Textes : Ps 98 1 S 18, v. 6 à 16Actes 10, v. 25 à 48 1 Jean 4, v. 7 à 10 Jean 15, v. 9 à 17Pasteur François DietzTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Cette proposition vient à la suite d’une rencontre de formation à la prédication du consistoire « Flandres-Artois-Littoral » (région Nord-Normandie) et ensuite amplifiée par le rédacteur…. Première étape : découverte, lecture et appropriation des textes proposés ce jour… Deuxième étape : répondre à la question « Y a-t-il une trame commune aux trois textes ? » Troisième étape : choisir le texte sur lequel vous aimeriez travailler en vue d’une prédication ? Ce sont les textes de 1 S et de Jn qui ont surtout retenu l’attention des participants (le passage du livre des Actes a été retenu une fois)… à la question « Y a-t-il une trame commune aux trois textes ? », nous n’avons pas trouvé le fil « logique » qui permette d’en dégager un thème qui nous fasse passer d’un texte à l’autre. Mais plusieurs participants ont indiqué qu’ils aimeraient soit inclure le Psaume 98 comme illustration de ce que la foi produit comme effet Ensuite, chacun des participants s’est donc consacré, avec les « moyens du bord », quelques documents (cahiers Évangile, notes bibliques soit dans la TOB soit dans la nouvelle Segond), à relever quelques éléments qui méritent d’être rapportés. 1 Samuel 18, 6-16 Le thème est assez simple à découvrir, d’autant que ce qui y est décrit est connu de nous : comment réagissons-nous lorsque l’un de nos proches (ou non) poursuit une ascension sociale, relationnelle, à notre détriment ? Nous éprouvons de la sympathie pour Saül forcément comme pour le fils aîné de la parabole de Luc (Lc 15)…. Deux éléments sont venus enrichir notre discussion et notre partage biblique : * Nous avons tous chanté « David n’avait rien que sa fronde » quand nous étions jeunes, mais petit à petit notre catéchèse a évolué et nous savons que le portrait de David que donne la Bible est un récit hagiographique et qu’il vise, à travers la figure de David, à magnifier l’établissement de la royauté en Israël. La Bible célèbre David et son fils Salomon sous les traits de valeureux guerriers et conquérants, d’amants légendaires, de poètes visionnaires, de bâtisseurs pionniers et de modèles de gouvernants et d’autorité politique… Mais les dernières découvertes archéologiques ébranlent ces images. Nous avons la preuve, à présent, que leur histoire relève davantage du mythe et de la légende. Selon Finkelstein et Silberman[1], le David de l’histoire, au Xe siècle avant notre ère, n’était que le chef de bande d’une petite localité appelée Jérusalem. ** La seconde question est relative au verset 10 « un mauvais souffle de Dieu » (traduction Segond), « un esprit mauvais venu de Dieu » (TOB). Aucun doute possible : le texte hébreu dit cela, et nos circonvolutions pour y échapper tournent court. Les sensibilités de quelques participants ont été « émoustillées » de trouver dans le texte biblique un passage où l’on dise que Dieu envoie un « mauvais » souffle…. Actes 10, 25-48 Le texte ne présente pas de difficultés. A travers le récit particulier de cette conversion de Corneille et de sa maisonnée, nous sommes au cœur de ce qui va finir par marquer la distance entre juifs et non-juifs. Toutefois, on peut relever que c’est précisément cette question qui oppose Pierre et Paul quelques chapitres plus tard (cf. notamment la rencontre à Jérusalem au chapitre 15). Nous savons bien que l’histoire et la chronologie des événements relatés dans le livre des Actes n’est pas la même que dans les lettres pauliniennes par exemple. Voir par exemple en Ga 2 l’opposition assez âpre entre Pierre et Paul sur les prescriptions à appliquer ou non aux non-juifs. On peut dès lors se demander si ce passage du livre des Actes dans lequel Pierre s’adresse à des juifs n’est pas à lire comme une anticipation du récit « programmatique » du chapitre 15, afin de montrer à Paul que lui-aussi a depuis le début de son ministère inscrit comme ligne directrice l’annonce de l’évangile aux païens. Jean 15, 9-17 Notre passage prend place après que l’évangéliste ait décrit les rapports entre Dieu, le vigneron, Jésus, la vigne, et les disciples comme sarments. Plusieurs thèmes se dégagent, celui de la joie (voir la note de la TOB au verset 11), l’amitié [2], celui de l’élection (v. 16)[3], et bien sûr celui de « donner sa vie ». C’est cette question qui a retenu notre attention et ouvert un partage, après que nous ayons découvert que le terme grec n’obligeait nullement à