Textes : 1 Jean 5, v. 1 à 21 Psaume 23 Ézéchiel 34, v. 11 à 17 1 Corinthiens 15, v. 20 à 28 Matthieu 25, v. 31 à 46Pasteur Richard BennahmiasTélécharger le document au complet
Ézéchiel : Après les règnes devenus mythiques de David et de Salomon, le projet monarchique juif a échoué. Opposés au principe dynastique, les tribus du nord on fait sécession et n’ont pas su résister à la pression Assyrienne. Le Royaume de Judas a mieux résisté, mais la décadence a conduit à la chute de Jérusalem et à la déportation de ses élites à Babylone. Là-bas, « assises au bord du fleuve à Babylone », elles ne se sont pas contentées de pleurer, mais elles ont mené une réflexion théologique globale sur les raisons spirituelles, politiques, sociales et économiques de la décadence et de la chute. Normalement, leur défaite aurait du être aussi celle de leur dieu et elles auraient du consentir à disparaître avec lui. Non, le dieu autour duquel s’était cristallisée leur identité n’était pas un dieu faible et vaincu, mais le Seigneur de l’Histoire dont ils avaient été les alliés privilégiés, mais défaillants. La sauvegarde de leur identité s’est gagnée au prix d’une radicale autocritique d’une part et d’autre part d’une universalisation de leur dieu tutélaire. Cette autocritique porte sur leurs comportements et sur leur origine spirituelle : elles ont trahi leur vocation et ont agi à l’opposé d’une promesse divine dont elles n’avaient pas pris toute la mesure : alors qu’elles avaient bénéficié pour leur accès au pouvoir de l’action créatrice de la divinité, elles se sont rapidement contentées de comportements prédateurs, y compris à l’égard de leur propre peuple. Alors qu’elles avaient émergé au cours d’une libération, elles ont asservi. Et cela les a conduit à leur chute : quand l’ennemi s’est présenté au porte de la ville, il n’y avait personne pour la défendre, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. Les élites déportées à Babylone sont aussi de fines observatrices de l’évolution du monde qui les entoure. De leur exil à Babylone les élites juives assistent à l’effondrement du monde assyro-babylonien au profit du monde perse : à ce qu’on pourrait appeler la « fin d’un monde » tant la rupture spirituelle, culturelle, politique est grande entre ces deux formes de domination. Ce n’est probablement pas sans l’intervention de ces élites si, à l’occasion de ce « tournant des temps », Cyrus, qu’Ésaïe ira jusqu’à appeler « Messie », les réimplantera à Jérusalem dont il financera partiellement la reconstruction du temple. Cyrus n’autorisera bien évidemment pas la restauration d’une monarchie mais confiera l’administration de la Judée à des préfets (satrapes) juifs dont Néhémie est le plus connu. Dans une certaine mesure, on peut dire qu’après le retour d’exil, par l’intermédiaire du personnel religieux du temple et d’un ensemble de prescriptions dont une partie nous a été transmise dans le Pentateuque (particulièrement le Lévitique), c’est Dieu qui assurera le gouvernement direct. Ézéchiel n’est pas le seul prophète chez qui la critique sociale, économique et politique est étroitement liée à la conception d’un monde en permanente création sous l’action divine. La mesquinerie, la cupidité, l’arrogance des élites sont mises en opposition avec ce que la générosité de la nature exprime humblement du dynamisme créateur. Ézéchiel prophétise-t-il avant, pendant ou après l’événement ? Toujours est-il qu’après l’événement, sa théologie et ses critiques, aussi virulentes soient-elles, ont semblé suffisamment pertinentes pour que les élites en place après l’exil jugent bon d’en conserver la trace. Matthieu : La parabole de Jésus fait partie d’une « apocalypse » à destination des disciples. Il y multiplie avertissements et paraboles et commence par l’annonce de la destruction du Temple dont la restauration, l’agrandissement et l’embellissement viennent juste d’être terminés. Toutes les paraboles de ce discours font référence à un départ, une attente et un retour du maître, du Fils de l’Homme, d’un roi … Quelques années plus tard, au moment où est probablement rédigé l’Évangile, le temple sera rasé par Titus après le siège de Jérusalemi qui, avec celui de Massada, mettra fin à la révolte juive menée par le parti zélote contre l’occupant romain. Pour le monde juif, il s’agira d’un tournant des temps fondamental. Disposant toujours d’un statut spécial et toujours toléré en dépit de la rébellion, le judaïsme qui était une religion du Temple sous