Textes : 2 Corinthiens 7, v. 5 à 16 Ps 30 Ézéchiel 18, v. 21 à 32 2 Corinthiens 8, v. 7 à 15 Marc 5, v. 21 à 43Pasteur Jan-Albert RoetmanTélécharger le document au complet
2 Co 8, v. 1 à 15 Jean 15, v. 1 à 8ContexteAu cœur de cette deuxième épître de Paul aux Corinthiens, voilà deux chapitres entiers consacrés à la collecte ! Cette deuxième épître est la plus autobiographique des lettres de Paul qui se montre au cœur de tout un réseau d’Églises hellénistiques dont il est le fondateur. Qui plus est, ces éléments personnels de l’apôtre introduisent un leitmotiv qui parcourt l’épître : vivre par l’esprit entraîne un processus de mort à la vie. Le parcours personnel de Paul en témoigne et l’amène à vivre un apostolat « christologique ». Ce « processus pascal » se laisse pointer à plusieurs reprises dans la lettre : Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre chair mortelle. Ainsi, en nous, c’est la mort qui est à l’œuvre, mais en vous, c’est la vie (4,11s ; cf. 1,9 ; 2,16 ; 4.16 ; 5,1-4, 14-15 ; 6,9 ; 12, 9-10 ; 13, 4.9). Paul met l’accent sur ce passage pascal pour se démarquer de ce qu’il appelle les « super apôtres » qui nient ou minimalisent l’abaissement et la souffrance du Christ et cherchent par-là à désincarner l’évangile au compte des réalités purement spirituelles. Pour cette raison Paul va développer toute une réflexion sur sa faiblesse même (10,1 – 13,10) en faisant la démonstration de l’action du Christ dans sa propre personne. L’apostolat de Paul est un apostolat de service qui s’accomplit dans la faiblesse du Christ : ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse (12,9)De la communion à la participationC’est certainement pour cette raison que cette deuxième épître aux Corinthiens n’a pas peur d’y mettre au cœur la préoccupation de la collecte pour Jérusalem. La foi au Christ ne nous dispense pas des besoins matériaux. Au contraire, la participation à la collecte témoigne d’une foi incarnée, elle est un fruit de l’Esprit, elle est un signe de communion avec le Christ et avec les autres. La communion est d’abord fondée sur la participation commune à la Cène. En effet, en 1 Cor 10, 16-17, Paul dit que le « pain que nous rompons (est) communion au corps du Christ » et tire la conséquence que « puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps ». En effet, chaque croyant « participe » au pain rompu (1 Cor 10, 21) à la table du Seigneur. Ainsi la communion avec quelqu’un vient de la « participation » à quelque chose, et en occurrence, à la collecte ! La communion en Christ crée des solidarités au nom du Christ avec les autres. L’évangile de Jean appliquéDans cette perspective il est intéressant d’évoquer l’évangile de Jean sur la vraie vigne (Jean 15, 1-8). Mon père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez mes disciples (v.8). Demeurer en Christ, être en communion avec le Christ, envoie vers l’amour réciproque entre les frères. Voici mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés (v.12). Paul en tire des conséquences éthiques : la participation à la collecte pour celles et ceux qui sont dans le besoin est une manifestation concrète de ce commandement de l’amour. Il n’y pas du spirituel d’un côté et du matériel de l’autre. Non, il n’y a qu’une réalité humaine qui est tout entière sous l’autorité du Christ. Si nous voulons prendre Dieu au sérieux, il faut prendre l’homme en charge !Grâce-communion-collecte.Paul évoque la « communion » en tant que « grâce » ( 8, 4) s’exprimant par la participation (koinonia) à un service (diakonia). Avec insistance (8, 1-3) la « communion » est utilisée pour parler de la participation au service de la collecte. L’usage répété de ce terme de communion (koinoinia) pour désigner la collecte ( Rm 15, 26-27 ; 2Cor 8, 4 ; 9,13) suggère que pour Paul, la collecte est le prolongement de l’entraide communautaire. Ainsi la communion fait la passerelle entre la grâce reçue et le service d’entraide. La dynamique de la grâce inclut l’entraide par la communion. La règle d’égalitéEn verset 13, Paul refuse la bienfaisance. Il dit aux Corinthiens qu’ils ne doivent pas « se mettre dans la gêne en soulageant les autres, mais suivre une règle d’égalité ». Autrement dit, la collecte n’a pas simplement pour objectif de donner une charge à l’un pour soulager l’autre, mais elle se fait sur la base d’égalité de droit telle qu’elle est supposée dès le départ par la « communion ». La communion doit marquer l’esprit de la collecte. Le don ne se produit ni de bas en haut, dans le sens d’une redevance d’un inférieur à son supérieur, ni de haut en bas, dans une mentalité condescendante.L’égalité marque l’esprit dans lequel le don se produit et elle est le but de la collecte. Effectivement, peut-être un jour les Jérusalémites feront une collecte au profit des Corinthiens quand eux-mêmes seront dans le besoin. La réciprocité est et sera toujours possible. Bien entendu, cette réciprocité n’est possible que si chacun est conscient de son besoin de l’autre. Personne, aucune communauté, aucune Église n’est dans une position de supériorité par principe ! Ce qui marque donc l’égalité, c’est une relation par principe réciproque. C’est ainsi que la communion spirituelle avec la communauté de Jérusalem représente le prolongement de la communauté de Corinthe au-delà des limites géographiques. L’appel à la collecte, à la solidarité est une expression de la communion pour dire ainsi que toute communauté locale se définit par une réciprocité, par une interdépendance. Pas de communion sans égalité. Pas de communion sans l’interdépendance.La croix du Christ.La communion comme interdépendance implique que chacun accepte sa propre finitude, ses propres limites, ses propres faiblesses, ses besoins d’autrui. Cette acceptation renvoie la communauté à la croix du Christ. Ainsi la communauté d’Église ne se base pas sur la supériorité, mais sur le service mutuel. Le don renvoie au don du Christ. La collecte est au fond une expression de la Croix du Christ. Les dons collectés pour permettre la vie de ceux qui sont dans le besoin sont des signes de la Résurrection.