traduire comme le font la TOB et Segond par « donner sa vie[4] ». Comme nous lisons les textes en ayant la connaissance de la chronologie des événements qui le suivent, que nous connaissons la fin tragique de Jésus, que nous connaissons la Passion, nous faisons comme le suggère ces deux traductions une lecture sacrificielle, en tout cas une lecture qui dit que Jésus meurt (librement) pour ses amis. Mais si l’on suit les traductions de la B J ou celle de Chouraqui, on est alors dans une autre compréhension, celle d’un maître qui expose sa vie, qui en effet est prêt à donner sa vie, mais pas dans un sens sacrificiel, pas comme une nécessité absolue. Du même ordre que si vous savez votre enfant en péril (prêt à se noyer par exemple), vous interviendrez, non pour échanger votre vie contre la sienne, mais vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour qu’il échappe. Vous vous jetterez à l’eau pour le ramener, pas pour mourir, pas pour offrir votre noyade contre la sienne, mais pour le ramener vers la vie. Cette idée sera reprise comme « piste de prédication » Quelques pistes de prédications Des trois textes étudiés et partagés, nous faisons émerger quelques pistes possibles : * Tout d’abord le thème de l’élection parcourt ou affleure dans les textes lus. De Saül choisi par Dieu pour recevoir l’onction dans les mains de Samuel à celle de David (au chapitre 15 nous est dit que Saül se détourne de Dieu apparemment pour avoir refusé d’exterminer Agag, roi des Amalécites), on pourrait reprendre presque le thème d’un film en le travestissant[5] « Itinéraire d’un homme et choix de Dieu » avec la question à aborder « comment pouvons-nous échapper à la jalousie » ? Avec le livre des Actes, il s’agirait de développer le thème de l’élection et de son corollaire, l’acceptation,…* Le thème de l’amitié, lié à « porter des fruits » nous entraîne sur une autre piste. C’est sans doute ainsi que Pierre ne voit tout d’un coup plus de limite à l’annonce de l’Évangile. Sa culture religieuse le tournait davantage vers les Juifs. Mais il entre, sans peur, dans la maison d’un non-juif, poussé par l’évangile lui-même. Dans les deux cas, les participants aimeraient que le Psaume 98 (qui pourrait être lu au moment de la Louange) puisse conclure la prédication comme rappel que Dieu fait chaque jour œuvre nouvelle dans notre vie.* Enfin, « exposer sa vie » est une autre piste, avec l’idée d’une prédication qui insiste sur le libre choix et non sur l’idée que tout est pré-établi une fois pour toutes. Et que l’évangile nous appelle à engager nos vies.

Prédication

« Mourir pour des idées (…) d’accord mais de mort lente »[6]… Cela semble aller de soi. Eh bien non, il suffit de lui substituer le « mourir » par « vivre ». Et je la corrige ainsi par cette autre sentence : Vivre pour des idées…. Le plus longtemps possible ! Ceux qui sont morts au nom de la vie défendue envers et contre tout n’ont pas choisi de mourir. Et il n’y a aucune bonne ou mauvaise raison de penser le contraire. Telle est la toile de fond du message de l’évangile, telle est la trame de ce que Jésus dit à ses disciples et à nous-mêmes. Qu’on aborde ce texte avant Pâques ou après Pâques, nous faisons toujours de la croix un événement inéluctable que nous regardons avec effroi, tantôt avec une piété doloriste, tantôt avec une théologie sacrificielle, faisant de Jésus la victime expiatoire d’une humanité pécheresse. Et nous avons tellement cela en tête que nous oublions la façon dont Jésus voulait que ses disciples se comportent. Nous entendons les paroles de Jésus comme des mises en garde sur ce qui pourrait nous arriver…. Faites l’expérience, relisez le passage chez Luc, chez Marc ou chez Matthieu. Même quand Luc dit que nous devons porter chaque jour notre croix (Lc 9, 23), nous n’entendons pas ces paroles dynamiques mais comme terme de ce qui va nous arriver si nous suivons réellement le Christ et agissons comme il aimerait nous voir le faire. Pourtant, nous devrions être alertés que si nous portons chaque jour cette croix, nous agissons, non comme des morts mais comme des personnes bien vivantes. Loin donc d’être un appel à mourir, se saisir de sa croix engage. Du coup, permettez-moi d’égratigner au passage les traductions les plus utilisées qui s’offrent à nous : Parole de vie, la TOB et Segond traduisent le grec par « donner sa vie ». Il faut aller chercher dans la Bible (catholique) de Jérusalem et celle (judaïsante) de Chouraqui un autre « son », d’autres mots qui résonnent différemment. Pour Chouraqui, Jésus « expose son être pour ses amis », la BJ dit qu’il nous faut « déposer notre vie pour nos amis ». On pourrait encore proposer une autre traduction, celle d’« exposer sa vie » pour les autres.