Notes bibliques
Essai de traduction et notes
1. Pour le chef de cœur, sur la guittith1
pour les fils de Coré2, chant3.
2. Comme elles sont chéries tes demeures,
Seigneur des armées4.
3. Mon âme5 languit à s’épuiser
après les parvis du Seigneur6.
Mon cœur et ma chair7 crient de joie8
vers le Dieu vivant.
4. Même l’oiseau9 a trouvé une maison,
et l’hirondelle10 un nid pour elle,
où elle dépose sa couvée :
tes autels, Seigneur des armées,
mon roi et mon Dieu11.
5. Heureux ceux qui habitent dans ta maison,
sans cesse, ils te louent. Pause.
6. Heureux l’homme dont la force est en toi :
il y a des routes dégagées dans leur (son) cœur12.
7. Traversant la vallée du baumier13,
ils en feront une fontaine,
et même des bénédictions : la pluie précoce (la) couvrira14.
8. Ils vont de force en force,
le Dieu des dieux se fera voir à Sion15.
9. Seigneur, Dieu des armées, écoute ma prière,
prête l’oreille, Dieu de Jacob. Pause.
10. Vois, ô Dieu, notre bouclier,
et regarde la face de ton Oint16.
11. Car meilleur est un jour dans tes parvis
que mille (ailleurs),
j’ai choisi17
de me tenir sur le seuil18 de la maison de mon Dieu,
plutôt que de demeurer dans les tentes de l’injustice.
12. Car le Seigneur Dieu est un soleil et un bouclier19,
il accordera la grâce et la gloire.
Le Seigneur ne refusera pas le bonheur
A ceux qui vont dans l’intégrité.
13. Seigneur des armées,
heureux l’homme qui se confie en toi !
Prédication
« Je languis à m’épuiser après les parvis du Seigneur » : qui donc parle ainsi, avec une telle ferveur ?
Il se pose plus généralement la question : qui s’exprime dans le psaume 84 ? Le ton personnel et intime de la prière et de la méditation intérieure y voisine avec le ton plus impersonnel et plus solennel de la déclaration liturgique. S’agit-il de la méditation d’une seule personne ou d’un dialogue à plusieurs voix ?
Nombreux sont, parmi les commentateurs, ceux qui voient dans le psaume 84 la méditation ou le chant d’un pèlerin en chemin vers le Temple de Jérusalem. Il vient de loin, peut-être de l’étranger, la marche est rude, épuisante, mais au fur et à mesure qu’il s’approche de son but, ses pensées et ses sentiments s’animent, ses forces et son ardeur se renouvellent. Certaines traductions ont ajouté des titres aux psaumes, qui disent plus ou moins comment il faut les comprendre. Ainsi la Bible de Jérusalem intitule le psaume 84 « Chant de pèlerinage ». La « Bible en français courant » le fait précéder de l’indication « Cantique des pèlerins arrivant à Jérusalem ». Il en est de même de la « Nouvelle Bible Segond » : « Chant des pèlerins arrivant à Jérusalem ».
Nous avons, au psaume 84, les épanchements d’un pèlerin qui, après une longue et épuisante route, s’approche de Jérusalem : cette lecture s’impose à nous presque avec évidence, elle nous permet de nous identifier assez facilement avec le psalmiste et de faire nôtres sa prière, ses émotions et ses sentiments.
Pourtant quelques voix isolées, parmi les exégètes, estiment que cette lecture qui identifie le psalmiste à un pèlerin ne tient pas assez compte de la spécificité du psaume 84. Ce dernier ne ressemble pas aux chants de pèlerinage que sont les « psaumes des montées » (psaumes 120 à 134).
Evode Beaucamp a écrit à propos du psaume 84 : « La critique moderne, unanime, voit dans ce texte difficile un chant de pèlerinage. Cette unanimité tient, selon nous, du mirage collectif. Il n’est en effet nulle part question de monter à Jérusalem comme dans le psaume 122 par exemple. Il s’agit seulement d’entrer au temple ». Il conclut son étude du psaume 84 en parlant de « l’image folklorique des pèlerinages, dont on a fardé inutilement le texte ».
