Textes : 2 Rois 21, v. 19 à 22, v.2 Ps 113 Amos 8, v. 4 à 7 1 Timothée 2, v. 1 à 8 Luc 16, v. 1 à 13Pasteur Didier FievetTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Exode 32 Moïse est parti sur la montagne : Dieu parlait au travers de sa bouche. Maintenant qu’il a disparu, qui va nous guider, qui va « marcher devant nous » ? La question est posée au cours d’une assemblée, d’un culte ? Que faire, qu’entendre quand celui au travers qui Dieu parle est absent ? Que faire face au silence de Dieu ? Question toujours d’actualité !Fais-nous des dieux ! Mot à mot des Élohim. Ce mot est toujours au pluriel. La plupart du temps, il est traduit par Dieu au singulier (par exemple dans Gn 1) Ici, comme par hasard le traducteur laisse le pluriel, comme pour induire le lecteur à penser que la faute est manifeste : polythéisme ! « Arrachez vos bijoux ». Le verbe hébreu traduit par enlever est fort, il a le sens d’arracher. C’est à partir de ce qu’ils ont de plus précieux, de plus cher que les hébreux vont se faire leurs dieux… Au sens propre (leur or) mais aussi au sens figuré (Dieu serait l’idéalisation de ce qui est bien à leurs yeux, de leur bien, de leurs biens). Ce processus d’idéalisation est très fréquent, c’est la base de toutes les religions : le dieu est paré de tous les attributs, de toutes les qualités qui nous semblent les plus précieuses. En général, parce qu’on ne les a pas !Une fois les dieux représentés –entendez : rendus présents- c’est bien vers le Seigneur (autre nom de Dieu, singulier et énigmatique, puisque impossible à prononcer tel qu’il est écrit) que la ferveur et la piété se tourne : « demain culte pour le Seigneur ! »Et les hébreux sacrifient et célèbrent le culte. Ils ne se sont donc pas détournés du Seigneur. Au contraire. Et pourtant, ils se corrompent, ils se pourrissent. Le verbe hébreu désigne la corruption du cadavre. Ils sont compromis dans un cycle de mort. D’avoir voulu combler le manque, d’avoir voulu quelque chose, là où devait subsister le manque, le peuple se meurt. De vouloir substituer quelque chose à quelqu’un, de vouloir substituer la certitude à la confiance, le savoir à l’attente, l’avoir au désir, nos vies meurent… Il y a eu confusion, entre les dieux qu’on se fait (les représentations que nous avons de Dieu, les définitions, les doctrines dans lesquelles nous prétendons l’enfermer) et le Dieu radicalement autre, Celui qui n’est que ce qu’Il sera ainsi qu’Il se présente à Moïse, en Ex 3.Le Seigneur se met en colère : sa libération a été vaine : les hébreux se sont finalement construit un dieu ou des dieux qui ne sont que des tyrans. Comparables à Pharaon. Certes plus forts que lui (au moins dans leurs têtes), mais au fond de la même espèce. Comme des dieux porte-bonheur qui permettent de remporter des victoires sur des dieux moins forts (comme ceux des égyptiens) mais de la même nature qu’eux.Le Seigneur va pardonner, mais ce n’est pas par débordement d’un capital bonté, mais par fidélité à son identité libératrice. C’est tout le thème de l’argumentation de Moïse : sois fidèle à ta parole. Luc 16 :1-13Curieux découpage. Difficile de ne pas aller au moins jusqu’à 16.On est souvent mal à l’aise avec ces textes : Jésus semble y faire l’apologie d’une habileté qui n’est rien moins que malhonnête ! C’est une parabole : elle n’a de sens que si elle s’oppose au sens commun, là où tous n’y voient que du sens commun… C’est le propre des paraboles lucaniennes.Constat : gérant habile. Il se fait chasser pour abus de confiance ? Alors, il se prépare des lieux d’asile complice Verset 8 : Alors le seigneur félicita l’intendant malhonnête. Est-ce le maître ou le Seigneur ? Impossible à dire. Ambigüité sans doute volontaire de la part de Luc. Trait d’humour savoureux : Dieu finalement trouve ça plutôt malin. Il se demande pourquoi nous serions si malins en affaire et si maladroits pour les choses de la vie. C’est ainsi que je comprends La fin du verset 8 : « parce que les fils de cette éternité sont plus habiles que les fils de la lumière, envers leur génération » C’est que peut-être les affaires de ce monde (cette éternité) n’ont rien à voir avec les affaires du ciel, sauf qu’elles demandent le même désir, le même intérêt, la même attention, la même attention…Ainsi on comprend le « Moi aussi, je vous dis… » du verset 9 Soyez habiles, avec l’argent des affaires, préparez-vous