Textes : Lévitique 7, v. 1 à 21 Psaume 25 Jonas3, v. 1 à 10 1 Corinthiens 7, v. 29 à 31 Marc 1, v. 14 à 20Pasteur Jean-Jacques MüllerTélécharger le document au complet

Notes bibliques

1. Quelques remarques sur l’organisation de l’Évangile selon Marc

Chercher à comprendre un passage de l’Évangile selon Marc implique aussi que l’on s’interroge sur la place qu’occupe ce passage dans l’organisation de l’Évangile. Selon quel point de vue l’évangéliste a-t-il regroupé et organisé les paroles et les actions de Jésus, les informations sur sa vie, sur les personnes et les groupes avec lesquels il a été en contact ? Quelle a été l’idée directrice qui a présidé à la mise en forme des données de la tradition ? « Marc, qui était l’interprète de Pierre, a écrit avec exactitude, mais pourtant sans ordre, tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur. » A l’exemple de cette observation de Papias d’Hiérapolis (début du 2e siècle après J.-C., Eusèbe, Hist. eccl. III, 39,14), les exégètes soulignaient volontiers l’absence d’ordre et de plan dans l’Évangile selon Marc. Ernst Lohmeyer écrivait dans son commentaire(p.8) : « Quel que soit le point de vue…qu’on adopte, il n’est pas facile de repérer des séquences plus importantes dans la narration de Marc, qui se contente de juxtaposer les récits et les paroles de Jésus qu’il tient de la tradition et qui ne recourt que rarement à des sommaires de liaison ». Mais plus récemment, les études littéraires et narratives ont montré que l’Évangile selon Marc était une composition bien structurée, bien pensée. Témoin de ce changement de regard, le point de vue de Caroline Runacher : « L’évangéliste est un véritable auteur qui rassemble et présente « les choses » selon un programme d’ensemble et qui a le souci de son lecteur auquel il veut adresser un message clair » (p.34). L’opinion d’Etienne Trocmé va dans le même sens : « Le récit de Marc est très clairement construit, avec une série d’inclusions qui en délimitent les sections » (p.8). Les points de vue divergent pourtant quand il s’agit de définir l’organisation de l’Évangile. Les uns (Elian Cuvillier, p.10ss) proposent une organisation géographique et spatiale qui s’articule autour du déplacement de Jésus de la Galilée vers Jérusalem (ch 10). Pour d’autres (Caroline Runacher p.67ss, Corina Combet-Galland p.36ss), l’évangile est construit autour de la question de l’identité de Jésus et la confession de Pierre (8,27-30) est l’articulation principale de la narration. « Marc a mis en place une stratégie de révélation du mystère de Jésus », écrit C. Runacher (p.42). Pour d’autres encore (J. Delorme p.31ss), c’est l’évolution des relations entre Jésus et ses disciples qui permet de distinguer six étapes dans la progression du récit. Il y a aussi ceux qui, comme E. Trocmé, s’appuient sur des indices littéraires (sommaires, inclusions) pour délimiter les sections de l’Évangile. Selon ce point de vue, par exemple, les sommaires relatifs aux foules en 1,5 et en 3,7-12 forment inclusion et délimitent une première section de l’évangile.

