Textes : Jean 4, v. 43 à 54 Ps 103 Genèse 50, v. 15 à 21 Romains 14, v. 7 à 9 Matthieu 18, v. 21 à 35Henri Bellamy-Brown, Bernard Dorey, Pasteur Pierre-François Farigoule, Alain Lejoncour et Philippe MauriceTélécharger le document au complet

Les présentes notes bibliques et les sermons qui les accompagnent sont le fruit du travail du groupe de prédicateurs laïcs de l’ERF Vannes-Morbihan Est. La réalisation de ces notes a servi de point d’appui pour notre année de formation. C’est un travail collectif et pour cette raison, nous avons deux sermons à proposer pour le même prix. Ils sont signés de leurs auteurs et évoquent la diversité d’approche possible à partir d’un même texte et du travail commun sur ce texte. Nous avons mesuré également la richesse d’un tel texte et restons conscient que nous n’en avons pas épuisé toutes les richesses. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes limités au texte de l’évangile de Matthieu parmi la liste de lectures de ce dimanche.(Henri Bellamy-Brown, Bernard Dorey, Pierre-François Farigoule (pasteur), Alain Lejoncour, Philippe Maurice).

Notes bibliques

Vocabulaire : 1- Doulov, esclaves, serviteur : Doulov (doulos) est traduit dans le Nouveau Testament par « esclave » ou « serviteur ». Le premier sens est « esclave ». Dans notre texte il est associé à basileuv (basileus), « roi » ce qui met en évidence la relation de maître à esclave ; l’esclave est propriété de son maître, il est taillable et corvéable à merci, il peut être vendu sans tenir compte de sa famille éventuelle ; c’est presque une chose. Des esclaves entre eux sont des « sundoulos » des collègues en quelque sorte. Ils partagent le même statut, aussi peu de droits et les mêmes devoirs. Le peuple juif a été esclave en Egypte, un esclavage du même genre que celui que nous trouvons dans les civilisations grecques ou romaines. Par contre les juifs en Palestine ont pratiqué l’esclavage mais d’une manière plus éclairée et libérale. Un homme israélite pouvait par condamnation de justice ou par contrat négocié, devenir esclave de son créancier afin de payer sa dette (voir notre texte de Mt 18). Il retrouvait alors sa liberté et était affranchi au bout d’une durée de six ans ; cela correspond à environ deux mille jours de travail de probation, de remboursement. Les usages étaient moins rudes qu’ailleurs. On n’a pas de traces de soulèvements d’esclaves en Israël contrairement à Rome ou Athènes. Un esclave pouvait jouer un rôle important dans la vie d’une maison jusqu’à un rôle d’intendant, des fonctions de représentation de son maître, et même hériter ou épouser la fille de son maître. « diakonov » (diakonos), à la différence de (doulos), signifie « serviteur » et jamais « esclave ». Il est au service d’un autre, moyennant salaire ou pas, libre de partir et ne pouvant être vendu. Jésus-Christ lui-même s’est fait le diakonos de tous. Ce mot qui donnera diacre. 2 –Afihmi (aphiêmi), pardonner, remettre la dette, laisser libre : Nous retrouvons ce verbe tout au long de notre texte dans les deux parties du récit : – Dans le dialogue introductif entre Pierre et Jésus (v21 & 22) et au dernier v35 où nos bibles traduisent par « pardonner ». – Dans la parabole (v23 à 34), il est le plus souvent traduit en « remettre une dette ». Parmi les autres sens possibles on trouve « laisser libre ». N’est-ce pas ce que le maître se propose de faire vis à vis de son esclave. Mais aussi annuler, permettre, laisser faire, tolérer, oublier, abandonner, négliger, congédier. Il s’agit d’un verbe aux sens multiples qui se déterminent par le contexte. Il est bon de garder cette diversité du champ sémantique dans notre traduction, même si dans ce récit, le sens « remise de dette » est à privilégier. On n’oubliera pas que tout au long du texte, c’est le même verbe grec Afihmi (aphiêmi). 3 – σπλαγχνισθεìς (splangnistheis), être ému, ressentir de la compassion, être en empathie (v27) : La racine du verbe est « les entrailles », d’où une traduction très littérale serait « remué aux entrailles ». En langage courant, on dirait que « ça vous prend aux tripes ». On est dans le domaine de l’émotion par opposition à l’expression du v35 « pardonner de tout son cœur ». 4 – μ φτε καστος τ δελφ ατο π των καρδιων μων (v35), « ne pas pardonner à son frère depuis son cœur » : Nos bibles traduisent « pardonner de tout son cœur ». Le cœur dans l’anthropologie biblique est la source et le siège des passions et des émotions. C’est aussi le lieu des débats intérieurs, le lieu où se font les choix éthiques. C’est enfin le lieu de la vie spirituelle, le lieu de la relation intérieure avec Dieu. Ce qui induit une autre dimension du pardon dans la bouche de Jésus : plus que sentimental ou sorti d’un coup de cœur, mais bien profondément réfléchi à tous les niveaux de la personne. 5 – Monétique : 1 talent = 6000 deniers (monnaie romaine). 1 denier est le prix habituel d’une journée de travail (cf. la parabole des ouvriers de la 11ème heure). On prend conscience de la dette incommensurable de l’esclave envers son roi, mais aussi de l’importance que représente pour une personne sans ressource la dette de son collègue envers lui soit 100 journées de travail.