la conduite des sadducéens, va devenir une religion du livre sous la conduite des pharisiens. C’est désormais une bibliothèque composée de la Tora, des Prophètes et des autres écrits qui va en assurer l’identité et la cohésion. Le Nouveau Testament fait aussi référence à un « tournant des temps », dont l’événement central (crucial !) est bien évidemment la passion, la croix et la résurrection de Jésus, le Christ. Comme celles de Marc ou de Luc, l’apocalypse de Matthieu invite à placer les évènements de Pâque dans ce contexte. La « fin des temps » : dans cette expression, on peut entendre le mot « fin » de plusieurs façons : le moment où quelque chose se termine : Jésus annonce-t-il la fin des temps ? le but de quelque chose, comme dans « arriver à ses fins » : Jésus révèle-t-il le sens des évènements en cours ? la limite de quelque chose, comme dans « nous vivons dans un monde fini » : Jésus indique-t-il comment se comporter dans un monde en voie d’épuisement ? Il faut lire cette parabole en gardant en mémoire les avertissements du début de l’apocalypse de Matthieu : grandes tribulations, faux messies, invitation à la vigilance, à la persévérance et à l’éveil, mais surtout, avec la parabole des bourgeons du figuier, invitation à guetter dans le quotidien les signes déjà présents de la proximité du règne de Dieu, voire de sa maturation en cours dans les évènements actuels. S’il s’agit d’une « révélation », l’essentiel de ce qui est révélé ne réside pas dans les événements annoncés mais dans le sens qu’il faut leur donner. Les paraboles du Royaume n’annoncent pas la fin des temps, mais l’avènement en cours des temps nouveaux La parabole parle d’un retour du Fils de l’Homme dans la « gloire ». Elle utilise l’imagerie apocalyptique juive traditionnelle, qu’on peut bien entendu interpréter au premier degré. Comme si la passion, la croix et la résurrection n’avaient été qu’un avant goût, pour ainsi dire un demi-échec, le Christ devrait revenir « en gloire » à la fin des temps pour la revanche finale. La parabole présente les choses au « futur antérieur » : elle place ses auditeurs dans un futur où tout se serait déjà joué et où il n’y aurait plus qu’à compter les points. Mais on peut aussi se demander si Jésus ne joue pas avec cette imagerie : « Si vous attendez que le royaume se manifeste de façon tonitruante, vous n’êtes pas au bout de vos surprises ! » La principale des surprises étant que précisément, il n’arrive pas comme ça. De quelle façon le royaume de Dieu advient-il ? Quel sens donner au mot « gloire » ? Depuis « la fondation du monde », la « gloire » de Dieu, n’est-ce pas précisément que ceux qui ont faim aient à manger, ceux qui ont soif, à boire, que les étranger soient recueilli, ceux qui sont nus vêtus, les malades et les prisonniers visités, sinon guéris et libérés ? Mieux : que chacun aie les moyens de subvenir à ses propres besoins par sa propre activité créatrice, qu’il soit non seulement bénéficiaire du dynamisme créateur, mais qu’à son échelle, il y participe, pour lui-même … et pour autrui. L’incognito de Jésus au travers du pauvre : on peut bien sûr se contenter de considérer que chaque fois qu’on accompli un acte charitable envers quelqu’un c’est envers Jésus qu’on l’accompli : on ne sait jamais, autant être prudent, c’est peut-être le Roi qui s’est déguisé en pauvre. Le pauvre en profite et ça n’est déjà pas si mal ! Mais la parabole insiste aussi sur la spontanéité sans calcul du geste. Quand on l’accompli spontanément, on agit pour Jésus non pas parce qu’il se cache derrière le visage du pauvre mais parce qu’il agit secrètement dans le geste lui-même. Quand le geste est accompli quelque chose du Royaume advient et Jésus avec. » « Sauve qui peut ! » : si nous avons le sentiment de vivre dans un monde fini où les ressources sont limitées et en voie d’épuisement et où il n’y en aura de toute façon pas pour tout le monde, alors le « chacun pour soi » est la stratégie la plus raisonnable. Le choix par Jésus de l’image des brebis et des boucs est probablement une allusion à la prophétie d’Ézéchiel : ce qui est visé au delà du refus de charité, ce sont les comportements prédateurs dénoncés par Ézéchiel. Si nous croyons que le monde dans lequel nous vivons est animé par un dynamisme créateur qui le renouvelle sans cesse, alors non seulement le « chacun pour soi » s’oppose au dynamisme créateur et l’empêche de produire ses effets, mais il nous maintient nous-mêmes hors création, hors gloire ou hors royaume, nous et le pauvre. Si c’est l’avènement du royaume qui est l’enjeu, alors même spontanée, la charité n’a de sens que si elle est accomplie dans l’attente des jours meilleurs où elle ne sera plus nécessaire. Et même accomplie sans calcul, elle est le moyen le plus raisonnable de contribuer à leur avènement. (i : http//www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=700908
