Textes : Luc 12, v. 1 à 12 Psaume 103 Exode 3, v. 1 à 15 1 Corinthiens 10, v. 1 à 12 Luc 13, v. 1 à 9 Pasteur Éric de BonnechoseTélécharger le document au complet

Notes bibliques Ce texte immense se déroule sur un lieu mythique : la montagne de l’Horeb. Mais il est aussi (et surtout ?) un sommet littéraire et théologique de l’Exode, et de tout l’Ancien Testament. Devant un tel récit, le prédicateur se trouve invité à faire respectueusement le tour, et à ôter ses souliers trop chargés de souvenirs et d’idées toutes faites. C’est ce qu’on se propose de faire brièvement ici, sans imaginer faire tout le tour de la question ! Faire le tour du texte : son contexte L’Exode se présente comme l’histoire d’un peuple, conjuguée à l’histoire d’un homme : Moïse, et conduite par Dieu. Le peuple est dans la détresse, opprimé en Égypte. Dans les chapitres 1 et 2, cette oppression s’aggrave de façon dramatique, par une réaction orgueilleuse et tyrannique du Pharaon à chaque progrès ou à chaque résistance du peuple hébreu. Le nom de Dieu est peu prononcé, et peu invoqué par le peuple, mais le lecteur croyant perçoit son intervention discrète dans le destin de Moïse sauvé des eaux. Moïse lui-même se présente comme un homme au caractère fougueux, épris de justice : mais ce tempérament le mène à l’échec ; exilé dans le pays de Madian, on se demande comment il va pouvoir encore aider les siens. Le lecteur comprend que par ses seules forces, Moïse ne peut rien. Le chapitre 2 s’achève sur les gémissements du peuple, et sur une affirmation décisive : Dieu entend la plainte et se souvient de son alliance. Désormais, c’est Dieu qui prend l’initiative. Avec le chapitre 3, tout va pouvoir commencer, comme une création du peuple à neuf. Ce qui se passe au mont Horeb a le double caractère d’une théophanie (apparition / manifestation de Dieu) et d’un récit de vocation. La double mention du nom de Jéthro, beau-père de Moïse, le délimite entre Ex 3,1 et Ex 4,17. Manifestation de Dieu, crainte du serviteur, définition de la mission, objections du serviteur et réponses de Dieu sont les éléments classiques d’un récit de vocation : voir par exemple Es 6, Jr 1, ou même Lc 1, 26-38 ! Mais la théophanie prend ici une place exceptionnelle, parce que Dieu s’y révèle non seulement à Moïse, mais à tout homme et pour toujours (Ex 3,15). De plus, elle annonce la grande théophanie de Dieu sur le mont Sinaï. A cause de cela, nous pouvons paisiblement lire et méditer sur cette théophanie, et nous restreindre aux 15 premiers versets du chapitre 3 en laissant un peu de côté les aspects propres à la vocation de Moïse. Ôter ses chaussures, pour voir et entendre du neuf a) « Je suis (je serai) qui je suis (je serai) » (Ex 3,14) Partons du plus célèbre, mais aussi du plus difficile à interpréter. « C’est le seul texte de l’Ancien Testament qui donne une explication étymologique du nom de YHWH, et cette explication demeure énigmatique, peut-être intentionnellement » (F. Michaeli, Le livre de l’Exode, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1974, p. 50). Le verbe hébreu employé, souvent traduit par le français être, se trouve au temps inaccompli, qui correspond en français tantôt au présent, tantôt au futur. Quant à la particule traduite par qui, elle peut aussi signifier puisque, ou parce que… La combinaison de toutes ces possibilités, à partir de seulement 3 mots hébraïques, donne une multiplicité d’interprétations possibles. Selon G. Vanhoomissen (En commençant par Moïse, Bruxelles : Lumen Vitae, 2002, p. 114-115), trois grandes familles d’interprétations émergent : – L’affirmation de l’essence de Dieu. « Je suis celui qui est ». L’être par excellence, par opposition aux idoles qui ne sont pas. Interprétation qui tend vers les catégories de la philosophie grecque, ou simplement qui renvoie au Dieu créateur. Seul ce Dieu véritable et créateur a compétence pour redonner vie au peuple qui meurt en Égypte. – L’affirmation de l’agir de Dieu. « Je suis qui je serai ». C’est dans la manifestation de Dieu dans leur histoire que les hébreux pourront le découvrir dans son identité profonde. Le libérateur, le Dieu qui conduit son peuple. C’est évidemment l’interprétation la plus en prise avec les promesses de libération données à Moïse à l’occasion de la rencontre au buisson ardent. – Le refus de révéler son nom. « Je suis qui je suis. » Formule évasive, qui renvoie la curiosité de Moïse à une grande frustration. Nommer Dieu, maîtriser son nom, ce serait mettre la main sur lui. Son nom le plus essentiel demeure inaccessible, comme son visage ultime demeure invisible. Dieu se donne en ne se vendant pas. Il se révèle comme celui qui demeure libre. b) Dieu : l’image et la parole En bons protestants, nous passons souvent rapidement sur l’image du buisson ardent, préférant la matière rassurante (pour nous !) des paroles de Dieu. Comme si ce visuel n’était qu’anecdotique. Ou pour le dire avec des arguments plus historiques : comme si ce buisson rappelait