des amis pour ce qui est important pour la vie. Autrement dit : le but de la vie de cette éternité, de ce monde comme on traduit souvent, c’est de vivre d’une autre vie, vraiment vivante, parce que gratuite (on ne peut avoir deux maîtres, celui qui exige la rentabilité, pour qui on n’existe que parce qu’on rapporte, et celui qui nous accueille gratuitement)Loin de développer une candeur ingénue : « je ne touche pas à cet argent sale» (étant entendu que tout argent est sale, car faire des affaires –des bonnes- c’est toujours supposer qu’un autre en fait une moins bonne !) il s’agit plutôt d’utiliser cet argent pour vivre.Vivre sans doute pas n’importe comment : la loi n’est pas caduque, elle qui au fond demandait qu’on considère le prochain comme quelqu’un qu’on ne peut posséder. Mais c’est notre rapport à la loi qui est caduque : ce n’est plus par les conformités à la loi que l’on peut s’acheter une justice. Notre vie ne sonnera juste que parce qu’elle ne dépend plus de nos avoirs (pratiques, obéissance, qualités, vertus morale ou religieuses, image sociale, notoriété, honorabilité, moralité etc.…) mais qu’elle résonne d’un être imprenable : être le vis-à-vis de Celui qui « est » (Une précision : l’être judaïque, exprimé par le tétragramme YAHVE n’est pas une substance immuable, une « essence » comme dans la philosophie grecque. Il Est de parler et donc de devenir, Il Est relationnel !)1 Tim 2 :1-8Exhortation à la prière: priez pour tous, et en particulier pour les riches, car s’ils occupent cette position sociale, c’est un cadeau de Dieu.Ça montre tout d’abord que déjà les inégalités sociales étaient perçues comme un accroc dans l’harmonie de l’ordre de la vie.C’est aussi perçu comme une menace pour la vie ecclésiale. Or, dans la perspective de l’imminence de la fin de l’éternité présente, on a autre chose à faire que de s’embarrasser de ces détails, qui sont déjà du passé.Une autre idée : au fond, cet ordre social est un cadeau pour que nous puissions vivre. Sous jacente, il y a donc cette idée que la vie relève d’autre chose que de posséder des richesses. Qu’il y a un bien plus précieux : l’être dans la prière. Utilisez donc les richesses des riches pour pouvoir avoir le « loisir » de prier, de parler et d’écouter « celui qui est », car au fond, il n’y a que cela de vrai !Le danger d’un tel texte réside bien sûr dans une compréhension coupée du contexte d’attente de l’imminence de la fin. Car alors, il vire au conservatisme et à la servilité masochiste !

Prédication

Lectures Exode 32 :7-14 (il serait bon de commencer à lire à partir de du verset 1) ; 1 Tim 2 :1-8 et Lc 16 :1-17 (officiellement jusqu’à 13, mais il faut lire au moins jusqu’à 16 !) Voilà donc les textes proposés aujourd’hui par les « experts ». S’ils ont opéré ces découpages et ces assemblages, c’est dans un but moralisateur évident: une dénonciation de l’argent. Très salutaire au moment du triomphe du libéralisme. Très à la mode, aussi : écho avec les « tous pourris » abusifs et dangereux. Les riches c’est toujours les autres (ceux que secrètement on envie !). Mais où est l’Évangile, là-dedans ? Quelle parole susceptible de nous donner courage quand on est chômeur et qu’on tire le diable par la queue ? Quand on est artisan et que le banquier nous fait payer très cher la précarité de notre trésorerie ? Quand on est rien du tout, simplement déprimé sans avoir le moindre désir de vivre, au point que les jours sont des calvaires… Quelle parole pour nous redonner une identité menacée et parfois perdue ? C’est de côté-là, le côté vital des Écritures que je voudrais me laisser entraîner avec vous, ce matin. Il se pourrait bien que ces textes nous convoquent au cœur de la vie, entre avoir et être. Le fameux passage du veau d’or, tout d’abord. Les hébreux prennent ce qu’il y a de plus précieux pour un peuple en fuite : leurs bijoux de famille. La réserve qui permettra de s’établir quelque part, ou bien dans laquelle on pourra puiser aux temps de la famine. Et bien tout cela, ils le sacrifient, tout cela ils le donnent à leur Dieu. Car c’est bien en disant : « voici tes Élohim… » qu’ils se prosternent devant la statue. Bien sûr, le traducteur religieux s’en donne à cœur joie : Élohim au pluriel ! Polythéisme païen, c’est bien de leur faute ! Mais pourquoi laisse-t-il le pluriel subsister ici, alors que presque partout ailleurs, il traduira