Textes : 1 Rois 1, v. 1 à 37 Ps 67 Actes 15, v. 1 à 29Apocalypse 21, v. 10 à 23 Jean 14, v. 23 à 29Pasteur Jan-Albert RoetmanTélécharger le document au complet

Notes bibliques

1. Au seuil de la communauté johannique Pour aborder la narration johannique, il est nécessaire d’abord de brosser le contexte historique qui construit son arrière-plan. Premièrement, l’évangile de Jean affronte très directement la question posée par l’absence de Jésus. Pour cette raison, Jean propose un véritable travail de deuil en mettant au cœur de son Évangile un grand discours d’adieux (chapitres 13-17). A l’image d’un sage réunissant ses disciples, le Christ leur confie ses dernières volontés et en profite pour rappeler l’essentiel de son message. La préoccupation centrale se résume ainsi : comment celui qui quitte les siens revient-il au milieu d’eux ? (J. Zumstein, « Mémoire et relecture pascale dans l’Évangile de Jean », in : Miettes exégétiques, Genève, Labor et Fides, 1991, p.304) Le Paraclet, le Défenseur, l’Esprit-Saint est alors thématisé pour signifier une autre modalité de présence de Christ sans que soient niée son absence. Grâce à l’événement de Pâques, qui accueille la finitude et la mort dans une vie nouvelle avec le Christ, l’évangile de Jean atteste désormais qu’il reste possible, après Pâques, de « demeurer » en communion avec le Christ en demeurant dans la foi et en gardant ses paroles. Son absence ouvre sur une présence nouvelle, grâce à l’Esprit- Saint. Il faut noter aussi la crise que traverse la communauté johannique à la fin du premier siècle, composée des chrétiens issus du judaïsme. Exclus de la synagogue, ils éprouvent ce rejet comme une profonde blessure de leur identité. Déjà marginalisés sur le plan social, familial et religieux, ces exclus de la synagogue doivent en même temps subir les tracasseries du pouvoir impérial, accompagnées par des persécutions locales. Cet arrière-plan explique le ton « consolateur » du discours d’adieux de Jésus devant une communauté en proie à des doutes et à des découragements : je ne vous laisserai pas orphelins – c’est le défenseur que le Père enverra en mon nom – je vous laisse la paix, je vous donne ma paix – que votre cœur ne se trouble pas et ne cède pas à la lâcheté. Menacé de la tentation d’abandonner la foi en Jésus, l’Évangile de Jean insiste sans cesse sur le « aimez-vous les uns les autres » qui vise à tisser une vie communautaire. De là vient donc l’appel inlassable de demeurer en Christ en gardant ses paroles. 2. Demeurer et aimer Les verbes « aimer » (agapan) et « demeurer » (menein) forment les deux poumons de l’Évangile de Jean. De manière plus globale, dans l’évangile de Jean et les Épîtres johanniques nous trouvons 66 fois agapan pour 67 fois, et 28 fois agapè pour 86 fois dans le reste du Nouveau Testament. Déjà dès le début de son discours d’adieu Jésus déclare : Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous devez vous aussi vous aimer les uns les autres. Si vous avez l’amour les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples (Jean 13, 34-35). Cet amour fraternel est très lié au fait de demeurer dans le Fils qui lui-même demeure dans le Père : Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimé : demeure dans mon amour. Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon père, je demeure dans son amour (Jean 15, 12). Ces mêmes connections, on les retrouve au chapitre 14. Celui qui aime le Christ et son Père est celui qui garde ses commandements et c’est auprès de celui-là que le Père et le Christ (nous) feront leur demeure : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure auprès de lui (Jean 14, 23). Le message est clair : aimer permet de demeurer, et demeurer permet d’aimer. Le Christ prend sa demeure en celui qui l’aime et garde sa parole. Et l’inverse est vrai aussi : celui qui aime le Christ et garde sa parole demeurera sans son amour. La boucle est bouclée. Une vraie dynamique d’amour, un vrai effet en chaîne, se met en place entre l’amour du disciple, l’amour du Fils et l’amour du Père et tout cela animé par l’Esprit-Saint pour que l’Église ne se sente et ne soit pas orpheline mais nourrie d’une communion vivante et aimante. 