2. Marc 1,14-20 : unité et contexte

Quand il s’agit de cerner plus précisément notre péricope, trois questions se posent à nous. 2.1 Le prologue de l’Évangile s’arrête-t-il au verset 13 ou inclut-il les versets 14-15 ? A partir de la répétition des termes « Évangile » (1,1 et 1,14.15), « proclamer » (1,4 ; 1,7 et 1,14), « conversion », « se convertir » (1,4 et 1,15), « Galilée » (1,9 et 1,14) et du parallélisme entre les versets 7,9 et 14 qui insistent sur la venue de Jésus dans la foulée de celle de Jean, Simon Légasse (p.65s) propose de lire les versets 1-15 comme une unité. Le sommaire de la prédication de Jésus aux versets 14-15 est la conclusion de cette unité qui constitue le prologue de l’Évangile. Nous avons pourtant un changement net de temps et de lieu au v.14 : au temps de Jean succède celui de Jésus et des bords du Jourdain et du désert, nous passons en Galilée où Jésus proclamera désormais la Bonne Nouvelle de Dieu. Alors que du v.4 au v.13 toutes les propositions sont reliées entre elles par la conjonction « et » (kai), le « mais » ou le « or » du v.14 (dé) indique une rupture dans le texte. Si Jésus est entré en scène au v.9, après avoir été annoncé par Jean (v.7-8), ce n’est pourtant qu’à partir du v.14 qu’il parle, agit et entre en relation avec d’autres personnages. Dans le prologue, l’identité de Jésus a été révélée au lecteur (1,1), dans la suite, cette identité se donne à déchiffrer dans une parole humaine, dans des rencontres et des situations diverses. Commençant avec la parole du prophète qui annonce la venue du Dieu sauveur (1,1-3), la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu, se fraye un chemin pour atteindre les humains et pour les mettre en route : ainsi pourrait se lire le passage du prologue (v.1-13) à la narration proprement dite qui commence avec la venue de Jésus en Galilée et la proclamation de la Bonne Nouvelle. Mais en même temps qu’ils marquent le commencement de l’activité publique de Jésus, les v. 14-15 reprennent et prolongent certaines affirmations du prologue. 2.2 Quel est le lien entre le sommaire de la prédication de Jésus (v.14-15) et l’appel des premiers disciples (v.16-20) ? Certains exégètes soulignent la césure entre les deux unités. Selon S. Légasse, qui rattachent les v. 14-15 au prologue et les v. 16-20 aux exorcismes et aux guérisons qui suivent (1,21ss), la césure est particulièrement marquée : « Le sommaire qu’on lit au v.15 couvre en fait toute l’activité galiléenne de Jésus prédicateur et donne l’essentiel de son message. En revanche, c’est bien l’acte initial de son activité publique que Marc décrit quand il raconte l’appel des quatre disciples sur les bords du lac » (p.112). E. Cuvillier (p.33ss) regarde Mc 1,14-45 comme une unité littéraire qu’il intitule « la journée type » et qu’il divise en trois parties dont chacune est plus ou moins du sommaire : – le condensé de la prédication de Jésus en Galilée (v.14-15) – le récit de la vocation des premiers disciples (v.16-20) – une première série d’actes de puissance (v.21-45). Tout en réunissant les deux unités au sein de la section « la journée type », E. Cuvillier note la différence entre « la présentation synthétique et programmatique de sa prédication » et « l’acte initial de l’activité de Jésus » que représente l’appel des premiers disciples (p.36). Le sommaire des v.14-15 a une portée plus générale et couvre pratiquement toute l’activité de Jésus en Galilée (1,14-7,23). Le récit des v.16-20 est par contre limité dans le temps et dans l’espace (« Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit … »). Il relate un acte unique de Jésus. D’autres exégètes insistent sur le lien entre les v.14-15 et les v.16-20. Pour E. Lohmeyer, Marc réunit ici, comme dans le prologue (1,1-13), trois petites scènes, dont la 2e (v.16-18) et la 3e (v.19-20) sont particulièrement proches l’une de l’autre. Après nous avoir présenté le Seigneur, Marc nous présente aux v.14-20 son Évangile et ses Apôtres : « Ces deux introductions posent les fondations sur lesquelles reposent la foi et la vie de la communauté chrétienne : le Seigneur, son Évangile et ses Apôtres » (p.29). Soulignant son unité, E. Lohmeyer intitule la péricope 1,14-20 : « Message et disciples ». E. Trocmé réunit également les deux scènes sous un même titre : « Le début du ministère de Jésus ». En combinant le sommaire de la prédication de Jésus et l’appel des premiers disciples et en présentant Jésus appelant des disciples à sa suite avant qu’il ne se tourne vers les foules, Marc a voulu souligner « l’identité entre l’action de Jésus terrestre et celle que le Ressuscité mène à travers ses disciples » (p.40). C. Focant considère les v.14-15 et les v. 16-20 comme les deux parties de l’introduction de la première section de l’Évangile (1,14-3,6) qui met en lumière l’autorité de Jésus (p.75). Cette section est scandée par des renvois à l’introduction : en 1,39 le thème de la proclamation en Galilée est repris et en 2,13-14 l’appel de Lévi est un écho de 1,16-20. A l’invitation du lectionnaire qui réunit les v. 14-15 et les v. 16-20 (le 1er dimanche de carême, un autre découpage sera proposé : Mc 1,12-15), nous voulons être attentifs aux arguments en faveur de l’unité de la péricope proposée et orienter notre lecture et notre prédication dans ce sens. 2. 3 A quel ensemble rattacher Mc 1,14-20 ?Cette question a déjà été effleurée dans les deux précédentes. Dans la mesure où nous retenons l’unité de ces versets, nous ne pouvons que les rattacher à ce qui suit, tout en reconnaissant qu’ils reprennent certains thèmes du prologue : l’Évangile, la proclamation, la conversion … Faut-il rattacher notre péricope à la section « la journée-type » de 1,14-45 (E. Cuvillier), à la section qui met en lumière l’autorité et le succès de Jésus auprès des foules, 1,14-3,6 (C.Focant, C. Runacher), à la section que C. Combet-Galland intitule « Les premiers commencements », 1,14-3,35… ? Les hésitations quant à la limitation de la section qui commence en 1,14 nous invitent, même si on peut repérer des haltes après 1,45 ; 3,6 ; 3,12 ou 3,35, à considérer les thèmes repris ou introduits par notre péricope (la venue de Jésus et la proclamation de la Bonne Nouvelle de Dieu en Galilée, la proximité du Règne de Dieu, la conversion, la foi et l’appel de disciples qui suivent Jésus) comme des jalons qui balisent tout le parcours que Marc nous propose dans son évangile.

