Textes : Cantique 1, v. 1 à 2, v. 7 Ps 16 Actes 2, v. 14 à 33 1 Pierre 1, v. 17 à 21 Luc 24, v. 13 à 35Pasteur Andréas SeyboldtTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Luc 24 / 13 à 35 : La route et le repas Récit propre à Luc, composé dans une structure de chiasme :

A- Sur la route, quittant Jérusalem, deux disciples parlent de ce qui s’est passé (v. 13 & 14) B- Jésus s’approche mais leurs yeux sont aveuglés et sa question ne rencontre qu’un air sombre (v.15 à 17) C- Léger reproche de Cléophas à l’inconnu et résumé de la vie et de la mort de Jésus de Nazareth (v.18 à 21) D- Leur espérance de libération reste déçue malgré les dires des femmes du groupe (v. 22 & 23)
D’- Des hommes du groupe ont vérifié les dires des femmes sur le tombeau, mais lui, ils ne l’ont pas vu (v. 24) C’- Reproche de Jésus aux deux disciples et résumé des écritures sur la souffrance et la gloire du Messie (v. 25 à 27) B’- Jésus est invité à rester avec eux et leurs yeux s’ouvrent à la fraction du pain. Ils se rappellent que son enseignement rendait leurs cœurs brûlants (v. 28 à 32) A’- Revenant à Jérusalem, ils racontent aux onze ce qui s’est passé sur la route et la fraction du pain (v. 33 à 35)

E- Des anges leur auraient dit qu’il est vivant Autour de deux thèmes, le « chemin » et le « repas », Luc construit son récit de reconnaissance : un exposé fondamental sur ce qu’est le cheminement normal, toujours valable, vers la foi au Christ vivant. La rencontre en chemin, vv13 – 16 Deux disciples en chemin vers « un village du nom d’Emmaüs » (localité inconnue, peut-être à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Jérusalem), en train de « parler », homiléo, en grec, qui signifie : « s’entretenir », supposant un dialogue, ce qui a donné le terme « Homilétique » = explication de la Bible dans une prédication-monologue ! Au verset 15, un deuxième verbe, « discuter », suzèteô, littéralement « recherche commune » qui indique aussi un débat animé. Ils sont rejoint par Jésus, qui « fait route avec eux », sunporeuomai, en grec, comme en Luc 7/11 et 14/35. Or, « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ». La question pour le lecteur : s’il y a d’abord méconnaissance, quand et comment s’opérera la reconnaissance ? Le dialogue en chemin, vv17 – 27 L’un des disciples est nommé : Cléopas. Ce n’est pas l’un des Douze. Que le second soit anonyme peut être une invitation de Luc adressée à son/ses lecteur/s à s’identifier à ce disciple. D’autres veulent y voir une femme (celle de Cléopas ?). La « discussion » sur le chemin opposerait alors la femme portée à croire les dires des femmes (au tombeau) tandis que Cléopas resterait très sceptique. Jésus, après les avoir rejoint, se met à les questionner sur l’objet de leur discussion. Pour le lecteur, c’est la récapitulation de tout ce qu’il a lu jusqu’ici. Ce résumé correspond à l’ordre de présentation du ministère de Jésus, au début de la deuxième partie de l’évangile. C’est ensuite le résumé du procès et de la mort de Jésus, enfin la relation honnête du tout dernier épisode : les femmes au tombeau, leur déclaration, la vérification de la réalité du tombeau vide, l’absence du corps de Jésus. « Mais lui, ils ne l’ont pas vu », v24. Rien donc de tout cela n’a suffit pour susciter la foi. La « Passion selon Cléopas » est une histoire de prophète qui a mal fini, comme tant d’autres ! Elle laisse un goût d’amertume et de découragement profond. « Nous espérions que c’était lui qui délivrerait Israël », v21. Le verbe employé, lutroô, 1/68 et 2/38, le salut annoncé ou attendu comme libération (voir aussi 19/11). Mais cette espérance est morte avec Jésus : « …avec tout cela c’est le troisième jour que cela est arrivé ! » Pour le lecteur chrétien, habitué à la proclamation : « Le troisième jour, il est ressuscité », Luc crée un effet de choc assez remarquable – d’où une certaine ironie n’est pas absente : l’ignorance et l’incrédulité des deux disciples est – non sans une certaine ironie ! – confronté à l’extraordinaire retournement de situation qui fonde la foi. A l’origine, ce « troisième jour » fut vécu comme un jour de désespoir ! La réplique de Jésus reprend l’évocation des mêmes événements, dont il nous donne une toute autre lecture. Il les renvoie à la parole ancienne de l’Écriture qu’ils connaissent mais n’ont pas comprise, « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire … Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et entrât dans sa gloire ? », v26. C’est cette intelligence de la foi qui a surmonté le scandale d’un Messie crucifié à la lumière d’une lecture renouvelée de l’Ancien Testament. Le récit montre que c’est la parole de Jésus qui en dévoile