4e dimanche de Carême

 

Notes bibliques

Introduction
Le chapitre 15 de l’évangile de Luc nous raconte trois paraboles, très connues, qui ont comme point commun un personnage qui est affecté par l’absence d’un « bien précieux ».
Il est intéressant de noter que la TOB a donné à ces 3 paraboles des titres semblables : « la brebis retrouvée », « la pièce retrouvée », « le fils retrouvé » ; tandis que la Nouvelle Bible Segond (NBS) a rajouté à l’adjectif « perdu » : « et retrouvé ».
Pour retrouver le « bien » perdu, le personnage central de nos trois paraboles va avoir deux attitudes sensiblement différentes, tandis que le berger et la femme cherchent activement ce qui est perdu, le père attend que le fils perdu revienne à la maison. De même, le « lieu de perdition » de nos trois paraboles est différent, le désert pour la brebis, la maison pour la pièce et un pays lointain pour le fils cadet, comme pour nous dire qu’il y a différentes manières de nous éloigner de Dieu, d’être perdu.
Dans nos trois paraboles, le résultat est la joie : la joie de Dieu de voir un pécheur revenir vers Lui. Enfin nos trois paraboles répondent aux murmures des pharisiens et des scribes qui reprochent à Jésus de faire bon accueil aux pécheurs et de manger avec eux.

La parabole du fils prodigue
La troisième parabole de Luc 15 est appelée généralement parabole du « fils prodigue » ou encore parabole du « fils perdu », ou des « deux fils ».
Cette parabole comprend deux parties où le personnage central est le père : celle qui concerne le fils cadet (v 11-24) et celle qui concerne le fils aîné (v 25-32).

 

Plan de la parabole

1. L’événement qui donne lieu à la parabole (v 1-3)
Le bon accueil réservé aux pécheurs de la part de Jésus.

2. Le fils cadet (v 11-24)
2.1. Le départ du fils. (v 11b-13)
Le fils cadet demande sa part d’héritage et quitte la maison familiale.

2.2. L’épreuve (v 14-16)
– Après avoir dépensé tout son argent, le fils cadet découvre la pauvreté.
– Il est obligé de garder des porcs, comble de la dégradation pour les juifs car le porc est un animal impur (Dt 14,8).
« mais personne ne lui donnait » (v16)
des caroubes (fruits d’un arbre méditerranéen, utilisés pour la nourriture du bétail).

2.3. « Rentré en lui-même » (v 17-19)
– Le fils cadet prend conscience que les serviteurs de son père ont « du pain en abondance ».
– Il décide donc de retourner chez son père comme l’un de ses serviteurs.

2.4. Les retrouvailles entre le père et le fils (v 20-21)
– Le père attendait-il le fils ? car il le reconnaît de loin et court à sa rencontre.
– Le père se jette au cou de son fils. C’est une attitude exceptionnelle pour un père oriental du temps de Jésus. Il ne lui fait aucun reproche.

2.5. Le rétablissement du fils (v 22-24)
« Donnez une robe, une bague, des sandales » (v 22)
– Le père, par l’intermédiaire de ses serviteurs, donne au fils les attributs qui lui signifient (mais aussi aux autres) qu’il est fils et non serviteur : la belle robe, la bague (signe de l’autorité car elle servait de sceau), les sandales (signe qu’il est un homme libre par opposition aux esclaves qui marchaient nu-pieds).
– Toute la maison est associée aux retrouvailles par une fête où on tue le veau gras.

3. Le fils aîné (v 25-32)

3.1. Le retour des champs du fils aîné (v 25-28a).
– Le fils aîné apprend, par l’intermédiaire d’un serviteur, le retour de son frère.
– Il se met en colère à cause de la fête qui est donnée à l’honneur de son frère.
– Il refuse de rentrer à la maison.

3.2. L’entretien entre le père et le fils aîné (v 28b-32)
– La démarche du père envers le fils aîné est identique à celle envers le fils cadet : c’est le père qui va à la rencontre de ses fils.
« à moi, tu n’as jamais donné un chevreau » (v29)
– Le fils aîné exprime à son père sa rancune de ne pas lui avoir donné un chevreau pour festoyer avec ses amis.
– Le père essaie de faire comprendre à son fils aîné que tous ses biens sont à lui. Il n’est pas un serviteur parmi d’autres, mais bel et bien un fils.

