Textes : 1 Corinthiens 2, v. 1 à 16 Ps 22 Actes 9, v. 26 à 31 1 Jean 3, v. 18 à 24 Jean 15, v. 1 à 17Pasteur Édith Kessler-HeitzTélécharger le document au complet
Le lien entre les 3 textes du Nouveau testament proposés pour ce dimanche n’est pas évident. Certes, nous sommes dans la période post-pascale et les Églises ont l’habitude de lire des textes du livre des Actes. Je suggère donc de remplacer le texte d’Actes 9 par celui d’Ésaïe 5,1-7 qui est directement en lien avec les 2 textes de Jean.Es. 5,1-7 : « le chant de la vigne » ce texte appartient à la 1ère partie du livre d’Ésaïe qui annonce l’exil. Ésaïe a exercé son ministère prophétique à Jérusalem dans le Royaume de Juda (au sud) à partir de 740 av. JC, à la même époque que Michée et Osée dans le Royaume du Nord. Le prophète dénonce la corruption du peuple qui a oublié Dieu. Plan : 5,1 : la vigne désigne le peuple de Dieu5,2 : les soins apportés à la vigne5,6 : les ronces, les épines, le manque d’eau sont les signes de la malédiction. La vigne ne produit plus de fruits, tout comme le peuple qui s’est éloigné de Dieu au point de ne plus être un témoin fidèle de la mission qui est confiée. En conséquence, le peuple vivra l’exil comme un nouvel exode pour apprendre ce que Dieu attend de lui. Jean 15,1-8 (je suggère de lire jusqu’au verset 17). Ce passage est au cœur des discours d’adieux de Jésus, mais nous le lisons à la lumière des événements vécus, Vendredi-Saint et Pâques. Plan : 15, 1-6 : le thème de la vigne se développe autour du développement (« porter du fruit » et « demeurer ») et de ses conditions (« couper », « tailler », « émonder »)15,7 : MAIS – mot qui marque la rupture : à partir de là, le discours ne gardera que les aspects « positifs ». Il met en lumière les caractères d’une vraie communauté.Explications :v.1 : Jésus se présente comme la vigne véritable (au sens de « Je suis la Vérité, la Vie ») par opposition à Israël infidèle. v.2 : la vigne inclut les sarments qui forment un tout organique et vivant. Dieu et son peuple, puis Jésus et ses disciples sont comme cet organisme vivant. Pour que l’organisme grandisse et se développe, des opérations chirurgicales sont nécessaires : couper les sarments improductifs et émonder les autres.v.3 : Jésus rappelle à ses disciples l’enseignement déjà donné (comme en écho à Jean 13,6-11). Le geste d’abaissement lors du lavement des pieds leur a déjà montré une manière d’être.v.4-5 : 2ème reprise du même « Je suis » que celui du début de la péricope, mais en impliquant les disciples : « vous êtes les sarments ». C’est une affirmation et pas une invitation, les disciples, parce qu’ils sont les plus proches collaborateurs de Jésus, doivent rester liés à lui. v.6 : Reprise de l’affirmation du verset précédent mais en utilisant la formule opposée : les sarments stériles ou morts sont coupés. Cette affirmation est donc aussi une mise en garde (repensez à Ésaïe). Aujourd’hui, on a du mal à entendre de telles paroles et on tend à les adoucir. La perspective du jugement est bien là. Néanmoins, le jugement s’adresse à ceux qui connaissent le Christ. Repensez au texte de Dietrich Bonhoeffer « La grâce qui coûte ».[1] dans « Résistance et soumission »v.7-8 : ceux qui sont restés attachés au Christ, ceux qui n’auront pas douté après sa mort, sa résurrection et son ascension, ceux qui garderont ses paroles, seront gardés par le Christ. Cela se vérifie par la promesse d’exaucement des prières (attention, pas n’importe lesquelles : celles qui sont en communion avec le Christ.) Au-delà de la vérification, il y a la conséquence pour les disciples : ils glorifient Dieu, ils attestent par toute leur vie que Dieu est vivant et agissant dans nos vies et dans le monde. v.9-17 : ces versets précisent la nature du lien entre la vigne et les sarments : Jésus, aimé du Père, a aimé ses disciples jusqu’à donner sa vie pour eux. Il est à la fois fondement et norme d’action des disciples. Par ses paroles d’adieu, Jésus