trop les cultes païens qui, peut-être, auraient contribué à faire de ce lieu un lieu sacré, bien avant le passage de Moïse. Au contraire, essayons d’écouter ce que dit ce buisson. Le texte manifeste des imprécisions : l’ange du Seigneur apparaît dans une flamme, au milieu d’un buisson ; Moïse aperçoit un buisson d’où sortent des flammes (au pluriel). Puis le Seigneur l’appelle du milieu du buisson. L’ange a-t-il disparu ? La voix provient-elle de la flamme ? ou du buisson ? ou des deux à la fois ? Enfin on apprend que le lieu lui-même est consacré, et qu’il faut s’y déchausser. Dieu habite-t-il ce lieu d’une façon particulière, en dehors du buisson en feu ? Envisageons plusieurs hypothèses : – Dieu est à trouver plutôt dans le buisson, un buisson qui brûle sans se consumer. Image d’éternité, d’immortalité, mais aussi de vie dynamique qui se donne et se redonne en permanence. On rejoindrait ici la première interprétation du “ je suis celui qui est ”. – Dieu est à trouver plutôt dans la flamme, comme le visage de l’ange nous le suggère au début du récit. Le buisson, quant à lui, est l’image de la créature. Dieu est le feu destructeur, puissant et terrifiant, et en même temps il parle à l’humain dans son humanité, dans son histoire. Il vient sans le consumer, sans le dévorer, c’est-à-dire en le respectant, en ne brûlant pas avec lui les étapes. Comme il le montrera plus tard dans les péripéties de l’Exode, Dieu ne se décourage pas des raideurs et des égarements du peuple. – Dieu est dans la terre “sacrée” où s’ancrent les racines du buisson. Il est l’image de ce qui nourrit, comme la terre nourrit le buisson. L’image de ce qui tient solidement, comme le buisson a ses racines en terre. Et en même temps l’image de ce qu’on ne peut pas toucher ni saisir. On retrouverait ici la troisième interprétation du “je suis qui je suis”. c) Moïse, le Voyant Une façon de revenir à la figure de Moïse, sans embrasser tout le récit de sa vocation, est de regarder… comment il voit ! Le récit est marqué par le vocabulaire de la vision : l’ange lui apparaît, Moïse regarde et veut faire un détour pour voir. Puis se voile la face car il craint de regarder Dieu. Moïse est donc celui qui voit sans avoir vu vraiment, qui aperçoit sans pouvoir regarder. C’est même l’un de ses caractères distinctifs dans la galerie de portraits de l’Ancien Testament. L’Exode le magnifie comme celui qui a un rapport particulier avec Dieu, de l’ordre de la vision. Et en même temps, les récits du Pentateuque ne cessent d’hésiter au sujet de cette vision. – Selon Ex 24,9-11 Moïse voit Dieu, comme les anciens d’Israël le voient également ; ils le contemplent sans dommage ; mais le récit ne décrit que le piédestal de Dieu. – Selon Ex 33,18-23 Moïse veut contempler Dieu, mais ne le peut que de dos. Plus loin en Dt 4, 15-20 voir Dieu est assimilé à une pratique idolâtre ; Dieu est celui qui se cache dans la nuée, pour mieux se faire entendre. – Selon Ex 34, 29-35 c’est maintenant le visage de Moïse, illuminé par la rencontre de Dieu, que le peuple ne peut contempler directement, sauf quand il transmet les paroles reçues de Dieu. – En Nb 12, 1-8 un thème nouveau apparaît : le privilège de voir Dieu confère à Moïse une autorité unique parmi le peuple. Ce que reprendra l’éloge conclusif de Dt 34, 10 : Moïse est l’unique avec lequel Dieu s’est entretenu face à face. Ces hésitations, ou variations sur le thème de la vision de Dieu, sont probablement les traces d’un vif débat. Soit entre le rédacteur final et les récits traditionnels dont il dispose, soit plutôt entre plusieurs traditions religieuses au sein du judaïsme au moment de la rédaction finale de ces récits. Quoi qu’il en soit, voir Dieu est le propre de Moïse et lui donne une autorité inégalable. Dieu demeure en partie inaccessible. La rencontre de Moïse avec Dieu demeure en partie inaccessible. Mais c’est cette rencontre qui donne aux paroles de Moïse tout leur poids. Méditons avec Paul Beauchamp, Cinquante portraits bibliques, Paris : Seuil, 2000, p. 64 : « Le Nom de Dieu ouvre la loi, il en est le principe (Ex 20,2). Avant toute loi, quelqu’un (le Seigneur) parle à quelqu’un (Moïse), dans un dialogue contemplatif, un dialogue qui est aussi une vision, comme se voir et parler vont ensemble. Dire “Je”, c’est parler. C’est aussi appeler, faire dialogue. Ce dialogue qui vient d’avant la loi conduit plus loin que la loi, vers l’accomplissement qui la dépasse. C’est pourquoi Jésus déclare, selon l’évangile de Jean : “Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit” (Jn 5,46). » Pistes pour la prédication Les différents paragraphes des notes bibliques qui précèdent peuvent donner des pistes pour prêcher. On peut en particulier développer telle ou telle hypothèse sur le buisson ou sur l’interprétation de « je suis qui je suis ». De façon un peu paresseuse, la prédication qui suit reprend (trop ?) longuement des réflexions bibliques, pour une méditation sur l’écoute des images. Documentation