Textes : Ps 16 Daniel 12, v. 1 à 3Hébreux 10, v. 11 à 18 Marc 13, v. 24 à 32Pasteur Flemming Fleinert-JensenTélécharger le document au complet

Notes bibliques

« Il y a trois règles pour écrire un bon roman. Mais personne ne les connaît ». Cette boutade de l’écrivain anglais Somerset Maugham (1874-1965) vaut aussi pour ceux qui cherchent à rédiger une bonne prédication. Il n’empêche que la première question qu’un prédicateur doit se poser en quittant la chaire ou le lutrin est la suivante : est-ce que j’ai pu intéresser mes auditeurs ? Bien sûr, la réponse ne dépend pas uniquement de la prestation du prédicateur. Elle est aussi liée à la réceptivité de chacun des auditeurs, aux circonstances, etc., mais quelle que soit la situation, on peut être sûr qu’une prédication qui se limite à quelques lieux communs sur la vie humaine et à un cumul d’affirmations théologiquement et bibliquement correctes ne suscitera pas un intérêt particulier. Il est impossible de dissocier le prédicateur du message qu’il livre – et souvent ce qui reste après une prédication est plutôt une impression générale du prédicateur qu’un souvenir précis de ce qu’il a dit – mais précisons d’emblée que ce n’est pas au prédicateur de se rendre intéressant. Certes, il n’a pas à s’effacer dans une neutralité désarmante, mais il doit garder une certaine discrétion dans sa manière de parler, afin de ne pas s’interposer entre le message et les auditeurs. Ce message qui se situe entre le prédicateur et les destinataires comme un véritable inter-esse (en latin « un être entre »), le seul objet d’intérêt. Tout prédicateur rêve de pouvoir intégrer l’ensemble des textes du jour dans sa prédication. Les Juifs ont même un nom spécial (hariza) pour un sermon qui englobe les trois parties de ce qu’ils appellent le tanakh : la Torah, les prophètes et les autres écrits. Or cet exercice n’est pas toujours aisé. Il risque même de devenir artificiel, si les thèmes qui structurent chaque texte sont trop éloignés les uns des autres. Pour ce qui concerne les trois textes indiqués, le thème de la fin des temps relie le début de Daniel 12 avec le récit de Marc 13, alors que les explications hautement théologiques de He 10 sur le pardon des péchés à la suite du sacrifice unique du Christ semblent relever d’une autre problématique. Il faudrait en tout cas beaucoup de doigté pour actualiser ce passage.Baser une prédication sur Dn 12, 1-3 semble aussi mission presque impossible. L’intérêt principal de ce texte se trouve dans le verset 2 qui parle de la résurrection des morts (le seul endroit explicite dans l’Ancien Testament, cf. plus tard 2 Maccabées 7, 9) et du jugement dernier qui fera une séparation entre ceux qui auront la vie éternelle et ceux qui se perdront. A ce titre le texte revêt une grande importance et il serait normal d’en parler brièvement sous forme d’une information historique, mais le texte de Marc ne parle ni de la résurrection des morts ni, expressément, du jugement dernier.Le résultat de ces considérations est que le prédicateur a intérêt à se concentrer sur Mc 13, 24-32 qui est divisé en deux parties : la première traite de la venue ou de la parousie du Fils de l’homme, la seconde rapporte la parabole du figuier.La venue du Fils de l’hommeCe passage termine ce qu’on appelle souvent « la petite apocalypse synoptique » qui décrit la grande détresse de la fin des temps et qui met en garde contre les illusions provoquées par des faux prophètes et des faux Messies/Christs. Il se trouve chez Matthieu, Marc et Luc et la concordance montre un nombre considérable de phrases identiques, surtout chez Marc et Matthieu. Environ la moitié du texte est composée de citations de l’Ancien Testament.v. 24-25 : ces deux versets reproduisent essentiellement ésaïe 13, 10 (mais dans une autre version que celle de la traduction grecque de la Septante [LXX]) qui parle du châtiment de Babylone. Nous sommes là dans la première moitié du VIe siècle av. J-C, et donc bien loin du ésaïe historique qui vivait au VIIIe siècle. Il s’agit du jour du Seigneur, le jour de « son ardente colère » (Es 13, 13) qui réservera un sort terrible à la population babylonienne. L’instrument de