[7] Peut-être alors retrouverons-nous cette image de la parabole du bon berger qui dit bien sûr qu’un berger n’a pas pour idée de mourir face au danger pour sauver son troupeau des attaques du loup ou des voleurs. Le berger ne fuit pas mais fait alors rempart et sauve, non par sa mort, mais par sa présence, le bétail d’une fin tragique. C’est au cours du dernier repas pris avec les disciples, dans la fragilité et l’intimité de cet événement que Jésus parle à ses disciples, bien loin du discours de la Montagne mais avec une profondeur évidente : être « dans » le Christ comme le Christ « dans » le disciple. Cela devient plus clair si l’on se souvient de la vigne et des sarments. Le lien au Christ n’est donc pas une filiation intellectuelle comme celle de Platon envers Socrate ou d’une descendance (Salomon réalise ce que David n’a pu faire). Entre le Cep et les sarments c’est une histoire de sève, et c’est étonnant de le découvrir au moment de la Pâque finale prise avec les disciples. Nos liturgies de sainte Cène parlent du sang versé mais on pourrait imaginer d’autres mots pour parler de cette vie donnée en abondance car le mot « sang » évoque le sang qui s’échappe et donc la mort. Je comprends alors que cette sève dont parle Jésus, c’est l’amour… Ce que Jésus demande sans larmoiement mais avec insistance ici à ses disciples, ce n’est pas de l’aimer en retour, pas de lui écrire de splendides confessions de foi mais de pouvoir transmettre ce qui a été reçu de lui : « aimez-vous les uns les autres » ( v 12 et 17)[8]. Et ce n’est sans doute pas la chose la plus aisée à reconnaître, qu’avant de pouvoir aimer, nous sommes d’abord aimés, d’abord pardonnés avant que de pardonner. Sans doute est-ce la chose la plus simple et la plus redoutable que nous ayons à « accomplir »…. Reconnaître que nous sommes aimés, en dépit de l’image que nous connaissons bien de nous-mêmes. Mais si nous accédons à cela, si nous pouvons laisser la sève nourrir les frêles sarments que nous sommes, alors ce sont de beaux branchages bientôt porteurs de fruits qui s’amplifient et se développent. Et peut-être même sans que nous nous en rendions compte ! C’est à cela que nous sommes appelés, accepter contre vents et marées, même quand la crise nous pousserait à nous recroqueviller sur nous-mêmes, à essayer de nous en sortir le moins mal possible, nous, notre maisonnée, notre communauté, … à laisser ce « je vous ai aimés » de Jésus agir en nous. Ainsi en va-t-il de notre relation au christ et à Dieu. Pas tant se soucier de ce que nous allons pouvoir donner, mais nous laisser imprégner de cette présence agissante de Dieu en nous, comme la sève parcourt les jeunes sarments. C’est là notre azote, notre engrais « naturel ». Et pour chacun qui entend ces paroles de l’Évangile, une chose demeure : appelé « ami » par le Christ, tu es nommé par lui, il te demande de ne pas lui faire obstacle, d’être juste capable de l’entendre. Tu verras qu’alors ta vie en sera changée, et que ton cœur que certains pensaient étroit ou en mauvaise santé sera porteur de beaux fruits : joie, espérance, justice et amour du prochain. Amen [1] Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, la Bible dévoilée, Bayard, 2002, notamment pp. 150 ss et Israël Finkelstein ; Neil Asher Silberman, Bayard, 2006, ouvrage non lu [2] Dans nos assemblées, nous nous désignons (bibliquement) par le terme « frères » ou « sœurs », reléguant celui d’ « ami(e)s » à un rang subalterne. On notera que ce mot d’ »ami » est donné par Jésus à …. Judas, comme si l’ami était vraiment celui à qui l’on peut confier un message important. [3] La question n’est pas tant ici, comme dans le livre de Samuel, de savoir qui Dieu choisit (David et pas Saül) mais de rappeler que c’est Dieu qui choisit… [4] La Bible de Jérusalem traduit par « déposer sa vie » et Chouraqui traduit par « livrer son être pour ses amis ». [5] Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch [6] précisez si besoin est que cette sentence est de Georges Brassens [7] Si l’on veut faire savant, recourir au texte grec, racine de « tithemi » et si l’on a une concordance à disposition, y jeter un œil pour s’apercevoir que cette traduction par « donner » ne s’impose pas de façon évidente ! [8] A la différence d’autres passages, Jean ne fait pas mention de l’amour du « prochain » mais de l’«ami».