3. Analyse de Mc 1,14-20

3. 1 Histoire, tradition, rédaction, genre C’est sans doute Marc qui a réuni le sommaire de la prédication de Jésus et le double récit de l’appel des disciples qui étaient séparés dans la tradition. Il est difficile de distinguer les ajouts de l’évangéliste des données de la tradition. Quant à sa forme (une double déclaration suivie d’un double impératif), le v. 15 ressemble « aux formules de foi et de prière reprises dans les épîtres », en particulier à Ro 13,12. «Le v.15 reprend sans doute une tradition catéchétique de la communauté, peut-être une formule baptismale si on en juge à partir de la terminologie de Ro 13,11-14 » (C. Focant, p.79). Pour E. Trocmé, le v.15 serait plutôt « un résumé du message des missionnaires chrétiens de la 1ere génération » (p.40). Le double récit de la vocation de disciples (v.16-20) relève du genre des « apophtegmes biographiques » (R. Bultmann, E. Trocmé), où une parole de Jésus (v.17) est encadrée par une brève narration. « Il est abusif, écrit E. Trocmé (p.40), de refuser toute valeur historique à ce double récit, rien ne permet de douter de l’historicité approximative des deux épisodes ». D’après C. Focant, « le genre littéraire est celui des récits de vocation et, de l’avis général marque l’a reçu quasi tel quel de la tradition » (p.84). Les récits de vocation de l’A.T. (surtout celui d’Élisée en 1 Rois 19-21) ont servi de modèle à la formation de Mc 1,16-20. E. Lohmeyer parle, quant à lui, de récit de révélation mettant en lumière l’autorité de la personne et de la parole de Jésus (p.32s). Chez Matthieu, le sommaire de la prédication de Jésus et le double appel des disciples sont également regroupés (Mt 4,12-22). Mt a abrégé le sommaire et l’a fait précéder d’une citation d’Es 8,23ss. Chez Luc, le début du ministère de Jésus est présenté différemment : prédication à Nazareth (4,16-30), l’appel des disciples est associé à une pêche miraculeuse (5,1-11). 3. 2. Le sommaire de la prédication de Jésus en Galilée (1,14-15) Ce sommaire est donné en une phrase dont la principale est précédée par une subordonnée de temps et suivie de deux participes (« proclamant » et « disant »). Le second participe « disant » introduit un discours direct qui reprend et détaille le premier participe « proclamant la Bonne Nouvelle de Dieu ». Nous passons de la narration au discours. C. Focant écrit à propos des v.14-15 : « Ils décrivent l’objet global de l’activité de Jésus de manière narrative au v.14 et de manière discursive au v.15 » (p.77). a) la subordonnée de temps : « or après que Jean eut été livré » L’indication de temps est imprécise, elle situe l’activité publique de Jésus après la disparition de Jean. Historiquement sujette à caution (voir Jean 3,22ss), cette indication distingue le temps de Jean de celui de Jésus, le temps du précurseur du temps de celui qui vient après lui et qui est plus fort que lui (1,7). Le verbe « livrer » renvoie à l’arrestation et à la mise à mort de Jean qui ne seront rapportés qu’en 6,14ss (entre l’envoi en mission des Douze et leur retour) ; mais employé à la forme passive et sans complément, ce verbe renvoie aussi à une action de Dieu comme lorsqu’il est appliqué à Jésus (Mc 9,39 ; 10,33 ;Ro 4,25 ; 8,32). A l’arrière-plan, il y a la figure du serviteur souffrant d’Es 53,6.12. « Comme le Fils de l’homme sera livré, ainsi également Jean ; le même dessein de Dieu s’accomplit pour les deux », écrit E. Lohmeyer (p.29). b) la principale : « Jésus vint en Galilée » Après 1,9, c’est la 2e fois que le verbe « venir » est appliqué à Jésus. Les déplacements de Jésus au début de l’évangile annoncent ceux de la fin : si la Passion conduit Jésus de la Galilée à Jérusalem, c’est le Ressuscité qui donne rendez-vous à ses disciples en Galilée (16,7), pour que l’évangile soit proclamé à toutes les nations (13,10). Au v.14 l’origine n’est