cette punition sera les Mèdes, un peuple iranien qui fut ensuite vaincu par les Perses. Chez les synoptiques, ce contexte historique a complètement disparu. Seuls comptent les mots qui, de façon isolée, renvoient à une catastrophe cosmique qui amènera le même chaos et les mêmes ténèbres qui régnaient avant la création du monde. – Cet usage non historique de citations bibliques est typique du Nouveau Testament dans son ensemble, mais impraticable aujourd’hui étant donné nos règles d’interprétation (à moins de retomber dans ce qu’on pourrait appeler un « fondamentalisme herméneutique »).v. 26 : Le Fils de l’homme est un terme juif qui a une longue histoire (voir les dictionnaires bibliques ou l’index de la Nouvelle Bible Segond). Très fréquent dans les évangiles, il est utilisé sous trois angles chez les synoptiques : en lien avec la souffrance du Christ, pour désigner celui qui a autorité sur la terre et pour désigner le Messie qui vient (probablement l’usage le plus ancien). Quant au dernier point, les spécialistes sont divisés sur la question de savoir si Jésus pensait à lui-même ou à une autre figure. En tout cas, dans notre texte nous sommes en pleine apocalyptique juive, ce dont témoignent d’autres écrits juifs plus ou moins contemporains qui n’ont pas été intégrés dans le canon biblique (par ex. 1 Hénoch et 4 Esdras). La citation du verset 26 renvoie au prophète Daniel : « Je contemplais dans les visions de la nuit : Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien (Dieu) et fut conduit à sa présence. A lui furent conférés empire, honneur et royaume, et tous les peuples, nations et langues le servirent » (Dn 7, 13-14). Curieusement, un peu plus loin le Fils d’homme est interprété de façon collective : il s’agit en effet du « peuple des saints du Très-Haut » (Dn 7, 27) et non d’une figure individuelle. La vision a lieu la nuit – le thème de la ténèbre est donc toujours présent – et la mention des nuées fait penser à Dieu qui se cachait dans la colonne de nuée (Ex 13, 21) ou dans la nuée qui remplissait la tente de la rencontre (Ex 40, 34) ou le temple de Jérusalem (1 R 8, 10). Il n’y a pas de doute que les évangélistes ont identifié le Christ avec ce Fils d’homme et selon Mc 14, 62, Jésus se réfère à Dn 7, 13 pour répondre à la question du Grand Prêtre : « Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? » (par contre Paul ne parle jamais du Fils de l’homme), mais il faut noter qu’aucun auteur néotestamentaire ne parle du retour du Christ, mais de sa venue ou de son avènement (cf. la prédication ci-jointe). Par ailleurs, chez dans les évangiles, le terme parousie n’est utilisé que chez Matthieu (quatre fois dans le ch. 24).v. 27 : avec ses allusions plus ou moins précises à des passages de l’Ancien Testament, ce verset reste dans le style apocalyptique. Par l’intermédiaire des anges, le Fils d’homme rassemblera les élus de partout, du ciel comme de la terre, ce qui fait penser aussi bien aux morts qu’aux vivants. Qui sont ces élus ? Le texte n’en dit rien (le v. 20 parle « des élus qu’il a choisis »), de même qu’il ne dit rien sur le sort de ceux qui ne sont pas élus. On remarquera aussi l’absence de scène de jugement semblable à celle de Mt 25.La parabole du figuierv. 28-29 : Le parallélisme mot pour mot entre Marc et Matthieu est frappant. Comme à d’autres endroits, il suggère deux explications : ou bien les évangélistes ont puisé dans une source plus ancienne qui leur était commune, ou bien Matthieu a recopié le texte de Marc. Dans le contexte, la reprise du figuier au printemps est un rappel de l’arrivée de tous les événements bouleversants dont parle le ch. 13, mais ces deux versets paraissent néanmoins comme une incise qui rompt le rythme du récit. Celui-ci pourrait très bien continuer avec le verset 30. Ailleurs, par ex. Joël 2, 20, le reverdissement du figuier et ses fruits sont compris comme des signes du salut et non de la détresse (la plupart des autres arbres en Israël ont des feuilles persistantes). Dans ce cas, il faudra plutôt se réjouir : le Messie est à la porte, cf. Ap. 3, 20 : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je prendrai la cène avec lui et lui avec moi ».

