Textes : 1 Corinthiens 8, v. 1 à 13 Ps 98 Actes 10, v. 25 à 48 1 Jean 4, v. 1 à 11 Jean 15, v. 9 à 17 Pasteur Christophe DesplanqueTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Il est nécessaire d’avoir une vue d’ensemble de tout le chapitre pour bien comprendre notre passage. En effet, c’est au terme d’un long processus, dont Luc prend soin de construire soigneusement la narration, que l’apôtre Pierre arrivera à la déclaration décisive du v.34. Nous conseillons donc de lire les vv.1-48 avant la prédication, même si celle-ci peut se concentrer sur la rencontre entre Corneille et Pierre et ses suites. Ce récit raconte la découverte et l’entrée de l’Église -et des apôtres, de Pierre en particulier- dans la 3e étape de la mission confiée par Jésus ressuscité à ses disciples, telle qu’elle est rapportée au début du livre des Actes, en 1,8 : désormais, les païens à leur tour entendent l’Évangile et sont unis à Jésus-Christ (ils reçoivent l’Esprit-Saint et le baptême, cf. les v. 44-48). Jusqu’à présent, il n’avait été annoncé qu’aux juifs par des juifs (Luc ne dit pas explicitement que l’eunuque Éthiopien d’Ac 8,26-40 était un païen, insistant sur sa proximité avec le judaïsme : il est prosélyte, c’est à dire circoncis et converti au judaïsme). C’est Pierre, chef de file de l’Église de Jérusalem qui fera selon les Actes la première expérience de la conversion à Jésus-Christ d’un « véritable » païen. Notes sur le texte : v. 1-2, cf. v. 22. Centurion (ou centenier) : officier romain, commandant cent hommes. C’est une figure positive du païen dans tout le Nouveau Testament (le seul homme que Jésus ait admiré –selon les évangiles- est un centurion, Mt 8,10). Corneille est proche par son attitude de l’officier dont Jésus guérira le serviteur (cp Luc 7,5 et Ac 10,2). Il fait du bien à la communauté juive de par sa foi au Dieu d’Israël. En effet Corneille « craint Dieu » (v.22) ; mais un « craignant-Dieu » n’est pas converti (circoncis comme un prosélyte) et reste « impur », donc infréquentable aux yeux d’un juif pieux et soucieux d’obéir à la loi. A noter : aucun passage de l’AT ne déclare explicitement un étranger comme impur en soi ; mais il l’est dans la mesure où il n’observe pas les prescriptions de la loi pour éviter ce qui souille ou s’en purifier (certains aliments, certains animaux, cadavres, etc.). Ce que Pierre rappellera au v.28. Peuple juif : les juifs qui vivaient à Césarée et bénéficiaient de la généreuse sympathie de Corneille.v. 3 : l’ange : ne pas spéculer sur sa nature. Dans le langage biblique, la présence de l’ange signifie qu’un message, une révélation sont donnés par Dieu lui-même ; mais on évite, en mentionnant l’ange, de faire intervenir Dieu directement, par respect de la distance qui le sépare de l’homme v. 4 : mémorial : le même terme grec qualifie le geste de la femme qui répand sur Jésus un parfum de grand prix (Mt 26,13, Mc 14,9). La générosité de Corneille et sa vie de prière le rendent présent dans l’Esprit de Dieu. « Ce qui restera de nous ne sont pas nos actes, mais l’amour que nous y aurons mis ». v. 6 corroyeur : tanneur de cuir. Comme il met en contact avec des cadavres d’animaux, ce métier rend impur selon le judaïsme. A noter donc que Pierre se rend déjà « impur » aux yeux de sa religion en logeant chez Simon, où il est « accueilli en hôte » (le verbe grec a la même racine que xenos qui signifie « étranger » : petit clin d’œil de Luc !). v.13. tue : traduit le verbe grec utiliser pour l’acte d’immoler un animal offert à Dieu en sacrifice. Ce qui est donc particulièrement choquant pour un juif comme Pierre, contemplant tous les animaux de la création, et donc parmi eux ceux qui sont impurs et immangeables. v. 21-23 : Pierre rejoint, et même accueille des païens chez lui, fait route avec eux, choses impensables pour le juif qu’il est. Mais il y a été engagé et donc préparé par « l’Esprit » (de Dieu). Il a reçu deux fois l’ordre de « se lever » (v.13 et 20), le même verbe qui désigne le fait de ressusciter. L’Esprit saint est un Esprit de vie et de mouvement ! v.23 : noter que Pierre ne part pas seul. D’autres judéo-chrétiens l’accompagnent. Tout comme Corneille (v.27), il associe des proches à cette expérience nouvelle de déplacement et de rencontre initiée par le Seigneur. v. 26 : « je suis un homme comme toi » Pierre met enfin des mots sur l’attitude et le regard totalement nouveaux qu’il vient d’adopter envers les païens, en s’y impliquant personnellement (ce qui est autre chose que de lancer des grandes idées qui ne coûtent rien !). Il insiste sur ce qui le rend semblable à Corneille et non sur ce qui les sépare (leurs identités culturelles, religieuses, voire l’antériorité de Pierre dans la foi au Christ, l’autorité d’apôtre dont il aurait pu se targuer. L’humilité est la condition pour rencontrer l’autre… et pour apprendre !). Ici encore (cf. v.23), les deux verbes désignant l’acte de se lever sont les mêmes que ceux désignant la Résurrection. L’allusion est claire : les païens sont aussi associés à la résurrection du Christ et à la vie nouvelle avec Lui. v. 34-43 : Pierre reprend et approfondit ici son « parcours de découverte » personnel, déjà résumé au v.28. C’est le 5e discours de présentation de l’Évangile par Pierre dans les Actes, mais adressé pour la 1ère fois à un auditoire non-juif. Pierre y souligne que l’universalité de l’Évangile (soulignée à travers la personne du Christ, « juge des vivants et des morts, v.42) ne supprime pas la particularité du rôle d’Israël dans l’histoire de sa révélation, et dans les étapes de sa proclamation (d’abord à Israël, v.42). Au terme du discours, Pierre précise le sens donné à la « justice » au v.35. Ce n’est pas la pureté rituelle qui est agréable à Dieu, mais celle des actes. Mais ce qui est juste (c’est à dire qui place l’homme à sa juste place devant Dieu) par excellence, c’est la foi en Jésus-Christ. v. 44-48 : cet épilogue est souvent appelé, à juste titre, la « Pentecôte des païens ». A noter que cette fois encore la stupeur marque l’assistance, mais celle-ci, à la différence d’Actes 2, est composée à présent de chrétiens (« circoncis », souligne Luc pour rappeler combien ils étaient restés attachés à leur identité juive). Pistes pour la prédication : (on peut les panacher). 1) Reconnaître le chemin que Dieu nous ouvre vers l’autre (Actes 10, 1-48)Dieu prépare la rencontre en changeant la mentalité de Pierre : la longue narration de Luc insiste sur le fait que Dieu a préparé, guidé, éclairé Corneille comme Pierre en les conduisant l’un vers l’autre. Sans les visions et indications de l’Esprit, cette rencontre improbable n’aurait pu avoir lieu. Dieu est patient et pédagogue : la vision donnée à Pierre lui a permis d’exprimer son horreur et sa peur de ce qui est impur, son « blocage » et son incapacité à laisser les réflexes hérités de sa culture religieuse. Il est frappant que Pierre ne doute pas un instant que ce soit Dieu qui lui ordonne de manger de la viande classée « impure », mais cela ne suffit pas. Le Seigneur doit inviter trois fois Pierre à comprendre, à croire et à obéir ! 2) Notre identité : idole auto-fabriquée ou don de Dieu ? (pour les seuls versets 25-48). « Je suis un homme comme toi ». C’est ainsi que Pierre se présente (v.26). Comment nous identifions-nous, nous situons-nous ? Par nos différences ou nos points communs avec les autres (par exemple les chrétiens d’autres dénominations ?) Par ce qui nous sépare ou bien ce qui nous rapproche ? Et qu’est-ce qui (ou qui) nous rend proches ? Qu’est-ce qui est pour nous « impur », inapprochable ? (l’apparence physique par exemple, ou certaines maladies : côtoyer une personne atteinte du SIDA va-t-il de soi ? voir aussi la psychose actuelle sur la viande de volaille…).