pas précisée. Selon L. Légasse (p.102) il faut sous-entendre « du désert », mais la venue de Jésus en Galilée ne suit pas nécessairement la tentation du désert, il a pu y avoir un laps de temps entre les deux. Marc souligne de manière solennelle que la Galilée est le lieu où Jésus a proclamé l’évangile de Dieu. Par opposition à la Judée et à Jérusalem qui sont associés à la passion et à la mort de Jésus, la Galilée (la province juive la plus hellénisée) est la région de la proclamation de la Bonne Nouvelle de Dieu, de l’activité de Jésus et ensuite de la mission des disciples. Mentionnée 10 fois dans les 9 premiers chapitres, la Galilée confère aussi une unité géographique aux actions et aux paroles de Jésus rapportées dans ces chapitres. c) le premier participe : « proclamant la Bonne Nouvelle de Dieu » Le verbe « proclamer » était déjà employé à propos de Jean (1,4.7). Mais avec Jésus, le contenu de la proclamation change : de la proclamation du baptême de repentance et de l’annonce du « plus fort », nous passons à celle de la « Bonne Nouvelle (Évangile) de Dieu ». L’expression est unique chez Marc, mais fréquente chez Paul (Ro 1,1 ; 15,6 ; 2 Co 11,7 ; 1 Th 2,2.8.9). Dans la suite, Mc n’emploiera plus le mot « évangile » qu’absolument (8,35 ; 10,29 ; 13,10 ; 14,9). E. Trocmé (p.41) traduit par « Grande Nouvelle » en insistant sur la nouveauté et le caractère sensationnel de la proclamation de Jésus, qui tranche avec celle de Jean et a fortiori avec celle des autorités juives. Si Dieu est à l’origine de cette Grande Nouvelle, c’est aussi une nouvelle relative à Dieu et à son action, et Jésus est le héraut qui proclame l’action de Dieu en faveur des hommes. Les destinataires de la proclamation de la Bonne Nouvelle de Dieu ne sont pas mentionnés ; si celle-ci a lieu en Galilée, elle concerne cependant le monde entier (13,10 ; 14,9 ; 16,15). d) le second participe avec le discours direct : « et disant : « Le (bon) moment est accompli et le Règne de Dieu s’est approché ; convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » Le discours de Jésus au v.15 comporte 4 éléments regroupés deux par deux par la conjonction « et ». Les verbes des 2 premiers éléments sont au parfait et désignent des faits accomplis dont l’effet se poursuit dans le présent (« est accompli », « s’est approché ») et ceux des 2 autres sont à l’impératif présent (« convertissez-vous », « croyez »). Nous n’avons pas ici, comme en Ga 4,4 ou en Jude 18, le mot chronos qui désigne le temps sous l’angle de la durée et de l’extension, mais le terme kairos qui signifie « le moment propice », « la saison favorable ». D’après E. Trocmé (p.41), le temps favorable est le temps de la patience et l’indulgence de Dieu (cf. Ro 3,25-26 ; Ac 17,30), représenté par le baptême de Jean. Ce temps est arrivé à son terme laissant la place à la venue du Règne de Dieu. C. Focant pense plutôt que le moment favorable coïncide avec la proclamation de Jésus et la venue du Royaume de Dieu. Les deux déclarations « le temps est accompli » et « le Règne de Dieu s’est approché » disent la même chose. Les exégètes se demandent s’il faut comprendre le Règne de Dieu comme une réalité présente ou future ; il s’agit sans doute d’un processus, d’un devenir mis en route par la proclamation de Jésus (voir les paraboles de la graine qui pousse toute seule et de la graine de moutarde, Mc 4,26-32). L’expression « Règne (ou Royaume) de Dieu » est moins fréquente chez Mc que chez Mt ou Lc. Mc met l’accent sur la manière dont les hommes accueillent le Règne et en prennent possession (9, 1.47 ; 10,15.23.24.25 ; 12,34). Avec les deux impératifs (« convertissez-vous » et « croyez »), la parole de Jésus s’adresse à un « vous » : au-delà des habitants de la Galilée, tout être humain est interpellé. L’appel à la conversion reprend celui de Jean (1,4) et annonce celui des disciples (6,12). Au « convertissez-vous » qui implique une rupture et un changement de vie et de comportement est associé ici un « croyez en la Bonne Nouvelle ». La foi en la Bonne Nouvelle implique une adhésion à Jésus, dont la destinée et la personne sont étroitement unies à cette Bonne Nouvelle (1,1). L’expression « croire en la Bonne Nouvelle » est unique dans le N.T. E. Lohmeyer pense qu’elle signifie « croire par le moyen de l’Évangile » (p.30), mais c’est plutôt la Bonne Nouvelle même, en tant que message lié à la personne de Jésus, qui est à considérer comme étant l’objet de la foi. 3. 3. Le double récit de l’appel des disciples (v.16-20)Nous avons affaire à deux petits récits parallèles (16-18 et 19-20) reliés au sommaire des v.14-15 par la conjonction « et ». La succession des verbes donne une impression de rapidité, renforcée par la répétition de « aussitôt » (v.18 et 20). Jésus passe (avance), voit et dit (appelle). A son initiative et à son appel répond la réaction des disciples : ils laissent, ils suivent. Jésus est en mouvement, comme il le sera dans tout l’évangile et les disciples sont appelés à entrer dans son mouvement. L’expression « mer de Galilée » est exagérée pour désigner un lac. C’est un sémitisme (E. Trocmé, p.42). La « mer » tient une place importante dans les déplacements de Jésus à côté des villages galiléens ; elle est associée à l’enseignement en paraboles (4,1ss), à des miracles (4,35ss ; 6,45ss) et à des instructions adressées aux disciples (8,10ss). Notre récit souligne qu’elle est aussi un lieu de mission.Simon et André sont des noms grecs, le premier étant proche du nom hébraïque Shiméôn. Le personnage portait peut-être les deux noms, l’un grec et l’autre hébraïque. La parenthèse « car ils étaient pêcheurs » précise le verbe « jeter autour » (amphiballô) que Marc utilise sans complément, mais elle introduit aussi la parole de Jésus « et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes ». L’expression métaphorique « pêcheur d’hommes » qui a un sens négatif dans l’A.T. (Jr 16,16 ; Ez 29,4-5) prend ici un sens positif : gagner des hommes pour la Bonne Nouvelle et le Règne de Dieu. Mais pour le moment, l’expression reste énigmatique. Le futur « je vous ferai » suggère que la mission des disciples implique un apprentissage auprès de Jésus. Si l’appel de Jésus atteint Simon et André au cœur de leur vie et de leur travail et les entraîne au renoncement (ils laissent leurs filets), le récit met surtout l’accent sur l’initiative et l’autorité de Jésus et sur la vie nouvelle des disciples à sa suite.Le second récit de vocation (proche du premier dans le temps et dans l’espace) comporte quelques particularités : Jacques et Jean (des noms purement sémitiques qui tranchent avec Simon et André) sont mis en relation avec leur père, Zébédée (=« Don de l’Eternel »). Marc veut-il distinguer Jacques, fils de Zébédée, de Jacques, fils d’Alphée, un autre disciple de Jésus (3,18) et de Jacques, le frère de Jésus et le futur responsable de l’Église de Jérusalem ? Jacques et Jean sont dans la barque, réparant, préparant ou rangeant les filets : le vocabulaire de Marc est un peu flou. Les paroles de Jésus ne sont pas répétées. Marc note seulement « il les appela ». L’appel a pour effet la substitution de l’attachement à Jésus et à sa parole aux liens de famille et de travail. Les quatre premiers disciples formeront le cercle le plus proche de Jésus parmi les Douze (3,13-19).Bibliographie : Les commentaires de E. Lohmeyer (1937), S. Légasse (1997), E. Trocmé (2000), E. Cuvillier (2002) et C. Focant (2004). L’article sur Marc de C. Combet-Galland dans L’introduction au NT édité par D. Marguerat (2000). L’étude de C. Runacher (Saint Marc, 2001). Les Cahiers Évangile ½ (J. Delorme, Lecture de l’Évangile selon St Marc) et 133 (P. Léonard, Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc).