fait plus qu’apaiser ses disciples, il veut leur communiquer sa propre joie. La rédaction de ce texte doit dater de l’époque de la rupture définitive entre les juifs et les chrétiens, aux environs de la fin du 1er siècle. Cette rupture a provoqué une grave crise dans la communauté johannique. En situation de crise ou dans des temps d’indifférence, nous, en tant que chrétiens aujourd’hui, nous sommes appelés (au sens de la mission) à être des témoins convaincus qui n’ont pas peur d’afficher la couleur.Cette péricope, courte ou longue, s’inscrit dans la continuité avec la 1ère Alliance. On retrouve ici le même « Je suis » qu’en Ex 3,14. Tout s’enracine dans l’affirmation de départ : « Je suis la Vigne véritable », Jésus, après Dieu qui se révèle à Moïse, fixe l’ordre de mission à ses disciples. L’Alliance trouve son plein accomplissement en Christ et par nous, quand nous témoignons. Jésus observe les commandements de son Père et nous appelle à garder les siens en demeurant dans son amour.1 Jean 3,18-24C’est une relecture de Jean 15. Mais ici l’auteur abandonne les images pour ne garder que l’essentiel, à savoir le lien entre le Maître et ses disciples. Il n’est pas question d’auto-condamnation ou de culpabilité mal comprise : le témoignage passe par le vécu. Les paroles ne suffisent pas, elles doivent prendre corps. L’essentiel se situe dans la confiance : faire confiance à Dieu, lâcher prise sur mes calculs, relever la tête et ne plus regarder ses pieds parce que Dieu nous fait confiance et nous appelle à travailler pour lui et avec lui. C’est ce qu’exprime, à sa façon, ce poème écrit par un auteur inconnu [2]On pourra lire avec profit l’analyse détaillée de Jean 15,1-17 dans Lire et Dire n° 91/2-8 (Charles L’Eplattenier)Pistes pour la prédicationJésus pose le fondement : « Je suis la vigne et vous êtes les sarments »La persévérance nécessaire : rester attaché à Jésus et en lien avec les membres de l’Église ne va pas sans risque. Jésus met en garde ses disciples d’hier comme d’aujourd’hui.Notre contexte n’est plus le même : rappel pour aujourd’hui de cette grâce qui coûte.
(en s’appuyant sur le texte long, c’est-à-dire Jean 15,1-17)Le n° 2004 de la revue « Croire aujourd’hui » (du 15-31 janvier 2006) présente un dossier « qu’est-ce qu’être chrétien ? ». Cette réflexion traverse aujourd’hui toutes nos Églises et chacune y apporte ses réponses spécifiques. Le fondement reste le même mais la manière de vivre diffère de celles des 1ers chrétiens. « Quels mots trouver pour définir le mot « chrétien » ? Il existe tant et tant de façons de l’être… Mais voilà que quelques-uns s’imposent. » écrit Etienne Grieu, jésuite, professeur de théologie au Centre de Sèvres. Mais qu’est-ce qu’être chrétien ? Il y a tant de manières de l’être… « Je suis la vigne véritable », répond Jésus qui reprend une image bien connue de ses auditeurs. Dès les récits de la 1ère alliance, la vigne est l’image du peuple auquel Dieu apporte tous les soins du vigneron qui en attend une bonne vendange. Mais Jésus implique d’emblée ses disciples : « Vous êtes les sarments », formule propre à l’évangile de Jean. « Vous êtes » : c’est aussi simple que cela ! Il ne nous dit pas : devenez des sarments ; il ne nous dit pas : accrochez-vous à moi. Il nous dit : « vous êtes des sarments », vous êtes reliés à moi, non pas par vos propres forces, par vos propres moyens, par votre propre quête spirituelle, par votre propre piété, par vos propres actions. Mais parce qu’il en est ainsi, parce que vous êtes des êtres humains, des créatures voulues par Dieu, vous êtes attachés à moi. 1ère réponse : Être chrétien c’est se découvrir relié à la vigne, à Dieu. C’est un cadeau qui nous est fait et pour lequel nous n’avons aucun effort à fournir. C’est une Bonne Nouvelle. Mais, on peut avoir des difficultés à le recevoir tel quel parce que le monde qui nous entoure et qui nous conditionne nous rappelle sans cesse que tout ce qu’on obtient c’est le résultat de nos efforts.