possible Revue « Lire & Dire » = N°11 -1992/1 Prédication Écouter une image, démarche de liberté Écouter l’image On est aujourd’hui de plus en plus sollicité par les images. On peut le déplorer ou s’en féliciter : le fait est là, et bientôt il ne restera plus que la radio, les cures de psychanalyse… et le culte réformé pour soutenir encore, envers et contre tout, le primat de la parole sur le visuel ! Sans doute faut-il résister à cet impérialisme de l’image, surtout quand il cherche à séduire, à fasciner, ou simplement à tuer notre temps et notre imaginaire. Mais y résister, ce n’est pas forcément jeter sa télé à la poubelle ou détourner la tête dès que l’on voit une publicité. A contraire, il faudrait peut-être regarder les images avec plus d’attention, les écouter en fait, pour retrouver devant elles une certaine liberté. Prenons un exemple tout simple : regardons ce qu’il y a dans un temple. On ne le croirait pas, mais il y a quantité de choses intéressantes à voir dans un temple ! Pourquoi y a-t-il des bancs, par exemple ? Et pas des tapis comme à la mosquée, ou un sol nu comme chez les orthodoxes ? Quelle attitude religieuse ou spirituelle est suggérée par l’emploi du banc ? Le mobilier, le décor, disent une conception de la foi, que l’on peut sentir instinctivement, mais qu’il est bon de pouvoir décrypter. Il en va de même pour notre imaginaire religieux. Certaines visions, ou si vous préférez certaines images que Dieu nous inspire, ont parfois en nous une force insoupçonnée, un impact et une capacité de stimulation plus forte que bien des paroles. Écouter Dieu, c’est parfois non seulement écouter une voix, écouter des paroles, mais aussi écouter des images, et les histoires que ces images nous racontent. Ce n’est pas pour rien que Jésus parle souvent en paraboles, pleines d’images de la vie campagnarde. Ce n’est pas seulement parce que son auditoire est composé de gens peu instruits ! C’est parce que l’image, si nous la laissons pénétrer en nous, si nous la méditons, peut produire parfois bien plus que l’écoute d’une affirmation ou d’un raisonnement. Alors méditions ensemble sur ce que peut nous dire le buisson ardent, le buisson enflammé qui déclenche la curiosité de Moïse, qui déclenche les paroles de Dieu, qui déclenche l’exode, qui déclenche toute la naissance d’un peuple. Faisons ensemble le pari que ce n’est pas seulement une curiosité, un gadget parmi d’autres pour que Moïse tende l’oreille et écoute la voix qui va suivre ! Faisons ensemble le pari que cette image parle par elle-même, et méditons sur ce qu’elle nous dit. Dieu dans le buisson Première surprise : l’image n’est pas très claire. Ou plutôt : le texte montre des imprécisions sur ce qui se passe dans ce buisson. Lisons : – “ L’ange du Seigneur lui apparut dans une flamme, au milieu d’un buisson ”. – Plus loin : “ Moïse aperçoit un buisson d’où sortent des flammes (au pluriel) ”. – Ensuite, “ le Seigneur appelle Moïse du milieu du buisson ”. L’ange a-t-il disparu ? La voix provient-elle de la flamme ? ou du buisson ? ou des deux à la fois ? – Enfin on apprend que le lieu lui-même est consacré, et qu’il faut s’y déchausser. Dieu habite-t-il ce lieu d’une façon particulière, en dehors du buisson en feu ? Comme on ne sait pas bien où est Dieu, dans ce buisson, envisageons plusieurs hypothèses, et voyons ce que chacune d’entre elles nous dit ! Et tout d’abord, lorsqu’on voit plutôt Dieu dans le buisson, Dieu attaché à cette image d’un buisson qui brûle sans se consumer. C’est bien cela qui étonne Moïse, n’est-ce pas ? Dieu est comme un buisson qui brûle sans se consumer. Dieu est comme un combustible qui nourrit un feu, sans jamais s’épuiser. Dieu est comme de la vie qui se donne, en se renouvelant sans cesse. C’est une image d’éternité, d’immortalité, mais aussi de vie dynamique qui se donne et se redonne en permanence. “ Je suis qui je suis ” dira Dieu. On peut aussi traduire : “ je suis celui qui est ”, celui dont le nom, exprimé par le tétragramme YHWH, se rapproche beaucoup des lettres du verbe être. Je suis l’Étant, à la fois Eternel et Vivant. Vous voyez à quel point ici l’image coïncide bien avec la révélation qui suivra. Une image et une révélation fortes, et neuves pour le peuple Hébreu. Jusque là Dieu s’était montré comme “ Élohim, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de vos Pères ”. C’était le Dieu d’un appel, d’une tribu, d’une promesse et d’une bénédiction. Le Dieu qui apparaît dans le buisson apporte du neuf, il élargit et ouvre considérablement l’espace. Je suis le Vivant, qui demeure à jamais. Je suis Dieu à l’origine de toute chose créée. Et à cause de cela je peux rendre vie au peuple qui perd sa vie en Égypte, je peux donner vie à un peuple neuf qui viendra m’adorer ici. Dieu dans la flamme Mais, second regard sur l’image du buisson, nous pouvons plutôt imaginer Dieu dans la flamme, comme le visage de l’ange nous le suggère au début du récit. Non pas dans le buisson, mais dans la flamme. Nous