Textes : Ps 34, v. 16 à 23 Josué 24, v. 1 à 18Éphésiens 5, v. 21 à 32 Jean 6, v. 60 à 71Pasteur Noémie WoodwardTélécharger le document au complet
Introduction D’une écriture plus tardive que les 3 évangiles synoptiques, l’évangile de Jean est généralement daté autour de 90/100 de notre ère. Pour autant il a une dynamique christologique très affirmée qui peut être une clef de lecture pour les autres évangiles. L’idée conductrice de l’écrit est de manifester que le Jésus terrestre est le Fils envoyé par le Père et qui retourne à lui après avoir accompli son œuvre. Cet évangile a donc une intention théologique particulièrement bien explicite. Sans doute est-il le fruit d’un long processus d’écriture issu d’un travail littéraire et théologique fort. Son caractère particulier par rapport aux autres évangiles laisse à penser qu’il a été écrit non pas par un individu particulier, mais par un cercle théologique formé autour du disciple bien aimé, cercle que l’on reconnaît généralement sous le nom d’école johannique. Contexte direct du texte Notre passage fait suite au récit de la multiplication du pain, où Jésus nourrit cinq mille hommes et enseigne cette multitude sur ce qu’il est : c’est-à-dire le pain de vie, pain descendu du ciel qui n’est pas nourriture pour le corps, mais nourriture pour la vie. Ce passage qui précède est important pour deux choses : La première parce que dans l’Évangile de Jean il n’y a pas à proprement parler d’institution de la Cène. Le dernier repas dans cet évangile est marqué par le lavement des pieds. La notion de pain et de vin, de recevoir par la nourriture le sang et le corps du Christ est donc particulièrement abordée dans ce passage. Jésus, en évoquant la manne donnée dans le désert, se situe lui aussi comme pain envoyé de Dieu pour nourrir le monde, à la différence qu’il n’est pas une nourriture substantielle pour le corps, une nourriture donnée à un moment précis et particulier de l’histoire, mais une nourriture spirituelle qui est fondement de l’être tout entier. La deuxième raison, c’est que ce texte introduit particulièrement la situation de celui qui est l’objet de notre étude. Il met en tension deux possibilités de se nourrir face à Dieu et oblige l’être, le croyant, à regarder en lui-même de quelle possibilité il vit. Or Jésus affirme qu’il est la seule voie pour venir à Dieu, de ce fait il bouscule la compréhension habituelle du salut. Par ailleurs, en évoquant la manne, nourriture bienfaitrice pour que la vie s’écoule comme avant au-delà du désert inhospitalier, Jésus se place certes comme envoyé par Dieu tout comme la manne, mais touche également à l’intime de la foi juive. Se proclamant pain de vie, pain qui n’est pas nourriture pour le corps, mais essence, fondement de l’existence, élément tout aussi nécessaire –sinon plus que la manne, il introduit une tension forte entre une pratique héritée depuis plusieurs générations et une manifestation nouvelle de Dieu. C’est donc cette tension qui précède notre texte. Après celui-ci, ce que l’on note, c’est un mouvement de rejet, un mouvement qui vise à chasser Jésus de la Galilée, alors que sa vie est menacée par les juifs en Judée. Notre texte est donc une sorte de conclusion de la situation passée et véhicule la situation à venir. Pour le dire en peu de mots, ce passage nous exhorte à accepter le Christ tel qu’il se présente, c’est à dire mourant à la croix et non pas selon les modalités de notre désir. Aperçu du texte v. 60 Un lien est directement établi entre le texte qui précède et celui-ci. De la parole de Jésus découle une réaction : la foule de disciples est frappée par la dureté de sa parole, c’est à dire de cette exclusion manifeste du salut de tous ceux qui se contentent de suivre la tradition sans mettre au cœur de leur foi ce Jésus de Nazareth. Ce verset révèle que beaucoup viennent pour la manne c’est à dire une nourriture du corps d’abord, alors que Jésus propose une nourriture de l’esprit. Ce faisant il pousse les uns et les autres à chercher en eux les raisons de leur présence auprès de lui : est-ce un besoin physique (miracles, prodiges) ou un besoin spirituel, une démarche de confiance, de foi ? vv. 61-62 Jésus prend la parole. Il sait que