Prédication

« Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu » : sous ce titre, l’Évangile selon Marc nous invite à remonter aux origines de la Bonne Nouvelle que l’Église est appelée à proclamer aujourd’hui. Au travers de cette histoire des origines, l’évangéliste veut nous faire redécouvrir le dynamisme qui met en mouvement celles et ceux qui sont disciples de Jésus Christ et qui s’inscrivent dans son sillage. Au commencement est la parole de Dieu. C’est à partir d’une parole d’Esaïe annonçant la venue du Dieu Sauveur dans la personne du Messie et en quelques brèves scènes qui ont pour cadre le désert et le Jourdain que le prologue de l’Évangile introduit la personne de Jésus et nous révèle son identité. Au cœur du prologue, la scène du baptême de Jésus par Jean nous le révèle comme Fils de Dieu revêtu de la puissance de l’Esprit. Puis, dans le passage que nous avons lu, Jésus entre en action, prend la parole et entre en relation avec d’autres personnes, dans un temps et un lieu donnés, mais ouverts sur l’avenir et le monde : Or, après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée…Le récit de son parcours et de son activité s’inscrit entre deux révélations, celle du baptême et celle de la croix et de la résurrection. Il commence par deux gestes inauguraux : la proclamation de la Bonne Nouvelle de Dieu et l’appel de disciples. Les deux gestes sont étroitement liés. La Bonne Nouvelle est entendue et reçue là où elle suscite des disciples qui suivent Jésus. Et l’appel des disciples n’a d’autre but que la proclamation de la Bonne Nouvelle. Lorsque après un temps de préparation et d’apprentissage, Jésus enverra ses disciples en mission, l’évangéliste notera à leur propos : « Et partant, ils se mirent à proclamer pour que les hommes se convertissent » (6,12). Le récit évangélique n’a d’autre visée que la proclamation de la Bonne nouvelle de Dieu appelée à rayonner depuis la Galilée partout dans le monde. Comme en témoigne la parole de Jésus à propos de la femme qui a parfumé sa tête : « En vérité, je vous le dis, partout où la Bonne Nouvelle sera proclamée dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu’elle a fait » (14,9). L’appel des disciples se situe tout au commencement de la proclamation de la Bonne Nouvelle. Cet appel en est inséparable car c’est de lui que dépend la diffusion ultérieure de la Bonne Nouvelle. La réunion des deux scènes -Jésus proclamant la Bonne Nouvelle de Dieu en Galilée et Jésus appelant ses quatre premiers disciples- pour la lecture de ce dimanche est donc pleinement justifiée. Il s’agit de deux tableaux très schématiques, brossés à grands traits. L’évangéliste nous y dit l’essentiel en peu de mots, sans s’arrêter sur les détails. Le premier tableau dessine Jésus à la fois en mouvement et proclamant la Bonne Nouvelle. Tout son parcours et toute son activité sont pour ainsi dire saisis au vol et résumés en une phrase « Il proclamait la Bonne Nouvelle de Dieu ». Le second tableau ressemble à une gravure qui se contente d’esquisser les contours des personnages et du paysage qui les entoure. Là encore, tout est mouvement. Les personnages, qu’il s’agisse de Jésus ou des quatre hommes, sont entièrement dans leurs gestes et leurs paroles. Leurs pensées, leurs sentiments et leurs émotions, que ne manquerait pas de relever un auteur contemporain, sont passés sous silence. A peine pouvons-nous deviner dans le regard que Jésus porte sur Simon, André, Jacques et Jean, un sentiment de sympathie et d’affection. L’évangéliste Marc ne s’intéresse pas à la psychologie des personnages ; ce qu’il souligne dans son récit, ce sont les temps et les lieux, les actions et les paroles. C’est au travers des temps et des lieux, des actions et des paroles que se dit la Bonne Nouvelle, qu’elle s’incarne dans une histoire, dans une réalité humaine et géographique. Nous relisons le texte en étant attentifs aux nombreuses indications de temps qui étayent le récit