avons alors l’image d’un Dieu qui se donne dans une chose aussi modeste qu’un buisson. Un Dieu qui parle même là où il y a des épines et des piquants. Un Dieu qui parle à l’humain, en somme, dans toute son humanité, et qui le fait sans le consumer, sans le dévorer, c’est-à-dire en le respectant, en ne brûlant jamais avec lui les étapes. Un Dieu qui ne se décourage pas de ses raideurs et de ses fragilités. Un Dieu qui éclaire et qui réchauffe le monde au rythme de ce buisson qu’est l’homme, et même un Dieu qui dépend de l’homme pour éclairer et réchauffer le monde. Un Dieu patient, attentif, vulnérable même. C’est bien une réalité qu’on retrouve dans la parole du Seigneur à Moïse. Dieu en effet ne se contente pas de se présenter, de révéler un nom nouveau : “ je suis celui qui est ”. Mais Dieu envoie Moïse pour libérer le peuple. Dieu choisit ce criminel en fuite pour éclairer et allumer la vie du peuple. Dieu se rend dépendant de ce berger pour mener son propre troupeau hors d’Égypte. Et si Moïse hésite et tergiverse, Dieu n’a pas d’autre solution que de prier, d’insister et d’argumenter. Car il est la flamme qui a choisi de ne pas consumer le buisson. Vous sentez combien nous sommes proches ici du Dieu qui s’est rendu lui-même proche et vulnérable en Jésus-Christ. Un Dieu qui brûle d’amour pour nous, mais qui ne s’impose pas, et qui s’adresse à nous pour faire grandir ce feu de son Royaume. “ Je suis venu apporter un feu sur la terre, dit Jésus, et combien je voudrais qu’il soit déjà allumé ” (Luc 12, 49). Dieu dans la terre Mais il y a un autre endroit où l’on peut encore symboliquement imaginer Dieu dans l’histoire du buisson ardent. C’est dans la terre où s’ancrent les racines du buisson. Le texte dit que c’est un lieu consacré. Sans doute un lieu de culte païen, qui honorait une plante verte survivant miraculeusement dans le désert ? Qu’importe, le texte accueille bravement ce lieu comme un lieu consacré, où la présence de Dieu se manifeste, et qui mérite qu’on ôte ses sandales et qu’on ne s’approche pas trop près. Dieu est ici à l’image de ce qui nourrit, comme la terre nourrit le buisson. A l’image de ce qui tient solidement, comme le buisson a ses racines en terre. Et en même temps à l’image de ce qu’on ne peut pas toucher ni saisir. Un fondement à la fois ferme et insaisissable. Fondement ferme comme la fidélité de cette voix, qui se rappelle à Moïse comme “ le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ”. Fondement insaisissable comme l’humour de cette voix qui dit : “ Je suis qui je suis ”, cela ne te regarde pas d’en savoir plus ! L’Église Réformée de France s’est largement laissée inspirer par cette image du fondement ferme et insaisissable. Dès le XVIe siècle, elle a choisit comme emblème, comme sceau, le buisson ardent, avec ce verset : “ il brûle, mais ne se consume pas ”. C’est encore aujourd’hui son logo, sur toutes ses lettres officielles. Au XVIe siècle, les réformés voulaient dire en quelque sorte : notre Église est comme un buisson dans les flammes de la persécution. Elle brûle, elle souffre, mais elle ne se consume pas : elle reste vivace, car elle est ancrée dans le terreau de la parole de Dieu. Et sur cette parole, personne ne peut mettre la main, ni prêtres, ni évêques, ni pape, ni pasteurs d’ailleurs : c’est l’Esprit qui inspire le croyant dans sa lecture des Écritures. Conclusion Nous avons donc fait le tour du buisson, pour essayer de voir où Dieu s’y trouvait, et nous voyons que ce récit fondateur est merveilleusement riche de sens et d’interprétations possibles, avec une grande cohérence entre l’image et la parole de révélation. Nous y avons trouvé tour à tour le Dieu Vivant et Eternel, le Dieu libérateur et vulnérable, le Dieu inspirateur et insaisissable… Presque une sorte de Trinité finalement ! Et nous pourrions en trouver encore d’autres ! Le tour du buisson n’est jamais fini. C’est le propre des grands textes fondateurs, des grandes images, de permettre sans cesse ce renouvellement des interprétations et de l’appropriation spirituelle. L’image, et pour nous ce matin, celle du buisson ardent, devient comme une convocation œcuménique, une invitation faite aux croyants de partager leurs regards et leurs compréhensions de ce que Dieu leur dit là. Je voudrais en rester finalement à cette invitation au partage. Nous avons en commun un grand nombre d’images, qui structurent notre représentation de la foi et de Dieu. Images bibliques, images communautaires, images de nos expériences. C’est l’image du buisson ardent. C’est l’image de la mer traversée à pied sec. C’est l’image de la croix. C’est le cercle de la sainte cène. C’est le banc (ou la chaise) du temple sur lequel nous sommes assis. C’est l’affichage des 95 thèses de Luther. C’est un pasteur bien-aimé de notre enfance. C’est un malheur traumatisant de notre existence. C’est un coin de campagne où nous aimons prier… Toutes ces images sont en nous, ou autour de nous, comme un trésor à relire et à partager.