Prédication

« Mais c’est de la pure mythologie ! Des éclipses astronomiques, des astres qui tombent du firmament, une figure céleste qui apparaît tout à coup, des ténèbres qui cèdent à la lumière et des anges qui remplissent l’air en cherchant ceux qui sont promis à la félicité éternelle. Comment se fait-il que vous puissiez encore attacher de l’importance à ces textes d’un autre temps et même prêcher là-dessus ? » On peut comprendre une telle réaction et, de toute façon, elle nécessite une réponse. Un fondamentaliste répondrait qu’il s’agit d’une prophétie qu’il faut prendre au pied de la lettre. Un jour tout cela s’accomplira tel qu’il est décrit. Or, entre cette réponse et la question initiale, aucun dialogue n’est possible. Ce sont deux positions diamétralement opposées qui ont cependant ceci en commun qu’elles oublient la dimension de l’histoire. Sans cette dimension, il est impossible de parler ensemble. L’histoire est le pont qui relie les contemporains avec le passé et qui permet la circulation entre une génération donnée et les générations antérieures. Le premier élément d’une réponse consistera donc en une explication de texte permettant de situer les termes utilisés et les représentations correspondantes dans leur contexte historique marqué par la pensée juive. C’est un travail essentiellement basé sur une connaissance des sources disponibles. Le deuxième élément d’une réponse renvoie à la tradition de l’Église. Ces textes ont été rédigés dans la dernière moitié du premier siècle de notre ère et depuis, ils ont été lus et étudiés au sein de l’Église jusqu’à aujourd’hui. Cet usage séculaire leur donne une autorité et un intérêt qui devraient empêcher les voix critiques de les écarter comme quantité négligeable. Le troisième élément d’une réponse, qui ouvre sur un vaste champ d’application, fait valoir qu’il est impossible de lire un texte sans l’interpréter. Celui qui parle de la pure mythologie ne se rend pas compte qu’en disant cela, il interprète déjà le texte : il sous-entend qu’il faut le comprendre littéralement, car sinon il n’aurait pas de sens. Mais c’est oublier qu’aucune lecture ne peut monopoliser le sens d’un texte. La tradition juive est à cet égard un excellent maître. Un exemple : on raconte qu’un jeune homme s’adressa à un rabbin pour lui demander le sens d’un verset de la Torah. à sa grande surprise, le rabbin lui demanda de rentrer chez lui et de lui trouver non pas une seule, mais soixante-dix interprétations différentes du verset en question. Après avoir longtemps étudié le problème, le jeune homme retourna chez le rabbin avec soixante-dix interprétations différentes. « Très bien, dit celui-ci, trouve-moi maintenant la soixante et onzième ». Cette histoire montre que le sens d’un texte ne se limite pas à celui que son auteur lui a donné. Plus un texte est riche, plus il est ouvert à des éclairages différents, plus il est évocateur. Cette règle est valable pour toute littérature et la littérature biblique n’y échappe pas. La preuve en est aussi l’histoire des interprétations bibliques. Si on étudiait le texte pour aujourd’hui sous cet angle, on serait étonné de voir les différentes manières dont il a été compris au cours des siècles. Le troisième élément d’une réponse se résume ainsi en trois mots : interpréter, interpréter, interpréter. Il existe bien sûr des interprétations fantaisistes qui instrumentalisent les textes pour qu’ils illustrent les idées personnelles de l’interprète, mais toute interprétation qui s’élève au-dessus de l’instrumentalisation et qui souhaite rester solidaire avec le texte a le droit d’être prise au sérieux. Être solidaire avec le texte biblique veut aussi dire être solidaire avec la tradition de l’Église. Non pas qu’il faille absolument souscrire à tout ce que la tradition ou plutôt les traditions ont apporté. En revanche, on serait bien inspiré de respecter ce que la Tradition, avec une majuscule, a défini comme l’élémentaire chrétien. Les confessions de foi classiques en sont des exemples