les disciples murmurent. Murmurer dans le nouveau testament est généralement négatif. Le murmure, c’est ce que nul n’ose dire à haute voix. C’est donc le son du mécontentement, de la médisance. Des paroles que l’on ne peut assumer du fait de leur caractère subjectif et subversif. Devant ces murmures, Jésus renvoie les disciples à ce qu’il a sous-entendu à travers son explication du pain, c’est à dire la mort sur la croix, un Dieu qui se donne dans la faiblesse et l’humiliation, qui se rencontre dans la mort. Il les pousse à regarder en eux ce qu’ils attendent comme Seigneur, ce qu’ils espèrent, et en même temps il sous-entend que justement sa gloire, cette gloire que l’homme aime tant, se révèle à la croix. vv. 63-64 Les notes de la TOB précisent pour ces versets une chose dont il convient de se souvenir, que la chair et l’esprit dans l’évangile de Jean ne désignent pas deux parties de l’homme, mais deux façons de vivre. La chair, c’est l’homme livré à lui-même et aux limites de ses possibilités. L’esprit, c’est recevoir la bonne nouvelle et accepter que l’être ne soit pas fondé sur soi mais sur un Autre que soi, sur Dieu. Jésus signale donc par là que les efforts que l’homme peut faire en vue de son salut par exemple ne servent à rien, ce qui seul donne la vie, c’est croire qu’il est le Christ, c’est à dire le fondement de notre vie. Or il souligne que cette démarche n’est pas évidente, certains sont avant tout portés par des désirs et/ou des besoins matériels. Il souligne également qu’il connaît le cœur de ceux qui le suivent et sait que tous ne se donnent pas entièrement. v. 65 vient expliquer pourquoi certains ne croient pas (encore !) : la foi est donnée par Dieu. Elle n’est pas une œuvre de l’homme, elle ne répond pas à un désir particulier, celui d’aimer ou de croire. La foi ne se décide pas, elle nous est donnée avec la grâce comme seule réponse possible à cette dernière. Or la grâce est donnée à tous, mais tous ne savent pas la recevoir, c’est à dire laisser la foi y répondre. vv. 66-68 Face à ces paroles beaucoup s’en vont. Peut-être est-ce parce qu’elle les exclut, peut-être parce qu’ils ne peuvent accepter cette confiance totale à laquelle Jésus appelle, même s’ils le trouvent « sympathique », peut-être parce que leurs attentes ne sont pas comblées, difficile de savoir précisément, quoi qu’il en soit ils s’en vont. Leur départ suscite une question que Jésus adresse à ses disciples : à savoir si eux aussi veulent partir. Pierre se fait porte-parole pour dire au nom des 12 que Jésus est bien celui en qui ils espèrent. La parole de Pierre est forte, elle exprime une adhésion sans réserve à celui dont les paroles promettent et communiquent la vie éternelle. Par la voix de Pierre, ils reconnaissent en Jésus l’envoyé de Dieu. vv. 69-71 Cette parole de Pierre est d’autant plus forte qu’elle précède une réponse de Jésus. Réponse qui redit que c’est lui qui les a choisis. Or il nous a été précisé qu’il connaît le cœur de ceux qui le suivent (cf. verset 64) et il souligne une fois encore que parmi ses disciples qui se reconnaissent dans la confession de Pierre tous ne le reçoivent pas pour ce qu’il est, même si pour l’heure ils le désirent ou le croient tout simplement. En conclusionCe court passage de l’évangile de Jean est donc une interpellation forte sur l’être croyant. Jésus ne juge pas, il constate. Il constate que le suivre n’est pas naturel, n’est pas une évidence même lorsque l’être le désire. En même temps il souligne que croire n’appartient pas d’abord à l’homme mais est donné par Dieu. A tout moment l’homme reste libre d’y répondre ou non et ce n’est pas pour autant que ce motif est un motif d’exclusion. A aucun moment Jésus ne chassera Judas.Par le rappel explicite que la foi elle-même provient de Dieu (verset 65), ce texte se prête bien à un baptême où il est parfois bon de rappeler que ce n’est pas l’être qui choisit de venir à Dieu, mais l’être qui répond à la grâce donnée et découvre la joie de la confiance.Il peut également être lu dans la perspective de mieux comprendre les attentes que nous mettons parfois en Dieu et en ce qu’il offre. Toute la croix est présente, ce Dieu crucifié est-il vraiment celui que nous espérons ?