 

Quelques interprétations « historiques » de la parabole du « fils prodigue »
1. La longue tradition moralisante met l’accent sur le fils cadet qui se perd dans une vie de débauche et qui finalement se convertit. Le fils aîné n’est présent dans cette tradition que comme personnification du vice de la jalousie.
2. Dans l’art religieux du XIIIe siècle (ex. vitraux de Bourges), la parabole est comprise comme histoire du salut de toute l’humanité composée de deux groupes : les juifs et les « gentils ». Le fils aîné représente le peuple juif, le cadet le peuple des gentils.

 

Pistes pour la prédication 

La question du Don
Alors que les deux fils « souffrent » parce qu’on ne leur a pas donné (à manger des caroubes/ un chevreau) ; le père donne à ses deux fils son amour, son pardon, leur qualité de fils.
Chacun des deux fils pense pouvoir vivre par lui-même, par son travail (à l’extérieur ou dans la maison du père). Mais c’est l’échec pour tous les deux. Leur dignité n’est pas le fruit de leur effort mais un véritable Don du Père, à l’image de notre salut qui est aussi un Don de Dieu.

La question de la vie et de la mort
« Mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie » (v 24a).
Comment pouvons-nous comprendre cette parole du Père ? S’agit-il d’une image liée à l’exagération d’un père oriental ? Ou s’agit-il d’une vérité à prendre au pied de la lettre ?
Est-on encore vraiment en vie lorsqu’on vous refuse la nourriture destinée aux animaux ?
En réclamant son héritage, le fils cadet a fait comme si son père était décédé. Il refuse ainsi de vivre comme fils sans s’en rendre compte.
Notre parabole du fils prodigue nous pose la question de notre dignité humaine. A partir de quel critère pouvons-nous nous considérer comme des « êtres vivants » ou déjà morts, morts car privé du minimum vital comme un logement par exemple, ou encore privé d’amour, de respect, de dignité humaine…
« Vous êtes des fils et non des serviteurs »
Lorsque le fils cadet décide de revenir chez son père, il n’a pas confiance dans la capacité de son père de lui pardonner sa faute. Il pense qu’il ne mérite plus être considéré comme un fils.
Comme son cadet, le fils aîné se comporte comme l’un des serviteurs de son père et non comme un fils. Pour lui, « le don d’un chevreau » est résultat de nombreuses années de travail. Il considère son père comme son patron qui lui doit un juste salaire. Il n’a pas compris que tous les biens de son père lui appartiennent aussi, puisqu’il est le fils, l’héritier.
Le père va donc être obligé de rappeler à ses deux fils qu’ils sont bel et bien des fils et non des serviteurs, objet de son amour inconditionnel de Père. Quelle image avons-nous de Dieu : celle d’un Père ou d’un patron ?

 

