Textes : 1 Thessaloniciens 4, v. 13 à 18 Luc 24, v. 33 à 53Pasteur Emmanuelle SeyboldtTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Le texte proposé commence de manière un peu étrange à la fin du récit du chemin d’Emmaüs. Mais bien sûr, les deux récits sont liés par « comme ils disaient cela, … ». Comme les disciples sont en train de raconter qu’ils ont cheminé avec le Christ, celui-là est présent au milieu d’eux. v.36 : Il ne faut pas essayer de calculer à quelle heure les disciples sont revenus d’Emmaüs… ce n’est pas la question. Jésus se présente au milieu de ses disciples (les onze et d’autres) et les salue de manière traditionnelle. Mais cette « tradition » explose en un sens bien plus fort. C’est celui qui a vaincu la mort qui donne sa paix. v.37 : Pourtant, cette phrase ne suffit pas à rendre les disciples paisibles, bien au contraire, ils sont morts de peur ! v.38-43 : La notion « d’esprit » (ou de fantôme) est étrangère au monde juif. Luc parle ici pour des lecteurs grecs pour qui la dualité corps-esprit existe. Pour les Juifs, la résurrection implique le corps, ne peut pas se faire sans le corps. Aussi le texte insiste lourdement sur le corps de Jésus, à reconnaître, à toucher, et qui mange ! Il n’y a pas de résurrection hors du corps. v.41 : Un palier dans le cheminement des disciples, ce moment de « non-foi » dans la joie, comme si les émotions, certes nécessaires à l’éclosion de la foi, ne suffisaient pas et devaient s’ajouter à un travail en profondeur sur les textes bibliques. v.44-47 : C’est ce que fait ensuite Jésus. Il reprend les Écritures et les interprète à la lumière de sa propre vie. Jésus vient donner sens à la Bible. C’est une véritable récapitulation qui a lieu ici, une formulation très condensée du message évangélique. Le Christ a été véritablement homme, il a véritablement souffert, il est vraiment ressuscité pour que tous les hommes se repentent et reçoivent le pardon. De cette incarnation, les disciples sont les témoins. v.48-49 : Mais pour passer du témoin visuel au témoin « témoignant », il faut aux disciples le don de l’Esprit que Jésus promet de la part du Père. v.50-53 : La séparation d’avec Jésus se fait dans la discrétion et la joie. Si l’on regarde bien l’ensemble du chapitre 24, on se trouve toujours dans le jour de la résurrection dont la lumière s’est levée avec les femmes au tombeau. Le temps est complètement ouvert, il n’a plus d’importance depuis la résurrection. Le récit finit dans le temple, là-même où il a commencé.

Prédication

Voici donc comment l’Évangile de Luc nous raconte les derniers instants de Jésus avec ses disciples, avant ce que l’on appelle communément l’Ascension. Il vient à la suite du retour des disciples d’Emmaüs. Je voudrais relever au fil de la lecture, quatre mots dans ce récit : la peur, être témoin, la bénédiction et enfin l’absence. 1 – la peur Jésus se présente devant ses disciples. Ils sont effrayés, ils ont peur. On pourrait même dire, ils sont morts de peur. Vous connaissez sans doute la peur. Comme tout le monde. Vous savez aussi comment la peur se nourrit toute seule du moindre bruit, de la plus petite pensée sournoise, sans fondement. Et quand objectivement il n’y a aucune raison d’avoir peur, comment la peur se construit elle-même, se fonde elle-même sans demander la permission à quiconque, ni même à la raison. La peur est fondamentalement déraisonnable, irrationnelle même. Elle se nourrit de tout et de n’importe quoi. De nos préjugés, de ce que nous croyons savoir sur les autres, des rumeurs, et parfois du plaisir d’avoir peur pour être intéressant, pour avoir quelque chose à raconter, pour être le héros de l’histoire même fictive. La peur nous renvoie aussi à nos peurs d’enfant, peur d’être abandonné, peur de la faim, peur du froid, peur de ne pas être aimé, des peur très anciennes, enfouies dans notre mémoire et qui ressurgissent dès que l’occasion se présente, sous d’autres noms. Jésus se tient au milieu de ses disciples et leur dit « Que la paix soit avec vous ! » La paix ne peut nous venir seule. Elle nous est donnée. Pour quitter la peur, pour laisser nos peurs, il nous faut demander