Construction narratologique :

1ère partie (v. 21-22) :

Le dialogue entre Jésus et Pierre fait suite à un enseignement à l’intention des disciples qui commence au v1 du chapitre 18. Le thème du pardon est abordé par Jésus au v15 qui invite à un travail de dialogue avec « le frère qui a péché contre toi ». Puis au v21 Pierre, le disciple interroge le maitre non sur le po du pardon, mais bien sur le comment.Pour Pierre, ce comment s’expose selon une logique comptable : à un péché de mon frère correspond un pardon de ma part. Il propose d’y mettre une limite chiffrée. La réponse de Jésus provoque le disciple/auditeur/lecteur à changer de logique. Jésus utilise la logique des antithèses du sermon sur la montagne : « on vous a dit… et bien moi je vous dis… » qui provoque le lecteur à constater l’impasse de sa propre logique. A comptabiliser le pardon jusqu’à 490, on approche de l’impossible humain : qui peut pardonner 490 fois à la même personne ? Pour en sortir, il faut entrer dans une autre logique.Dans ce dialogue, Pierre parle à la première personne du singulier : « Je ». Cette astuce d’écriture invite le lecteur/auditeur/disciple à s’identifier à Pierre et de se poser la question pour lui-même. Il/elle, s’inclus ainsi dans le processus de réflexion. Cette inclusion du lecteur/auditeur/disciple se confirme par la conclusion de la parabole au v. 35 où Jésus s’adresse à chacun-e de l’auditoire/lectorat (deuxième personne du pluriel).

2ème partie (v. 23-35) :

À travers une parabole, Jésus révèle une autre logique, celle du Royaume des Cieux. Récit en quatre temps suivit d’une conclusion en forme d’injonction : Jésus traite du pardon sur le registre « dette ßà remise de dette » (cf. vocabulaire et les multiples significations de aphiemi).

  1. Vs. 23-27 :

Situation de départ à Dette énorme d’un serviteur envers son maitre qui demande des comptes. Détresse du serviteur devant la perspective de la punition prévue par la loi. Supplication du débiteur, « compassion/empathie » du créancier. Situation finale à remise de la dette. C’est « l’empathie » qui provoque le dénouement du drame.

  1. Vs. 28-30 :

Transition à « en sortant » (v28) révèle un enchainement immédiat de l’action. Situation de départ à même situation, mais entre le serviteur bénéficiaire de la remise de dette et un de ses collègue débiteur à son égard. Le narrateur précise le montant de la dette. Même déroulement dramatique (dette, menace de punition, supplication du débiteur). Refus du créancier. Situation finale à recours en justice et prison pour le collègue débiteur. C’est « l’absence d’empathie » qui provoque le dénouement du drame.

  1. V. 31 :

Transition à « en voyant ce qui arrivait » (v31) assure une continuité de l’action sans temps mort. Situation de départ à Les « compagnons » du serviteur « tristes » de cette situation le rapportent au maitre. Situation finale à Le maitre est informé. C’est la « tristesse » des serviteurs qui motivent l’action d’information envers le maitre.

  1. Vs. 32-34 :

Transition à « alors le maitre le fit appeler » (v32a) : le recours au passé simple indique une action ponctuelle. Situation de départ à nouvelle comparution du serviteur devant le maitre. Le maitre lui fait la leçon : « tu devait avoir compassion comme j’ai eu compassion de toi ». Déclenchement de la « colère » du maitre qui fait exécuter la peine originelle. Situation finale à exécution de la sentence. C’est la « colère » du maitre (v34) qui provoque le dénouement du drame.