Prédication

Voici le récit d’une rencontre qui devait être normalement impossible. D’un côté, un juif qui porte sur lui la marque physique de son appartenance au peuple élu, la circoncision. De l’autre, un centurion romain, certes un homme qui connaît le Dieu des juifs et qui le révère, mais un païen, un non-juif. Entre eux, une barrière décisive, religieuse, celle de la loi qui interdit aux juifs de fréquenter les non-juifs sous peine de souillure, sous peine de se rendre impur et d’être donc indigne de rester en communion avec le Dieu saint. Cette rencontre ne pouvait pas avoir lieu. Et cela, nous pouvons encore le comprendre, même en notre époque de mélange des cultures et de brassage inouï des populations et des mentalités. C’est quand justement le mélange se généralise qu’on tient le plus à se garder pur et à assimiler à l’impureté tout ce qui est différent de nous. Alors on sacralise sa langue, sa culture, sa façon de s’habiller, de se nourrir, de se divertir… Ce qui est différent fait peur. Les majorités veulent assimiler tout le monde, quant aux minorités, quelles qu’elles soient, elles ont tendance à se crisper sur ce qui les différencient et valorisent tout ce qui les identifient. Il paraît qu’il existe même une association qui défend les droits des personnes aux cheveux roux ! S’il s’agissait simplement de préserver la diversité et la richesse culturelle, un peu comme on veut préserver les espèces animales ou végétales menacées, ce serait tout à fait positif. Mais parfois, notamment dans le domaine ethnique et religieux, le refus du mélange est synonyme de peur, de rejet, et même de rejet violent. Pierre en avait, des raisons d’avoir peur, lui le juif à qui tout contact avec un païen était interdit. Et pourtant il s’est passé quelque chose : Dieu lui a fait comprendre dans une vision qu’aucun être humain en ce monde ne devait être déclaré impur de par son origine. La différence entre le pur et l’impur, le fréquentable et le non-fréquentable, elle ne passe plus entre les peuples et les cultures, entre les humains. On dit parfois : je me suis converti. Il faut dire plutôt : Dieu a converti, a changé mon regard, ma mentalité. Dieu a transformé le regard de Pierre sur les autres. Et par ricochet, Dieu a transformé le regard de Pierre sur lui-même. La première chose qu’il dira en effet à Corneille prosterné devant lui comme on peut l’être devant un fils d’Israël, descendant d’Abraham, apôtre du Messie, excusez du peu, la première chose que Pierre dira, c’est : je suis un homme, comme toi. Voilà la seule carte de visite de Pierre.C’est peut-être un peu court, de se situer simplement comme un être humain. Nous aimons tellement coller des étiquettes sur les autres et sur nous-mêmes. Nous caractériser par notre métier (certains d’ailleurs étaient « impurs » aux yeux des juifs, comme celui du corroyeur Simon où a eu lieu la rencontre), ou bien nous signaler comme différents par notre éducation, nos opinions religieuses, et nos tendances théologiques… ah, comme c’est important, ça, n’est-ce pas ? Mais pourtant, ce que Dieu voit en nous d’abord, c’est un être humain. Devant Dieu, le mot « homme », c’est loin d’être insignifiant. Car un être humain, c’est quelqu’un qui est créé à son image. Et c’est cela que le Seigneur voit en chacun de nous : son image, même si elle est voilée, abîmée, souillée par le péché, ce péché qui consiste à vouloir se donner à soi-même une identité, au lieu de se laisser nommer par Dieu : « mon enfant ». Alors on va se caractériser comme une femme avant tout, pour s’opposer à la domination des hommes. Alors on se présentera d’emblée comme militant de tel ou tel parti, en voyant ceux qui pensent différemment comme des ennemis. Ou alors on dira : moi je suis un jeune et on méprisera les vieux, et réciproquement. Ou je suis protestant, réformé, et on prendra soin de se distinguer soigneusement des autres chrétiens, en commençant bien sûr par les plus proches parents parce que ce sont ceux qui menacent le plus justement de me faire perdre ma spécificité !! Pierre a compris que devant Dieu, tous ces masques tombent. Voilà tout ce qu’il y a derrière cette parole de Pierre à Corneille ; Relève-toi, moi aussi je suis un homme, comme toi. Et c’est justement ce même visage que Dieu a pris pour nous rencontrer en Jésus-Christ, le visage d’un être humain. La conversion de Pierre, a été un regard nouveau sur les autres et par ricochet sur lui-même. Mais elle sera suivie, quand il aura écouté ce païen lui parler, d’un changement de regard sur Dieu lui-même. Oui, c’est Corneille qui fait comprendre à Pierre que Dieu n’est pas partial, que Dieu ne fait pas « acception des personnes », comme le dit une de nos vieilles traductions.C’est le païen qui fait comprendre à Pierre que la frontière entre le peuple de Dieu et les autres, elle ne passe plus par des catégories pré-déterminées. Pierre comprend qu’il y a en lui de l’impur qui doit être purifié, que l’impur, ce n’est pas ce qui est étranger à lui-même, mais c’est tout ce qui s’oppose au règne du vivant, du ressuscité, à commencer par ses propres doutes, son propre orgueil, ses propres préjugés. Ce n’est pas du contact avec les étrangers que le Christ veut me purifier et me libérer, c’est de tout ce qui, en moi, est source de séparation, tout ce qui dans mes pensées, ma mentalité, mes paroles et mes actes propage la mort.On appelle le récit de ce qui suit, ce don de l’Esprit aux non-juifs, la Pentecôte des Païens. Pierre a vu l’Esprit Saint à l’œuvre, ce souffle divin qui se joue des différences comme le vent se joue des frontières et des barrières, soufflant où il veut, et comme il le veut. Croyons-nous que l’Esprit Saint souffle ailleurs que dans notre Église ? Qu’il inspire aussi ceux qui ne voient pas toujours les choses comme nous ? Cette question a l’inconvénient ou le mérite de nous ramener à aujourd’hui, de nous obliger à nous demander : est-ce que je crois que Dieu peut faire encore dans ma vie des choses impossibles ? Est-ce que je veux laisser Dieu changer mon regard, et abattre les barrières que je dresse entre moi et tous les frères et sœurs qu’il m’a donnés ? AMEN.