Textes : Luc 12, v. 1 à 12 Psaume 103 Exode 3, v. 1 à 15 1 Corinthiens 10, v. 1 à 12 Luc 13, v. 1 à 9 Pasteur Éric de BonnechoseTélécharger le document au complet

Notes bibliques Ce texte immense se déroule sur un lieu mythique : la montagne de l’Horeb. Mais il est aussi (et surtout ?) un sommet littéraire et théologique de l’Exode, et de tout l’Ancien Testament. Devant un tel récit, le prédicateur se trouve invité à faire respectueusement le tour, et à ôter ses souliers trop chargés de souvenirs et d’idées toutes faites. C’est ce qu’on se propose de faire brièvement ici, sans imaginer faire tout le tour de la question ! Faire le tour du texte : son contexte L’Exode se présente comme l’histoire d’un peuple, conjuguée à l’histoire d’un homme : Moïse, et conduite par Dieu. Le peuple est dans la détresse, opprimé en Égypte. Dans les chapitres 1 et 2, cette oppression s’aggrave de façon dramatique, par une réaction orgueilleuse et tyrannique du Pharaon à chaque progrès ou à chaque résistance du peuple hébreu. Le nom de Dieu est peu prononcé, et peu invoqué par le peuple, mais le lecteur croyant perçoit son intervention discrète dans le destin de Moïse sauvé des eaux. Moïse lui-même se présente comme un homme au caractère fougueux, épris de justice : mais ce tempérament le mène à l’échec ; exilé dans le pays de Madian, on se demande comment il va pouvoir encore aider les siens. Le lecteur comprend que par ses seules forces, Moïse ne peut rien. Le chapitre 2 s’achève sur les gémissements du peuple, et sur une affirmation décisive : Dieu entend la plainte et se souvient de son alliance. Désormais, c’est Dieu qui prend l’initiative. Avec le chapitre 3, tout va pouvoir commencer, comme une création du peuple à neuf. Ce qui se passe au mont Horeb a le double caractère d’une théophanie (apparition / manifestation de Dieu) et d’un récit de vocation. La double mention du nom de Jéthro, beau-père de Moïse, le délimite entre Ex 3,1 et Ex 4,17. Manifestation de Dieu, crainte du serviteur, définition de la mission, objections du serviteur et réponses de Dieu sont les éléments classiques d’un récit de vocation : voir par exemple Es 6, Jr 1, ou même Lc 1, 26-38 ! Mais la théophanie prend ici une place exceptionnelle, parce que Dieu s’y révèle non seulement à Moïse, mais à tout homme et pour toujours (Ex 3,15). De plus, elle annonce la grande théophanie de Dieu sur le mont Sinaï. A cause de cela, nous pouvons paisiblement lire et méditer sur cette théophanie, et nous restreindre aux 15 premiers versets du chapitre 3 en laissant un peu de côté les aspects propres à la vocation de Moïse. Ôter ses chaussures, pour voir et entendre du neuf a) « Je suis (je serai) qui je suis (je serai) » (Ex 3,14) Partons du plus célèbre, mais aussi du plus difficile à interpréter. « C’est le seul texte de l’Ancien Testament qui donne une explication étymologique du nom de YHWH, et cette explication demeure énigmatique, peut-être intentionnellement » (F. Michaeli, Le livre de l’Exode, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1974, p. 50). Le verbe hébreu employé, souvent traduit par le français être, se trouve au temps inaccompli, qui correspond en français tantôt au présent, tantôt au futur. Quant à la particule traduite par qui, elle peut aussi signifier puisque, ou parce que… La combinaison de toutes ces possibilités, à partir de seulement 3 mots hébraïques, donne une multiplicité d’interprétations possibles. Selon G. Vanhoomissen (En commençant par Moïse, Bruxelles : Lumen Vitae, 2002, p. 114-115), trois grandes familles d’interprétations émergent : – L’affirmation de l’essence de Dieu. « Je suis celui qui est ». L’être par excellence, par opposition aux idoles qui ne sont pas. Interprétation qui tend vers les catégories de la philosophie grecque, ou simplement qui renvoie au Dieu créateur. Seul ce Dieu véritable et créateur a compétence pour redonner vie au peuple qui meurt en Égypte. – L’affirmation de l’agir de Dieu. « Je suis qui je serai ». C’est dans la manifestation de Dieu dans leur histoire que les hébreux pourront le découvrir dans son identité profonde. Le libérateur, le Dieu qui conduit son peuple. C’est évidemment l’interprétation la plus en prise avec les promesses de libération données à Moïse à l’occasion de la rencontre au buisson ardent. – Le refus de révéler son nom. « Je suis qui je suis. » Formule évasive, qui renvoie la curiosité de Moïse à une grande frustration. Nommer Dieu, maîtriser son nom, ce serait mettre la main sur lui. Son nom le plus essentiel demeure inaccessible, comme son visage ultime demeure invisible. Dieu se donne en ne se vendant pas. Il se révèle comme celui qui demeure libre. b) Dieu : l’image et la parole En bons protestants, nous passons souvent rapidement sur l’image du buisson ardent, préférant la matière rassurante (pour nous !) des paroles de Dieu. Comme si ce visuel n’était qu’anecdotique. Ou pour le dire avec des arguments plus historiques : comme si ce buisson rappelait