  1. V. 35 : Conclusion de Jésus : « c’est ainsi que mon père vous traitera… » si vous ne remettez pas chacun à son frère venant des cœurs de vous (traduction littérale). Cette injonction s’adresse à tous les auditeurs de l’enseignement.

Commentaire :

Une interprétation classique de cette parabole identifie Dieu Notre Père avec le maitre et partant, le disciple avec le serviteur. Cette interprétation demeure valable, mais ne doit pas empêcher d’aborder le texte différemment, sans maintenir a priori ces identifications des personnages. Posons quelques questions au texte : – Pourquoi si l’annonce du Royaume de Dieu est une bonne nouvelle, cette parable « du royaume » provoque-t-elle de l’effroi ? Si on suit l’enseignement de Jésus tel que compris dans sa première réponse à Pierre (tu pardonneras 70×7 fois), le maitre n’est-il pas en contradiction ? Qui est ce maitre qui cède à la colère et n’est pas capable de pardonner au moins deux fois ? – Pourquoi les collègues du premier esclave vont ils rapporter au maitre et ne mettent-ils pas en pratique l’enseignement recommandé par Jésus à propos du pardon entre frères (cf. 18, 15-18) ? Reprenons cette histoire telle quelle, comme une histoire possible au quotidien des disciples :

1. Les dénouements dramatiques de chaque temps du récit :

1er temps : La décision du maitre de faire rendre comptes est remise en cause par son émotion : ému aux entrailles, il entre dans une autre logique et accorde un délai. 2ème temps : La décision du serviteur de faire rendre comptes à son collègue n’est pas remise en cause par son absence d’émotion : « tu aurais du être ému aux entrailles comme je l’ai été envers toi ». Il fait exécuter ce que le droit permet. Le serviteur demeure dans la logique comptable de la remise de dette à laquelle il pose la limite de ce qu’il peut supporter. Il vient d’échapper à un sort terrible, autant qu’il commence dès maintenant à ne plus être en dette envers quiconque et inversement. 3ème temps : c’est l’émotion de la tristesse qu’éprouvent les compagnons du serviteur qui fait que le maitre en est informé et intervient à nouveau. 4ème temps : La colère du maitre remet en cause la remise de dette du 1er temps et lui fait recouvrer son bien par la contrainte de justice.On constate que ce qui provoque ces changements (la sortie de la logique comptable vers une autre logique ou le retour vers la logique comptable), ce sont les émotions des personnages : compassion « ému aux entrailles » (sortie de la logique comptable), absence de compassion (maintient dans la logique comptable), tristesse (dénonciation), colère (retour à la logique comptable). L’aboutissement de la parabole est dramatique : le maitre revient sur sa remise de dette, les deux serviteurs sont en prisons pour rembourser chacun leurs dettes ; la tristesse et la colère dominent.On pourrait en conclure alors que de céder à l’immédiateté de l’émotion, que ce soit la compassion, la tristesse ou bien la colère, n’apporte rien de bon pour personne. La conclusion de Jésus au v35 confirme la nécessité du pardon comme remise de dette. Cependant, il renvoie les auditeurs de la parabole non à l’émotion comme source du pardon, mais au « cœur » (pardonner de tout son cœur, cf. vocabulaire), ce qui est tout autre chose.

2. La dynamique rythmique :

Au v21 Pierre a introduit la réalité vécue de la répétition de la faute du frère envers lui. Son expérience conçoit le temps rythmé par les fautes et les pardons… limités à sept selon Pierre ou à 490 selon Jésus.Dans la parabole, les ruptures introduites par les émotions des protagonistes accélèrent le temps : on entre dans l’immédiateté de l’action consécutive à l’émotion ressentie (compassion à remise de dette ; tristesse à dénonciation ; colère à condamnation). Cette accélération du temps est renforcée par la soudaineté de la rencontre entre le premier serviteur et son collègue débiteur à son égard (v. 28 : en sortant…).