« Demeurez en moi » : dans le désert, Dieu n’avait qu’une tente au milieu du campement, mais cette tente était le cœur de la vie. Nous pourrions comprendre ce verbe comme un encouragement à rester statique, immobile, passif. Rien changer, s’installer dans nos habitudes de pensées et de vie, dans notre manière de faire et de concevoir notre vie et notre vie avec Dieu. Mais ce n’est pas de cela dont il est question ici.Demeurez en moi comme le sarment demeure attaché à la vigne. Or ce qui permet au sarment de demeurer attaché à la vigne, c’est cet échange permanent de la sève qui relie le sarment au cep et qui lui donne de grandir, d’avoir du feuillage et de produire du fruit en abondance. 2ème réponse : Être chrétien, c’est cultiver ce lien avec Dieu. Être chrétien, n’est jamais un acquis et comme le peuple s’est déplacé dans le désert avant d’entrer en Terre Promise, comme Dieu a attendu avant que le Temple ne soit construit, de même, nous sommes sur terre appelés à approfondir notre relation avec le Christ pour que notre témoignage soit plus fort.« Tout sarment qui ne porte de fruit, il l’émonde » Travail patient du vigneron qui a en vue le bien de la vigne et de la vendange. Être émondé, être taillé est différent d’être jeté dehors, d’être retranché. Les vignerons savent bien que pour que le sarment grandisse et se fortifie, pour que le fruit soit abondant, nourrissant, il faut l’émonder. Il ne faut pas lui permettre de partir n’importe où, n’importe comment. Mais c’est une parole que nous avons du mal à entendre : Le Christ nous avertit par ces mots que dans notre vie, il faut émonder ce qui est un frein à l’approfondissement de notre relation avec le Christ.3ème réponse : Être chrétien ne nous épargne ni les douleurs, ni les retranchements, ni les arrachements. S’engager pour les autres et pour Dieu ne va pas sans arrachement, ni même parfois sans violence. Vivre une vie de foi, ce n’est pas un long fleuve tranquille, c’est avancer, accepter de passer par des petites morts, abandonner les effets spéciaux et le superflu pour que la vie triomphe.« Demeurez dans mon amour ». Dans l’évangile et les lettres de Jean, ce thème revient à de nombreuses reprises et puisque nous sommes reliés à la vigne, au Père, il est normal que l’image de l’amour vienne prendre ici sa place. Or aimer, ce n’est ce sentiment un peu fade dont on nous ressasse à longueur de feuilleton télévisé. Aimer nous engage au quotidien. Aimer c’est une réalité qui modifie notre relation à nous-mêmes et notre relation aux autres. Aimer Dieu ce n’est pas d’abord une mystique, une intériorité secrète, mais c’est une éthique : une manière de se comporter vis-à-vis des autres. Aimer c’est une action. 4ème réponse : Être chrétien, c’est non seulement être lié à Dieu, être émondé. Mais être chrétien c’est aussi s’engager avec les autres et pour les autres, avec Dieu et pour Dieu. La sève circule entre le cep et les sarments, de même l’amour de Dieu irradie toute la vie et la vie des autres qui sont eux aussi reliés à Dieu et à nous-mêmes. Jésus s’adresse à ses disciples collectivement : « vous êtes ». Ce « vous » collectif est nourri par le tu individuel mais il n’est pas simplement la somme de tous nos « tu ». La communion avec le Christ et entre nous va au-delà d’une simple addition, elle nous engage dans une solidarité. C’est ensemble que nous portons du fruit. Jean Lemonnier écrit un poème qui peut nous aider à entrer dans cette solidarité : « DES QUATRE opérations, dit Dieu, celle que j’aime le mieux, c’est la multiplication.L’addition, c’est très bien, mais ça ne va pas assez vite pour moi.C’est bon pour les comptables : moi, je ne sais pas compter.La soustraction, ce n’est pas mon genre. Quand il faut ôter, enlever, retrancher, soustraire, j’ai mal partout. C’est plutôt l’affaire du percepteur.Quant à la division, je passe mon temps à en réparer les dommages.Voilà des siècles et des siècles que j’essaie d’apprendre aux