Prédication
Il était une fois un père qui avait deux fils, l’un sage, l’aîné qui travaillait avec assiduité dans les champs de son père ; et un autre un peu plus fou, le cadet, qui désirait lui, mener sa vie comme il l’entendait loin de la maison familiale. Ces deux fils si différents l’un de l’autre ont cependant comme point commun qu’ils ignorent, tous les deux, qu’ils sont inconditionnellement aimés par leur père. Alors qu’ils sont des fils aimés par leur père, ils considèrent, eux, leur père comme le patron de la petite entreprise familiale, au même titre que les nombreux serviteurs de la maison. Voilà comment on pourrait résumer assez facilement la parabole dite du « fils prodigue » ou des « deux fils ».
Car l’un des véritables enjeux de cette parabole est bel et bien notre difficulté, notre incapacité de nous reconnaître Enfant de Dieu. Dieu nous a d’abord envoyé des prophètes pour nous dire son amour : « La femme oublie-t-elle son nourrisson, oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas ! » (Ésaïe 49, 15). Ou encore « Ne crains rien, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom : tu es à moi. Car je suis l’Éternel ton Dieu, ton sauveur. Parce que tu as du prix à mes yeux et que je t’aime, ne crains rien, car je suis avec toi. » (Ésaïe 43, 1-5).
Puis comme cela ne suffisait pas, Dieu nous a donné son propre fils, pour nous montrer à quel point Il nous aime : « Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jean 3, 16).
En Jésus-Christ, Dieu est venu vers nous, pour nous dire combien Il nous aime, à l’image de l’Amour, de la tendresse d’un Père pour ses fils et ses filles que nous sommes tous et toutes.
Mais malgré tout cela, nous continuons bien souvent, à l’image des deux fils de notre parabole, d’ignorer que Dieu nous aime. Voici quelques phrases d’une confession du péché qui vont dans ce sens : « Seigneur, ta joie éclate dans la création et nous ne la voyons pas. […] Tu nous parles, et nous ne répondons pas. Tu nous aimes et nous n’en faisons pas une fête. Tu nous sauves et nous n’en tenons pas compte » (d’après P. Griolet « Tu viens nous rassembler » 1976 ; Recueil de textes liturgiques de Centre-Alpes-Rhône (1985).
Mais pourquoi nous est-il si difficile de nous reconnaître Enfant de Dieu ? Alors que nous sommes prêt à beaucoup de sacrifice, d’effort pour rechercher l’amour, tant dans sa famille, dans son couple, mais aussi dans ses relations professionnelles, amicales ; pourquoi avons-nous tant de mal à reconnaître que Dieu nous aime ? Pourquoi avons-nous tant de difficulté à nous reconnaître Enfant de Dieu ? Notre parabole des « deux fils » peut, peut-être, nous aider à mieux comprendre pourquoi nous sommes souvent « hermétiques » à l’Amour de Dieu ; un peu comme si Dieu nous déclarait sa flamme, mais dans une langue étrangère dont nous ne connaissons pas encore les rudiments nécessaires pour bien la comprendre.
Les deux fils représentent, symbolisent les deux principales raisons qui nous empêchent généralement de nous reconnaître comme Enfant de Dieu.
Je vous propose de nous intéresser d’abord au fils cadet, celui qui est généralement qualifié de fils prodigue. Après avoir fait l’expérience de la pauvreté, de la souffrance tant physique que psychique, ce dernier reconnaît qu’il n’a pas bien agit envers son père. Il décide donc de retourner chez son père pour lui demander de le prendre comme l’un de ses serviteurs après lui avoir avoué par deux fois sa faute, son péché. « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes employés. » (v 18-19 et 21)
Ainsi lorsque le fils cadet décide de revenir chez son père, il n’a pas confiance dans la capacité de son père de lui pardonner sa faute ; de la même façon qu’il n’arrive pas non plus à se pardonner lui-même. Accablé par sa faute, par sa culpabilité, le fils cadet est incapable de voir son père autrement qu’avec son propre regard. Comment son père pourrait-il lui pardonner sa mauvaise conduite alors qu’il ne se trouve aucune excuse pour avoir agi de la sorte ? En effet, comment est-il possible d’accueillir pleinement dans notre vie le pardon de Dieu, si nous-même, nous sommes pris dans les filets de la culpabilité ? Pour recevoir le pardon de Dieu il faut, à la fois, reconnaître que nous sommes aimés de Dieu, mais aussi être capable de nous aimer nous-même suffisamment, pour nous reconnaître digne de recevoir ce pardon. Jésus ne nous recommande-t-il pas : « d’aimer Dieu, mais aussi d’aimer notre prochain comme nous-même. » ? (Marc 12, 29-31). Ainsi une trop grande culpabilité, une incapacité à nous pardonner nous-même des fautes que nous qualifions parfois trop vite d’impardonnables nous empêche de nous reconnaître enfant de Dieu.
Si parfois on aimerait dire au fils cadet : « Mais voyons, tu n’es pas si mauvais que ça ; ce n’est pas si grave après tout », histoire de l’aider à reprendre confiance en lui ; le fils aîné n’a besoin par contre de personne pour savoir qu’il est irréprochable. C’est d’ailleurs ce qu’il va dire à son père au verset 29 : « Voici il y a tant d’années que je te sers, jamais je n’ai désobéi à tes ordres, et à moi jamais tu n’as donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis. »
On ne peut rien lui reprocher. Il a toujours tout fait d’une façon irréprochable. Il est presque parfait, digne par ses propres actes d’être enfant de Dieu. Pour lui, l’amour de Dieu, le salut, se mérite par une vie exemplaire. Ce à quoi il s’est appliqué, jours après jours, pendant de nombres années. Le fils aîné est incapable, lui, d’aimer son prochain, son frère ; mais aussi d’aimer son Père, Dieu. Pour les fils aînés que nous sommes parfois, rien n’est jamais gratuit. Tout se mérite, s’acquiert au prix d’un certains nombres d’efforts. Pour ces fils aînés, Dieu ressemble à un juge incorruptible qui applique la loi et rien que la loi. Ainsi le père lui doit un chevreau en raison, en compensation, de ses bons états de service.
De même, le fils aîné est incapable d’aimer son frère qui fait l’objet de la sollicitude de leur père. D’ailleurs lorsque le fils aîné parle à son père du fils cadet, il dit : « ton fils qui a dévoré ton bien avec des prostituées » (v 30) au lieu de dire « mon frère ».
Le fils aîné n’arrive pas à comprendre son père qui se réjouit du retour de son plus jeune fils, à l’image des ouvriers de la première heure qui ne comprennent pas, eux, la générosité du maître de la vigne en faveur des ouvriers de la onzième heure.
Tout comme il ne comprend pas non plus qu’il soit possible de partager l’amour entre plusieurs enfants. L’amour des parents reste entier pour chacun de leurs enfants. Ce n’est pas parce que l’autre reçoit que moi je manque. Ce n’est pas parce qu’il est aimé que moi je suis dans l’abandon. Ce qui est donné à l’autre n’est pas pris sur ma propre existence, mais sur le don de l’amour qui surabonde dans le moment même où il se partage. Le véritable amour est inépuisable, à plus forte raison celui de Dieu.
Deux fils très différents l’un de l’autre et qui ont cependant comme point commun qu’ils ignorent, tous les deux, qu’ils sont inconditionnellement aimés par leur père. Chacun à sa manière se comporte vis-à-vis de son père comme un serviteur et non comme un fils, un héritier du royaume des cieux.
Le père va donc être obligé de rappeler à ses deux fils qu’ils sont bel et bien des fils et non des serviteurs, objet de son amour inconditionnel de Père.
Cette réaffirmation qu’ils sont et qu’ils resteront toujours des fils pour leur Père, quoi qu’ils fassent, quel que soit leur âge, va se faire en parole mais aussi en acte. Ainsi le père va d’abord sortir à la rencontre de ses deux fils. Lui, le père respecté de tous, à qui tous les honneurs sont dus, c’est pourtant lui qui fait le premier pas vers ses deux fils. Puis par l’intermédiaire de ses serviteurs, il va donner à ses fils les attributs qui leur signifient, mais aussi aux autres, qu’ils sont fils et non serviteurs. Le fils cadet va ainsi recevoir la belle robe signe de la fête de la richesse, puis la bague signe de l’autorité car elle servait généralement de sceau, et enfin les sandales signe qu’il est un homme libre par opposition aux esclaves qui marchaient nu-pieds.
Quant au fils aîné, tous les biens de son père sont à lui (v 31) puisque son frère cadet a déjà pris sa part d’héritage. Faut-il encore qu’il se considère comme un fils et non comme un serviteur pour oser prendre tout simplement un chevreau pour faire la fête avec ses amis, au lieu d’attendre que son père lui donne une récompense pour sa « bonne conduite ».
Ainsi leur dignité de fils de Dieu n’est pas le fruit de leur effort, d’une vie exemplaire, ou encore de leur mea culpa, mais bel et bien d’un véritable Don du Père, de Dieu.
C’est d’ailleurs à partir de cet amour inconditionnel de Dieu pour chacun d’entre nous que l’apôtre Paul va bâtir, nourrir toute sa réflexion théologique. L’amour de Dieu, reconnu comme un véritable Don, va être le thème central de toutes les épîtres de Paul, comme par exemple l’épître aux Éphésiens au chapitre 2 verset 8 : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. »
Aussi bizarre que cela soit, il semble que nous avons régulièrement tendance à oublier que Dieu nous aime comme un Père. De même, il semble que nous serions aussi plus enclins à nous reconnaître serviteurs de Dieu que fils et filles de Dieu. Peut-être cela est-il dû au fait que nous sommes tous à la fois des assoiffés d’amour à la recherche du véritable Amour, mais aussi souvent des blessés de l’amour humain ? D’où notre difficulté à reconnaître, à recevoir tout simplement l’Amour que Dieu nous offre jour après jour. Nous avons donc besoin qu’on nous rappelle régulièrement que nous sommes Enfant de Dieu.
Ce fut là la grande vocation de Martin Luther de rappeler, de faire redécouvrir à l’Église occidentale du 16e siècle l’amour de Dieu le Père. C’est certainement aussi la vocation de notre parabole des « deux fils » de nous rappeler aujourd’hui que nous sommes tous Enfants de Dieu.
Amen.

Proposition de cantique : ARC 428, NCTC 296, Alléluia 44-03 : Comme un enfant