le contenu caché, pour le mettre en relation avec son propre destin ». La fraction du pain, la reconnaissance et le témoignage, vv28-35 L’offre d’hospitalité de deux disciples témoigne à tout le moins d’un désir de profiter encore de sa chaleureuse compagnie. Après avoir fait route avec eux, Jésus « se met à table avec eux » et tout naturellement lui, l’invité, se met à tenir la place du Maître de maison. Ce que le discours tout seul de l’inconnu n’avait pas suffit à provoquer, ces gestes simples pour le partage du pain le déclenches : « Or leurs yeux s’ouvrent et ils le reconnurent. Et il leur devint invisible », v31. Comme au début du récit ils échangent leurs impressions et tentent ensemble d’interpréter ce qu’ils viennent de vivre. Leur échange permet à ces compagnons de reconnaître après coup l’importance de la parole entendu dur le chemin ; c’est là que leurs « cœurs lents à croire » ont commencé à se réchauffer. Il faut notre l’insistance première sur cette expérience-là, même si le dernier verset doit redire le rôle déterminant de la fraction du pain. « S’étant levés à l’heure même, ils s’en retournèrent à Jérusalem, v33. C’est le vocabulaire de la résurrection (anisthèmi, se lever) employé pour Jésus aux vv.7 et 46, qui peut légitimement s’appliquer à ce mouvement des deux disciples : l’éveil de la foi est une manière de résurrection qui met les hommes debout, pour reprendre la route et devenir témoins. On notera le parallélisme avec le premier récit du chapitre 24 : les femmes aussi « s’en retournèrent du tombeau » dans un tout autre esprit qu’à leur venue, pour « annoncer aux Onze » la nouvelle bouleversante. Pour revenir à l’enseignement spécifique de notre récit, sa conclusion l’indique admirablement. En tant que récit exemplaire de la naissance de la foi pascale, il relie de manière indissociable les deux expériences de la route et du repas, la compréhension de l’Écriture et le signe de la communion : Voilà ce que vous avez-vous aussi à votre disposition dans la communauté chrétienne, dit Luc à ses lecteurs de la seconde génération. Voilà ce qui doit vous suffire pour reconnaître à votre tour la mystérieuse absence-présence du Seigneur à son Église. Invisible à vos yeux de chair, comme il le redevient aussitôt pour les compagnons d’Emmaüs, il est pleinement présent pour votre foi quand vous méditez la Bible et quand vous partagez le pain et le vin de la Cène.

Prédication

Ils sont deux et ils sont en chemin. L’un porte un nom – jusqu’à là – inconnu. L’autre n’en a pas. Alors il ou elle peut être n’importe qui ou tout un chacun. Ils ne sont pas les premier – ni les derniers à marcher ainsi. Et ils parlent. Ils discutent, cherchent ensemble le sens des événements passés, mais n’en trouvent pas : quel sens trouver à l’inexplicable, l’incompréhensible ? Quand l’espérance a été tuée … « et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël », v21. Dans ce monde qui meure, un monde du chacun pour soi, un monde où les mots de « justice, de fraternité, d’amour » sont réduits à une valeur marchande, un monde où domine le mensonge et le paraitre, où les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres, Jésus, le prophète leur avait parlé de vérité et de liberté, de justice et de la valeur précieuse et égale de la vie de tout homme … et il leur avait parlé de Dieu comme d’un Père qui appelle chaque homme à devenir son enfant ; tous deviendraient, alors, frères et sœurs les uns des autres. Tout cela n’était pas seulement des discours, des belles paroles « en l’air ». Jésus vivait ce qu’il disait et il disait ce qu’il vivait, avec une puissance, une autorité qu’ils n’avaient pas vu encore, jusqu’alors. Ils avaient alors cru en lui, il lui avaient fait confiance, car lui leur avait redonné l’espoir, la dignité, et le désir de vivre autrement, de croire et d’espérer en un autre monde, plus juste, plus équitable, plus fraternel. … Mais leur confiance a été ébranlé : la puissance de Jésus, son autorité n’a pas pu résister, n’a pas pu vaincre celle des puissants de ce monde, ceux qui, visiblement, ont gardé raison et le dernier mot : les puissances armées et de l’argent. Alors, de l’espérance, ils n’en ont plus, à présent, ni de confiance. Leur foi a été ébranlé, anéanti : ils étaient trop naïfs : on ne peut pas gouverner le monde avec de l’amour. Et pourtant, ils refusent de se résoudre complètement à cette évidence ; ils refusent de se laisser corrompre par le pouvoir de l’argent et des armes ; ils refusent d’adopter la maxime du « tout peut se vendre et acheter ». Alors, ils ne leur reste qu’un but : s’enfuir, partir loin, loin d’ici, … vers où ? Peu importe, pourvu que cela les éloigne du lieu