Si le psaume 84 évoque bien la route et la traversée de la vallée de Baumier, il ne parle pourtant pas explicitement de pèlerinage ou de montée vers Jérusalem. Il se présente plutôt comme un dialogue entre trois personnages, le principal étant sans doute le roi. Du fait qu’il est l’Oint du Seigneur, celui que Dieu a choisi pour conduire le peuple, le roi vit dans une intimité toute spéciale avec Dieu. Il exprime d’abord son désir ardent d’être en présence de Dieu, car sa vie même est fondée dans la grâce que Dieu lui manifeste. Le désir de vivre et celui d’être près de Dieu se confondent chez lui. Après avoir exprimé son désir, le roi formule sa prière en présence du peuple et des officiants du Temple :
« Seigneur, Dieu des armées, écoute ma prière, prête l’oreille, Dieu de Jacob. »
Cette prière du roi ne fait qu’exprimer le désir qui l’habite, le désir que Dieu soit proche de lui, le désir de vivre dans la présence et la paix de Dieu. Parce que la prière du roi ne fait qu’un avec la prière du peuple, celui-ci ajoute sa prière à celle du roi. Il intercède pour lui : « Vois notre bouclier, ô Dieu, regarde la face de ton Oint ! » Le peuple s’associe à la prière du roi, pour que Dieu montre un visage bienveillant au roi et lui accorde sa bénédiction.
Après l’intercession du peuple, le roi redit son désir et sa prière : demeurer près de Dieu, c’est ce qui lui importe le plus, plus que toutes les autres présences qui peuvent lui apporter du bonheur et de la joie.
En réponse à la prière du roi et du peuple, les officiants du Temple proclament l’action salutaire de Dieu :
« Le Seigneur est un soleil et un bouclier, il accordera la grâce et la gloire ».
La prière du roi et du peuple exprime aussi une certaine inquiétude, l’inquiétude de voir Dieu se détourner d’eux et les abandonner face aux forces de destruction et de mort qui les menacent. Le psaume 23 entrevoyait ces forces derrière la vallée d’ombre et de mort, notre psaume parle de la vallée du Baumier, de la vallée des pleurs… Au désir de vie et de bonheur, mêlé d’inquiétude, du roi et du peuple, les officiants du culte répondent avec un rappel à la fois solennel et rassurant : Dieu ne vous privera pas de sa grâce et de sa gloire, il vous offrira sa présence et vous révèlera son visage, qui vous feront vivre, qui renouvelleront vos forces face aux maux qui vous menacent.
Mais si la prière est un mélange de confiance et d’inquiétude, la réponse à cette prière est elle aussi un mélange d’affirmation rassurante et de mise en garde. Les officiants en effet précisent : « Le Seigneur ne refusera pas le bonheur à ceux qui vont dans l’intégrité ».
Cette mise en garde discrète est adressée au peuple, mais surtout au roi. La grâce de Dieu est inséparable de sa justice et de sa vérité. Le Temple, le culte et ses officiants ne sont pas au service du pouvoir royal. Le peuple rassemblé intercède certes pour le roi. Les officiants du temple assurent certes le roi et le peuple de la fidélité de Dieu à l’endroit de ses promesses et de son alliance, en particulier à l’endroit des promesses et de l’alliance accordées à David. Mais il est aussi rappelé au roi et au peuple que Dieu attend d’eux la justice et la vérité. L’oubli de cette exigence remettrait en cause le fondement même du contrat qui unit Dieu au peuple et à son roi. L’avenir du peuple et de l’institution royale dépend avant tout de la fidélité de Dieu à ses promesses , mais il dépend aussi de la fidélité du roi et du peuple à la Loi que Dieu leur a donnée, et le roi n’est pas au-dessus de cette Loi.