trop les cultes païens qui, peut-être, auraient contribué à faire de ce lieu un lieu sacré, bien avant le passage de Moïse. Au contraire, essayons d’écouter ce que dit ce buisson. Le texte manifeste des imprécisions : l’ange du Seigneur apparaît dans une flamme, au milieu d’un buisson ; Moïse aperçoit un buisson d’où sortent des flammes (au pluriel). Puis le Seigneur l’appelle du milieu du buisson. L’ange a-t-il disparu ? La voix provient-elle de la flamme ? ou du buisson ? ou des deux à la fois ? Enfin on apprend que le lieu lui-même est consacré, et qu’il faut s’y déchausser. Dieu habite-t-il ce lieu d’une façon particulière, en dehors du buisson en feu ? Envisageons plusieurs hypothèses : – Dieu est à trouver plutôt dans le buisson, un buisson qui brûle sans se consumer. Image d’éternité, d’immortalité, mais aussi de vie dynamique qui se donne et se redonne en permanence. On rejoindrait ici la première interprétation du “ je suis celui qui est ”. – Dieu est à trouver plutôt dans la flamme, comme le visage de l’ange nous le suggère au début du récit. Le buisson, quant à lui, est l’image de la créature. Dieu est le feu destructeur, puissant et terrifiant, et en même temps il parle à l’humain dans son humanité, dans son histoire. Il vient sans le consumer, sans le dévorer, c’est-à-dire en le respectant, en ne brûlant pas avec lui les étapes. Comme il le montrera plus tard dans les péripéties de l’Exode, Dieu ne se décourage pas des raideurs et des égarements du peuple. – Dieu est dans la terre “sacrée” où s’ancrent les racines du buisson. Il est l’image de ce qui nourrit, comme la terre nourrit le buisson. L’image de ce qui tient solidement, comme le buisson a ses racines en terre. Et en même temps l’image de ce qu’on ne peut pas toucher ni saisir. On retrouverait ici la troisième interprétation du “je suis qui je suis”. c) Moïse, le Voyant Une façon de revenir à la figure de Moïse, sans embrasser tout le récit de sa vocation, est de regarder… comment il voit ! Le récit est marqué par le vocabulaire de la vision : l’ange lui apparaît, Moïse regarde et veut faire un détour pour voir. Puis se voile la face car il craint de regarder Dieu. Moïse est donc celui qui voit sans avoir vu vraiment, qui aperçoit sans pouvoir regarder. C’est même l’un de ses caractères distinctifs dans la galerie de portraits de l’Ancien Testament. L’Exode le magnifie comme celui qui a un rapport particulier avec Dieu, de l’ordre de la vision. Et en même temps, les récits du Pentateuque ne cessent d’hésiter au sujet de cette vision. – Selon Ex 24,9-11 Moïse voit Dieu, comme les anciens d’Israël le voient également ; ils le contemplent sans dommage ; mais le récit ne décrit que le piédestal de Dieu. – Selon Ex 33,18-23 Moïse veut contempler Dieu, mais ne le peut que de dos. Plus loin en Dt 4, 15-20 voir Dieu est assimilé à une pratique idolâtre ; Dieu est celui qui se cache dans la nuée, pour mieux se faire entendre. – Selon Ex 34, 29-35 c’est maintenant le visage de Moïse, illuminé par la rencontre de Dieu, que le peuple ne peut contempler directement, sauf quand il transmet les paroles reçues de Dieu. – En Nb 12, 1-8 un thème nouveau apparaît : le privilège de voir Dieu confère à Moïse une autorité unique parmi le peuple. Ce que reprendra l’éloge conclusif de Dt 34, 10 : Moïse est l’unique avec lequel Dieu s’est entretenu face à face. Ces hésitations, ou variations sur le thème de la vision de Dieu, sont probablement les traces d’un vif débat. Soit entre le rédacteur final et les récits traditionnels dont il dispose, soit plutôt entre plusieurs traditions religieuses au sein du judaïsme au moment de la rédaction finale de ces récits. Quoi qu’il en soit, voir Dieu est le propre de Moïse et lui donne une autorité inégalable. Dieu demeure en partie inaccessible. La rencontre de Moïse avec Dieu demeure en partie inaccessible. Mais c’est cette rencontre qui donne aux paroles de Moïse tout leur poids. Méditons avec Paul Beauchamp, Cinquante portraits bibliques, Paris : Seuil, 2000, p. 64 : « Le Nom de Dieu ouvre la loi, il en est le principe (Ex 20,2). Avant toute loi, quelqu’un (le Seigneur) parle à quelqu’un (Moïse), dans un dialogue contemplatif, un dialogue qui est aussi une vision, comme se voir et parler vont ensemble. Dire “Je”, c’est parler. C’est aussi appeler, faire dialogue. Ce dialogue qui vient d’avant la loi conduit plus loin que la loi, vers l’accomplissement qui la dépasse. C’est pourquoi Jésus déclare, selon l’évangile de Jean : “Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit” (Jn 5,46). » Pistes pour la prédication Les différents paragraphes des notes bibliques qui précèdent peuvent donner des pistes pour prêcher. On peut en particulier développer telle ou telle hypothèse sur le buisson ou sur l’interprétation de « je suis qui je suis ». De façon un peu paresseuse, la prédication qui suit reprend (trop ?) longuement des réflexions bibliques, pour une méditation sur l’écoute des images. Documentation