la paix, la chercher, travailler à la construire. La paix ne vient pas seule. Il ne suffit pas de l’appeler de nos vœux, de soupirer après elle. La paix ne survient pas par magie, seulement parfois, par miracle. La paix est donnée par Dieu. Mais même quand elle est donnée, comme ce jour-là aux disciples, ça ne suffit pas ! Jésus doit encore leur montrer ses mains, son côté, il doit encore manger du poisson pour leur prouver qu’il n’est pas un esprit. La paix ne s’improvise pas, elle se construit, pas à pas. Cette rencontre de Jésus avec ses disciples est un incroyable parcours de paix. La présence de Jésus n’est pas suffisante pour chasser la peur, il faut encore qu’il agisse, qu’il lutte contre la peur des disciples avec force arguments. Car la paix se construit en même temps que l’on détruit la peur. L’une chasse l’autre. La paix n’est pas le contraire de la guerre, non, la paix est le contraire de la peur. Vous voulez construire la paix à la suite du Christ ? Alors soignez la peur, guérissez la peur en vous, et la paix du Christ, qui dépasse tout ce que l’homme peut comprendre, gardera vos cœurs et vos esprits. 2 – être témoin Jésus explique brièvement à ses disciples le contenu des Écritures et il leur ouvre l’intelligence. Il faut dire que quand on lit les récits des Évangiles, souvent on est agacé par l’attitude des disciples. Trop butés, trop mous, lents à comprendre, faisant tout à l’envers. Un peu comme nous finalement ! Je suis certaine qu’il vous est arrivé déjà de dire, dans une situation délicate, exactement le contraire de ce qu’il aurait fallu dire, et de le regretter amèrement ensuite ! Et bien les disciples, c’est exactement pareil ! Pierre n’est-il pas apostrophé par Jésus sous le nom de Satan lui-même… Oui, vraiment, les disciples n’étaient pas des surhommes, et ils avaient largement besoin que Jésus leur ouvre l’intelligence. On se demande juste pourquoi Jésus ne l’a pas fait plus tôt. Et pourquoi il ne pourrait pas le faire avec nous un peu, des fois… Ah, mais attention, Jésus n’ouvre pas l’intelligence pour n’importe quoi. Pas pour être plus fort en maths, lui qui ne sait que multiplier les pains, et jamais additionner les fautes… Ni pour être brillant en société, lui qui n’a jamais répondu aux gens qui lui amenaient la femme adultère. Non, Jésus ouvre l’intelligence pour comprendre les Écritures, et les comprendre en lien avec lui. La Bible, avec ses récits anciens, ses poèmes et ses prophètes, contient bien autre chose que de vieux récits, elle contient la Parole de Vie, le pardon proclamé au nom du Christ à tous les peuples. Vous en êtes témoins, dit Jésus à ses disciples. De ce pardon, les disciples sont témoins, hier comme aujourd’hui. Si les chrétiens doivent être mus par une seule chose, c’est cet ordre de Jésus « Vous en êtes témoins ». Ceux qui ont été relevés par ce pardon, à leur tour de l’annoncer. Ceux qui ont été nourris par ces paroles, à leur tour de nourrir les autres. Ceux qui ont été sauvés du désespoir, à leur tour d’annoncer cette parole de salut. Ceux qui ont été sauvés de la mort, à leur tour de porter la vie. Vous en êtes témoins. Nous n’avons pas le choix. Et ce n’est pas la peine d’essayer de se cacher derrière de pseudo bonnes raisons (je ne suis pas capable, je ne sais pas parler, je ne suis pas formé pour…) tous les prophètes ont essayé, Jonas s’est enfui au bout du monde, peine perdue, Moïse était bègue, Aaron fut son porte-parole, et tous les prophètes ont tenté de refiler le boulot à d’autres. Mais non. C’est de nous que le Christ a besoin pour être les témoins de son amour pour le monde. Tous médiocres que nous sommes. Car il nous ouvre l’intelligence par la lecture de la Bible. 