Pistes de prédications :

1. Pardonner de tout son cœur : se donner le temps de remettre définitivement la dette.

La réponse de Jésus à la question de Pierre répond à la question du « comment exercer le pardon ». Le pardon est comparé à la remise d’une dette. Il n’est pas question de comptabiliser la dette mais de la remettre.Dans la logique du royaume, le pardon n’est ni affaire de calcul ni affaire d’émotion. Le pardon se « travaille » dans le « cœur » au sens biblique (lieu de la spiritualité, de l’accueil des émotions, de la réflexion, de la méditation, du dialogue intérieur avec Dieu qui le premier nous a remis notre dette, du choix, de la décision). Faire le choix du pardon, de remettre les dettes à celui ou celle que Jésus désigne comme notre frère/sœur, est le fruit d’un débat intérieur afin d’aboutir à un acte volontaire et définitif. Le texte montre bien que la combinaison entre émotions (réaction humaine marquée par la nécessité de répondre à un besoin dans l’instant), et enchainement des événements sans pause dans le temps provoque un dénouement dramatique. L’injonction de Jésus d’aller chercher le pardon au fond de son cœur, au contraire invite à un travail qui engage toute la personne, qui ne disqualifie pas les émotions ressenties ni ne cède à l’immédiateté qu’elles appellent, mais les accueille dans ce travail intérieur du cœur. Entrer dans ce travail intérieur fait brèche dans la précipitation du temps.

2. Pardon de Dieu, pardon des hommes : Le pardon, une démarche personnelle au retentissement communautaire :

Nous n’avons pas écarté définitivement l’interprétation classique. Si nous reprenons une interprétation du texte avec l’identification de la personne du maitre avec la personne de Dieu Notre Père et celles des serviteurs avec les disciples/lecteurs/auditeurs du texte, alors il se dégage une piste de prédication qui établit un lien entre le pardon de Dieu et le pardon des hommes. Le second se fonde sur le premier.La parabole introduit le lien entre tous, le maitre, le serviteur en dette, l’autre serviteur en dette, et les témoins de ces échanges de remise de dette. Un pardon donné ou refusé affecte toute une communauté humaine. La parabole invite à entrer dans une démarche personnelle qui aura une répercussion sur la vie communautaire.Le lien entre la dette remise et la créance remise : renvoi à la demande du Notre Père : « Pardonne-nous comme nous pardonnons aussi… ». Le mot grec « comme » peut avoir soit le sens comparatif « à la mesure de notre pardon envers nos frères », soit le sens consécutif « Comme nous avons été pardonnés, que nous pardonnions à ceux qui nous ont offensé ». L’ambigüité du grec est à conserver avec les deux possibilités de traduction.

3. Pardonner et oublier est-ce la même chose ? Distinguer le fait de la personne :

Dans la parabole, la dette est toujours présente. Elle est effacée dans un premier temps mais réapparaît à la fin de la parabole. De même la faute à pardonner n’est pas oubliée, elle reste. Jésus ne s’intéresse pas à l’origine de la colère, du ressentiment, de la souffrance mais à la personne qui en est victime, qui en souffre, qui s’y enferme. Le pardon est le moyen qui permet une ouverture et une nouvelle possibilité de recréer à nouveau une relation entre l’offenseur et la victime

4. Autres pistes que nous avons évoquées sans les approfondir :

– La colère du maitre et la colère de Dieu.- La notion de jugement dans l’évangile de Matthieu.

 

Courte bibliographie :

– Bonnard, Pierre, L’Evangile selon saint Matthieu, Genève : Labor et Fides, 2002.- Basset, Lytta, Le pardon originel, Genève : Labor et Fides, 1995.- Marguerat, Daniel, Le jugement dans l’évangile de Matthieu, Genève : Labor et Fides, 1995.