possible Revue « Lire & Dire » = N°11 -1992/1Prédication Écouter une image, démarche de liberté Écouter l’image On est aujourd’hui de plus en plus sollicité par les images. On peut le déplorer ou s’en féliciter : le fait est là, et bientôt il ne restera plus que la radio, les cures de psychanalyse… et le culte réformé pour soutenir encore, envers et contre tout, le primat de la parole sur le visuel ! Sans doute faut-il résister à cet impérialisme de l’image, surtout quand il cherche à séduire, à fasciner, ou simplement à tuer notre temps et notre imaginaire. Mais y résister, ce n’est pas forcément jeter sa télé à la poubelle ou détourner la tête dès que l’on voit une publicité. A contraire, il faudrait peut-être regarder les images avec plus d’attention, les écouter en fait, pour retrouver devant elles une certaine liberté. Prenons un exemple tout simple : regardons ce qu’il y a dans un temple. On ne le croirait pas, mais il y a quantité de choses intéressantes à voir dans un temple ! Pourquoi y a-t-il des bancs, par exemple ? Et pas des tapis comme à la mosquée, ou un sol nu comme chez les orthodoxes ? Quelle attitude religieuse ou spirituelle est suggérée par l’emploi du banc ? Le mobilier, le décor, disent une conception de la foi, que l’on peut sentir instinctivement, mais qu’il est bon de pouvoir décrypter. Il en va de même pour notre imaginaire religieux. Certaines visions, ou si vous préférez certaines images que Dieu nous inspire, ont parfois en nous une force insoupçonnée, un impact et une capacité de stimulation plus forte que bien des paroles. Écouter Dieu, c’est parfois non seulement écouter une voix, écouter des paroles, mais aussi écouter des images, et les histoires que ces images nous racontent. Ce n’est pas pour rien que Jésus parle souvent en paraboles, pleines d’images de la vie campagnarde. Ce n’est pas seulement parce que son auditoire est composé de gens peu instruits ! C’est parce que l’image, si nous la laissons pénétrer en nous, si nous la méditons, peut produire parfois bien plus que l’écoute d’une affirmation ou d’un raisonnement. Alors méditions ensemble sur ce que peut nous dire le buisson ardent, le buisson enflammé qui déclenche la curiosité de Moïse, qui déclenche les paroles de Dieu, qui déclenche l’exode, qui déclenche toute la naissance d’un peuple. Faisons ensemble le pari que ce n’est pas seulement une curiosité, un gadget parmi d’autres pour que Moïse tende l’oreille et écoute la voix qui va suivre ! Faisons ensemble le pari que cette image parle par elle-même, et méditons sur ce qu’elle nous dit. Dieu dans le buisson Première surprise : l’image n’est pas très claire. Ou plutôt : le texte montre des imprécisions sur ce qui se passe dans ce buisson. Lisons : – “ L’ange du Seigneur lui apparut dans une flamme, au milieu d’un buisson ”. – Plus loin : “ Moïse aperçoit un buisson d’où sortent des flammes (au pluriel) ”. – Ensuite, “ le Seigneur appelle Moïse du milieu du buisson ”. L’ange a-t-il disparu ? La voix provient-elle de la flamme ? ou du buisson ? ou des deux à la fois ? – Enfin on apprend que le lieu lui-même est consacré, et qu’il faut s’y déchausser. Dieu habite-t-il ce lieu d’une façon particulière, en dehors du buisson en feu ? Comme on ne sait pas bien où est Dieu, dans ce buisson, envisageons plusieurs hypothèses, et voyons ce que chacune d’entre elles nous dit ! Et tout d’abord, lorsqu’on voit plutôt Dieu dans le buisson, Dieu attaché à cette image d’un buisson qui brûle sans se consumer. C’est bien cela qui étonne Moïse, n’est-ce pas ? Dieu est comme un buisson qui brûle sans se consumer. Dieu est comme un combustible qui nourrit un feu, sans jamais s’épuiser. Dieu est comme de la vie qui se donne, en se renouvelant sans cesse. C’est une image d’éternité, d’immortalité, mais aussi de vie dynamique qui se donne et se redonne en permanence. “ Je suis qui je suis ” dira Dieu. On peut aussi traduire : “ je suis celui qui est ”, celui dont le nom, exprimé par le tétragramme YHWH, se rapproche beaucoup des lettres du verbe être. Je suis l’Étant, à la fois Eternel et Vivant. Vous voyez à quel point ici l’image coïncide bien avec la révélation qui suivra. Une image et une révélation fortes, et neuves pour le peuple Hébreu. Jusque là Dieu s’était montré comme “ Élohim, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de vos Pères ”. C’était le Dieu d’un appel, d’une tribu, d’une promesse et d’une bénédiction. Le Dieu qui apparaît dans le buisson apporte du neuf, il élargit et ouvre considérablement l’espace. Je suis le Vivant, qui demeure à jamais. Je suis Dieu à l’origine de toute chose créée. Et à cause de cela je peux rendre vie au peuple qui perd sa vie en Égypte, je peux donner vie à un peuple neuf qui viendra m’adorer ici. Dieu dans la flamme Mais, second regard sur l’image du buisson, nous pouvons plutôt imaginer Dieu dans la flamme, comme le visage de l’ange nous le suggère au début du récit. Non pas dans le buisson, mais dans la flamme. Nous