« Des paroles de vie éternelle » Voici comment la bible Segond intitule ce petit passage de l’évangile de Jean que nous venons d’écouter. « Des paroles de vie éternelle ». Une ou des paroles, nous voyons assez facilement ce que ça peut être, nous saisissons assez rapidement quel en est le sens. En revanche, il n’est certainement pas évident de comprendre ce que signifie la vie éternelle et encore moins comment faire -si tant est qu’on peut y faire quelque chose !- pour y goûter. Pourquoi donc les traducteurs de cette bible ont choisi un tel titre ?! Autant ce n’est pas toujours indispensable, autant pour ce qui est de la compréhension de ces quelques versets, il est sans doute bon de regarder quelques instants ce qui se passe avant. Car avant Jésus explique qui il est, et pourquoi il est venu. Et, pour ce faire, il évoque la manne donnée dans le désert pour la vie de tous, cette manne, nourriture pour le corps après une libération physique, une libération extraordinaire, celle de tout un peuple qui n’est plus soumis à l’esclavage et l’extravagance des hommes, mais à Dieu seul. Ce pain béni, cette manne, nul ne peut l’oublier. Jésus en l’évoquant touche à l’intime de la foi. S’appuyant sur cette évocation il peut alors dire qui il est, et pourquoi il est venu ; comme la manne il est donné par Dieu, mais à la différence de la manne il n’est pas nourriture pour le corps, il est nourriture pour l’être. Il est le pain de la vie. Un pain de vie qui est essence et fondement de l’existence, élément tout aussi nécessaire –sinon plus que la manne. Un lien très fort est alors établi entre la libération offerte à travers la sortie d’Égypte et celle offerte par Jésus. Mais Jésus tient là aussi une parole radicale, une parole difficile à entendre et, ô combien, plus difficile encore à recevoir : que la vie et plus précisément la vie éternelle n’est offerte qu’à travers sa propre vie. « En vérité je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas de vie en vous » (Jean 6/53). La vie et plus précisément la vie éternelle n’est offerte qu’à travers sa propre vie, c’est-à-dire à travers la mort sur la croix. Cette évocation met mal à l’aise, elle dérange. Pas seulement les nombreux disciples de Jésus d’ailleurs, nous aussi, elle nous bouscule ! Pourquoi faut-il que l’un meurt pour que tous aient la vie ? Ses œuvres magnifiques, ses nombreuses guérisons, ses dons d’écoute et de reconnaissance de l’individu ne suffisent-ils donc pas ? Évidement chacun peu répondre que non. Non il ne suffit pas de voir une guérison, de voir un prodige, de voir un sourd entendre et un boiteux marcher, il ne suffit pas de chercher des choses extraordinaires, pour vivre dans la confiance de Dieu, car cette confiance ne serait qu’une recherche d’événements toujours plus extraordinaires. Pour venir au Père il suffit « juste » -et c’est là ce qu’il y a de plus difficile- de recevoir Jésus comme pain de vie. Même les prières ou autres louanges adressées à Dieu en remerciement notamment pour la manne dans le désert -c’est à dire un acte particulier et relatif à un événement précis- ne donnent pas la vie éternelle. Ce qui est pointé par « juste » (pour venir au père il suffit « juste »…), c’est qu’il ne nous appartient pas : personne ne peut venir à moi si ça ne lui est donné par le Père (verset 65). Autrement dit, la foi n’est pas une œuvre de l’homme, elle ne répond pas à un désir particulier, celui d’aimer ou de croire. Elle nous est donnée avec la grâce comme seule réponse possible à cette dernière. Or la foi comme réponse à la grâce, c’est accepter que Jésus est le pain de vie, que sa gloire se révèle sur la croix. Dans notre texte, il y a visiblement beaucoup de monde autour de Jésus, non seulement les 12 mais aussi une quantité d’autre personnes pleines d’attente et d’espérance. Au début du chapitre il nous est même précisé que Jésus nourrit cinq mille hommes. Il y a beaucoup de monde qui gravite autour de Jésus. Et tous sont témoins. Témoins de ses gestes, témoins de ses paroles, mais tous ne peuvent le suivre là où il les appelle, c’est-à-dire à le recevoir comme pain, corps et sang donné pour la multitude. Ceux pour qui cette parole est trop lourde ou qui ne sont pas sûrs de trouver ce qu’ils cherchent s’en vont. D’autre dont Judas restent. Cela pourrait nous inquiéter fortement sur la qualité d’être disciple ! Surtout lorsque l’on voit que ceux qui restent ne sont pas forcément les meilleurs. Nous pourrions également avoir un discours profondément moralisateur en sous-entendant que peut-être dans cette assemblée même il y en a qui sont de Dieu et d’autre qui ne le sont pas ! Qu’il nous faut inspecter nos cœurs, connaître les motivations réelles de notre présence –sommes-nous ici ce matin par devoir, par conviction, poussés par une espérance encore difficile à exprimer ou tout simplement parce que c’est nous qui prêchons ? Sommes-nous là pour être encouragés, exhortés, soutenus ou parce que ce matin est pluvieux/trop chaud, ou encore libre de toute autre activité…? Sommes-nous là ce matin car une parole nous appelle ? Nous pourrions craindre cette parole de Jésus. Pourtant, comme souvent, elle se révèle promesse. Promesse que nous avons bien notre place dans cette église, car par la grâce de Dieu nous sommes rendus libres. Libres d’y répondre justement, libres de la ressentir, libres de la laisser s’exprimer, libres de la refuser. Si nous restons ou ne restons pas, ce n’est pas parce que Jésus nous a choisis explicitement ou non, mais parce que parfois il nous est difficile de le recevoir pour ce qu’il est. Pour autant cela ne nous empêche pas de le suivre et de chercher à le découvrir dans ce qu’il se donne et non pas dans ce que nous attendons de lui. Ainsi avec Pierre nous pouvons reconnaître que ses paroles sont des paroles de vie éternelle ; c’est-à-dire des paroles justes, des paroles qui redisent simplement que l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sortira de la bouche de Dieu.