naturels et il se trouve qu’elles parlent, comme notre texte, de la venue du Christ dans la gloire. Essayons brièvement de décrypter cette idée. La foi chrétienne est pascale ou elle n’est pas : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi votre foi » (1 Co 15, 14). Dans cette prédication, notre tâche n’est pas de commenter cette affirmation, mais de la prendre comme point de départ. C’est en effet la conviction du Nouveau Testament que le Christ est vivant auprès de Dieu, que la mort ne l’a pas séparé de Dieu. Cette conviction trouve sa prolongation dans une autre : que le croyant est destiné à rencontrer le Christ ressuscité, car celui-ci viendra de nouveau, mais pas comme la première fois. Cette dernière observation explique pourquoi le Nouveau Testament ne parle nulle part du retour mais de la venue ou de l’avènement du Christ. C’est à la fois le même et pas le même qui viendra, comme c’était à la fois le même et pas le même qui apparut aux disciples après Pâques. C’est pourquoi ils ne le reconnaissaient pas tout de suite. De même, ce ne sera pas le Jésus historique qui viendra. Son corps terrestre a disparu et ne reviendra pas. Le Christ ou le Messie attendu sera autre – mais c’est grâce à Jésus de Nazareth que nous le reconnaîtrons. Cette pointe est importante pour le dialogue avec les juifs. Eux aussi attendent le Messie, mais ils refusent normalement de définir de façon précise le contenu de cette attente qui peut prendre plusieurs formes. Certes, contrairement aux chrétiens, ils ne mettent pas le Messie en relation avec Jésus, mais nous avons néanmoins l’attente messianique en commun. Et les juifs peuvent nous apprendre à ne pas trop spécifier cette attente. Elle reste réelle, mais ses contours sont indéfinissables. Elle représente plutôt une direction de la pensée qui comporte la conviction que la communion avec la parole de Dieu qui, pour les chrétiens, prit chair en Jésus, ne cessera jamais et qu’un jour, elle trouvera son plein accomplissement. Comprise de cette manière, l’attente messianique ne dépend plus des représentations apocalyptiques de l’époque biblique et revêt un caractère moins spécifique. Elle n’est pas liée à des événements historiques précis, mais plutôt à l’expérience universelle de la finitude de l’existence. Elle ne présuppose pas la fin des temps, mais la fin d’un temps et plus particulièrement la fin de mon temps. à travers l’histoire, les guerres, les famines, les tremblements de terre et autres choses dont parle justement Marc ch. 13 n’ont pas cessé, sans que pour autant l’ordre cosmique soit ébranlé. Si ces événements sont des signes précurseurs, ils ne préludent pas à la fin du monde, mais à la mort qui attend tout être humain, et si l’on se bat pour empêcher les guerres et les famines, on sait pertinemment que la mort que celles-ci provoquent ne sera que reportée. Il s’ensuit qu’aucune catastrophe, aucune barbarie ne peut être identifiée aux événements bouleversants dont parlent les récits apocalyptiques, y compris l’étrange Apocalypse. La tentation d’une telle identification existe toujours – on l’a vu par exemple dans la manière dont certains milieux ont compris la date du 11 septembre – mais elle relève de la spéculation religieuse qui ne peut qu’égarer les esprits. L’évangile chrétien ne se livre pas à une lecture du cours de l’histoire en détectant la volonté de Dieu dans tel ou tel événement. Il donne confiance en l’avenir, quelle que soit la forme de celui-ci. Cette confiance ne se confond pas avec un optimisme béat, car le côté tragique de la vie ne se laisse pas ignorer. Elle n’est pas enracinée dans la vie en tant que telle, mais dans une Parole de vie qui dépasse la vie. Pour la foi chrétienne, cette Parole fut incarnée dans la personne de Jésus et elle restera liée à lui au-delà de la mort. Le jour où mon histoire personnelle prendra fin, la Parole sera toujours là et c’est mon espérance qu’elle me porte à travers la mort irréversible jusqu’à Celui qui m’a appelé à l’écouter et à la suivre.