Textes : Deutéronome 5, v. 23 à 33 Psaume 100 Actes 13, v. 13 à 52 Apocalypse 7, v. 9 à 17 Jean 10, v. 27 à 30 Pasteur Anderson MoubitangTélécharger le document au complet
Notes bibliquesThèse du texte : Jésus est le Sauveur promis à Israël Des affirmations qui émanent du texte :
- Ce qui fonde la foi d’Israël est la sortie d’Égypte, le séjour dans le désert, l’établissement dans la terre promise, la constitution de la nation ; des événements au cours desquels Dieu se manifeste par des actes de puissance : il réduit à néant les forces de Pharaon, il brise toute résistance de la part des Cananéens, etc.
- Ce qui fonde la foi en Jésus-Christ, c’est sa résurrection. En cette résurrection, Dieu accomplit au bénéfice des « enfants » la promesse faite à aux « père »s (cf. v. 32), il réalise les « grâces saintes » promises à David.
D’une affirmation à l’autre, la perspective sotériologique varie.
- Dans la première, Dieu agit sur les contextes, sur les événements, en somme autour du peuple ; il balise en quelque sorte le chemin.
- La résurrection, elle, inaugure un autre type de salut : l’espérance d’une victoire sur la mort, quels que soient les événements, les contextes ; ainsi qu’une autre nouvelle forme de piété : la conversion, et non plus seulement le respect des règles.
Le salut du « peuple » (v. 17) devient, en le Ressuscité, le salut de « quiconque croit » (v. 39).
- ce salut transcende le cercle réduit des « fils de la race d’Abraham » (V. 26), pour être proposé à « quiconque » ;
- il sort des limites géographiques de Canaan, la terre promise, pour être porté « jusqu’aux extrémités de la terre » (v. 47) ;
- le moyen de ce salut n’est plus la loi de Moïse, mais la foi en Jésus-Christ ressuscité, la foi en la grâce de Dieu (v. 43) ;
- son objet n’est plus la libération du joug de l’étranger (cf. David, livre de Samuel 5/1725 ; 21/15-22), c’est-à-dire des contextes, mais le pardon des péchés, la « justification ».
Cet élargissement se fait-il nécessairement au détriment des juifs ?
- Nous ne comprenons pas les choses de la sorte. Il ne s’agit pas de tourner le dos aux Juifs, mais seulement à la notion de « peuple », c’est-à-dire d’ « entité croyante ». Ici, la foi est désormais l’affaire de l’individu seul, y compris pour le Juif.
- La parole de Paul et Barnabas jugeant les « Juifs » indignes de « la vie éternelle » (cf. v. 46) est, selon nous, à prendre comme une réaction de colère devant les injures de ceux-ci, plutôt que comme une vérité théologique.
- La nouveauté réside dans le passage d’une foi « ethnique » à une foi personnelle. La foi nouvelle est désormais l’affaire de « tout homme », de « quiconque croit, de chacun, individuellement, et non plus celle d’un groupe, celle d’un peuple. En le Ressuscité, le salut est désormais offert à chacun.
Prédication« …(ils) les exhortèrent à rester attachés à la grâce de Dieu. »Des grandes affirmations de la Réforme au 16ème siècle, la sola gratia, le salut par la seule grâce de Dieu est certainement celle qui, aujourd’hui, apparaît à beaucoup la plus abstraite. Elle semble, en effet, avoir largement perdu de sa « résonance existentielle » d’alors. Il faut se souvenir que dans les années 1500-1540, dans l’Occident chrétien, la préoccupation religieuse, la recherche du salut tiennent dans les âmes une place qu’on a peine à imaginer aujourd’hui. L’angoisse du chrétien –le mal du siècle- c’est le sentiment du péché, la terreur de la damnation éternelle. Les docteurs, les prédicateurs, les images pieuses, les statues et les verrières dans les sanctuaires contribuent alors à enfoncer dans la tête des gens l’idée que l’homme, par la faute à Adam, est voué à l’enfer. Et à vues humaines, cette condamnation est sans appel, irrémédiable ; la malédiction qu’un Dieu irrité, en quittant le jardin d’Eden, a jeté derrière lui sur l’espèce humaine. Cela, on l’avait su de tout temps en christianisme, puisque là a toujours été l’essence même de la doctrine chrétienne. Mais la diffusion de la culture depuis le 12ème et 13ème siècle, le travail des universités, les disputes conciliaires, la multiplication des écrits par l’imprimerie ont, plus que jamais auparavant, enraciné dans les consciences cette certitude de la damnation : « l’océan passerait sans laver la souillure ».Face à ce péril, et l’impuissance radicale de l’homme à se débarrasser, par ses propres efforts ou avec l’aide d’autrui, de la macule originelle, l’Église avait construit tout un édifice de remparts pour garantir les âmes contre la suprême désespérance : obéissance aux règles, abstinences, « œuvres » enfin, qui doivent aider le pécheur non seulement à se laver des péchés commis, mais aussi à mériter d’avance les « pardons », autrement dit l’amnistie. Mais l’apôtre Paul répond : il n’est pas de pardons, parce qu’il n’est pas de mérites ; l’humanité est incapable, radicalement, de mériter, donc de fléchir la colère du Seigneur. Ex-voto, cierges, messes, fondations pieuses, ou même charitables, autant de marchandises que repousse « l’implacable créancier ». Il n’est pas comme ces dieux païens qu’on pouvait suborner, gagner par ses promesses, tenir par des contrats. La « synagogue » pouvait encore admettre que la scrupuleuse observance des règles était agréable au Très-Haut. Mais, au regard de l’apôtre, le temps des observances est passé. La loi mosaïque n’oblige plus le chrétien. Paul se place désormais