gaillardement ce pluriel par un singulier : Dieu ? Et le prédicateur moraliste de lui emboîter le pas : voyez comme ils se corrompent avec leur culte de l’or ! Il est vrai, le texte parle bien de corruption : mot à mot la racine du verbe évoque la décomposition du cadavre, la pourriture. Mais… les Hébreux seraient donc pourris d’avoir… donné ce qu’ils avaient de plus précieux ! Étrange, car dans notre logique de la prétendue sainteté, il aurait été justement de bon ton d’offrir sa fortune pour quelque sanctuaire… Alors où est le mal ? Ce n’est pas devant l’or qu’ils se prosternent, comme on le dit souvent. C’est devant l’idée qu’ils ont de la vie et donc de Dieu. Pour eux vivre, c’est avoir. Donc Dieu ne peut être que Celui qui a. Qui a tout. Alors, ils sont prêts à renoncer à ce qu’ils ont, si c’est… pour avoir plus : un Dieu plus précieux que l’or. C’est là où se trouve la pourriture : avoir un Dieu, plutôt que de se confier à Lui. Ce qui est insupportable aux hébreux en ce temps d’absence (Moïse est sur la montagne, Dieu demeure silencieux), c’est qu’ils n’ont pas quelque chose où mettre leur confiance. Ce manque leur est insupportable, parce qu’il les renvoie au cœur de la confiance : l’absence. Alors, ils sont prêts à tout donner… pour avoir tout ! Et c’est ce mouvement (éminemment religieux) qui pourrit la vie, la transforme en cadavre. Nous sommes prêts à tout sacrifier pour avoir les faveurs du ciel. Nous sommes prêts à entrer en religion pour avoir un Dieu. Et ça nous tue, car ça annule la liberté reçue. Alors… la Bonne Nouvelle ? La Bonne nouvelle… si j’allais la chercher du côté du pardon que Dieu finit par accorder, est-ce que ça changerait quelque chose? N’irons-nous pas encore marchander ce pardon ? Pourrons-nous abandonner notre logique d’avoir et de possession ? Au fond, on risque de demeurer toujours dans la posture où on « a » un Dieu. Comme quand nous commençons nos prières par : « Notre Dieu… » comme si c’était notre propriété. C’est pour ça que Dieu ne pardonne pas, dans ce texte, par surplus d’un capital « bonté » (quelque chose qu’il aurait et qu’il donnerait) mais par fidélité… à qui il est ! Il pardonne par fidélité à qui il est. Non parce qu’Il donne quelque chose qu’il a, mais parce qu’il donne « qui Il est ». Thème qu’on va retrouver chez Luc, au verset 16 : « Jusqu’à Jean c’était la loi et les prophètes… Mais maintenant le Royaume de Dieu est annoncé comme une bonne nouvelle… » La loi et les prophètes étaient devenus un acquis. Quelque chose qu’on avait. Une religion. C’était le Royaume de Dieu en marche, mais qui avait été en quelque sorte arrêté, stoppé par l’idée de propriété. On avait un Dieu, on avait une loi, on avait un pays, on avait un temple, rites et usages … On était passé, sans s’en rendre compte, du mouvement de la libération à l’installation, du chemin à la destination, de la dynamique à la statique, de la gratuité à la propriété. Attention ! Ce n’est pas le péché du seul judaïsme. C’est le mal qui menace toute religion ! Aujourd’hui encore, et les chrétiens au premier chef, nous nous imaginons propriétaires de la vérité. Nous croyons que nous vivons grâce aux qualités que nous avons, grâce aux comportements que nous avons. Il nous arrive bien souvent de lire l’Évangile comme une loi. C’est une menace permanente, comme par exemple quand notre obéissance à la morale dite chrétienne devient notre carte de visite, notre emblème et nous autorise à dénoncer les méchants riches et donner des leçons ! Eh bien, l’Évangile n’est pas là. Car là, rien qui libère : on demeure centré sur soi ! Notre amour, notre justice, notre souci d’équité n’est qu’égoïsme déguisé… soit disant au nom d’un dieu qui n’est qu’un veau d’or ! L’Évangile, c’est au contraire l’offre qui nous est faite que notre vie ne repose plus sur nos acquis, sur nos qualités, notre religion, nos convictions, nos opinions, nos prises de position. L’Évangile, c’est cette formidable nouvelle : ce qui fait la valeur de nos vies, ce n’est pas ce que nous faisons, mais c’est que « Je suis qui je serai » ainsi qu’il se présente à Moïse est venu, vient et viendra toujours nous libérer de nos avoirs pour nous restaurer dans notre être, en nous offrant d’être son vis à vis. L’Évangile, en un mot, c’est de redécouvrir que la vie est un cadeau qui n’est ni à payer ni à rembourser… mais à vivre gratuitement. Amen !