Ceux qui pensent que le temps de Pâques nous autorise à mettre la réalité de nos faiblesses entre parenthèses se trompent. L’apôtre Paul dans sa deuxième épître aux Corinthiens en témoigne avec force. Au contraire, la résurrection du Christ nous envoie vers la condition humaine, marquée par les faiblesses, les besoins et les limites. Mais cet envoi n’est pas une fatalité. Cet envoi accueille la condition humaine comme une prise en charge par le Christ lui-même. Et c’est grâce à cette prise en charge qu’elle peut recevoir les couleurs de l’Espérance. La grâce de Dieu, communiquée par la croix et la résurrection du Christ, s’applique dans la vie humaine. Le «demeurer » en Christ, à la manière de l’Évangile de Jean, trouve ici une application concrète : la collecte !***
Mais bon, je crois quand même que Paul doit, comme tout bon trésorier, s’énerver un peu, car pour lui, il s’agit d’un ministère de solidarité qui considère tout geste de solidarité comme une liturgie, une diaconie, une communion. Pour Paul, participer à la collecte est un signe de communion en tant que grâce. Elle est même un prolongement de l’entraide communautaire. ***En plus, Paul parle d’une règle d’égalité pour encourager les Corinthiens. La collecte n’a pas simplement pour objectif de donner une charge à l’un pour soulager l’autre, mais elle se fait sur la base de l’égalité qui ne se produit ni de bas en haut, dans le sens d’une redevance d’un inférieur à son supérieur, ni de haut en bas, dans une mentalité condescendante.La règle d’égalité se comprend d’abord comme une interdépendance, une réciprocité qui sait que chacun est conscient de son besoin de l’autre. Paul fait bien sentir aux amis de Corinthe qu’un jour, peut-être, eux aussi auront besoin de Jérusalem, comme cette communauté a besoin d’eux aujourd’hui : Dans la circonstance présente, votre abondance suppléera à ce qui leur manque, pour que leur abondance aussi supplée à ce qui vous manque (14)Il me semble que Paul essaie de dire que si l’on appelle une collecte du nom de « communion » cela signifie que l’Église soit vécue d’une manière ou d’une autre avec une réciprocité toujours possible, même si celle-ci ne réalise pas une équivalence quantitative.***Pour Paul le service de la solidarité est essentiel et doit se mettre au cœur de la foi chrétienne. Les chapitres 8 et 9 de cette deuxième épître en témoignent. Deux chapitres entiers au centre de la lettre, y sont consacrés. Et puisque c’est au centre de la foi au Christ, Paul n’hésite pas d’aborder la question financière. Tout en sachant d’ailleurs qu’il faut diversifier et adapter son langage pour parler de l’offrande en fonction de son interlocuteur. Paul se révèle tout d’un coup comme un excellent animateur pour la vie financière. Voyons un peu comment il fait.***Disons en gros que dans le chapitre 8 Paul parle de l’argent dans l’Église comme on doit en parler à des chrétiens convaincus et majeurs. Il parle aux foyers qui participent à la vie de l’Église ! Tout son raisonnement va tourner dans ce chapitre autour du verset 9 : « vous connaissez en effet la grâce (la générosité) de notre Seigneur Jésus-Christ qui, pour vous, de riche qu’il était, s’est fait pauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté » Ici, au chapitre 8, la collecte est une grâce et une manière de répondre à la grâce. L’argumentation est ici théologique et spirituelle. Le partage des ressources, financières ou autres, la vie matérielle de nos Églises ne sont pas des sujets à part de la foi mais fruits de la foi, une réponse à la grâce de Dieu, une offrande de nos biens et de nos vies pour le service de l’Évangile, un signe de communion avec les autres Églises.Mais bien entendu, Paul a aussi affaire avec les « distancés de l’Église », disons les paroissiens du fichier. Alors au chapitre 9 Paul reprend la tradition de la sagesse pour ceux qui ne comprennent pas trop le langage spirituel et théologique du chapitre 8 : « en fait celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème largement moissonnera largement ». Paul a-t-il bien lu Luther et Calvin ? Où en sommes-nous par rapport au don gratuit de la grâce ? Paul, laisse-t-il la place à une certaine pensée de mérite dont notre monde est submergé ? En tout cas, Paul n’a pas peur de s’en servir pour le bien de l’Église, pour le service de la solidarité et de la communion à construire. Est-ce théologiquement correct ? Peut-être pas. Mais que faire d’autre si nous voulons entraîner chacune et chacun dans le service du Christ ?***La dynamique de la grâce nous met dans la communion qui nous appelle à la solidarité. Car dans le fond nous sommes déjà, tous, collectés, réunis et retrouvés d’une manière vivante dans les mains du Christ. La collecte pour Jérusalem en cache une autre. La vôtre. En Christ. Amen.