3. Principe de réciprocité « Moi je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14, 11) ». « En ce jour là, vous saurez que, moi, je suis dans mon Père, comme vous en moi, et moi en vous » (Jean 14, 20). Deux phrases qui rappellent qu’en Dieu il y a une communauté relationnelle et une inhabitation réciproque. Ce va-et-vient entre le Père et le Fils et entre le Fils et les disciples, animé par l’Esprit, sera formulé dans les premiers dogmes de l’Église comme une périchorèse trinitaire. Ceci pour dire que dans le Dieu trinitaire il y a la réciprocité et l’échange de l’amour. Cette conviction théologique rejoint l’intuition qu’il n’y a pas de vie isolée. Les êtres vivants, vivent, chacun à sa façon spécifique, les uns dans les autres, les uns avec les autres, les uns des autres, et pour les autres, apparentée par l’intérieur. 4. Temple du ChristLa demeure de Dieu auprès de son peuple se situe par excellence dans le Temple ou dans le Sanctuaire. La lecture du livre de Lévitique en témoigne. Quand le peuple est en marche, le Sanctuaire se trouve en son milieu pour signifier la Présence de Dieu au sein du peuple et l’enseignement de la Thora.Paul dans son Épître aux Corinthiens déplace la demeure de Dieu, dans la lignée johannique, au sein de la communauté de l’Église : « vous êtes le temple de Dieu ». Ceci pour rappeler que l’Église est avant tout une communauté vivante en qui le Christ demeure. Cette demeure du Christ dans la communion des fidèles se manifeste par l’amour fraternel et par la présence de sa Parole annoncée, écoutée et gardée intérieurement. Garder la Parole de celui ou de celle qu’on aime représente plus qu’une simple mémorisation. Cette Parole intériorisée évoque en même temps la présence de la personne qu’on aime. Elle est la modalité de sa présence. Bibliographie : Lire et dire N° 8, 1991/2 Par Charles Leplattenier

Prédication

(ou pistes pour la prédication) Frères et sœurs en Jésus Christ, Souvent une question peut en cacher une autre. Que faut-il entendre derrière cette question posée par Judas, non pas l’Iscariote ? Que faut-il entendre derrière cette question au moment où Jésus annonce sa disparition dans un grand discours d’adieux qui prend l’allure d’un Testament pour dire ses dernières volontés ? Que faut-il entendre ce dimanche qui précède le jour de l’Ascension jeudi prochain ? Que faut-il entendre quand Judas dit : Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non au monde ? Bien sûr, il y cette notion que le Christ doit disparaître pour que les disciples assument leur propre vocation et leur propre responsabilité. Il est vrai que la volonté du Christ est l’émergence de chaque homme et chaque femme. Pour que cela advienne, il faut qu’il se retire. Mais il y a encore autre chose. Derrière la question de Jude nous entendons une inquiétude. Comment se fait-il que la lumière de Pâques ne brille pas partout dans le monde ? Comment se fait-il que notre monde doit encore porter ses souffrances, ses injustices, ses déchirures ? Comment penser le lien entre l’Église et le monde… ? Y a-t-il un « nous » ici et un « eux » là-bas ? Derrière la question de Judas se cache l’inquiétude de l’Église johannique, habitée par un fort sentiment de vivre entre deux mondes, entre l’absence et la présence du Christ, entre la promesse de la venue de l’Esprit-saint et les injustices, voire persécutions, qui perdurent et se multiplient. Une Église qui se sent tout d’un coup orpheline, en recherche d’une