3 – la bénédiction Ce qui frappe dans les quelques mots qui décrivent la disparition de Jésus, c’est la brièveté de ce récit. J’envoie sur vous ce que mon Père a promis, dit Jésus. Le Père promet, le fils promet à son tour. Les disciples sont au bout de ce lien d’amour. Ils vont recevoir l’Esprit Saint, le consolateur. Déjà, avant d’être dans la joie, il y a la promesse de la joie. La joie ne vient pas facilement. Il y a d’abord la séparation. Jésus, tel que le raconte l’Évangile de Luc, part sur la pointe des pieds. Pas de flammes, ni de grondement terrible, pas de char de feu à la manière d’Elie. Non, une discrétion toute christique. Il se sépare de ses disciples pendant qu’il est en train de les bénir. Simplement. Que savons-nous de la relation qui animait le Christ vis-à-vis de ses disciples ? Elle pourrait se condenser dans ce verset : pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux. Aujourd’hui, nous ne savons plus bénir. Par timidité peut-être, par ignorance sans doute. Qui sommes-nous pour bénir, direz-vous ? Mais pourtant, nous savons tellement bien maudire… Dire du mal, critiquer, juger, enfoncer, détruire, humilier, mépriser, rabaisser… La liste est bien longue de toutes ces attitudes qui nous sont tellement habituelles qu’elles nous paraissent naturelles, comme l’air qu’on respire. Dans le couple, la famille, au travail, entre voisins, pourquoi faut-il toujours rabaisser l’autre ? Pour mieux s’élever soi-même peut-être ? Ou pour mieux oublier que nous sommes tellement semblables aux autres ? Jésus bénit. Il bénit tout le monde, les enfants, les malades, les femmes de mauvaise vie, les gens pas fréquentables, les pauvres et les riches, les hommes et les femmes, les vieux et les jeunes. Son dernier geste est encore de bénir ses disciples. Bénir : dire du bien à quelqu’un, lui confier des paroles de vie, d’encouragement, d’amour, des paroles qui élèvent, qui révèle tout ce qui est beau en lui, tout ce qui est lumineux, tout ce qui est digne d’être montré. Bénir, dire du bien, mais pas pour flatter l’orgueil, non, dire du bien de la part de Dieu. Car c’est lui qui nous donne la vie et c’est envers lui que nous avons une dette. Bénir de la part de Dieu. C’est rendre la vie, rendre l’honneur à l’être humain, c’est révéler ce qui fait sa beauté, ce qui est donné par Dieu. Bénissons, apprenons à bénir de la part de Dieu. On ne le fera jamais trop ! 4 – l’absence Et après la bénédiction, l’absence. Ça y est, la joie est là ! Enfin, les disciples ont reçu la joie. Ils se sont prosternés devant lui, c’est à dire… devant le vide puisque Jésus a été enlevé au ciel déjà. Et ils retournent à Jérusalem avec une grande joie. Et ils sont constamment dans le temple où ils bénissent Dieu. A l’Ascension, comme à Pâques, les disciples se trouvent devant le vide. Circuler, il n’y a rien à voir ! Voici des hommes réjouis par une absence, des hommes que le vide remplit de joie. Quel paradoxe ! Mais c’est bien cela le mystère de la foi chrétienne : l’absence du Christ nous remplit de joie. C’est cette absence qui permet la présence autrement. Tous les amoureux le savent, l’absence de l’autre est nécessaire pour faire grandir le désir de sa présence. L’absence n’est pas la mort de la relation. L’absence est même fondamentale dans la relation. Elle est saine. Elle fait grandir. De la même façon, Dieu se doit d’être absent pour laisser l’être humain grandir et être libre. Comme un père, il laisse ses enfants aller loin de lui, car il sait que son amour pour eux ne faiblira pas. Vide, absence. A l’Ascension, nous n’avons rien à adorer. Toujours, l’être humain veut se faire une idole, un veau d’or, un dieu devant lui à adorer, un dieu sur qui il puisse mettre la main, un dieu qu’il fasse parler selon son désir. Mais le Christianisme ne propose rien de tout ça. Du vide. Un tombeau vide, un lieu désert. Rien sur quoi l’homme puisse mettre la main, pas d’objet à adorer, car dit Jésus, on adore en esprit et en vérité. C’est l’absence qui permet la relation en esprit et en vérité. L’être humain a peur de l’absence, elle lui rappelle l’absence de sa mère, la peur d’être abandonné, la peur de ne pas être aimé. Pourtant Dieu nous offre l’absence, pleine de la présence de l’Esprit qui nous atteste sans cesse que Dieu nous aime, qu’il a donné son fils unique pour que nous ayons la vie, et qu’il nous permet ainsi d’être debout dans le dialogue avec lui. Le vide du tombeau est promesse de vie nouvelle. Le vide de l’Ascension est promesse de relation nouvelle entre Dieu et l’être humain, et entre nous. Il est joie, louange et bénédiction. Amen