de leur échec, du lieu de leur souffrance. Marcher, oublier. Marcher pour oublier. … Ils sont deux, ils sont d’accord sur leur verdict négatif du monde, mais aucun d’eux n’a la force de tirer l’autre vers le haut, de les sortir ensemble de ce trou noir du désespoir ; au contraire : dans leurs discussion ils s’entrainent mutuellement vers le bas, vers le fossé. … Plus rien n’a de l’importance maintenant. Ce que sera leur vie demain, quel intérêt ? … introduit la vérité et la justice, l’amour et la fraternité Puis, un autre marcheur les rejoint, marche avec eux, un petit bout. Et, dans un premier temps, personne ne parle. Que-ce qu’il y aurait à parler, à discuter avec un étranger ? Comment pourrait-il comprendre ce qu’il leur est arrivé ? Mais alors, c’est l’étranger qui leur parle. Il leur parle d’une vérité nouvelle … et pourtant inscrite déjà dans les livres anciens, ces mêmes livres que Jésus leur avait déjà lus et interprétés de son vivant. Eux qui pensaient déjà tout connaître, tout savoir, … de nouveau une parole neuve, une parole vivante les rejoignait … La puissance de l’amour dont avait parlé Jésus, elle commençait à ressusciter en leurs esprits, en leur cœurs, en leurs corps. Et une parole, en particulier, les touchait, n’arrêtait pas à les interpeller, à les toucher, à leur brûler au cœur : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? », v 26. … Entre temps, ils arrivent au village et le jour à son déclin. Qu’est-ce que le temps est passé vite avec tout cela ! L’étranger leur est devenu presque un peu familier, fraternel : sa façon de les écouter – et de leur parler … ils n’ont pas vu le temps passé. Et maintenant, ils ont le sentiment que cette rencontre inattendue ne peut se terminer ici. Après le partage des paroles, ils ont le désir de partager le pain. … Et là, ce qu’ils ont ressenti se confirme, s’approfondi : une présence s’impose et envahit leurs cœurs : présence de cette même puissance d’Amour que Jésus leur avait offerte. … Ce n’était donc pas la fin, ce n’était donc pas l’échec, mais, au contraire, la victoire … l’Amour a gardé le dernier mot ; à présent, il se révélé à eux dans la parole et le pain partagé ; à présent ils le reconnaissent : c’est bien lui – IL est là, présent dans leur vie, à jamais, présent et absent en même temps ; … cet étranger, serait-ce le Christ, ressuscité, revenu à la vie, différemment et toujours le même. … Amen. Une autre piste de prédication à partir de Luc 24 / 13 – 35 : « Le long chemin du deuil » Deux disciples s’en retournent de Jérusalem à Emmaüs ; ils sont rejoints en chemin par un inconnu qui, après leur avoir enseigné à partir des Écritures la nécessité que le Christ souffre, se fait reconnaître à a fraction du pain ? et immédiatement disparaît. Au lieu de nous précipiter à la fin du récit, où le Christ incognito est reconnu à ses gestes quand il offre le pain, mesurons la longueur du chemin qu’il a fallu parcourir jusque-là : c’est le travail de deuil. Car ce deuil-là nous apprend le chemin de tout deuil : les projets détruits par la disparition de l’autre ; le sentiment d’impuissance, d’injustice même, face au verdict de la mort ; l’impression d’être dépossédé avant d’avoir vécu tout ce qui devait l’être ; la tristesse, qui fait pleurer sur soi autant que sur l’autre. Et puis, se levant après le long gémissement du chagrin, une parole qui surplombe le cycle dépressif. Qui se refuse à attribuer la mort à un Dieu pervers. Une parole qui discerne, dans la vie vécue et partagée, une portée que n’arrête pas le trépas. On ne peut détacher Pâques de Vendredi saint. Mort et résurrection sont les deux faces d’une même pièce. La résurrection n’escamote pas la souffrance du trépas ; elle la prend au sérieux, mais affirme que cette souffrance peut accoucher de la joie. Le mal n’est donc pas absolu. L’humiliation – a mise à terre, le fait d’être atterré ou enterré – n’est qu’une étape. L’être humain n’est pas réduit à ola résignation, à la capitulation, devant les forces qui nient la vie et l’amour. Proposition de cantiques (dans recueil « Alléluia ») AEC 646, Alléluia 24-02 « Reste avec nous, Seigneur Jésus » AEC 638, NCTC 294, Alléluia 49-13 « Reste avec nous » AEC 589, Alléluia 24-14 « Le Seigneur nous a aimé » AEC 491, NCTC 211, Alléluia 34-04 « Chrétiens, chantons le Dieu vainqueur » Bibliographie François BOVON, L’Évangile selon Saint Luc – tome IIId. Labor et Fides, Genève 2009. Charles L’EPLATTENIER, Lecture de l’évangile de Luc. Desclée, Paris 1982. Yves SAOUT, Évangile de Jésus Christ selon Saint Luc. Cahiers Évangile n° 137 Sept.2006. Daniel MARGUERAT, Résurrection – Une histoire de vie. Ed. du Moulin, Poliez-le-Grand (Suisse) 2001.