maison, d’une demeure, en quête de repères. *** L’Évangile de ce matin vient à la rencontre de cette inquiétude qui est en même la nôtre. Nous sommes frappés par le langage-consolateur de Jésus dans cette page d’Évangile : Je ne vous laisserai pas orphelins – c’est le défenseur que le père enverra en mon nom – je vous laisse la paix, je vous donne ma paix – que votre cœur ne se trouble pas et ne cède pas à la lâcheté- mon père et moi, nous viendrons à toi pour prendre notre demeure auprès de toi… Tout l’Évangile se mobilise pour relever la tristesse, pour porter le chagrin, pour ouvrir sur l’espérance, pour mettre debout. Par une multitude de paroles profondes, l’Évangile nous dit sans cesse : courage-courage-restez ensemble, ne te prives jamais de la joie promise ! Et surtout : restez ensemble, rester en lien les uns avec les autres, les uns des autres, et pour les autres. Car ceci est bien le sens de la demeure de Dieu parmi les hommes. Si Dieu veut prendre sa demeure auprès de toi, auprès de nous, c’est bien pour que nous restions liés par un lien d’amour fraternel. Le grand dogme de la trinité, c’est-à-dire, cette distinction entre les manières employées par Dieu pour se tourner vers nous, en tant que Père, Fils et Saint-Esprit, ne vise que ça. C’est à dire, que notre vie ne s’enferme pas, qu’elle garde toutes les fenêtres ouvertes pour se mettre en communion avec les uns et les autres, et avec la création toute entière, au sein du monde. Le Père et le Fils prennent leur demeure auprès de tous celles et ceux qui gardent sa Parole. Et c’est justement par et grâce à cette parole que le Christ ressuscité affirme sa présence. C’est l’écoute à la Parole du Christ, vivifiée par l’Esprit-saint que Dieu affirme sa présence, comme autrefois quand il prenait sa demeure dans le sanctuaire, dans le temple de Jérusalem pour vivre près de son peuple. *** S’il est vrai que la communion avec le Christ ressuscité se vit au rythme de la Parole écoutée et dans un lien d’amour, appropriée par une vie intérieure, cela ne nous dispense pas d’être dans le monde et d’entendre l’exhortation et l’appel de l’apôtre Paul d’être le temple, la demeure de Dieu, d’être ce lieu qui accueille la présence de Dieu au sein du monde pour y être son témoin. « Vous êtes le temple, la demeure de Dieu » Là où vous qui êtes en communauté vivante, habités par le Christ. Là où vous vous laissez appeler à vous mettre en route sur les pas du Christ, pour être un signe vivant de sa présence au milieu des hommes, pour leur annoncer et enseigner l’Évangile. Qu’on ne se trompe pas ! Être le temple de Dieu, ce lieu où Dieu peut prendre sa demeure, ne signifie pas que nous sommes appelés à vivre notre foi dans les lieux et des moments sacrés, coupés du monde, mis à part. Justement, la réponse à Judas, nos pas l’Iscariote renvoie au monde, dans le monde. Il n’y pas de séparation entre nous et le monde. Le Christ se manifeste au sein du monde par son Église vivante qui garde sa parole et la vit dans une communion d’amour. L’appel d’être le temple de Dieu nous renvoie au contraire à combattre toute forme de sacralisation, toute forme de fanatisme religieux, tout enthousiasme destructeur, qui cherche la consécration de l’homme ou de ses idéologies. Le fondement de la demeure de Dieu reste Jésus-Christ. Non pas vous devez, ou, devenez, ou devriez être le temple de Dieu, non, vous l’êtes déjà. C’est une certitude, une grâce, un don, un appel pour vivre la présence du ressuscité au sein du monde. Si Dieu veut prendre sa demeure en nous, c’est bien pour qu’Il puisse être présent au monde par sa Parole écoutée et annoncée et par son Esprit. Oui, c’est bien grâce à l’Esprit du Christ que nous serons capables de vivre une communion d’amour dans laquelle la Parole de Dieu peut prendre sa demeure et s’enraciner dans nos cœurs. Amen.