Combien de générations se sont-elles succédées depuis que Jésus a raconté cette parabole ! Une soixantaine ? Au regard de l’éternité, ça n’est pas beaucoup. Mais au regard de nos courtes existences humaines, c’est quand même assez pour que nous ayons de la peine à prendre Jésus au sérieux. Cette histoire de retour en gloire du Fils de l’Homme, c’est une plaisanterie ! Comment croire aujourd’hui à toute cette imagerie apocalyptique ? Il est vrai que nos apocalypses d’aujourd’hui ne laissent que très peu de place au merveilleux … sauf au cinéma. Aujourd’hui nous bénéficions d’Apocalypses sérieuses : monétaires, écologiques, démographiques … Mais nous ne savons pas pour autant où tout ça va nous mener. Notre monde est en panne. Peut-être même est-ce sa fin. Ça aussi, nous avons de la peine à y croire, ou peut-être préférons-nous ne pas y penser. Si ça peut nous rassurer, depuis même plusieurs siècles avant Jésus-Christ, nous ne sommes pas les premiers à qui ça arrive. Le plus étonnant, c’est que nous soyons-là ! Parce que depuis le temps que tout coure à sa fin, ça devrait être fini depuis longtemps. Pour qu’il leur raconte des histoires de fin du monde, les disciples de Jésus étaient peut-être dans un état d’esprit semblable à celui qui règne aujourd’hui. Et pour que Matthieu leur rapporte cette histoire, les premiers auditeurs de son évangile baignaient peut-être aussi dans cette ambiance de fin des temps : mais eux, ils attendaient le retour de Jésus, le grand soir, le jugement dernier, les matins qui chantent. Cette histoire de passion, de croix et de résurrection, ils s’y étaient raccrochés comme à une bouée de sauvetage, mais elle les avait laissés sur leur faim. D’accord, il y avait bien eu la résurrection, mais ça ne faisait que transformer une déconfiture totale en demi échec. La revanche finale n’allait certainement pas tarder et alors, on allait voir ce qu’on allait voir ! Ceux qui y trouvaient leur compte, c’étaient les pauvres. Après tout, si les riches pensaient gagner leur ticket d’entrée dans le futur royaume en leur faisant la charité, c’était toujours ça de pris dès à présent. Sauf qu’il y a belle lurette que les riches ne croient plus à l’imminence du jugement dernier. Et comme ils n’ont plus de comptes à rendre à personne, les pauvres ne sont vraiment plus à la fête. Sauf aussi que les crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui ressemblent quand même beaucoup, et une fois de plus, à un jugement dernier … sans juge. La prophétie d’Ézéchiel n’a pas vraiment besoin d’être actualisée : « Ne vous suffit-il pas de paître un bon pâturage ? Faut-il encore que vous fouliez aux pieds le reste de la pâture ? Ne vous suffit-il pas de boire une eau claire ? Faut-il que vous troubliez le reste avec vos pieds ? Ainsi mon troupeau doit pâturer ce que vos pieds ont foulé et boire l’eau que vous avez troublée… vous avez bousculé du flanc et de l’épaule, et … vous avez donné des coups de cornes à toutes celles qui étaient malades jusqu’à ce que vous les ayez dispersées hors du pâturage » C’est aux élites de Juda que s’adresse Ézéchiel, et au delà de la compassion de Dieu pour la misère qu’elles ont causé par leurs comportements prédateurs, c’est à elles qu’il adresse un avertissement : en se comportant ainsi, elles précipitent leur propre perte. Elles ont cru tirer le meilleur profit possible de la situation privilégiée dans laquelle elles avaient oublié que Dieu lui-même les avait placées. Elles ont exploité et asservi par tous les moyens. Mais in fine – et au regard de la parabole de Jésus, c’est ce in fine qui est le plus important – elles ont creusée elles-mêmes la fosse dans laquelle la suite de l’histoire les a précipitées. Pour résister à l’envahisseur, il fallait un peuple fort et elles l’avaient saigné jusqu’à la dernière goutte. Mais nous ? Nous avons eu notre comptant de lutte finale, de grands soirs et de matins qui chantent. Et cette histoire de règlement de comptes ultime nous rappelle de si tristes épisodes du XXème siècle que nous avons de bonnes raisons d’être au minimum perplexes. Va pour la