder au Royaume ? Il est bien établi que hiérarchie au Royaume est un sujet qui nous dépasse infiniment, et qu’il n’y a pas lieu de s’y intéresser. Mais la question de comment trouver le chemin du Royaume reste importante. Une réponse courante est : vous y accédez par la foi, et cela aussi est vrai et il n’y a pas à en douter. Je ne sais pas comment c’est pour vous, mais personnellement j’ai trouvé cette réponse un peu courte, quand j’ai compris que mon pasteur n’avait rien d’autre à ajouter. Cette réponse ne me disait rien tant qu’il n’y avait pas une expérience qui lui donnait du goût. L’expérience de la foi n’est pas disponible en sachet, ni en brique, ni même en bouteille. L’expérience de la foi demande que vous vous mettiez en route, intérieurement et physiquement. Il faut ouvrir sa Bible et lire. Il faut se laisser travailler par l’expérience de la foi des générations qui ont rédigé les Écritures. Il faut se laisser travailler par les paroles de Jésus, appliquer ses commandements comme on peut, essayer de comprendre de l’intérieur ce qui a bien pu se passer en ce temps-là, loin de chez nous, en Palestine. Il faut s’ouvrir aux mots qui nous viennent de loin et écouter l’écho qu’ils font en nous, puis écouter l’écho de l’écho des mots. Puis, quand notre oreille s’est exercée, parfois, tout d’un coup, il y a une Parole qui se donne à entendre, une voix de fin silence, et c’est cette voix qui vous touchera au cœur et qui vous donnera l’assurance indélébile que le Royaume est là, au milieu de nous, et que personne ne pourra vous le ravir. Que cela n’a aucune importance de savoir sur quel siège on sera assis, parce que là-bas, c’est la fête, on y danse, on y chante, on y est vivant tout simplement. Puis il faut oser s’enraciner dans ce terreau-là, dans ce terroir loin de nos racines familiales, pour découvrir d’autres parentés, d’autres solidarités, d’autres manières de voir la vie et le monde. Je dis « il faut ». C’est bien sûr comme vous voulez. J’essaie juste d’indiquer un chemin. Un chemin du monde à venir, un chemin parmi d’autres. Mais croyez-moi, il en vaut la peine. Nul ne peut suivre Jésus de sa propre volonté ni de sa propre force – mais si on en a reçu le désir, il est possible de faire un bout de chemin. Il est possible de se laisser rencontrer. Vous verrez bien ce qui se passe. Bonne route !