devant Dieu : non plus avec une justice à lui, qui vient de la loi, mais avec la justice qui vient de Dieu et trouve son point d’impact dans la foi (du Christ). C’est en cela que réside le drame de Luther. Il est entré au couvent pour y observer la paix de l’âme, pour être « un bon moine moinant de moinerie » (Henri Hauser) ; il a usé ses forces, tenté de tuer en lui le péché à force de pénitences et de mortifications. Résultat : néant. Il mesure la vanité des cérémonies et pénitences, l’impossibilité radicale à atteindre le salut par l’observance servile à la loi. Le diable l’a tenté. Et le diable, c’est l’orgueil, l’espoir que par ses mérites, l’homme fera son salut par lui-même. Et croire en soi, voilà l’hérésie par excellence, voilà « le plus perfide et le plus habile suppôt de Satan ». Luther doit constater qu’« il n’y a pas de chemin qui mène de l’homme à Dieu ; il n’y en a qu’un seul, celui qui mène de Dieu à l’homme. » (K. Barth)Mais, avant Luther, le paulinisme avait trouvé accès dans certaines âmes. En 1512, Lefèvre d’Étaples, dans son commentaire de saint Paul, écrivait déjà : « Dieu opère tout en nous… ». Attribuer le mérite aux œuvres serait « exiger un dû », « marchander avec le Très-Haut » ; « Jésus-Christ nous apprend à rechercher la grâce et la miséricorde pour le salut et non d’autres choses plutôt superstitieuses que religieuses. » Et son disciple Aimé Meigret, en 1524 : « Entre nous prêcheurs et docteurs académiques manifestement mettons la charrue devant les bœufs, nos œuvres préférant à la grâce de Dieu… car ce qui vient de grâce n’est jamais mérite, et ce qui est mérite procède de justice et obligation, non de grâce… »« Le monde chrétien vivait hébété par les cérémonies » (Érasme). C’est cela le drame de fond, le fond psychologique dont va naître le nouveau christianisme, qui veut délivrer le fidèle de « la pauvreté desséchante de la doctrine des œuvres », de l’esclavage des « règles mosaïques », comme les Hébreux sont sortis de la terre d’Égypte, de la servitude tremblante à la liberté de l’âme, joyeuse et confiante, illuminée par la grâce divine. La nouveauté réformée va, sur ce point, résider dans l’affirmation que les humains ne peuvent pas se sauver eux-mêmes ; que rien qu’une personne ait déjà fait ou puisse faire par elle-même, ne pourra jamais lui faire gagner la vie éternelle. C’est Dieu lui-même qui, par amour, prend l’initiative de l’offrir ou de la donner. Ce qui sauve, et donc donne à notre vie sa valeur ultime ne tient pas à ce que notre vie contient ou non, à son actif plus ou moins élevé en œuvres pieuses ou autres, mais au fait que pour Dieu, nous comptons inconditionnellement. ***Que dire aujourd’hui de cette affirmation du sola gracia, venu contester les logiques sotériologiques d’alors et redessiner un autre visage de Dieu ? affirmation que Baubérot appelle « la brûlure de la grâce ? » Une brûlure qui vaut à Paul et Barnabas l’incompréhension des siens ; qui déclenchera, avec les réformateurs, « une révolution religieuse à mettre l’Europe chrétienne du 16ème siècle à feu et à sang ». La crise qui voit naître le nouveau christianisme se développe, non pas dans l’abstrait, mais dans des conditions historiques bien spécifiques. En effet, l’Évangile n’est pas un message intemporel ; il n’y a pas d’Évangile qui ne soit inscrit dans l’histoire des hommes. Comme un corps, il se colore, voire se modifie, suivant les milieux où il se trouve successivement plongé. Le salut par la seule grâce de Dieu telle qu’elle s’est manifestée dans les paroles, la vie et la mort de Jésus, le Christ a une résonance concrète et décisive, capitale pour la vie quotidienne et la vie publique ou alors il n’est rien. L’on ne saurait, par conséquent, chercher à transmettre une sorte d’Évangile immuable, dégagé de toute contingence. C’est l’environnement qui fait surgir l’Évangile ; c’est avec lui qu’il interagit. Nous l’avons dit : la Réforme est apparue dans un contexte où le péril suprême était la peur du jugement dernier de Dieu, et la crainte de la damnation éternelle. Or, aujourd’hui, la sécularisation, l’indifférence religieuse, la marginalisation du religieux, la désaffection des Églises, la dilution du ciel, ont complètement changé la donne. Cependant, une nouvelle peur se fait de plus en plus présente : la disgrâce sociale. Et face à elle, un seul rempart : tu as ta place garantie dans la société si et seulement si tu en as les aptitudes, autrement dit les mérites. Plus tes mérites seront importants, plus tu seras garanti de la suprême déchéance qui est la marginalisation, l’exclusion. Cette nouvelle peur a aussi ses obéissances aux règles, ses abstinences, ses œuvres, ses ex-voto, ses cierges, ses messes, ses fondations pieuses, ou même charitables, autant de choses à fourbir pour être socialement recevable. Il est donc devenu capital pour les Églises qu’elles soient au clair sur un sola gracia pour aujourd’hui ; un sola gracia qui ne soit pas qu’un « prêt à croire », mais explicité pour l’homme contemporain, dont l’existence est toujours plus vécue sous le signe du conditionnel : tu as ta place dans la société si tu l’as mérité. Et le voilà tiraillé entre, d’une part, la forte exigence de devoir rendre compte de sa vie en terme de bilan et, de l’autre côté, le désir profond d’un refuge qui préserve des aléas des échecs ou des réussites, bref, de compter inconditionnellement.