hommes à ne plus faire de divisions. Ce sont de fameux diviseurs, des diviseurs infatigables, incorrigibles. Ils se servent même de mon nom pour diviser !Mais la multiplication, c’est ma spécialité.Je ne suis moi-même que dans la multiplication. Je ne me sens bien que dans la multiplication.Je suis imbattable dans ce genre d’opération. Je suis le multiplicateur. Je multiplie tout, la vie, la joie, le pardon. Et si l’homme, qui fait toujours le malin, multiplie le mal par dix, moi, je multiplie le pardon par mille ! » L’enseignement de Jésus culmine dans un dernier mot : la joie et la joie parfaite. L’intention de Jésus en transmettant tout cet enseignement à propos de la vigne, c’est de réjouir ses disciples, de leur donner de la joie. Il ne s’agit pas d’une joie de façade, mais de cette joie profonde appelée aussi jubilation, qui oriente notre vie et nos actes vers Dieu, vers la vie, vers les autres. La joie qu’il y a lorsqu’on se découvre aimé, compris, relié, inséré, encouragé, porté, soutenu. La joie de croire tout simplement.En tant que chrétiens, nous ne transpirons pas toujours cette joie, sinon d’autres auraient envie de nous demander ce qui nous anime et se joindre à nous.Le défi que les chrétiens doivent relever aujourd’hui, c’est d’être porteurs de cette Bonne Nouvelle qui remet l’être humain au cœur des relations, qui humanise les décisions à prendre, qui prend en compte les plus faibles, les petits, les désarmés. Être chrétien sans attendre d’être payé en retour pour les actions menées. »Je suis le cep vous êtes les sarments, » nous dit le Christ. « Je vous ai dit cela pour que votre joie soit parfaite. »Amen !Cantiques proposés :AEC 481 : « Gloire à toi, Jésus-Christ »AEC 487 : « Seigneur Jésus, tu es vivant »AEC 745, Alléluia 52-13 : « Mon cœur est comme une flûte » (possible si c’est un culte auquel participent les catéchumènes) AEC 614, Alléluia 47-19 : « Tu es là au cœur de nos vies »[1] La grâce à bon marché est l’ennemie mortelle de notre Église. Actuellement dans notre combat, il y va de la grâce qui coûte. La grâce à bon marché, c’est la grâce considérée comme une marchandise à liquider, le pardon au rabais, la consolidation au rabais, le sacrement au rabais ; la grâce servant de magasin intarissable à l’Église, où des mains inconsidérées puisent pour distribuer sans hésitation ni limite ; la grâce non tarifée, la grâce qui ne coûte rien… Dans cette Église, le monde trouve à bon marché, un voile pour couvrir ses péchés, péchés dont il ne se repent pas, et, dont, à plus forte raison, il ne désire pas se libérer… Sous couvert de cette grâce, le monde entier est devenu « chrétien » ; mais, sous couvert de cette grâce, le christianisme est devenu le monde à un point jamais encore atteint. Le conflit est résolu, qui opposait la vie à laquelle est appelé le chrétien et celle qu’on mène en tant que citoyen de ce monde…On a annoncé l’Évangile, et on a distribué les sacrements à vil prix, on a baptisé, confirmé, absout tout un peuple, sans poser ni question ni condition, par charité humaine, on a donné les choses saintes à des moqueurs et à des incrédules, on a déversé des flots inépuisables de grâce, mais l’appel à l’obéissance à Jésus se fit plus rarement entendre.[2] Christ n’a pas de mains sinon les nôtres pour faire son ouvrage.Il n’a pas de pieds mais veut se servir de nos pieds pour mener les hommes sur son chemin.Il n’a pas de lèvres mais veut se servir de nos lèvres pour parler de lui aux hommes.Jésus nous charge de donner à d’autres ce que nous avons reçu, de communiquer ce que nous avons entendu.Nous sommes ses mains : avec nos mains, il veut faire son ouvrage dans notre monde.Nous sommes ses pieds : avec nos pieds, il veut trouver le chemin vers les hommes qu’il cherche.Nous sommes ses yeux : avec nos yeux, il veut découvrir les hommes qu’il a appelés à la liberté.Nous sommes sa bouche : par notre bouche, il veut annoncer sa Parole de réconciliation à ceux qui se haïssent.