de l’évangéliste et qui, au-delà de leur signification première, ont un sens profond. Lorsque Jésus proclame : « Le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché », il évoque le temps de Dieu, alors que lui-même appartient au temps des hommes ; il vient après Jean-Baptiste et ses disciples lui succéderont. Marc veut nous raconter comment le temps de Dieu a rejoint le temps des hommes et comment ces deux temps ne font plus qu’un dans l’histoire, les paroles et les actions de Jésus. Dans la venue de Jésus et au travers de sa parole, c’est le temps même de Dieu qui est présent et agit au cœur du temps des hommes, le soulève et le transforme. Le temps des hommes est un temps rythmé par la nature et par le travail, par la naissance, la mort et les événements qui s’y rapportent. La venue de Jésus et la proclamation de la Bonne Nouvelle inaugurent un temps nouveau : le temps favorable qui est placé sous le signe de la proximité du Règne de Dieu. Le temps des hommes devient le temps favorable où Dieu s’approche d’eux et leur révèle son salut et sa tendresse. Si la venue de Jésus et la proclamation de la Bonne Nouvelle inaugurent le temps favorable où Dieu se fait proche des hommes, ce temps est aussi celui où les hommes sont appelés à la conversion et à la foi. Par la conversion et la foi, les hommes entrent dans le temps de Dieu, reconnaissent sa seigneurie et accueillent son Règne. Le temps de Dieu fait irruption au cœur du temps des hommes pour le transformer en un temps favorable : Jésus ne se contente pas de proclamer cette Bonne Nouvelle, il la fait encore advenir. La parole devient action et mouvement, elle suscite des rencontres et met en mouvement. Jésus est allé vers Simon et ses compagnons, il les a rencontrés là où ils vivaient et travaillaient, dans leur espace et dans leur temps. Leur vie était rythmée par l’activité de la pêche, la nuit ils sortaient sur le lac pour pêcher et le jour ils arrangeaient leur matériel sur les bords du lac. Leur temps organisé autour de la pêche et du lac s’arrêta lorsque Jésus les appela. Et commença alors pour eux un temps nouveau : un temps rythmé par la proclamation de la Bonne Nouvelle et orienté vers le Règne de Dieu. Le commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ est fait de ruptures provoquées par l’irruption du temps de Dieu au cœur du temps des hommes. Mais Marc souligne aussi la continuité. Il relie le temps de Jésus Christ et de la proclamation de la Bonne Nouvelle de Dieu à celui de Jean Baptiste. Jésus vient après avoir été annoncé par Jean et la destinée de Jean -il a été livré- préfigure celle de Jésus. Jean est le chaînon qui relie Jésus au message d’espérance et de salut des prophètes d’Israël. C’est dans la promesse et la fidélité de Dieu envers son peuple que s’enracinent la proclamation de Jean et celle de Jésus. Jésus est tout à la fois porteur d’une mémoire qui relie le présent au passé et messager d’une nouvelle inédite : le Règne de Dieu s’est approché. Marc a situé la venue de Jésus et sa proclamation de la Bonne Nouvelle entre la continuité et la rupture. Il y a continuité parce que Dieu est fidèle à sa promesse et cette fidélité de Dieu à sa promesse fonde l’unité du temps et de l’histoire et fait qu’encore aujourd’hui notre histoire et notre temps sont ceux des prophètes d’Israël, de Jean-Baptiste, de Jésus, de ses disciples, de Marc et des premières communautés chrétiennes. Mais il y aussi rupture avec la venue de Jésus et la proclamation de la Bonne Nouvelle parce qu’elles inaugurent le temps favorable, le temps où Dieu se fait proche des hommes pour les délivrer de leur misère et de leur servitude, le temps où les hommes sont appelés à la conversion et à la foi et à se mettre en mouvement à la suite de Jésus. C’est le Ressuscité qui vient nous rencontrer, dans les espaces et les temps de nos vies, et qui nous appelle à le suivre pour proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu.