Prédication

Christ est ressuscité !
Il est vraiment ressuscité … mais les disciples n’en ont pas encore tiré les conséquences.
Pourtant, Pierre et Jean ont vu le tombeau vide.
Pourtant, Marie de Magdala a témoigné, auprès des onze, de sa rencontre avec le Ressuscité.
Néanmoins, les disciples se sont terrés dans une maison, non loin de Jérusalem.
Ils se sont claquemurés, refermant portes et volets.
Ils se sont recroquevillés dans leur peur, une peur d’autant plus prégnante qu’elle est multiple.
Il y a la peur physique : les disciples craignent d’être arrêtés puis crucifiés.
Il est, en effet, peu probable que les Juifs et les Romains se contentent de Jésus.
Il y a la peur spirituelle.
Pendant trois années, les disciples ont suivi Jésus parce qu’ils le croyaient Messie. Quoi qu’il se passe, ils se trouvent en « porte-à-faux » : si Jésus est bien le Messie, ils l’ont abandonné ou renié ; s’il ne l’est pas, ils ont suivi un faux prophète.
Dans les deux cas, comment l’Éternel ne réagirait-il pas avec colère ?
Peur de la persécution ; peur de Dieu ; peur d’eux-mêmes, enfin.
Les disciples se croyaient assurés dans leur foi et dans leur conduite.
Désormais, ils se savent capables du pire.
Pierre a renié Jésus à trois reprises. Il a sorti l’épée pour trancher l’oreille du garde venu arrêter Jésus.
Quant aux autres disciples, ils ont pris la fuite au moment crucial.
Les disciples ont bien des raisons d’avoir peur.

Et cette peur a un fruit amer : l’enfermement, le repli sur soi.
Jésus les appelait à vivre « au grand large », à partager la Bonne Nouvelle. Les disciples sont restés dans la capitale, repliés géographiquement, humainement, spirituellement.

Deux mille ans plus tard, nous vivons aussi dans la peur.
Bien sûr, aujourd’hui, en France, nous ne craignons plus les persécutions religieuses; mais la peur prend d’autres formes : peur de la violence, du chômage, des ruptures familiales, de la maladie, de la vieillesse ou de la solitude.
Comme les disciples, nous avons également peur de ce mal, tapi en nous, qui semble toujours pouvoir nous submerger.
Enfin, il y a la peur d’être abandonné de Dieu : « Et s’il ne m’écoutait plus ? Si je le décevais tellement qu’il finissait par se détourner de moi ? »
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la peur nous recroqueville sur notre identité religieuse ou nationale, nos traditions, notre clan familial ou amical.
Nous nous calfeutrons, nous fermons les portes et fenêtres de notre vie, nous n’attendons plus rien de neuf.

« La paix soit avec vous »
Les disciples croyaient s’être protégés de toute intrusion.
Pourtant, le Christ ressuscité est bien là, présent, au milieu d’eux.
« La paix soit avec vous » 
A deux reprises, le Christ prononce cette bénédiction, afin que la paix fasse son chemin dans le groupe des disciples.

Au premier abord, ces mots semblent en décalage avec la réalité.
Comment être en paix en pareille situation ?
Pourtant, maintenant, la paix devient envisageable, parce que le Christ est là. Les disciples ont toujours des raisons d’avoir peur mais, désormais, ils ne sont plus seuls.
Aujourd’hui encore, la paix est possible, quelles que soient nos situations de vie, parce que le Christ est ressuscité, parce qu’il est présent dans nos vies.
Même lorsque nous sommes recroquevillés sur nous-mêmes, le Christ est là.
Même lorsque nous barricadons notre vie, le Christ est là.
Même lorsque, à vue humaine, il n’y a plus d’espoir, le Christ est là.
Nous pouvons donc lui confier nos peurs. Et toute peur partagée perd de son pouvoir ; la paix peut alors prendre la place laissée vacante.
Ce qu’écrit Claudel sur la souffrance s’applique aussi à la peur : « Christ n’est pas venu supprimer la peur, il n’est même pas venu lui donner sens. Il est venu l’habiter de sa présence ».

2ème brèche dans le mur de la peur : Jésus montre aux disciples ses mains et son côté, encore marqués par les clous et la lance du soldat.
Par ce geste, Christ atteste qu’il est bien Jésus de Nazareth.
Mais il leur présente les stigmates de la crucifixion pour un second motif : il veut les contraindre à regarder en face ce qui leur fait tellement peur : la violence des autres mais aussi la leur, la lâcheté de la foule mais aussi la leur.
Les disciples doivent admettre la réalité de l’injustifiable qui a conduit des croyants à mettre à mort le Fils de Dieu et qui conduit, aujourd’hui encore, à la négation de l’autre.

La situation des disciples n’a pas changé.
Ils sont toujours menacés par les Juifs et les Romains ; ils sont toujours conscients de leur faiblesse et de leur violence. Mais, maintenant, accompagnés du Christ, ils regardent le mal en face.
Nous non plus, nous ne savons pas vivre avec le mal, commis ou subi.
Nous tentons de le nier par un humanisme sympathique mais inopérant, ou de le concentrer sur quelques figures pathologiques comme les « tueurs en série ».
Nous essayons aussi de le relativiser en lui donnant une explication sociale ou psychologique.
Il y a un siècle, des penseurs et des politiques espéraient que, sous les coûts de boutoir du savoir et du progrès technique, la misère et l’ignorance disparaîtraient et avec eux le mal. Pourtant, ce siècle fut celui des guerres et des génocides.
Plus récemment, certains ont cru que le mal n’était que la conséquence de névroses ou de psychoses. En améliorant la santé mentale de la population, le mal ne pourrait que décliner.
Là encore, quel que soit le bien fondé de cette démarche, le bilan est plus que mitigé.
Il nous faut donc bien convenir qu’il existe une dimension du mal irréductible aux progrès du savoir, de la justice sociale de la psychologie.
Il existe en nous des forces de destruction, de négation de l’autre et de soi-même contre lesquelles nous n’avons pas vraiment prise.
Nous n’aimons plus parler du péché, y compris dans nos Eglises, mais ne croyons pas qu’en supprimant le mot, la réalité qu’il décrit va disparaître. Au contraire, le mal est encore plus fort quand il n’est pas nommé.
Regarder le mal en face est un passage obligé sur le chemin de la paix.
Lorsque nous sommes devant la croix, nous ne pouvons plus nier ce qui nous écrase.
Alors, seulement, nous pouvons recevoir la paix.
« La paix soit avec vous » dit Jésus pour la deuxième fois.
Cette paix nous est donnée car le dernier mot n’est plus donné au mal et à l’absurde.
Le crucifié est ressuscité !
Au cœur du mal et de l’absurde, au cœur de notre refus du projet de Dieu, l’Eternel a posé un acte de vie et de réconciliation.
Il a relevé Jésus-Christ d’entre les morts. Il a offert son pardon. Il a proposé une nouvelle alliance.
Désormais, pour nous comme pour le monde, il y a un au-delà du mal.
Désormais, la paix est toujours possible, la paix est toujours donnée.
Jésus envoie les disciples, au près comme au loin, pour diffuser cette paix : « Comme le Père m’a envoyé, à mon tour, je vous envoie ».
Et parce qu’il n’y a pas de paix sans réconciliation, ni de réconciliation sans pardon, le Christ leur donne un pouvoir, le seul pouvoir du chrétien : celui de pardonner, en son nom.
Car il sait que, face à l’excès du mal et de la peur, il est des situations où seul le pardon, acte de pure grâce, peut briser l’enchaînement infernal des fautes et des blessures : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ». Et si les disciples ont aussi le pouvoir de ne pas remettre les péchés, c’est parce qu’un pardon accordé à contretemps écrase ou déresponsabilise celui qui en est le bénéficiaire.

Cette paix et ce pardon ne dépendent pas de l’autorité ou du charisme des disciples. Ils sont le fruit de la communion avec le Christ.
C’est ce qu’illustre la rencontre de Thomas avec le Christ.
Contrairement à l’opinion courante, Thomas n’est pas l’exemple de la personne raisonnable qui exige des preuves avant d’accorder sa confiance.
Il est le symbole de celui qui n’entre pas dans une démarche de foi.
Désormais, ceux qui rejoindront la cohorte des croyants ne seront pas les témoins directs de la résurrection mais ceux qui auront pris le risque de croire, sans assurance.
« Bienheureux ceux, qui sans voir vu, ont cru ».

Chers amis, une semaine après Pâques, nous le savons désormais : Christ est ressuscité. Il est présent dans notre vie et dans le monde, y compris lorsque le mal et la peur semblent régner.
Parce qu’il est là, nous pouvons regarder en face ce qui nous écrase.
Parce qu’il est là, nous savons que le mal n’aura pas le dernier mot.
Parce qu’il est là, nous recevons la paix et le pouvoir de pardonner.
Parce qu’il est là, nous pouvons partager cette paix et ce pardon
Parce qu’il est là, nous pouvons prendre le beau risque de la foi.
« La paix soit avec vous »
Amen !

Quelques remarques brèves

– Pour cette prédication, une semaine après Pâques, j’ai mis le « focus » sur la situation des disciples, enfermés physiquement, psychologiquement, spirituellement.
– J’ai concentré le message sur les versets 19 à 23, très denses et d’une grande richesse symbolique, avec, notamment, les thématiques de l’enfermement, de la paix, du pardon et de l’envoi.
– J’ai volontairement omis de traiter les versets 30-31 qui abordent une autre thématique : le projet général de l’évangéliste.