Prédication 1 Le pardon – Henri Bellamy-Brown

Aujourd’hui 11 septembre 2011. Il y a dix ans le 11 septembre 2001, quatre avions détournés qui s’écrasent sur le World Trade Center, le Pentagone et dans un champ en Pennsylvanie. 3000 victimes.Pardonner ?1939 – 1945 : 6millions de juifs exterminés. Des femmes, des hommes et des enfants dont on est allé jusqu’à rayer le nom et l’identité en leur tatouant des numéros matricule sur le bras pour leur ôter toute humanité.Pardonner ?22 juillet 1209, siège de Béziers par les troupes de Simon de Montfort. Le massacre total de la population y compris les femmes et les enfants réfugiés dans les églises et cette phrase terrible « tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens »Pardonner ?Et pour nous-mêmes, au cœur de nos vies, ces blessures, ces souffrances causées par d’autres. Ces gestes ou ces mots qui tuent, qui bafouent qui avilissent, ces mensonges, ces trahisons,Pardonner ?Est-ce qu’il est toujours humainement possible de pardonner, est ce qu’il n’y aurait pas des actes impardonnables comme le pense ce philosophe juif quand il écrit « le pardon est mort dans les camps de la mort », est-ce que le pardon ne serait pas trop facile et qu’il ne ferait pas la part trop belle à l’offenseur en oubliant la victime. Et si l’on me pardonne à moi, qu’est ce que je fais de ma haine ?Est-ce que ceux qui arrivent à pardonner ne sont pas des gens un peu illuminés, hors du monde, inatteignables, des surhommes à un autre niveau que le mien ? Est-ce que pardonner finalement n’est pas au-dessus de mes forces ?Et pourtant ce matin nous sommes confrontés à cette parole et plus à ce qui ressemble à une mise en garde telle qu’elle est formulée à la fin de la parabole: « C’est ainsi que mon Père Céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur » Cela voudrait-il dire que nous sommes condamnés si nous ne pardonnons pas?Retournons au texte.Cette parabole fait suite à une question de Pierre à Jésus sur la manière dont il faut pardonner les fautes. Combien de fois lui pardonnerai-je ? Pierre pose cette question dans une logique de justice ; de proportionnalité du pardon par rapport à la gravité de la faute, dans une logique résolument comptable. La réponse de Jésus est complètement insensée, déraisonnable « Je ne dis pas jusqu’à 7 fois mis jusqu’à soixante dix fois sept fois » La TOB précise que pardonner 70 fois sept fois soit 490 fois veut dire pardonner indéfiniment. Par cette réponse Jésus veut montrer que Pierre, à qui nous nous identifions, s’est trompé de logique et que le pardon ne peut pas s’inscrire dans une logique comptable mais dans une autre démarche qui va être illustrée par la parabole.Cette parabole comporte 4 phases:La première est la remise de la dette énorme d’un serviteur (équivalente à 2,4 milliards d’euros actuels) par son maître pris de pitié.La seconde est que ce même serviteur immédiatement après, usant de violence, refuse de remettre la dette d’un de ses compagnons qui ne lui devait que l’équivalent de 3800 euros et l’envoie en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé tout ce qu’il lui devait.Dans la troisième phase les amis de la personne emprisonnée, sous le coup de la tristesse et de l’émotion, vont raconter au maître ce qui s’est passé.Enfin dans la dernière phase le maître ulcéré par l’attitude du premier serviteur et sous le coup de la colère, revient complètement sur ce qu’il avait décidé et livre aux tortionnaires le débiteur impitoyable jusqu’à ce qu’il rembourse sa dette.Dans chacune des phases, le moteur de l’action est en rapport avec un sentiment, la pitié, la compassion, le manque de compassion, la tristesse et la colère. On quitte le domaine mathématique pour rentrer dans celui du sentiment Le pardon n’est pas de l’ordre du calcul mais de l’ordre du cœur comme le précise Jésus dans cette expression « pardonner du fond du cœur ».Dans la première phase de la parabole, on notera que la dette est remise. Il n’y a pas d’échéancier de remboursement, de renégociation. C’est à l’initiative du maître seul et c’est une remise totale. Le verbe remettre la dette peut également être traduit par pardonner, annuler, laisser aller. Le maître laisse aller son serviteur, lui remet sa dette et lui pardonne sans conditions malgré l’énormité de sa dette. Celle-ci n’est pas oubliée (elle réapparaîtra à la fin de la parabole) mais elle est remise. Le pardon n’est pas l’excuse, il n’efface ni ne minimise la faute. L’objet de la blessure n’est pas oublié mais le pardon libère, met en mouvement et permet de sortir d’un cercle vicieux de ressentiment ou de haine, pour établir un autre mode de relations.C’est ce que le serviteur impitoyable n’était pas prêt à comprendre ou n’a pas voulu comprendre. Il scelle alors lui-même sa propre histoire. Il ne peut en vouloir à personne, il ne peut accuser personne. Il avait à son tour la liberté, le choix d’effacer la dette de son compagnon, mais il ne l’a pas fait et c’est cela qui provoque la colère du maître. Il n’a pas compris que le pardon est une démarche, une mise en mouvement et qu’il était appelé à son tour à inscrire sa propre histoire dans la dynamique du pardon.Ce n’est pas facile de vivre dans cette dynamique, de recevoir gratuitement ce pardon de Dieu. Il faut du courage, le courage de la confiance, pour