avons alors l’image d’un Dieu qui se donne dans une chose aussi modeste qu’un buisson. Un Dieu qui parle même là où il y a des épines et des piquants. Un Dieu qui parle à l’humain, en somme, dans toute son humanité, et qui le fait sans le consumer, sans le dévorer, c’est-à-dire en le respectant, en ne brûlant jamais avec lui les étapes. Un Dieu qui ne se décourage pas de ses raideurs et de ses fragilités. Un Dieu qui éclaire et qui réchauffe le monde au rythme de ce buisson qu’est l’homme, et même un Dieu qui dépend de l’homme pour éclairer et réchauffer le monde. Un Dieu patient, attentif, vulnérable même. C’est bien une réalité qu’on retrouve dans la parole du Seigneur à Moïse. Dieu en effet ne se contente pas de se présenter, de révéler un nom nouveau : “ je suis celui qui est ”. Mais Dieu envoie Moïse pour libérer le peuple. Dieu choisit ce criminel en fuite pour éclairer et allumer la vie du peuple. Dieu se rend dépendant de ce berger pour mener son propre troupeau hors d’Égypte. Et si Moïse hésite et tergiverse, Dieu n’a pas d’autre solution que de prier, d’insister et d’argumenter. Car il est la flamme qui a choisi de ne pas consumer le buisson. Vous sentez combien nous sommes proches ici du Dieu qui s’est rendu lui-même proche et vulnérable en Jésus-Christ. Un Dieu qui brûle d’amour pour nous, mais qui ne s’impose pas, et qui s’adresse à nous pour faire grandir ce feu de son Royaume. “ Je suis venu apporter un feu sur la terre, dit Jésus, et combien je voudrais qu’il soit déjà allumé ” (Luc 12, 49). Dieu dans la terre Mais il y a un autre endroit où l’on peut encore symboliquement imaginer Dieu dans l’histoire du buisson ardent. C’est dans la terre où s’ancrent les racines du buisson. Le texte dit que c’est un lieu consacré. Sans doute un lieu de culte païen, qui honorait une plante verte survivant miraculeusement dans le désert ? Qu’importe, le texte accueille bravement ce lieu comme un lieu consacré, où la présence de Dieu se manifeste, et qui mérite qu’on ôte ses sandales et qu’on ne s’approche pas trop près. Dieu est ici à l’image de ce qui nourrit, comme la terre nourrit le buisson. A l’image de ce qui tient solidement, comme le buisson a ses racines en terre. Et en même temps à l’image de ce qu’on ne peut pas toucher ni saisir. Un fondement à la fois ferme et insaisissable. Fondement ferme comme la fidélité de cette voix, qui se rappelle à Moïse comme “ le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ”. Fondement insaisissable comme l’humour de cette voix qui dit : “ Je suis qui je suis ”, cela ne te regarde pas d’en savoir plus ! L’Église Réformée de France s’est largement laissée inspirer par cette image du fondement ferme et insaisissable. Dès le XVIe siècle, elle a choisit comme emblème, comme sceau, le buisson ardent, avec ce verset : “ il brûle, mais ne se consume pas ”. C’est encore aujourd’hui son logo, sur toutes ses lettres officielles. Au XVIe siècle, les réformés voulaient dire en quelque sorte : notre Église est comme un buisson dans les flammes de la persécution. Elle brûle, elle souffre, mais elle ne se consume pas : elle reste vivace, car elle est ancrée dans le terreau de la parole de Dieu. Et sur cette parole, personne ne peut mettre la main, ni prêtres, ni évêques, ni pape, ni pasteurs d’ailleurs : c’est l’Esprit qui inspire le croyant dans sa lecture des Écritures. Conclusion Nous avons donc fait le tour du buisson, pour essayer de voir où Dieu s’y trouvait, et nous voyons que ce récit fondateur est merveilleusement riche de sens et d’interprétations possibles, avec une grande cohérence entre l’image et la parole de révélation. Nous y avons trouvé tour à tour le Dieu Vivant et Eternel, le Dieu libérateur et vulnérable, le Dieu inspirateur et insaisissable… Presque une sorte de Trinité finalement ! Et nous pourrions en trouver encore d’autres ! Le tour du buisson n’est jamais fini. C’est le propre des grands textes fondateurs, des grandes images, de permettre sans cesse ce renouvellement des interprétations et de l’appropriation spirituelle. L’image, et pour nous ce matin, celle du buisson ardent, devient comme une convocation œcuménique, une invitation faite aux croyants de partager leurs regards et leurs compréhensions de ce que Dieu leur dit là. Je voudrais en rester finalement à cette invitation au partage. Nous avons en commun un grand nombre d’images, qui structurent notre représentation de la foi et de Dieu. Images bibliques, images communautaires, images de nos expériences. C’est l’image du buisson ardent. C’est l’image de la mer traversée à pied sec. C’est l’image de la croix. C’est le cercle de la sainte cène. C’est le banc (ou la chaise) du temple sur lequel nous sommes assis. C’est l’affichage des 95 thèses de Luther. C’est un pasteur bien-aimé de notre enfance. C’est un malheur traumatisant de notre existence. C’est un coin de campagne où nous aimons prier… Toutes ces images sont en nous, ou autour de nous, comme un trésor à relire et à partager.