charité, mais pour la glorieuse revanche du Fils de l’Homme, nous nous en passons volontiers. Peut-être est-ce aussi l’état d’esprit des « gentils » de la parabole : ils ont agi spontanément et sans calcul. Est-ce pour autant qu’ils ont agi sans espérance ? Ou, au contraire, n’est-ce pas la foi, l’espérance et l’amour qui les ont fait agir ? Assez de confiance dans le Dieu qui renouvelle chaque jour sa création pour oser se départir d’un part de leur bien, même en période de crise, assez d’espérance dans la proximité agissante du règne de Dieu pour aider les autres à s’en sortir en attendant mieux, assez d’amour reçu pour pouvoir en laisser rayonner un peu de lumière autour d’eux. Et si, dans cette parabole, Jésus lui-même jouait avec le sens du mot « Gloire », comme il en joue dans l’Évangile de Jean où sa gloire est toujours associée à son élévation … sur la croix. Depuis « la fondation du monde », la « gloire » de Dieu, n’est-ce pas précisément que ceux qui ont faim aient à manger, ceux qui ont soif, à boire, que les étranger soient recueilli, ceux qui sont nus vêtus, les malades et les prisonniers visités, sinon guéris et libérés ? Mieux : que chacun aie les moyens de subvenir à ses propres besoins par sa propre activité créatrice, qu’il soit non seulement bénéficiaire du dynamisme créateur, mais qu’à son échelle, il y participe, pour lui-même … et pour autrui. Ne nous laissons pas fasciner par cette ambiance de fin des temps qui imprègne tous nos médias. Que cela au moins ne nous empêche pas de dresser un bilan raisonné de ce qui s’est passé dans notre histoire humaine depuis 60 générations. Quand même, pour reprendre les critères que Jésus nous offre : la faim, la soif, la misère, la maladie, la détention justifiée ou non … Même s’il reste beaucoup à faire et si rien n’est jamais acquis comme nous le voyons aujourd’hui, beaucoup a déjà été fait, des progrès ont été accomplis. Ne disons-nous pas nous-mêmes devant une situation choquante qu’elle est indigne du XXIème siècle ? Mesurons-nous la somme de confiance, d’espoir et de générosité – de foi, d’espérance et d’amour – qu’il a fallu déployer pour en arriver là ? N’avons-nous pas une petite idée de leur origine, même si bien souvent leur action était incognito ? Le Royaume de Dieu n’arrivera pas seulement demain : il ne cesse d’advenir depuis que Jésus est mort et ressuscité. Et il progresse. La Gloire du Fils de l’Homme ne cesse de se manifester chaque fois que la faim, la soif, la misère, la maladie, l’exploitation ou l’oppression perdent du terrain au profit d’un monde meilleur. Et devinez qui sont ses anges ? Sinon toutes ces petites mains du royaume qui au quotidien spontanément et sans calcul contribuent à les faire reculer. Ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait « à Jésus » non pas parce qu’on ne sait jamais Jésus était peut-être déguisé en pauvre, mais parce que, dans leur geste c’est au Fils de l’Homme qu’ils ont permis d’advenir une fois de plus. Mais la menace du jugement, autant chez Ézéchiel que chez Jésus apporte un plus, dont nous pourrions peut-être nous passer, mais qui devraient sonner comme une invitation aux prédateurs de l’histoire à mieux considérer où réside leur véritable intérêt dans le long terme. Qui investit dans le néant, le néant l’engloutit. Il y a aussi cela dans la parabole : « si vous ne le faites pas spontanément, faites le au moins par intérêt ! » Le message d’Ézéchiel est un message sur les vertus créatrices – productives – de l’entraide et de la solidarité. Il est grand temps de renverser la vapeur : l’entraide et la solidarité ne sont pas ce qu’on finance avec les miettes de la prospérité, et seulement quand les budgets sont équilibrés. L’entraide et la solidarité sont le moteur de notre prospérité commune. Animé par le dynamisme créateur de Dieu, notre univers est assez généreux pour qu’il ne soit pas nécessaire d’appauvrir autrui pour devenir riche. À l’image de Dieu chacun de nous est créateur de bien, pour soi-même et pour autrui. Créateurs, nous le sommes solidairement. Mais que les plus favorisés retirent leur billes ou accaparent celles des autres et c’est toute la dynamique créatrice qui s’enraye. Le règne de Dieu recule, au moins provisoirement, l’avenir s’obscurcit et se fait menaçant. Tout ce que les plus favorisés avaient mis à l’écart s’évanouit et part en fumée. Et il n’y a qu’une façon de relancer la machine : donner, de quelque manière que ce soit ; spontanément ou par intérêt bien compris.