accepter d’être accepté quoique l’on soit inacceptable, pour accepter de sortir de notre enfermement, pour aller à la rencontre de l’autre par qui nous avons été blessés et pour rétablir avec lui des liens rompus.Et ce qui me frappe dans cette parabole, c’est qu’il est difficile de ne pas la rapprocher de la cinquième demande du Notre Père « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ».ou plutôt pour rester plus proche du texte original « remets-nous notre dette comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Intégrée au Notre Père, cette exigence de Jésus n’est donc pas de l’ordre du commandement mais de la prière comme pour bien mettre en lumière la difficulté du pardon et la nécessité de replacer sans cesse cette démarche de pardon dans notre relation à Dieu. Et c’est là que nous allons peut-être trouver une réponse à cette sorte de mise en garde dont nous avons parlé plus haut.Dans le Notre Père nous reconnaissons d’abord que nous sommes redevables à Dieu d’une dette. Est c’est cela qui dans notre monde d’excellence, d’individualité est difficile à accepter. Le fait d’être redevables d’une dette que nous ne pourrons jamais rembourser par nos propres moyens et accepter que cette dette soit remise par Dieu est quelque chose de difficile à avaler pour nous qui comptons souvent sur nous-mêmes pour surmonter nos épreuves. Le courage d’être, à cet égard, est le courage d’accepter le pardon de ses péchés non comme une affirmation abstraite mais comme l’expérience fondamentale de la rencontre avec Dieu »Notre dette est remise à priori. Le texte de cette demande du Notre Père pourrait faire croire que la remise de notre dette, le pardon de nos offenses par Dieu serait conditionné au pardon que nous accorderions à ceux qui nous ont offensés. C’est toute l’ambiguïté du mot « comme », si nous le prenons au sens de puisque. Ce n’est pas parce que ou puisque nous pardonnons aux autres que nous sommes pardonnés à notre tour ; ce n’est pas non plus une question de mesure comme si nous pourrions être pardonnés à la hauteur du pardon que nous accorderions à l’autre. Nous reviendrions alors à cette logique de calcul, mathématique dont nous avons parlé et que Jésus a rejetée.Il me semble qu’il faut plutôt prendre le mot « comme » au sens de « de même que ». Le pardon que nous donnons est concomitant, est une conséquence et accompagne celui que nous avons reçu. C’est au moment où nous réalisons pleinement et acceptons totalement cette liberté du pardon de Dieu qui nous a été donné, que nous pouvons alors nous libérer de nos rancunes, de nos souffrances et de nos haines en pardonnant à l’autre, en nous donnant (car pardonner c’est se donner) pour rétablir les liens brisés. Quand nous refusons de pardonner, nous nous faisons témoins d’un Dieu qui pèse, qui juge qui compte et nous ne pouvons pas nous dire libres puisque nous restons prisonniers de nos blessures ; du mal qui nous a été fait. Alors oui cette mise en garde de Jésus prend tout son sens en soulignant que cette démarche est difficile, délicate, longue et fragile qu’elle est un combat contre nous-mêmes et qu’elle nous engage totalement. C’est le sens de l’expression pardonner de tout son cœur. Dans la culture juive le cœur en plus d’être le siège des émotions, des passions est celui de la volonté, des débats intérieurs, des choix éthiques, de la vie spirituelle. Pardonner de tout son cœur est donc une démarche qui demande un engagement total, réfléchi par rapport à l’autre mais également par rapport à Dieu. Nous ne pouvons pas réussir seuls et nous avons besoin quotidiennement de porter cette démarche de pardon dans notre prière pour en comprendre et accepter l’origine et la nécessité. Le pardon se construit et se reconstruit tous les jours. Il nous faut sans cesse revenir à la croix qui est la source du pardon et sur laquelle le Fils de l’Homme et Fils de Dieu dans un ultime élan d’amour dit « Père pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ».Le chemin du pardon est long, difficile, semé d’embûches mais nous ne sommes pas seuls sur ce chemin. La croix est là pour nous le rappeler Nous sommes accompagnés par Celui qui en se chargeant de nos péchés et en acceptant de mourir pour nous, nous a libérés pour toujours de notre dette en ressuscitant au matin de Pâques. AmenEt pour conclure, je voudrais partager avec vous ce texte dont l’auteur est inconnu :Pardonner,Ce n’est pas tout laisser passerPardonner ce n’est pas tout oublier.Pardonner ce n’est pas être faible,C’est être fort pour vaincre le mal.Pardonner c’est refuser la rancune,L’exaspération, la vengeance ;Le mal que m’a fait l’autreMe brûlera longtemps,Mais je refuse de le lui faire payer.PardonnerC’est regarder la faute en face,C’est la regarder à deux :Celui qui l’a commiseCelui qui la pardonne.Mais s’il y a l’Amour,Il n’y a ni juge ni victime.Pardonner c’est redonner ma confiance,Sans réserve, à celui à qui je pardonne.C’est lui dire : »Tu es meilleur que ce que tu as fait »Pardonner, c’est lui permettreDe retrouver confiance en lui-même.Pardonner, c’est porter avec l’autreLe mal qui est en luiEt qui est en moi aussi.Demain c’est lui qui devra me pardonner.Ensemble nous sortirons du malQui est en nous.Pardonner c’est vivre et faire vivreAvec un cœur nouveau.Pardonner, c’est aimer deux fois.Amen

Prédication 2 Le pardon – Bernard Dorey

Pierre interroge le Seigneur dans un esprit quelque peu légal ; il faut pardonner, mais enfin il doit y avoir une limite. Combien de fois doit-on le faire ? Pierre a-t-il le sens de la grâce qui lui a été faite ? Il n’y a pas de limite, répond le Seigneur ; il faut toujours pardonner. Non seulement à l’égard de ceux que nous aimons, mais même envers nos ennemis. Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous. Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et il a envoyé son Fils à la croix pour nos péchés. Et si l’on ne vous pardonne pas ? Il arrive malheureusement que malgré notre démarche de repentance sincère, ceux que nous avons offensés refusent de nous pardonner. Alors on est tenté de jeter l’anathème, de s’irriter, de proférer des jugements injustes et le plus souvent on est très malheureux. Le meilleurs recours c’est encore de se réfugier dans le Seigneur avec confiance et en priant pour ceux qui restent insensibles à notre démarche, sachant avec certitude que Dieu, lui, nous a pardonné. Il rendra la paix à notre âme, et y versera aussi sa compassion pour les offensés inflexibles ! Quelles conditions pour le pardon ? Premièrement :le pardon est un état d’esprit, une disposition du cœur qui s’appelle : « la miséricorde ». Or la miséricorde est un sentiment fait de bonté, de compassion, de bienveillance et d’amour. La miséricorde est inspirée dans le cœur de celui qui pardonne par l’amour qu’il éprouve pour le pécheur. Dieu est miséricordieux, compatissant, lent à la colère, riche en bonté, etc.. La miséricorde c’est l’amour accordé gratuitement en réponse à la seule repentance du pécheur qui a un grand regret de ses fautes. Deuxièmement : la repentance. Bien sûr, si le pardon est offert gratuitement, il faut que ceux qui le recherchent se repentent sincèrement de leurs péchés. Si ton frère a péché, reprends-le et s’il se repent, pardonne-lui. La repentance de celui qui a fait l’offense est indispensable, même si nous savons que le pardon est prêt à être accordé. Après m’être détourné, j’éprouve du repentir. Il y a des gens qui refusent de se repentir, alors ils ne peuvent pas recevoir le pardon mais le jugement divin demeure sur eux : Nous arrivons à pardonner à ceux que nous aimons, mais comme cela est difficile de pardonner à ceux qui nous ont fait du mal, profondément blessés. Or nous blessons profondément Dieu par nos offenses, et en réponse à ces offenses, il a envoyé son Fils pour nous sauver, Christ est venu s’offrir lui-même comme victime expiatoire pour nos péchés et le Saint-Esprit insiste auprès de nous pour nous convaincre et nous attirer à Jésus afin de recevoir le pardon de nos péchés et la vie éternelle. On peut dire que Le pardon de Dieu est un pardon parfait : Celui qui est pardonné n’a plus conscience de ses anciens péchés. Je t’ai fait connaître mon péché, je n’ai pas caché mon iniquité; J’ai dit: J’avouerai mes transgressions à l’Éternel ! Et tu as effacé la peine de mon péché. Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité. Nous devons confesser à Dieu nos péchés, mais aussi à ceux que nous avons offensés en leur demandant pardon. « S’il revient à toi en disant : je me repens, pardonne lui. » Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. Ils sont heureux et le proclament, car ils perçoivent la dimension du pardon. Cela s’appelle la joie du salut. Dieu dit qu’il met nos péchés à une distance comparable à celle qui sépare l’orient de l’occident. Du moment que Dieu les a oubliés, nous ne devons pas revenir sur des fautes pardonnées pour nous culpabiliser ou attendre un meilleur pardon, car ce serait une injure à son amour. Un des résultats du pardon reçu, sur lequel Jésus a beaucoup insisté, c’est le pardon que ceux qui ont été pardonnés doivent accorder aux autres. Ainsi, dans le notre Père, que nous allons dire tout à l’heure, il nous fait exprimer le rapport entre le pardon reçu de Dieu et celui que nous donnons à ceux qui nous ont offensés. Si cette mesure est appliquée, elle indique que nous avons vraiment compris le pardon de Dieu et que nous avons fait le juste rapport entre l’énorme dette qui nous a été remise et les petites créances que nous remettons à notre tour. Aux 10 000 talents qui représentent la dette qui nous a été remise, Jésus oppose les 100 deniers figurant la dette des autres envers nous . Le principe enseigné ici est celui de la relation entre l’amour et le pardon. Ainsi l’apôtre Paul nous exhorte à nous pardonner mutuellement à cause de la bonté que nous devons nous témoigner les uns les autres. Soyez bons les uns envers les autres, compatissants, vous pardonnant réciproquement : « comme Dieu vous a pardonné en Christ. » Malheureusement, notre pardon est souvent à notre image : petit, restrictif, sélectif, suspicieux. Or la miséricorde de Dieu est infinie, la hauteur, la profondeur, la longueur et la largeur de l’amour de Christ sont incommensurables…Tandis que notre miséricorde est limitée. La miséricorde de Dieu est libérale, large et profonde. Elle englobe TOUS les péchés ! Notre miséricorde est restrictive, car nous avons une notion légaliste et sélective du péché…Certains péchés nous semblent impardonnables. La miséricorde de Dieu est confiante et pleine d’espérance pour la réhabilitation du pécheur… Notre miséricorde est suspicieuse quant à la sincérité de l’offenseur et à sa capacité de changer. La miséricorde de Dieu est sans retour : Il ne nous rappelle pas sans cesse nos fautes. Il les oublie. Il efface nos péchés comme un nuage que le vent emporte, il les éloigne de nous à une distance infinie, il les jette derrière lui, les met sous ses pieds, les jette au fond de la mer, il ne s’en souvient plus. Nous, nous sommes prompts à faire remonter le passé des autres à la surface. Les dimensions de notre amour sont comme celles d’un manteau trop étroit qui couvre imparfaitement. Avant tout, ayez les uns pour les autres une ardente charité, car la charité couvre une multitude de péchés. Celui qui couvre une faute cherche l’amour, Et celui qui la rappelle dans ses discours divise les amis. Nous avons beaucoup à apprendre du Seigneur dans le domaine du pardon accordé aux autres. Je crois qu’il est nécessaire de laisser le Saint-Esprit développer en nous les sentiments de Dieu. Ayons en nous les sentiments de Jésus-Christ… La compassion, la bonté, la patience, la miséricorde, l’amour … Notre cœur est repris ; savons-nous pardonner autant de fois qu’il est nécessaire ? Notons qu’il s’agit ici de torts personnels. Lorsqu’il s’agit de péchés contre Dieu, il ne nous appartient pas de pardonner. Au moyen d’une parabole, le Seigneur nous donne une raison pour pardonner à nos frères : c’est l’immensité du pardon qui nous a été accordé ! Il n’y a pas de commune mesure entre la dette qui nous est remise et celle que nous pouvons avoir à remettre à un frère. Il serait gravement injuste aux yeux de Dieu que de ne pas pardonner à nos frères. Ayons très profondément conscience de la grâce qui nous est faite, et de la petitesse relative des torts que nous pouvons avoir à subir. On trouve dans le passage correspondant de Luc (17 : 4) une différence instructive : après avoir invité ses disciples à reprendre le frère qui a péché, comme au verset 15 du chapitre de Matthieu, le Seigneur présente la repentance de ce frère comme une condition du pardon. Sans doute, le Seigneur veut-il que notre cœur soit constamment et immédiatement disposé à pardonner. C’est l’enseignement de Matthieu ; mais pour exprimer le pardon à celui qui a péché, il est convenable qu’il ait pris conscience de son péché et dise : « Je me repens » – c’est ce que montre le passage de Luc. Sans cette démarche difficile, nul ne pourrait pas avoir une vraie paix dans son cœur, ni des relations libres et heureuses avec son frère. Jésus utilise une parabole pour illustrer son enseignement : (v. 23-35) Il montre par cette parabole que nous devons agir les uns envers les autres com