Comme les psaumes 1 ou 119, le psaume 84 est ponctué par des béatitudes que les officiants adressent à l’assemblée formée par le peuple et le roi :
« Heureux ceux qui habitent dans ta maison, sans cesse ils te louent. »
« Heureux l’homme dont la force est en toi, il y a des routes dégagés dans son cœur. »
« Seigneur des armées, heureux l’homme qui se confie en toi ! »
Cette dernière béatitude conclut le psaume. Elle rappelle au roi et au peuple que Dieu est fidèle à sa parole et que tout homme qui place sa confiance en Dieu et en sa parole ne sera pas déçu dans sa quête de vie et de bonheur. Mais elle leur rappelle en même temps que le bonheur du peuple et de chacun de ses membres dépend aussi de leur prise en compte de la Parole de Dieu qui est justice et vérité.
Nous nous identifions sans doute moins facilement à un psalmiste roi qu’à un psalmiste simple pèlerin en route vers le temple, marchant au milieu de la foule.
Notre lecture du psaume 84 ne se veut pas exclusive : les psaumes ont d’ailleurs été repris dans des contextes divers, souvent éloignés de leur contexte d’origine, et il n’est pas impossible que la prière du psaume 84 ait accompagné les pèlerins sur leur chemin vers Jérusalem. Cela nous autorise à en faire notre prière, aujourd’hui, au terme de l’année 2006. Comme le psalmiste, nous sommes habités par un désir de vie, un désir qui n’est pas sans inquiétude, et pour nous aussi ce désir de vie, mêlé d’inquiétude, se confond avec la quête de Dieu, la quête de sa présence et de son visage.
Si le culte qui nous rassemble est l’expression de notre désir et de notre prière, il est aussi le lieu, le moment où il nous est rappelé :
« Le Seigneur Dieu est un soleil et un bouclier,
il accordera la grâce et la gloire.
Le Seigneur ne refusera pas le bonheur
à ceux qui vont dans l’intégrité. »
Notes de bas de page
[1] « guittith » : indication d’un instrument ou d’un thème musical (cf Ps 8,1 et 81,1). Peut-être en lien avec la ville de Gath d’après le Targoum. Les LXX (version grecque des Septante) ont « pour les pressoirs » (chant pour les vendanges), l’hébreu « gath » signifiant « pressoir ».
[2] « fils de Coré » : les descendants de Coré, de la tribu de Lévi (Nb 16 ; 26,11), deviennent sous David « serviteurs pour le chant, devant la demeure, la tente de la rencontre » (1 Ch 6,16ss). Les psaumes 42-49,84-85 et 87-88 leur sont attribués.
[3] « mizmôr » : se dit d’un chant accompagné par des instruments. A la suite des LXX, « mizmôr » est généralement traduit par « psaume ». Ce terme est placé en tête de 57 psaumes.
L’appellation divine « Seigneur des armées » (TOB : Seigneur tout-puissant ; LXX : « Seigneur des puissances » ; Jérusalem transcrit : « Yahvé Sabaot ») se trouve plusieurs fois dans le Ps 84 (vv.4.13) ; au v.9 on a : »Seigneur, Dieu des armées ».
Présente dans les livres de Samuel, des Rois, des Chroniques, des Psaumes (24,10 ; 46,8.12 ; 48,9 ; 49,6 ; 69,7 ; 80,5) et des Prophètes, cette appellation revêt des significations diverses selon les contextes. Si en 1S 17,45 l’appellation désigne le Seigneur des armées d’Israël, ailleurs les « armées » sont plutôt les armées célestes. Il s’agit d’une expression liturgique qui souligne la souveraineté de Dieu, à l’origine peut-être en lien avec l’arche de l’alliance (2S 6,2).
[5] TOB, E. Beaucamp et NBS (Nouvelle Bible Segond) rendent « mon âme » par le pronom personnel « je », l’âme désignant toute la personne, « ce qui fait d’un être corporel un être vivant » (Gesenius). L’âme est aussi le siège des affects et des émotions comme la nostalgie (Ps 42,3 ; 63,2), l’amour, la joie…
[6] A l’origine, le mot désignait l’enclos érigé par les bergers pour protéger le troupeau, il fut appliqué par la suite aux parvis ou aux cours du Temple de Jérusalem. (NBS : les cours du temple du Seigneur). D’après 2R 21,5, les parvis du Temple étaient au nombre de 2 (cf. Jr 36,10 ; 2 Ch 20,5).
[7] « mon cœur et ma chair » : c’est de nouveau toute la personne qui est impliquée, jusque dans sa dimension corporelle et physique.
[8] Le verbe « ranan », crier avec force, a au piel (temps employé ici) le sens de crier avec joie, acclamer, louer.
[9] A la fois les oiseaux au sens collectif et un oiseau particulier. TOB a « moineau », Jérusalem et NBS « passereau ».
[10] hirondelle ou pigeon (LXX).
[11] La construction de 4b est boiteuse.
[12] « misellah » désigne la piste dégagée dans le désert (Es 40,3 ; 49,17) ou la grand’route (Beaucamp). 6b est elliptique et peut être traduit diversement : « de bon cœur il se met en route » (TOB), « ils ont à cœur des routes toutes tracées » (NBS), « car à leur cœur la route est large » (Beaucamp).
[13] Litt. « la vallée de Baka » (NBS). « Baka » désigne un arbre, le baumier ou micocoulier (2S 5,23), l’arbre pleureur. Certains manuscrits et versions ont « val des pleurs », car à l’audition les deux mots sont identiques. « Le val des Baumiers peut être identifié au wadi et Meisé (dont le nom a le même sens), par lequel on accédait à la porte ouest de Jérusalem » (note de la TOB).
[14] Le caractère elliptique de 7b explique les différences de traduction :
- « les premières pluies le (val des Baumiers) couvrent de bénédictions » (TOB)
- « surcroît de bénédiction, la pluie d’automne les enveloppe » (Jérusalem)
- « la pluie les enveloppant de bénédictions » (Beaucamp)
[15] Nous avons suivi la version des LXX, qui a rendu « él-élôhim » par « le Dieu des dieux », mais « él » peut aussi être la préposition « vers », « devant ». Autres traductions possibles :
- « ils se présentent devant Dieu à Sion » (TOB),
- « Dieu leur apparaît dans Sion » (Jérusalem),
- « ils paraîtront devant Dieu à Sion » (NBS).
[16] Texte de nouveau ambigu. On peut le rendre par « Notre bouclier, Seigneur, vois … » (LXX, NBS, Jérusalem) ou par « Seigneur vois notre bouclier (=l’Oint) » (TOB). Nous avons retenu cette traduction. On peut aussi lire « regarde le visage de ton messie (oint) » (TOB, NBS, Jérusalem) ou « ton oint vers toi tournant sa face » (Beaucamp), mais la première lecture nous paraît plus appropriée : les deux verbes « voir » et « regarder » sont à l’impératif.
[17] Faut-il rattacher le verbe « baharti » (j’ai choisi) à ce qui précède (« que mille à ma guise », Jérusalem) ou à ce qui suit (« j’ai choisi de me tenir sur le seuil de la maison de mon Dieu », NBS, TOB, LXX) ? Si la disposition du texte dans la bible hébraïque suggère la première lecture, la seconde paraît cependant plus conforme au sens.
[18] « rester au seuil » (TOB) : on peut déduire de cette méditation et d’autres que l’auteur est un pèlerin laïc qui ne peut assister au culte que dans la cour du Temple (A. Weiser). Le contraste est d’autant plus marqué ; même s’il envie ceux qui habitent dans le Temple (v.5), il préfère se trouver à l’extérieur du Templequ’à l’intérieur des tentes des infidèles.
[19] Les LXX suivies par la Vulgate ont un autre texte au début du v.12 : « Le Seigneur Dieu aime la miséricorde et la vérité ».